Les manifestations massives du 19 juillet dans tout l’Etat espagnol ont à nouveau clairement exprimé le vaste rejet populaire des nouvelles mesures d’austérité imposées par le gouvernement sous les diktats des sommets de l’UE. Mais, tandis que les citoyens manifestent leur indignation, le gouvernement reste inflexible dans ses objectifs ; la « prime de risque » bat de nouveaux records ; les communautés autonomes – à commencer par celle de Valence – sollicitent leur « sauvetage » par le gouvernement central et la fantasmagorique voix des « marchés » commence déjà à exiger un « sauvetage total » de l’Etat espagnol, ce qui excède certainement les possibilités économiques des potentiels « sauveurs ».
Les manifestations ont été massives et ont une fois de plus mis en lumière une série de questions. La première d’entre elles est que la classe ouvrière est indignée et qu’elle est disposée à répondre à l’appel à la mobilisation de la part des syndicats majoritaires avec le soutien des autres forces syndicales et des mouvements sociaux. La seconde est que la dure répression policière commence à être permanente, comme le démontre ce qui s’est passé à Madrid après la dernière manifestation. La troisième est qu’il est clair que ce gouvernement - et les gouvernements PP des communautés autonomes - ne va pas changer d’un iota son orientation en dépit de son coût politique. Cela signifie qu’ils acceptent y compris la possibilité de leur propre chute.
L’inflexibilité du gouvernement de Rajoy, le mépris affiché à l’égard des forces syndicales et la stratégie de harcèlement et d’affaiblissement qu’il maintient à leur égard semble forcer les directions des centrales syndicales majoritaires à passer de la parole aux actes en ce qui concerne la nécessité d’une « mobilisation soutenue ». Bien qu’encore éloigné du souhaitable plan de lutte détaillé à moyen et à long terme, les syndicats CCOO et UGT ont élaborés un calendrier d’actions pour les mois de juillet, août et septembre, qui comprend l’organisation de « Sommets sociaux » le 25 juillet et le 6 septembre ; une grande marche vers Madrid le 15 septembre - avec la louable intention d’en faire un point de convergence pour les différentes protestations qui se sont produites jusqu’ici (enseignement, santé, mineurs,…) - et l’exigence d’un référendum sur la politique économique et sociale, couplée à la possibilité d’organiser un « référendum alternatif ».
Le « Sommet social » proposé par CCOO et UGT pourrait être un bon instrument pour unifier et coordonner les luttes contre l’austérité, si tant est que l’on remplisse certaines conditions. La principale d’entre elles est qu’il doit s’agir d’un « Sommet » véritablement représentatif de « tout ce qui bouge » en ce moment, des organisations syndicales et sociales, des mouvements qui sont en lutte. Il existe le danger qu’on veuille remplir ce « Sommet » avec des sigles peu représentatifs ou en bonne mesure artificiels, ce qui serait fâcheux pour sa représentativité et dévaluerait le rôle que devrait jouer en son sein les organisations et mouvements réellement existants et implantés.
D’autre part, les syndicats majoritaires ont souvent voulu exercer un contrôle rigide sur les plateformes et organismes unitaires, les transformant en appendices de leurs propres initiatives. S’ils agissent de la même manière avec les « Sommets » annoncés, cela déterminera dès le début, si pas leur échec, du moins une sérieuse perte de leurs potentialités.
La demande d’organiser un référendum sur la politique économique et sociale n’est pas exempte de problèmes, bien qu’elle puisse mettre encore plus en évidence le fait que ce gouvernement est en train d’appliquer des mesures sauvages d’austérité qui ne figuraient pas dans son programme électoral et qui, y compris dans certains cas (l’augmentation de la TVA), sont en contradiction directe avec ce programme. Quand Rajoy affirme que « Nous faisons ce que nous pouvons », il le fait en donnant pour acquis le fait que la majorité électorale lui donne la légitimité pour interpréter « ce qui peut se faire » et pour l’appliquer. Rajoy n’a pas été investi comme dictateur lors des dernières élections législatives, bien que lui et son parti, de manière totalement antidémocratique, agissent comme si tel était le cas.
