Dans sa déclaration du 1er mai dernier, votre parti a appelé à la constitution d’un pôle syndical et politique. Vous avez lancé l’idée d’une « plateforme de gauche ». Pouvez-vous identifier les forces de gauche avec lesquelles vous souhaiteriez composer ? Et qu’entendez-vous verser dans cette « plateforme » ?
L’appel en question n’est pas destiné uniquement aux forces politiques mais à tous les partisans du projet socialiste, aux militants syndicaux et associatifs, à tous les militants de gauche individuels ou collectifs. Pourquoi un tel appel ? C’est que nous avons constaté, bien avant cette campagne électorale, qu’il y a une attente en la matière. Même si au niveau des masses populaires, des travailleurs, il y a comme une forme de désintérêt, de désaffection pour le militantisme politique et que l’action politique est discréditée. C’est dû à un certain nombre de facteurs : ce n’est pas pour autant de la résignation collective. Les Algériens se sentent trahis par leurs élites, abandonnés dans la catastrophe libérale.
Ce n’est pas de la résignation ; la preuve ? Cette vitalité extraordinaire du front social au point où il serait difficile pour tout office des statistiques de compter le nombre de grèves, mouvements sociaux, émeutes. Toutefois, cette vitalité ne trouve pas son prolongement politique, ne se traduit pas par des revendications politiques. Cette situation, concrète, nous dicte cette initiative. Il est temps pour l’avènement d’un tel pôle. Quand on voit le contexte international marqué par des crises économiques et financière aigues, structurelles ; quand on assiste à l’agonie du système capitaliste mondial ; quand on voit les révoltes populaires embraser toute la région, on ne peut évidemment pas ne pas penser à appeler à un rassemblement des forces de gauche, très opportun. Qu’est-ce qu’on propose, concrètement ? Nous pensons que ce mouvement social avec ses forces, ses syndicats, ce magma riche, doit se retrouver autour d’une table, discuter, réfléchir et élaborer ensemble une plateforme de gauche.
C’est un projet qu’on doit, dans notre pleine diversité, nous approprier. Ainsi, on se définira dans un cadre commun, même si on restera, chacun, dans son inclinaison propre. Le but étant de pouvoir agir ensemble et ne pas rester dans les professions de foi. Cette plateforme n’est pas une fin en soi : les trans-croissances sont permises et la gauche algérienne peut proclamer, le moment venu, un cadre politique commun de type « grand » parti de la gauche populaire. Nous devons, pour les générations futures, construire ce pôle. Le contexte nous y oblige et les enjeux de l’heure ne nous laissent pas d’autre choix.
Exit les syndicats ouvriers ; quand vous évoquez les forces de gauche, vous pensez à des partis comme le FFS qui s’est dit récemment favorable aux privatisations, et/ou le PT. Une alliance avec des partis de ce genre est-elle envisageable ?
Le PT, c’est différent : il n’est pas pour les privatisations. Ce n’est pas le cas du FFS. Et même le MDS qui a des prises de position droitières sur certaines questions économiques. Mais est-ce que c’est le cas de tout le collectif MDS ? Je ne le pense pas. Le PT est antilibéral, anti-impérialiste. Par ailleurs, les fractures, les clivages du XXe siècle ne nous intéressent plus, et dans cette recomposition de la gauche que nous souhaitons, il n’y a plus d’URSS, plus de maoïstes, ni de trotskistes, ni de staliniens etc.
En substance, votre projet consiste à construire un « grand » parti de gauche, une sorte de déclinaison « algérienne » du NPA (le Nouveau parti anticapitaliste), ou du Front de gauche, en France ?
Ce que nous allons construire sera propre à nous, spécifique à l’Algérie. Ce pôle doit être bâti en prenant en considération nos racines, notre histoire. Le NPA est une expérience conduite dans un contexte qui n’est pas le nôtre et elle est avec le bilan que l’on sait aujourd’hui. Nous ne sommes pas dans une démarche de copiage. La démarche est destinée à ceux et celles qui se reconnaissent dans la lutte antilibérale, dans un projet socialiste, de classes. Ceci ne nous empêchera pas de faire partie d’autres fronts de type démocratique, de défense des libertés, etc.
