Promouvoir la grève sociale
contre les politiques néolibérales
sur horizon d’indépendance à gauche
N’importe quel jovialiste d’extrême gauche qui, il y a à peine un an, aurait déclaré la possibilité d’une grande manifestation de plus de 200 000 personnes contre les politiques néolibérales, encore plus trois à la suite, et d’une manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes, peut-être 80 000, en pleine canicule durant les vacances de la construction de la fin juillet [1] aurait été déclaré fou furieux. Sur cette lancée, la CLASSE est déjà en campagne électorale à travers le Québec pour faire « un appel à la grève sociale » [2]. Québec solidaire et son aile gauche, quant à eux, sortent à peine de leurs vacances politiques pendant que les Libéraux et le PQ multiplient annonces électoralistes et joutes médiatiques en prévision d’une campagne électorale d’un mois qui sera déclenchée tout probablement le 1er août pour se tenir le 4 septembre. La possible dialectique grève étudiante/élections dans le contexte répressif de la loi 78 rend tout possible, de l’explosion sociale à la défaite stratégique en passant par un non lieu remettant à plus tard l’enjeu central de la grève sociale.
En plus de prendre de court les très probables révélations juteuses de la Commission Charbonneau sur leur corruption, les Libéraux veulent poser la campagne électorale comme l’alternative au vote de reprise de la grève étudiante devant commencer au début août [3] et damer le pion à la tournée estivale de la CLASSE à laquelle par ailleurs les Libéraux essaient de nuire dès maintenant [4]. Sans compter que le système judiciaire refuse jusqu’ici de remettre en question la loi 78 malgré sa condamnation par l’officielle Commission des droits et libertés de la personne [5]. Les Libéraux, soutenus ou sans opposition de la part des très concentrés grands médias, proposent une plate-forme néolibérale musclée très claire. Côté avers, une albertisation du Québec à coups de Plan Nord et de gaz de schiste ; côté revers, une campagne de peur contre l’anarchie étudiante et la menace référendaire péquiste.
Avantage Libéral sur tous les fronts car l’opposition officielle, le PQ, a déjà capitulé sur toute la ligne, se voulant la version douce du parti gouvernemental pour aboutir au même résultat. Il est d’accord sur l’ensemble des projets pétroliers et miniers, à quelques ajustements de redevances prêts, et propose un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste sachant fort bien que leur rentabilité ne sera pas, au Québec, au rendez-vous de si tôt. La chef péquiste a renoncé au port du carré rouge, symbole de la lutte étudiante, et son parti a laissé tomber depuis des lustres toute velléité référendaire, ce que l’aile purzédur a encore une fois digéré après maints pleurs, cris et menaces. Quant à la CAQ, ayant raté la fusion des fédéralistes et des nationalistes de droite, elle s’est reconvertie en contradictoire, et finalement peu crédible, version nationaliste des Libéraux car la haine apeurée de l’indépendance, noyau dur de l’idéologie de la droite québécoise, lui est interdite.
De la corporatiste grève illimitée à la générale grève sociale
La CLASSE, après avoir fait l’hypothèse stratégique, suite à un bilan sensé des grèves étudiantes depuis les années 60, que la « grève générale illimitée » du seul mouvement étudiant serait suffisante pour renverser le rapport de forces en est venue à prôner la nécessité de la « grève sociale », c’est-à-dire de la grève générale dont le gros des forces ne peut être que le mouvement syndical en combinaison avec le mouvement étudiant, stimulé par le mouvement des femmes et appuyé par le mouvement populaire :
« Quand j’ai débuté à militer dans le mouvement étudiant, nous savions tous qu’il faudrait une grève générale illimitée pour faire reculer le gouvernement libéral de Jean Charest sur sa décision.... GGI : trois lettres qui était presque synonyme de victoire. Une grève massive, perturbatrice et de longue durée : voilà ce qui nous ferait gagner. Bon. Nous l’avons fait. Nous avons fait la plus grande grève étudiante de toute l’histoire du Québec. […]
« Malgré une mobilisation exceptionnelle, les libéraux n’ont tout simplement pas reculé et ne semble pas prêts de le faire. Ce constat remet sur la table l’éternelle question du rapport de force. […]
« Certains et certaines se rabattront sur la perspective électorale. Il faudra en effet sortir à court terme les libéraux du pouvoir afin d’éviter le saccage pur et simple du Québec. Cela dit, la timidité de la position péquiste sur les frais de scolarité nous interdit, je crois, de mettre tout nos espoirs en les urnes. Cela ne suffira pas à bloquer la privatisation et la tarification grandissante de nos services publics. […]
« Nous n’avons donc pas d’autre choix que de poursuivre la mobilisation. La grève et les casseroles étaient bien belles, mais il nous faut passer à une autre étape. […] Les associations étudiantes sont à leur capacité maximale de mobilisation et de perturbation. La partie combative du mouvement communautaire participe à la mobilisation, notamment à travers la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics. Le milieu communautaire est important dans la lutte actuelle, mais ce n’est pas par lui que passera une augmentation significative de la pression. Les initiatives citoyennes sont nombreuses : le soulèvement des casseroles en est le dernier exemple, peut-être le plus inspirant. Mais déjà, elles faiblissent. […]
« Tout les yeux sont donc tournés vers le milieu syndical. […] on parle de grève sociale. Mais il faudra peut-être commencer à faire plus qu’en parler. […] L’immobilisme ou la peur, dans ces circonstances, n’ont pas leur place. […] La timidité du mouvement syndical à se rapprocher de la frange combative du mouvement étudiant explique quant à moi en partie la situation actuelle. […]
« …le cul-de-sac actuel s’explique peut-être en partie par la stratégie volontaire de certaines organisations étudiantes de mettre de côté l’aspect profondément politique de la lutte actuelle, allant jusqu’à demander aux grandes centrales syndicales de limiter leur appui à la sphère financière et logistique. « C’est le combat des étudiants » a-t-on dit à l’époque. Quelle erreur. […] Cela a même été clairement dit dans les médias par un représentant étudiant : « cela n’aura pas été bon pour l’image du mouvement. Vous savez... l’image des syndicats depuis quelques années... ». […]
« Le front commun étudiant et syndical n’est compréhensible qu’en mettant réellement à jour ce qui nous unit : la défense du bien commun, la défense des intérêts de la majorité de la population face à un gouvernement qui protège ceux d’une minorité. […]
« Allez plus loin, cet automne, cela voudra dire envisager sérieusement une mobilisation générale de la société. Cela voudra dire organiser concrètement la grève sociale. […] Il y a un mois, la désobéissance civile n’était pas respectable. Aujourd’hui, elle l’est un peu plus. Si nous acceptons de la pratiquer fièrement en faisant grève sociale cet automne, je suis convaincu qu’elle le deviendra complètement. »
Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole homme de la CLASSE [6]
Voilà l’analyse et l’orientation stratégique qui sous-tend le manifeste de La CLASSE à quelques déviations anarchisantes prêt sur lesquelles le SPQ-libre, la très minoritaire aile gauche du PQ, est tombée à bras raccourcis [7]… tout en tentant de faire oublier son précédent rejet de la grève sociale [8].
