Agriculteur sur l’île de Tahaa, dans l’archipel des îles sous le vent en Polynésie française, Lucien Faara s’était exilé en 1968 sur l’atoll de Mururoa. Il espérait y trouver des revenus plus stables que ceux que lui procurait son champ de taro. Pendant huit ans, il a travaillé comme manœuvre sur les sites où le centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) et le centre à l’énergie atomique (CEA) réalisaient les essais nucléaires.
En 2004, Lucien Faara est mort d’un cancer broncho-pulmonaire. Sa veuve demande, depuis 2005, que la maladie et le décès de son époux soient reconnus comme liés à la contamination radioactive. Elle espérait obtenir gain de cause auprès du comité d’indemnisation (Civen) créé par la loi sur la reconnaissance et l’indemnisation des victimes des essais nucléaires de janvier 2010, dite loi Morin. En vain.
Le 29 mai, le tribunal administratif de Papeete se penchera sur son recours et celui de six anciens travailleurs et de leurs ayants droit contre la décision du Civen de rejeter leur demande d’indemnisation. Ce sera le troisième et dernier rendez-vous judiciaire sur cette question depuis le 21 mai au palais de justice de Papeete. Tribunal du travail et cour d’appel ont examiné les actions des anciens travailleurs contre le CEA, accusé de ne pas avoir pris les mesures de sécurité suffisantes pour éviter qu’ils soient contaminés.
« JE VEUX OUBLIER »
« Je veux oublier. Mais ça me fait mal au cœur quand je vois mes collègues partir », murmure Robert Voirin, ancien manœuvre à Mururoa. « On nous disait de nous mettre les mains sur les yeux et de tourner le dos au champignon », raconte-t-il. En 1998, il se plaint de ganglions aux jambes et les médecins diagnostiquent un lymphome.
Le 21 mai, le tribunal du travail a entendu les plaidoiries de son avocat sur l’expertise médicale ordonnée en juin 2009. Il rendra une décision le 16 juillet. « Je n’attends plus grand-chose, avoue M. Voirin. Je veux juste savoir si cette maladie risque d’être transmise à mes enfants. »
Le CEA a été condamné en première instance au civil pour le décès de Lucien Faara. Plaidant l’absence de lien entre la maladie et les essais, l’avocat du CEA, Me Franck Dremaux, a estimé devant la cour d’appel, le 24 mai, que « les essais, l’atome, le nucléaire militaire font peur, mais la polémique ne doit pas entrer dans la salle d’audience ». Il a demandé une expertise médicale.
La loi Morin devait, selon les termes de l’ancien ministre de la défense, éviter de telles « procédures judiciaires longues et aléatoires ». La déception est à la hauteur de l’espoir suscité par le texte, présenté comme un aveu de « la responsabilité de l’Etat dans les souffrances que supportent aujourd’hui ceux qui l’ont servi hier ».
TOUS LES CAS POLYNÉSIENS ÉCARTÉS
Sur les 720 dossiers, civils et militaires, reçus par le Civen, quatre ont obtenu une indemnisation, située entre 16 000 et 60 000 euros. Tous les cas polynésiens ont été écartés. « Ils attendent que l’on meurent les uns après les autres pour qu’il y ait moins de personnes à indemniser », lâche, désabusé, Robert Voirin. « C’est une humiliation, » tonne Roland Oldham, de l’association de défense des anciens travailleurs Mururoa e Tatou.
Le Civen justifie les rejets en considérant comme « négligeable » le risque que les pathologies soient imputables aux essais nucléaires. « La loi a été vidée de son sens. La méthode de calcul du Civen réintroduit une logique de seuils de radiation exclue par le législateur », condamne Me Cécile Labrunie, avocate des anciens militaires.
Les associations des anciens travailleurs souhaitent la refonte complète du dispositif et le gouvernement polynésien a demandé un rendez-vous au premier ministre, Jean-Marc Ayrault, pour évoquer ces demandes. Le délégué au suivi des conséquences des essais nucléaires de Polynésie française, Bruno Barrillot, note que Christiane Taubira avait porté, en 2009, une proposition de loi sur ce sujet, tout comme l’avait fait, sept ans auparavant, Marie-Hélène Aubert, aujourd’hui conseillère de François Hollande.
On aime aussi rappeler, à Mururoa e Tatou, que la banderole de l’association est un cadeau du conseil municipal de la ville de Nantes dirigée par M. Ayrault. Toute la semaine, elle a été déployée, lors de chaque audience, devant le palais de justice de Papeete.
Christine Chaumeau (Papeete, correspondante)
210 essais au Sahara et en Polynésie française
De 1960 à 1996 La France a procédé à 210 essais au Sahara et en Polynésie française. Dans le Pacifique, sur les atolls de Moruroa et Fangataufa, 193 tirs ont eu lieu, (46 atmosphériques). 41 essais ont produit des retombées, dont 10 ont eu des conséquences significatives. L’essai Centaure du 17 juillet 1974 a notamment conduit à la contamination du lait produit sur la presqu’île de Tahiti.
Loi du 5 janvier 2010 Relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, elle retient le principe d’une « présomption de causalité », une liste de 22 pathologies, dressée par décret, et des zones géographiques contaminées. Le Comité d’indemnisation des victimes des essais (Civen) est présidé par un magistrat et composé essentiellement de médecins.