Pour nombre d’Algériens qui ont connu l’expérience, le socialisme maison n’a pas laissé que de bons souvenirs. Comment vous y prendriez-vous pour remettre cet idéal au goût du jour ?
Entendons-nous bien : nous parlons de socialisme, non pas de communisme. Moi je témoigne à partir de mon expérience durant la campagne électorale pour les élections législatives de mai dernier, à Hassi R’mel, Laghouat, Béjaïa, etc. : le discours que nous tenons suscite une adhésion incroyable. En fait, ceux qui disent que le socialisme est mort et enterré ne recyclent en réalité qu’une antienne, une propagande qui a préparé le terrain au libéralisme. Mais aujourd’hui, on parle bien de la crise du capitalisme et non pas de la crise du socialisme. Hormis l’alternative socialiste, réponse rationnelle, scientifique, objective et historique, je n’en vois aucune autre. Maintenant, les discours sur la « fin de l’histoire », la mort du modèle socialiste, etc., ne tiennent pas la route.
L’histoire des luttes continue. La chute du Mur de Berlin a sonné le glas du stalinisme, d’un certain modèle de socialisme. Ce modèle a certes échoué, mais l’idéal socialiste, lui, ne l’est pas. Et si le socialisme n’est pas un modèle supérieur au capitalisme en matière de libertés, ce n’est certainement pas du socialisme. La liberté a toujours été une question fondamentale. On parle de liberté pour la majorité, non pas la liberté des empereurs nouveaux, des puissances de l’argent, du pouvoir financier, comme on le voit aujourd’hui dans l’affaire Cevital où le patron du groupe, qui a bâti son empire avec l’argent public, se permet de licencier impunément des travailleurs qui ont osé revendiquer une section syndicale, des salaires dignes et quelques primes de panier.
Le socialisme veut dire une société sans discrimination de classes ; ce sont les hommes et les femmes qui vont le construire, ensemble, avec leur expérience propre, leur engagement. C’est un projet où la propriété privée n’aura pas le dessus mais plutôt la propriété collective ; une économie orientée vers le besoins des êtres humains et non pas le contraire ou, pire, orientée pour satisfaire les besoins du marché ou d’une minorité de possesseurs. Mais en tant que tel, le socialisme est un projet lointain ; dans l’immédiat, on se bat pour un SMIG à 35 000 DA, la titularisation de tous les travailleurs précaires ; nous nous battons pour que les chômeurs puissent avoir un emploi, sinon une indemnité équivalente au moins à la moitié du SNMG. Et si les pouvoirs publics sont incapables d’offrir du travail à tous les Algériens, qu’ils baissent l’âge du départ à la retraite à 55 ans, ce qui est à même de libérer d’un coup 500 000 postes ; qu’ils baissent le volume horaire à 35 heures par semaine. Par ailleurs, ne dit-on pas qu’on dispose de 200 milliards de dollars de réserves placés dans la FED ? Cet argent, qui sert à faire tourner l’économie américaine, pourquoi ne servirait-il pas à régler nos problèmes à nous ?
Vous en êtes à votre énième participation à une élection alibi : vous justifiez votre démarche participationniste par le souci d’exploiter la fonction tribunitienne (de ces élections). Le PST, parti qui a des prétentions révolutionnaires, héritier du Groupe communiste révolutionnaire (GCR), ne risque-t-il pas d’y perdre son âme ?
Oui, on a participé à quatre élections législatives et on a failli participer à une présidentielle, n’était le problème des parrainages. On n’a pas perdu notre âme pour autant. Au contraire. Nous estimons que les élections, dans les systèmes capitalistes, riment avec pouvoir de l’argent. Aux USA, avant chaque campagne électorale, on ne parle que d’argent. Est-ce démocratique ? Lorsque Papandréou, en Grèce, a voulu organiser un référendum autour des mesures d’austérité dictées par l’UE et le FMI, il a essuyé une volée de bois vert. Bref, voilà leur démocratie qui consiste à aller secourir les civils de Benghazi menacés par El Gueddafi, alors que quelques mois auparavant, les civils de Ghaza, bombardés au phosphore par les avions de Tsahal qui décollaient de la base américaine du Qatar, n’avaient pas suscité l’émoi des démocraties occidentales.