Le retour de la stratégie de lutte de classe… oubliant l’oppression nationale
Le Manifeste de la CLASSE, oppose certes mécaniquement démocratie directe et démocratie représentative. Au moins dénonce-t-il les limites capitalistes infranchissables de cette dernière tout en ne noyant pas le poisson par l’insipide démocratie participative qui est à la question de la démocratie ce que le développement durable est à la question écologique. Il résout le complexe rapport tactique entre lutte étudiante et élections en balayant la participation à l’enjeu électoral autrement que par la continuation de la mobilisation :
« Élection après élection, les décisions restent les mêmes et servent les mêmes intérêts, préférant les doux murmures des lobbys au tintamarre des casseroles. Quand se fait entendre la grogne populaire, on applique des lois spéciales et on nous impose les bâtons, le poivre et les gaz lacrymogènes. Lorsque l’élite se sent menacée, elle trahit les principes qu’elle dit défendre : leur démocratie ne fonctionne que lorsque nous nous taisons. »
Le Manifeste comprend unilatéralement l’altermondialisme, qui a pétri la dernière génération militante, comme signifiant l’effacement des frontières pour aboutir à un monde égalitaire et démocratique sans médiation nationale. Il en vient ainsi à résoudre le tout aussi complexe rapport stratégique entre question sociale et question nationale québécoise en ignorant complètement l’enjeu de l’indépendance. Même la question nationale autochtone est uniquement abordée sous les essentiels angles écologique et féministe mais passant sous silence les droits territoriaux et politiques :
« Loin des caméras, pauvres et donc facilement oubliées, les femmes autochtones sont les premières victimes de cette vente à rabais. Heureusement, les peuples autochtones, déportés par chaque nouvelle prospection, résistent à ce vol continuel. »
Cependant, à la suite du mouvement Occupons/Occupy, le Manifeste se centre sur les rapports de classe, évitant toutefois le vocabulaire marxiste toujours sali par l’échec du socialisme réel, et restituant à l’anticapitalisme non nommé ses essentielles dimensions démocratique, internationaliste, féministe, écologique dans le cadre de l’abolition de la marchandise :
« Nous avons compris que le bien commun dépend d’un accès égal aux services publics, et l’égalité dans les services publics porte un nom : la gratuité. […] En quoi est-ce juste de demander le même montant pour franchir les portes d’un hôpital à un avocat et à une emballeuse ? Ce qui pour l’un est un montant minime est pour l’autre un fardeau insupportable. […]
« Nous sommes des locataires, nous sommes des travailleuses et des travailleurs. Nous sommes des étudiantes internationales et étudiants internationaux laissé-e-s pour compte par des services publics discriminants. Nous sommes de toutes les origines… […] Nous sommes des femmes, et si nous sommes féministes, c’est parce que nous vivons le sexisme au quotidien… […]
« Or, la convoitise d’une poignée de gens, redevables à personne, est en train de ravager ces espaces en toute impunité, du Plan Nord aux gaz de schiste. Pour ces gens dont la vision est réduite au profit du prochain trimestre, la nature n’a de valeur que mesurée en retombées économiques. Capricieux et avides, ils et elles n’ont d’yeux que pour leurs actionnaires lointains. […]
« Voilà le sens de notre vision, l’essence de notre grève. Une action collective qui dépasse les intérêts étudiants, qui ose revendiquer un monde différent, loin d’une soumission aveugle à la marchandisation. Marchandisation des individus, de la nature, de nos services publics : une même petite élite vend tout ce qui nous appartient. »
Enlisé dans la conciliation de classe, Québec solidaire rate toutes les cibles
C’est dans ce contexte que la direction de Québec solidaire, profitant de la baisse de la mobilisation étudiante et populaire du début de l’été répressif, caniculaire et festivalier, a choisi pour surfer la vague du facile cul-de-sac « Débarrassons-nous des Libéraux » auquel la CLASSE oppose le « Débarrassons-nous du néolibéralisme ». La direction de Québec solidaire a proposé in extremis d’abandonner sa plate-forme afin de faire une alliance minimaliste anti-Libéral avec le PQ sur une base à peine sociale-libérale :
« La coordination de Québec solidaire oppose à l’appel au front uni de gouvernement la négociation d’arrangements ponctuels et limités, arrangements qui seraient possibles à condition que : a) le parti élu « s’engage à réaliser dès le début de son mandat, une réforme du mode de scrutin laissant une place importante à la proportionnelle et applicable dès l’élection générale suivante et s’engage à respecter les lois sur le financement des partis politiques. b) chacun des partis signataires s’engage à réaliser dans les 6 premiers mois de son mandat, les engagements suivants : abroger la loi 78 et amnistier les personnes et organismes sanctionnés, en vertu de cette loi ; abolir la hausse des droits de scolarité ; abolir la contribution santé et ajouter un ou plusieurs seuils d’imposition sur les revenus des contribuables riches ; procéder à la refonte en profondeur de la Loi sur les mines pour mettre fin au « free mining » et faire du peuple québécois le principal bénéficiaire de l’exploitation viable de nos ressources minières. » Et on souligne que « la quasi-totalité de ces points a déjà fait l’objet d’engagements de la part des partis concernés par votre Appel. »