Le référendum, qu’il se déroule dans le cadre institutionnel ou en dehors de lui, exige cependant que l’on clarifie les mesures alternatives qui doivent être appliquées en lieu et place de l’austérité actuelle : expropriation des banques et création d’une seule banque publique sous contrôle social ; refus du paiement de la dette illégitime ; politique fiscale progressive afin de faire payer plus ceux qui possèdent plus ; abolition de toutes les mesures régressives dans les matières sociales, de droit du travail, des pensions etc. ; création d’emplois par des investissements publics massifs, réforme du modèle productif et réduction du temps de travail… Cet aspect brille toujours par son absence dans les déclarations et les propositions des syndicats majoritaires qui, s’ils énoncent bien quelques mesures possibles de manière sporadique, continuent à ne pas formuler de manière claire quel type de politique alternative globale ils défendent.
La proposition de faire converger les différentes luttes en cours dans une marche vers Madrid le 15 septembre est très positive mais reste circonscrite à une action ponctuelle. En réalité, les circonstances exigent une coordination permanente de ces luttes et leur planification afin de permettre leur extension, tout comme leur durée dans le temps. Jusqu’à présent, mis à part l’organisation des grèves générales des 29-S et du 29-M et de la grève du secteur de l’enseignement du 22 mai dernier, les actions de mobilisation se sont développées de manière isolées, tant dans le cadre local, régional ou national, sans aucune volonté de les unifier. Cela constitue une grande erreur, d’autant plus grande quand on constate que les réponses, quand cette unification a été posée, ont été très bonnes. Il devrait, au minimum, y avoir un plan de coordination des luttes à l’échelle de l’Etat incluant celles de la fonction et des services publics (enseignement, santé, transports, administrations…) et celles du secteur minier. Dans ce plan pourraient s’insérer les mobilisations spécifiques à chaque région et secteur, ensemble avec celles menées au niveau global, afin de permettre la continuité de l’ensemble des luttes, leur durée dans le temps et les nécessaires périodes de récupération des forces après les moments les plus explosifs.
L’organisation d’une grève général au Pays Basque le 26 septembre à l’appel de l’ensemble des forces syndicales basques, à l’exception, pour le moment, des centrales CCOO et UGT ; pourrait être une bonne opportunité pour élargir cette grève à tout l’Etat espagnol. Tout comme la situation requière une mobilisation soutenue qui se développe au travers d’un vaste éventail de formes de luttes, il est également nécessaire de compter sur des moments élevés d’unification du combat, et la grève générale constitue l’un des meilleurs outils pour ce faire. Evidement, cette grève générale doit toujours être incluse dans un plan général de mobilisations soutenues et comme l’un de ses instruments.
La grande responsabilité des syndicats majoritaires CCOO et UGT dans tout ce que nous venons d’exposer ne suppose pas que l’action des autres forces syndicales, du mouvement du 15-M et des autres organisations et mouvements sociaux soit sans importance. Au contraire, l’activité du syndicalisme alternatif et des mouvements sociaux sera fondamentale dans cette période. En premier lieu, parce qu’il existe des organisations syndicales alternatives dont le poids est déterminant dans certains secteurs, régions ou nations de l’Etat espagnol et qu’elles peuvent impulser les luttes à ces niveaux là dans la perspectives tracée plus haut. On peut appliquer la même chose au mouvement du 15-M, aux mouvements sociaux et à leurs organisations. Tous devraient adopter des orientations unitaires, chercher la convergence dans l’action entre eux et les syndicats majoritaires, mais sans pour autant céder face aux tentatives de contrôle ou de freinage que ces derniers pourraient réaliser. Il s’agit d’un équilibre certainement difficile mais non impossible. Les mouvements sociaux et le syndicalisme alternatif doivent montrer, dans ces semaines cruciales, une forte capacité d’initiative et être capables d’impulser des actions et des mobilisations unitaires et déterminées.
Pour faire face à la crise et à l’avalanche de mesures d’austérité salariale, sociale et politique, il s’impose en résumé une « mobilisation soutenue » planifiée à moyen et à long terme ; la claire définition d’un ensemble de mesures alternatives ; la coordination des secteurs et des régions en lutte et l’augmentation progressive de l’organisation : syndicale, sociale et dans les entreprises. C’est ainsi que devrait être canalisée l’indignation qui s’est manifestée dans les rues le 19 juillet dernier.
Dimanche 22 juillet 2012
Izquierda Anticapitalista