Votre démarche participationniste n’est-elle pas antinomique avec le caractère révolutionnaire du PST ?
On a toujours dit que nous utilisons les élections comme tribune. Les campagnes électorales sont de nature, au moins, à susciter un intérêt pour les débats politiques. Il serait en effet contreproductif de ne pas y prendre part, de faire entendre notre voix et nos propositions. Il s’agit en effet de forger les consciences, de les faire progresser. C’est ce que nous faisons, même avec peu de moyens.
Les révoltes arabes n’ont pas propulsé les forces de gauche au-devant de la scène. Contrairement à certains pays du continent américain où des partis ouvriers accèdent au pouvoir, dans le monde arabo-musulman, les islamistes raflent la mise. Qu’est-ce qui explique un tel échec ?
L’islamisme est apparu comme une alternative possible et a surfé sur l’échec des nationalismes arabes. Il s’agit en fait d’un repli identitaire. L’impérialisme mondial a misé sur l’islamisme parce que sur les questions fondamentales, il est un allié objectif. En Libye, la charia, que certains voudraient voir s’appliquer, a voyagé dans les porte-avions de l’Otan. Pour revenir à votre question, la gauche est identifiée au nationalisme arabe et, historiquement, l’échec du nationalisme arabe, le nassérisme, le baâthisme, n’a pas résolu la question de l’oppression. Nous appartenons toujours aux nations opprimées.
Or, en Algérie, notre courant a été constitué en 1974, en opposition au régime de Boumediène. Pour nous, Boumediène n’était pas « ichtiraki », un socialiste, autrement, on ne se serait pas opposé à lui. Le fait qu’au niveau des masses, on associe l’échec du nationalisme arabe au socialisme rend inextricable la confusion. Nous avons tout de même été des militants antistaliniens. L’essence même de la « 4e internationale », fondée en 1938, était une réponse à la dégénérescence de l’Union soviétique. Mais à l’échelle des masses, la confusion est inévitable : on vous identifie sur les grosses catégories et vous renvoie à l’échec de ces modèles que nous avons, nous même combattus. Il s’agit aujourd’hui de construire le socialisme du XXIe siècle.
Justement, la réhabilitation du rôle historique des militants de gauche, de la « 4e internationale », leur contribution à la lutte de Libération nationale ne transparaissent pas dans l’histoire officielle. Le moment est-il venu, d’après vous, de remettre enfin les pendules à l’heure ?
Absolument. Les militants de gauche, d’extrême gauche n’ont pas été rétribués à leur juste valeur. Bien qu’indéniable, leur contribution, à la naissance même du Mouvement national dans les années vingt, avec l’Etoile nord-africaine (ENA) née dans le monde ouvrier sous la « 3e internationale », l’Internationale communiste, a souffert et souffre encore de l’ostracisme des historiographes officiels. C’est bien Abdelkader Hadj Ali, pionnier du mouvement révolutionnaire algérien, militant communiste de la première heure – et qui n’apparaît pas dans l’histoire officielle – qui encadra Messali Hadj et l’introduisit dans le milieu syndical, au sein de la CGTU notamment, etc. Plus tard, après la Seconde Guerre mondiale, la « 4e internationale » a apporté un soutien franc à la lutte des peuples pour leur émancipation du colonialisme. Michel Pablo, un des leaders de la « 4e internationale » était même devenu, à l’indépendance de l’Algérie, conseiller du président Ben Bella.
Il faut aussi mettre en relief, réhabiliter le rôle déterminant que les militants ont joué durant la Guerre de Libération, dans les « maquis rouges », dans la constitution de réseaux de soutien – le réseau Jeanson par exemple – , l’usine d’armement construite au Maroc par la « 4e internationale » pour l’ALN-FLN et j’en passe.
Mohand Aziri