On pourrait nous dire qu’il s’agit d’une habile manœuvre tactique et que de toute façon le Parti québécois de Pauline Marois va refuser cette proposition. Ce refus nous permettrait donc de rejeter la responsabilité de la division des souverainistes sur le dos de Pauline Marois et du Parti québécois. Ce faux réalisme a l’inconvénient d’identifier comme un allié un parti qui risque de se faire l’instrument de prochaines attaques contre les intérêts de la majorité de la population. La pression au vote stratégique (ou utile !) ne fera que redoubler à l’approche des élections, et il se fera d’autant plus fort que nous n’aurons pas dénoncé le néolibéralisme du PQ et que nous aurons aidé le PQ à se placer dans le camp des progressistes. » (Éditorial, Presse-toi-à-gauche, 26/06/12 [9]
Cette offre au PQ, qui renie de A à Z une résolution de congrès contre la volonté des porte-parole (« Non au pacte tactique », avril 2011, mon blog), illustre on ne peut plus clairement, quand arrive le temps des décisions cruciales, l’absence de démocratie interne au sein de Québec solidaire, conséquence de son verticalisme résultant du consensus électoraliste autour de ses deux porte-parole vedettes. Il eut été possible, et même mobilisant, de convoquer un Conseil national d’urgence sur le sujet. À toute fin pratique, qu’il y ait ou non une entente très peu probable avec le PQ, le contenu proposé devient par défaut aux yeux de l’électorat la plate-forme réellement existante de Québec solidaire. Cette offre envoie à la poubelle la plate-forme démocratiquement décidée pas plus tard qu’il y a trois mois [10]
Pourtant la frilosité fiscale de cette plate-forme, malgré les quelques rectificatifs du congrès, et surtout son refus d’affronter le capital financier mais plutôt de lui apporter la garantie étatique en prônant de mettre au service de Québec Inc. l’ensemble des fonds de retraite par l’intermédiaire de la Caisse de dépôt et de placement gérée par une collusion patronale-syndicale, rendent problématiques les quelques propositions en rupture avec le social-libéralisme. À quoi sert de souscrire à la fourchette supérieure des objectifs du GIEC si les moyens de faire une révolution des systèmes énergétique et de transport ne sont pas au rendez-vous ? À quoi sert de déclarer la guerre à la pauvreté si le revenu minimum garanti proposé est à peine la moitié du seuil de faible revenu de Statistique Canada ? À quoi sert de réclamer le plein emploi si on ne revendique pas la baisse du temps de travail, éliminée de la plate-forme, et qu’on interdise les seules fermetures d’entreprises « saines et viables » ? Dire, comme le fait Presse-toi-à-gauche, que « [l]e programme de Québec solidaire est aux antipodes [des] politiques [des Libéraux et du PQ] » est pour le moins une exagération même s’il est nettement plus à gauche que celui des partis néolibéraux.
La même ambiguïté vaut pour les rapports avec la lutte étudiante. Québec solidaire revendique certes la gratuité scolaire mais il se tait sur la question de la grève sociale même s’il court derrière le mouvement mieux que le PQ qui hésite et tergiverse. Pourtant, s’il y a une évidence pour un parti qui se réclame des urnes et de la rue dans la conjoncture actuelle c’est bien de faire la promotion prioritaire de la grève sociale, indépendamment de la reprise ou non de la grève étudiante, pour non seulement contrer les politiques néolibérales des derniers budgets des Libéraux mais aussi les coupures et baisses d’impôt de la dernière gouvernance péquiste.
Il faut quand même avouer que la reprise de la grève créerait une conjoncture palpitante, et risquée, ouverte à la possibilité d’une crise politico-sociale majeure créant les « conditions gagnantes » d’une dynamique indépendantiste de gauche c’est-à-dire revendiquant non seulement le rejet de l’anglophile Cour suprême et celui du réactionnaire fédéralisme rentier d’Ottawa mais surtout l’expropriation de capital financier et sa conversion en service public. Encore faudrait-il que Québec solidaire en propage la perspective ce dont il est éloigné par des années-lumière de par sa proposition d’une utopique Assemblée constituante découplée de la lutte sociale et en attente d’un gouvernement Québec solidaire élu dans le cadre de l’actuelle Constitution fédérale.
Le cul-de-sac électoraliste
La dialectique entre la grève étudiante/grève sociale et les élections occasionne des sueurs froides aux électoralistes de gauche et progressistes. Ceux et celles s’illusionnant sur le PQ, prenant pour acquis qu’une reprise de la grève jouerait le jeu des Libéraux, sympathisent au mieux avec la tournée estivale d’information de la CLASSE tout en lui recommandant de renoncer à sa grève. À la limite de cette position, on trouve les deux fédérations étudiantes modérées dont certaines composantes participent à la grève, qui ne peuvent donc pas la renier pour l’instant, mais qui mettent l’emphase sur la participation massive de la jeunesse au vote et sur le ciblage de certaines circonscriptions gagnées par les Libéraux par une courte majorité lors des dernières élections de 2008.
