Pourquoi avoir choisi la grève de la faim comme mode d’action ?
Kaled Haddou - J’étais face à un mur. Fin 2004, j’avais pris trois jours de mise à pied pour abandon de poste alors que j’étais en arrêt maladie à cause du harcèlement de la direction. Et trois nouveaux jours quand j’ai repris le boulot. Cela s’est calmé pendant un an mais, depuis le début de l’année, les licenciements se succèdent. Quand la direction m’a mis à pied, à titre conservatoire en avril, j’ai su que c’était mon tour. Au même moment, un autre salarié était licencié pour faute grave. Il a décidé de se mettre en grève de la faim. Je l’ai rejoint sans hésiter.
Omar Bilem - Depuis janvier, il y a eu une vingtaine de licenciements individuels. Avec le non-remplacement des départs à la retraite, l’effectif a fondu de plus de 10 % en trois ans. C’est un vrai plan social dans une entreprise qui fait des profits énormes qu’elle reverse à ses actionnaires, Veolia et Sita (Suez-Lyonnaise des eaux), grâce à la taxe sur les ordures ménagères que payent tous les habitants. Et, depuis cinq ans, on n’arrête pas de perdre nos acquis sociaux. Il était évident de soutenir deux salariés qui s’opposaient à leur licenciement, mais aussi de combattre la politique globale de la direction. C’est pour cela que je les ai rejoints dans leur grève de la faim.
Il n’était pas possible de mobiliser les salariés avec les autres syndicats ?
Kaled Haddou - J’ai demandé à Omar d’arrêter la grève, pour montrer que les accusations des autres syndicats étaient fausses. Ils lui reprochaient de nous manipuler pour gagner les élections... De nombreux collègues sont passés nous voir et apporter leur soutien mais, dans les entrepôts, quasiment aucun n’a bougé parce qu’ils avaient peur des représailles de la direction.
Omar Bilem - L’accord sur les 35 heures a été signé en 2000 par la CGT, FO et la CFDT alors qu’on perdait sur les jours fériés, les conditions de travail et les salaires - gelés pour quatre ans ! On était quelques-uns à réagir, la direction a essayé de nous licencier. On a décidé de se syndiquer à la CFTC, pour agir et se protéger. Cela m’a valu trois demandes de licenciement en un an et demi ! Toutes refusées par l’inspection du travail. En novembre 2002, on a animé une grève avec la CFDT et FO sur la grille de classification, on l’a gagnée. Le PDG a demandé à me rencontrer officieusement et m’a proposé un reclassement dans une autre société avec une grosse indemnité... J’ai refusé. Quelques jours plus tard, un responsable du syndicat nous a convoqués en menaçant de nous retirer nos mandats si on ne se calmait pas. On a claqué la porte et créé notre propre syndicat. Depuis, en trois ans, on a dû recevoir près de 300 lettres recommandées et, maintenant, cette demande de licenciement de deux délégués syndicaux.
Qui vous a soutenus dans votre lutte ?
Kaled Haddou - Dans la foulée du mouvement contre le CPE, les étudiants ont organisé les premières manifestations de solidarité. Un comité de soutien s’est créé autour de Solidaires avec eux et des militants d’associations, de syndicats et de partis. Malheureusement, malgré nos demandes, peu d’organisations se sont réellement mobilisées. Les élus, à part la sénatrice des Verts Marie-Christine Blandin, sont restés très discrets. Et le PS, qui dirige la mairie et la communauté urbaine qui a délégué le marché public à Esterra, n’a absolument rien fait. Peut-être parce que le PDG d’Esterra est l’ancien président du club de foot et qu’il fait la bise à Pierre Mauroy quand ils se rencontrent.
Omar Bilem - Grâce au comité de soutien, on a rencontré Jean-Luc Touly qui présentait son livre sur les multinationales de l’eau, qui sont aussi actionnaires d’Esterra. Il a été licencié par Veolia alors qu’il était délégué syndical CGT. On a fait une conférence de presse et un communiqué communs avec des syndicalistes de FO, eux aussi licenciés par Veolia, et un syndicaliste de SUD-énergie à Suez. Ce qu’on vit à Esterra n’est pas isolé, ce sont les pratiques courantes de ces entreprises qui s’enrichissent grâce aux marchés publics confiés par les élus. Mais, visiblement, cela n’intéresse pas trop la presse, même après 40 jours de grève de la faim. Il faut dire qu’on n’est pas députés... Mais tout cela nous a appris plein de choses et ces contacts devraient nous aider pour la suite.
Justement, comment envisagez-vous la suite ?
Kaled Haddou - Je n’obtiendrai pas ma réintégration, mais la direction négocie une solution « à l’amiable » pour éviter les prud’hommes. Je vais chercher du boulot, mais je serai toujours là pour donner un coup de main aux copains qui restent. J’ai appris plein de choses en deux mois et cela me servira ailleurs. J’ai rencontré plein de gens qui m’ont aidé à ne pas me laisser virer comme un chien après huit ans à ramasser les poubelles. Je n’aurai jamais cru pouvoir me battre comme cela et je suis heureux de l’avoir fait.
Omar Bilem - C’est très dur de mobiliser. Il suffit de regarder ce que les étudiants ont dû faire pour obtenir le soutien massif des salariés et gagner contre le CPE. On a peut-être confondu vitesse et précipitation, parfois, mais il y avait urgence à relever la tête. On a vécu une expérience phénoménale et enrichissante. Cela nous permet de croire qu’un jour les choses changeront pour les plus démunis : les éboueurs, la classe ouvrière mais aussi les chômeurs et les sans-abri. On a poussé un cri de révolte, maintenant il faut construire pour améliorer nos conditions de travail et changer la société. Cela va ensemble : lutter, ne pas laisser passer une seule injustice sans bouger, mais aussi aller sur le terrain politique, ne pas le laisser à ceux qui ont regardé Kaled crever de faim sans bouger. Pour nos licenciements, s’il faut repartir à la bagarre, on ira. Et jusqu’au bout cette fois. Il n’y aura plus d’arrangement à l’amiable !