La gauche du PQ n’a pas cette gêne. Pour elle, une victoire péquiste signifierait clairement une victoire étudiante :
« Une victoire du Parti québécois se traduirait par la révocation de la loi 78, l’annulation de la hausse des droits de scolarité et la tenue d’un sommet où le PQ proposerait, comme Mme Marois s’y est engagée, une augmentation modérée des droits de scolarité modulée sur l’indice du coût de la vie.
« Lors d’un tel sommet, les associations étudiantes et d’autres forces sociales pourront proposer la gratuité scolaire, et le SPQ Libre sera de ce nombre. Mais nous l’assortirons à la nécessité de l’indépendance du Québec. Car il faut être réaliste, nous n’aurons pas les budgets nécessaires pour nos programmes sociaux tant que nous continuerons à envoyer la moitié de nos impôts à Ottawa pour soutenir les choix économiques et militaires d’un gouvernement élu par une autre nation. » [11]
À un premier niveau, une telle analyse fait bon marché du bilan du PQ qui clignote à gauche lors des élections pour mieux virer à droite une fois au pouvoir. À un deuxième niveau, SPQ-libre excuse par avance la future débandade péquiste tout en se dédouanant… avec un argument fallacieux. Une indépendance de droite, en plus d’être devenu stratégiquement quasi impossible tellement le peuple québécois réalise que le jeu n’en vaudrait pas la chandelle, ne donnerait pas les moyens de la gratuité scolaire sauf à sacrifier d’autres besoins sociaux tout aussi vitaux. Encore faudrait-il un maintien de la pression étudiante.
Le deuxième pôle électoraliste, lucide à propos de la réalité clairement néolibérale, et non pas sociale-libérale sauf en paroles, du PQ, prône la reprise de la grève étudiante et sa transformation en grève sociale. Ne pouvant anticiper autre chose que la seule réalité unilatérale d’un gouvernement néolibéral, les tenants de ce pôle s’y résignent malgré leur crainte d’un backlash au bénéfice des Libéraux ou de son miroir inversé, le « Débarrassons-nous des Libéraux » mécaniquement pro-PQ [12].
Même l’improbable équivalent de la vague orange de l’élection fédérale au bénéfice de Québec solidaire laisserait le pouvoir à un parti néolibéral qui, sachant qu’il ne peut compter que sur l’électorat de droite, se raidirait tout comme le fait le gouvernement Conservateur au niveau fédéral… ou le gouvernement de la Nouvelle Démocratie en Grèce suite à leur vague orange au bénéfice du parti antilibéral Syriza. L’obtention de la majorité parlementaire (ou présidentielle) serait-elle suffisante ? En termes de politiques néolibérales, les exemples pas si lointain de l’ANC sud-africaine et du Parti du travail brésilien démontrent le contraire.
Un peu plus loin dans le temps encore, l’élection en bonne et due forme du gouvernement front populaire Allende, au Chili en 1970, sur la base d’une forte mobilisation dans la rue jusqu’à l’occupation d’usines et l’auto-gouvernement de certains quartiers populaires a pu être renversé par un sanglant coup d’état militaire parce que le gouvernement en place, fort de sa légitimité institutionnelle, a empêché l’émergence d’un gouvernement de la rue, dont des milices ouvrières, pour plutôt pactiser avec l’armée à qui il a remis le ministère de la Défense.
La confusion entre la conquête institutionnelle de la majorité et la conquête du pouvoir reste la grande illusion de notre époque. À cet égard, l’excuse commode de la contre-révolution stalinienne ayant mené au cul-de-sac du socialisme réel ne saurait masquer la sociale-libéralisation de son alter ego, la social-démocratie. On peut certes discuter de la pertinence d’un gouvernement populaire dûment élu comme marche-pied d’un pouvoir anticapitaliste ― c’est une question d’analyse concrète d’un cas concret ― mais pas de sa substitution comme le pensent les partisans non critique des gouvernements bolivien et vénézuélien.
Faire campagne pour la grève sociale vers l’indépendance de gauche
Certes, un vote Québec solidaire signifie en creux un vote contre les partis néolibéraux ; une bonne députation Solidaire signifie, dans le meilleur des cas, un relais parlementaire, plus fiable et plus consistant que celui du PQ, des besoins sociaux, des revendications populaires et des luttes sociales. C’est aussi vrai, dans une moindre mesure, pour le NPD au niveau fédéral. Jusqu’ici, l’aspect positif s’arrête là. De par sa plate-forme réellement existante ou même celle démocratiquement votée, Québec solidaire n’offre pas d’alternative à la consistance néolibérale des Libéraux, au mieux un baume sociale-libérale… et ce n’est pas encore prouvé dans les faits. Or, on sait bien, pour l’avoir expérimenté avec le PQ et plusieurs gouvernements provinciaux du NPD, qu’il y a loin de la coupe aux lèvres.
On comprend, pour cette raison, la position anti élection quelque peu anarcho-syndicaliste de la CLASSE :
« Du côté de la CLASSE, nous avons une position très ferme d’indépendance face à l’ensemble des partis politiques. Il y a des partis politiques qui partagent plus nos positions, d’autres moins. Là où on se voit, c’est dans la rue où on mobilise les étudiants et les étudiantes, pas à appeler à un vote.
« On peut se débarrasser d’un gouvernement autrement que par des élections, soit par des mobilisations assez fortes et en démontrant que le gouvernement n’a plus de légitimité. Et je crois que nous sommes en train de le faire avec les mobilisations actuelles. »
(Point de presse de Gabriel Nadeau-Dubois à la manifestation du 22 juin à Québec, Presse-toi-à-gauche, 26/06/12 [13])
Étant donné que Québec solidaire revendique la gratuité scolaire, quoique l’offre d’alliance avec le PQ en fait fi, un appui critique de la part de la CLASSE aurait d’une part maximiser le vote de gauche réellement possible dans le cadre du système peu démocratique du vote uninominal à un tour et d’autre part créer les conditions d’une pression sur la direction du parti, relayée par une grande partie de la base majoritairement antilibérale de Québec solidaire, pour promouvoir, lors de la campagne électorale, la nécessité de la grève sociale contre les politiques néolibérales. Par contre, comme ni la CLASSE ni Québec solidaire ne sont enlignés sur l’indépendance de gauche en tant que clef de voûte stratégique de la libération du peuple québécois à la fois sociale et nationale, ce point crucial tombe par défaut dans l’escarcelle des seuls collectifs anticapitalistes.
Par l’éditorial de Presse-toi-à-gauche du 26 juin, cette composante de l’aile gauche de Québec solidaire se démarque clairement de la direction (la coordination) du parti tant sur la question de proposition d’alliance avec le PQ qu’« en soutenant l’élargissement de la lutte étudiante vers la grève sociale y compris durant la période électorale », ce que l’on suppose signifier que Québec solidaire devrait en faire la promotion durant la campagne électorale. Ne voulant cependant pas rompre avec cette direction avec laquelle elle a fait alliance depuis la fondation du parti, elle idéalise la plate-forme du parti pour en faire un paradigme de la gauche contre les offres des partis de droite. Ce faisant, tombant dans le piège de l’oscillement pendulaire entre la question sociale et la question nationale, cette aile glisse sur l’enjeu de l’indépendance, à peine mentionné.
Pourtant, sa direction y ait pour beaucoup dans l’élaboration et la propagation de la stratégie indépendantiste de la triptyque élection d’un gouvernement Solidaire / Assemblée constituante / référendum. Est-ce à dire que Presse-toi-à-gauche commence à réaliser qu’il y a une solution de continuité entre l’optique de la lutte de classe des 99% contre le 1% et la démarche institutionnelle de la Constituante où la rue n’aurait qu’un rôle accessoire ? Y aura-t-il un prochain éditorial faisant la synthèse de la libération nationale et de la libération sociale en proposant la perspective d’une indépendance de gauche comme but stratégique ultime de la grève sociale où l’Assemblée constituante pourrait peut-être être un moment mais certainement pas le moment névralgique.
À défaut de s’y résoudre, Presse-toi-à-gauche risque d’en rester à promouvoir une lutte de classe découplée de la société québécoise réellement existante où prédomine un fort sentiment d’oppression nationale. Cette position cul-entre-deux-chaises dans la lignée Occupons Montréal risque, si elle est maintenue, devant sa stérilité stratégique, d’amener vers une position de repli électoraliste de gros bon sens à laquelle est déjà arrivé le fondateur de Presse-toi-à-gauche et occasionnel collaborateur. Celui-ci, alignant les obstacles objectifs dressés devant la grève sociale (scrutin uninominal à un tour, monopole médiatique, hégémonie idéologique néolibérale forte, droite dure et décomplexée, nostalgie péquiste), à coups d’arguments de gauche et en misant sur la faiblesse programmatique de la CLASSE, qui n’est pas à la hauteur de sa fermeté idéologique mais qui n’a pas non plus à se substituer à un parti politique, se rabat sur la position de la direction de Québec solidaire :
« En ce sens, pourquoi ne pas profiter de cette occasion (offerte par la conjoncture), en se montrant ouvert à cette initiative et à ce désir d’unité, sensible à cette demande d’en finir avec les libéraux et les politiques néolibérales qu’ils symbolisent ? […] de pousser le PQ, soit à s’enfermer dans son déni d’alliance (ce qui le discréditera un peu plus), soit à aborder des revendications fondamentales qui pourraient réellement faire avancer la cause de la gauche ? […] une plateforme commune sur laquelle on chercherait à s’entendre, en optant entre autres pour l’adoption du scrutin proportionnel, le maintien du gel des frais de scolarité puis la gratuité, le retrait de la loi 78, l’approbation d’une loi sur les mines plus musclée, le lancement de Pharma-Québec, etc. (la liste est longue !) […] au moins à orienter les discussions sur le possible partage conjoncturel de quelques comtés […]
« À ce niveau, se camper dans des positions intransigeantes est souvent signe de faiblesse : Québec solidaire n’a plus à devoir se distinguer à tout prix du PQ […] PS : une des grandes forces du mouvement étudiant (et particulièrement de la CLASSE), ce printemps, a été de favoriser l’unité en faisant front commun autour de revendications minimums qui en même temps heurtaient de plein fouet les logiques néolibérales. »
(Pierre Mouterde, Le mystère Québec solidaire, Presse-toi-à-gauche, 19/06/12 [14])
Chez Marx, la libération du capital passe par la libération nationale
Certains fondamentalistes du marxisme et pas mal de néo-staliniens clameront que faire de l’indépendance du Québec le but stratégique de la libération anticapitaliste du Québec (et du Canada) est un crime de lèse-majesté contre le marxisme. C’est d’une part ignorer l’histoire de la formation et du développement de l’État canadien [15] et le développement de la pensée de Marx lui-même sur les rapports entres classe et nation, en particulier les rapports entre la Pologne russe et la Russie tsariste et ceux entre l’Irlande et la Royaume-Uni. Marx en vint à poser l’indépendance irlandaise comme prémisse du renversement du capitalisme en Angleterre même :
« Le fait que la Pologne occupée par la Russie était placée entre la Russie elle-même et l’Europe occidentale a eu pour conséquence que le mouvement révolutionnaire polonais a représenté une contradiction profonde au sein de l’Empire russe. Cette situation a permis de contrarier la volonté d’intervention de la Russie contre les révolutions européennes de 1830 et, dans une certaine mesure, de 1848. Marx a critiqué de nombreuses fois les démocrates français ainsi que ceux d’autres pays pour ne pas leur avoir rendu la pareille en soutenant de façon efficace leurs alliés polonais. […]
« Lorsque, au cours des années 1867-70, le conflit irlandais atteignit son sommet, les exposés de Marx au sujet du rapport entre l’émancipation nationale et la lutte de classes n’étaient pas de la pure théorie puisqu’ils furent élaborés au sein de la plus large organisation de travailleurs de cette époque et lui servaient d’arguments.
« Marx a élaboré au cours du temps une nouvelle position au sujet de la Grande-Bretagne et de l’Irlande qui eut des implications allant bien au-delà de ce moment historique particulier. Sa théorisation portant sur l’Irlande au cours de cette période marqua le faîte de ces écrits sur l’ethnicité, la race et le nationalisme. Dans un style « moderniste », il avait auparavant prédit que le mouvement britannique de la classe ouvrière, une émanation de la société capitaliste la plus avancée de l’époque, saisirait tout d’abord le pouvoir et alors permettrait à l’Irlande de regagner son indépendance, offrant également un soutien politique et matériel au pays nouvellement indépendant.
« A partir de 1869-70, Marx écrivit toutefois qu’il avait changé de position, affirmant désormais que l’indépendance irlandaise devrait survenir en premier. Il soutenait que les travailleurs britanniques étaient tellement pénétrés de fierté nationaliste et d’arrogance de grande puissance à propos de l’Irlande qu’ils avaient développé une « fausse conscience » qui les liait à la classe dominante de Grande-Bretagne, atténuant ainsi les conflits de classes au sein de la société britannique. Cette impasse ne pouvait être surmontée que par un soutien direct du mouvement des travailleurs britanniques à l’indépendance nationale irlandaise. Celui-ci permettrait également de réunir les travailleurs de Grande-Bretagne au sein de laquelle les travailleurs irlandais formaient un sous-prolétariat. Les travailleurs anglais tenaient souvent les pauvres Irlandais désespérés pour responsables d’une concurrence aboutissant à la diminution de leurs salaires. Tandis que ces derniers se méfiaient du mouvement ouvrier anglais, le tenant pour une simple expression de plus de la société britannique les dominant en Irlande et en Angleterre. »
(Kevin B. Anderson, 2010, Perspective québécoise : Nation et impérialisme néolibéral, ESSF (article 25966), mise en ligne le 22/07/12))
Le blocage des bureaucraties syndicales
« Qu’a-t-il manqué à notre mobilisation ? » de se demander le porte-parole homme de la CLASSE, « Pourquoi, malgré tout, le gouvernement n’a-t-il pas reculé ? Question qui peut sembler naïve, mais qui ne l’est absolument pas : de la réponse à cette question dépend la crédibilité des modes d’organisation démocratiques des mouvements sociaux. » Si le mode d’organisation est indispensable pour vaincre encore celui-ci doit-il se baser sur une orientation politique saisissant correctement les rapports de forces, et leur évolution, entre les classes, fractions de classe, groupes opprimés et leur expression politique et sociale. Comme le souligne le porte-parole de la CLASSE, seule la démocratie permet de s’y retrouver dans une telle complexité, de rajuster constamment le tir au fur et à mesure des événements et, lasbut not least, de mobiliser les militantes et militants dans l’action.
Côté orientation, l’exemple plus avancé en Europe du sud, si l’on peut dire, de la contre-offensive néolibérale déclenchée par le surgissement de la crise économique en 2007-2008 et de sa riposte donnent une bonne idée de l’orientation à suivre d’un point de vue anticapitaliste. Comme la force politique relative de la gauche antilibérale et anticapitaliste espagnole est semblable à celle du Québec et que l’ampleur du mouvement des Indignado-a-s est parallèle à celui étudiant et des casseroles au Québec, il vaut la peine d’aller voir de ce côté :
« Les manifestations massives du 19 juillet dans tout l’Etat espagnol ont à nouveau clairement exprimé le vaste rejet populaire des nouvelles mesures d’austérité imposées par le gouvernement sous les diktats des sommets de l’UE. […] La première [question] est que la classe ouvrière est indignée et qu’elle est disposée à répondre à l’appel à la mobilisation de la part des syndicats majoritaires avec le soutien des autres forces syndicales et des mouvements sociaux. La seconde est que la dure répression policière commence à être permanente, comme le démontre ce qui s’est passé à Madrid après la dernière manifestation. La troisième est qu’il est clair que ce gouvernement - et les gouvernements PP des communautés autonomes - ne va pas changer d’un iota son orientation en dépit de son coût politique. Cela signifie qu’ils acceptent y compris la possibilité de leur propre chute. […]
« Le « Sommet social » proposé par CCOO et UGT [les principales fédérations syndicales espagnoles] pourrait être un bon instrument pour unifier et coordonner les luttes contre l’austérité, si tant est que l’on remplisse certaines conditions. La principale d’entre elles est qu’il doit s’agir d’un « Sommet » véritablement représentatif de « tout ce qui bouge » en ce moment, des organisations syndicales et sociales, des mouvements qui sont en lutte. […] D’autre part, les syndicats majoritaires ont souvent voulu exercer un contrôle rigide sur les plateformes et organismes unitaires, les transformant en appendices de leurs propres initiatives. S’ils agissent de la même manière avec les « Sommets » annoncés, cela déterminera dès le début, si pas leur échec, du moins une sérieuse perte de leurs potentialités. […] Tous devraient adopter des orientations unitaires, chercher la convergence dans l’action entre eux et les syndicats majoritaires, mais sans pour autant céder face aux tentatives de contrôle ou de freinage que ces derniers pourraient réaliser. […]
« Le référendum [souhaité par CCOO et UGT], qu’il se déroule dans le cadre institutionnel ou en dehors de lui, exige cependant que l’on clarifie les mesures alternatives qui doivent être appliquées en lieu et place de l’austérité actuelle : expropriation des banques et création d’une seule banque publique sous contrôle social ; refus du paiement de la dette illégitime ; politique fiscale progressive afin de faire payer plus ceux qui possèdent plus ; abolition de toutes les mesures régressives dans les matières sociales, de droit du travail, des pensions etc. ; création d’emplois par des investissements publics massifs, réforme du modèle productif et réduction du temps de travail… Cet aspect brille toujours par son absence dans les déclarations et les propositions des syndicats majoritaires qui, s’ils énoncent bien quelques mesures possibles de manière sporadique, continuent à ne pas formuler de manière claire quel type de politique alternative globale ils défendent.
« La proposition de faire converger les différentes luttes en cours dans une marche vers Madrid le 15 septembre est très positive mais reste circonscrite à une action ponctuelle. En réalité, les circonstances exigent une coordination permanente de ces luttes et leur planification afin de permettre leur extension, tout comme leur durée dans le temps. […] L’organisation d’une grève générale au Pays Basque le 26 septembre à l’appel de l’ensemble des forces syndicales basques, à l’exception, pour le moment, des centrales CCOO et UGT, pourrait être une bonne opportunité pour élargir cette grève à tout l’Etat espagnol. »
(Izquierda Anticapitalista, [16], 22/07/12)
Ce plan qui rendrait possible un renversement du rapport de forces rencontre deux goulots d’étranglement sur son chemin, en Espagne comme au Québec. Le premier est l’absence d’un parti de masse qui mette de l’avant le programme anticapitaliste qui soit le phare sur la colline indispensable à cette mobilisation large, longue et profonde laquelle est devenue nécessaire, programme dont l’épine dorsale est au Québec l’indépendance de gauche. Le second est la bureaucratie syndicale qui sabote toute expression de la base. Certains excuseront l’inertie de cette bureaucratie en disant qu’elle est le reflet du conservatisme de la base syndicale. Sans nier la force de l’idéologie dominante matraquée chaque jour par la puissance médiatique, les faits bruts disent le contraire lors des congrès syndicaux :
« Quel est le rôle du mouvement syndical dans cette lutte sociale menée par le mouvement étudiant ? […] …une chose est claire cependant : il n’y a pas eu de dialogue véritable entre le mouvement étudiant et le mouvement syndical depuis le début de cette grève…. Pourtant, un dialogue stratégique aurait pu débuter il y a deux ans quand la Coalition contre la tarification et la privatisation des services publics avait commencé la bataille contre le budget Bachand. Ce dialogue stratégique aurait pu se poursuivre avant que les centrales ne décident de créer l’Alliance sociale après la fin des négociations dans le secteur public au lieu d’intégrer la coalition des Mains Rouges comme on l’appelle souvent.
« Et ce dialogue stratégique aurait pu aussi avoir lieu après le congrès de la CSN au printemps dernier. Rappelons alors qu’une membre du syndicat du CHUM [un des plus importants syndicats de la CSN et un des rares à avoir rejeté à 88% l’accord du secteur public entre le gouvernement et les fédérations syndicales en 2010] est venue défendre une proposition pour une grève sociale contre les mesures néolibérales du gouvernement Charest. Elle n’a même pas terminé son intervention que la salle s’est levée. Ovation debout rien de moins ! Deux ou trois délégués de l’appareil CSN (conseil central et FNEEQ) sont venus défendre la position. Ensuite, Pierre Patry, membre de l’exécutif, est venu défendre cette position, en donnant les indications suivantes : on supporte les étudiants et ensuite on débat sur le mandat de la grève sociale. Le lendemain, le nouveau président, Louis Roy, lance le mot d’ordre de discuter dans les lieux de travail de la nécessité d’une grève sociale. Depuis, nous n’avons entendu aucun écho au mot d’ordre de grève sociale. »
(René Charest, C’est le temps de faire du syndicalisme autrement !, Presse-toi-à-gauche, 15/05/12 [17])
Que faire durant et après les élections ?
Le temps des élections est un moment privilégié pour faire la promotion de la grève sociale contre les politiques néolibérales dans la perspective d’une indépendance de gauche. Ce ne sera pas l’orientation de Québec solidaire à quelques blips près. Les hausses tarifaires des Libéraux seront dénoncées mais non la hausse de la régressive taxe de vente pourtant celle qui a le plus d’impact monétaire. Les baisses d’impôt péquistes et libérales ne seront pas annulées par les modestes propositions fiscales de Québec solidaire. La gratuité scolaire à mode scandinave sera mise de l’avant, tout comme le fera le parti nationaliste de gauche, Option nationale, mais non la grève sociale quoique la grève étudiante ne sera pas dénoncée, peut-être appuyée, si elle reprend. Quant à l’indépendance, il en sera question le moins possible et seulement dans une perspective institutionnelle.
Il faudrait pourtant maximiser le vote Solidaire et arriver à au moins constituer une petite équipe d’élu-e-s comme relais institutionnel aux revendications et luttes populaires. Dilemme dont les anticapitalistes et les antilibéraux ne peuvent pas se sortir par une solution miracle. À l’intérieur de Québec solidaire, il y a peut-être moyen de compter sur des candidatures antilibérales qui n’ont pas froid aux yeux ou tout simplement faire sa propre agitation plus ou moins discrète. Ce sont là des pis-aller qui ne remplacent pas un travail organisé d’éducation que seul peut faire des groupes anticapitalistes membres ou non membres de Québec solidaire tout en appelant à un vote pour ses candidatures tant pour sa plate-forme plus à gauche que pour son potentiel de transformation en parti anticapitaliste au gré du développement de la riposte et des aboutissements des luttes internes au parti en autant qu’il y en ait.
Car là est le problème immédiat. Certains collectifs anticapitalistes de Québec solidaire ont fait alliance avec la direction sociale-libérale de Québec solidaire se refusant à construire un pôle anticapitaliste contestant son orientation et sa direction [18]. L’évolution de Québec solidaire commence à rendre intenable leur choix. Plusieurs de leurs représentants, à partir d’une facile critique d’un petit groupe libertaire, ont été obligés de commencer à reconnaître publiquement les problèmes de bureaucratisation et d’électoralisme du parti tout en excusant ses faiblesses programmatiques sur le dos du peuple québécois auquel il faudrait s’ajuster, éternelle excuse de l’opportunisme qui n’a rien à voir avec la dynamique d’un programme de transition (Collectif, Un parti des « urnes et de la rue » pour sortir de l’impasse stratégique, Presse-toi-à-gauche, 17/04/12 [19]). Depuis, la proposition d’alliance avec le PQ de la part de la direction sans aucune consultation de la base a commencé à créer un état de panique au sein des collectifs anticapitalistes.
On aurait envi de dire : « rien de sert de courir, il faut partir à point ». Si les anticapitalistes, en tout ou en partie, s’étaient organisés en un pôle dès la fondation de Québec solidaire, où ils avaient quelque présence dans les structures centrales, et même avant au sein de l’Union des forces progressistes où ils constituaient une forte minorité de la direction, on peut faire l’hypothèse qu’ils seraient une force structurée dans le parti capable d’avoir une audience large. Les ténors anticapitalistes ont préféré y substituer la construction de bons rapports personnels en coulisse avec la direction du parti et la bureaucratie de gauche dans les syndicats. En autant que leurs points de vue et leur travail organisationnel correspondaient à la construction d’un parti social-libéral, ils ont été écoutés et soutenus. Maintenant que le développement du parti les ont transformé en embarras médiatique (Lysiane Gagnon, La vraie nature de Québec solidaire, La Presse, 28/01/12 [20]), à moins d’avoir coupé leurs liens avec les collectifs dont ils étaient membres, ils ont non seulement discrètement quitté le navire amiral mais ils évitent aussi de se proposer comme candidat ou candidate.
Si l’actuelle dérive sociale-libérale de Québec solidaire se consolidait, deviendrait-il le copie-coller du NPD mais dans le sillage du nationalisme québécois ? Faudrait-il que la nébuleuse anticapitaliste québécoise en vienne à se fourrer dans le même cul-de-sac que celle canadienne anglaise qui oscille entre soutenir/initier des luttes et/ou commenter les événements, et appeler au vote par défaut pour le NPD, de l’intérieur ou de l’extérieur du parti, sans aucun espoir de le transformer, ou annuler son vote ?
Tant qu’il y aura le moindre espoir d’une mutation anticapitaliste de Québec solidaire, étant donné sa base majoritairement antilibérale et souverainiste, ce qui le distingue qualitativement du NPD, il serait sectaire de ne pas œuvrer à son développement tout en menant à l’interne une lutte implacable contre le social-libéralisme de sa direction. Une telle lutte requiert un pôle anticapitaliste organisé et public dont le Socialist Caucus au sein du NPD pourrait être un exemple, si sa lutte interne n’était perdue d’avance, tout comme l’étasunienne opposition syndicale Labor Notes un exemple pour l’Intersyndicale de Québec solidaire qui ne conteste ouvertement et publiquement ni la direction de Québec solidaire ni celle des fédérations syndicales.
Le début du commencement de l’auto-organisation populaire
Il ne faut pas par contre penser que le seul débouché politique socialement signifiant des anticapitalistes soit Québec solidaire. De la lutte étudiante qui s’est transformée en lutte sociale, anti-Libéral ou antilibérale on le verra, ont émané de fragiles « comités casseroles » de quartier et de villages qui font discrètement leur petit bonhomme de chemin et qui pourraient survivre, ce à quoi les anticapitalistes non libertaires pourraient contribuer s’ils cessaient leur omerta à leur sujet et qu’ils y militaient à l’exemple de plusieurs libertaires. N’est-ce pas là la forme très embryonnaire de l’auto-organisation populaire qui devra un jour se poser comme alternative au système institutionnel bourgeois dans lequel il faut bien œuvrer mais qui a tendance à manger les anticapitalistes tout rond.
Par exemple, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve de Montréal, les assemblées générales et plusieurs comités spécialisés de « l’assemblée populaire autonome (APA) » issue des marches des casseroles, lesquelles continuent sporadiquement, n’ont pas cessé de se réunir en juillet. On a commencé, entre autre, à s’approprier l’histoire palpitante de ce quartier ouvrier en voie de gentrification. On pourrait dénoncer le localisme de la chose mais une fédération de ces assemblées de quartier élargirait l’horizon. Vaut mieux souligner l’approche matérialiste et historique.
En prise sur la possible reprise de la grève étudiante, la dernière APA a adopté d’organiser une manifestation dans le quartier le 13 août qui convergerait vers le cégep Maisonneuve, moment prévu pour la rentrée de ce cégep en grève, afin de soutenir la ligne de piquetage des étudiants et étudiantes qui sera en place dès les petites heures du matin. À cette occasion, « un tract explicatif du contexte étudiant et des liens entre ce dernier et les enjeux populaires du quartier [sera] produit en vue de faire de la mobilisation citoyenne. » [21]. Auparavant, aura lieu la première distribution de tracts du comité grève sociale de l’APAHM devant la polyclinique de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont.
Voilà la substantifique moelle d’une campagne électorale anticapitaliste à laquelle on peut ajouter un appel au vote pour Québec solidaire, et un coup de main pour la campagne,… et un appel à Québec solidaire pour se mobiliser dans les multiples actions qui ne manqueront pas d’avoir lieu, espérons-le, et pour soutenir publiquement la grève étudiante et la grève sociale.
Marc Bonhomme, 28 juillet 2012
bonmarc videotron.ca ; www.marcbonhomme.com