Son nom restera attaché à la fois à l’analyse de l’horreur de la barbarie nazie - déporté à Buchenwald en 1944, puis envoyé aux camps de Porta Westphalica et de Neuengamme, il obtint le prix Renaudot en 1946 pour « l’Univers concentrationnaire » - et à la dénonciation du goulag, dès 1949, par le biais d’articles de presse et via la proposition de créer « une commission d’enquête sur les camps de concentration soviétiques ».
Cette initiative - prolongée en 1951 par la constitution d’un « tribunal public » sur les camps soviétiques, et, en 1961, par l’appel à la constitution d’une « Commission pour la vérité sur les crimes de Staline » - lui valut alors injures et polémiques de la part de la direction du PCF, de « l’Humanité » et des « Lettres françaises ». Avocat de l’hebdomadaire dans le procès intenté pour diffamation en 1950 par David Rousset à propos de l’affaire Kravtchenko (1) Me Joe Nordmann est revenu longuement sur cette période en 1996 dans un livre de mémoires « Aux vents de l’histoire » (2) - soulignant combien, de « bonne foi », il s’était alors, avec beaucoup d’autres, « lourdement trompé sur la réalité soviétique », en refusant d’accorder le moindre crédit aux dires de ceux qui dénonçaient le système concentrationnaire soviétique et la terreur stalinienne.
Né en 1912 à Roanne, David Rousset entreprit des études philosophiques et littéraires à la Sorbonne, rejoignant, dès 1931, les Etudiants socialistes. Enseignant, il se rapprocha de Trotski, ce qui lui valut d’être exclu de la SFIO en 1935. L’année suivante, il participa à la fondation du Parti ouvrier internationaliste (POI) et se consacra, dès ce moment, à l’action contre le colonialisme : en Algérie et au Maroc, avant guerre, puis après la Libération, contre les guerres menées par la France en Indochine et en Algérie. David Rousset participa ainsi, en 1957, à la constitution du comité Maurice Audin, du nom de ce jeune mathématicien communiste enlevé et exécuté par un officier de l’armée française. En 1939, il avait épousé Susie Elizabeth Elliott, avec qui il eut trois fils.* Au début de l’Occupation, il participa à la reconstitution du POI clandestin, et fut arrêté, en 1943, pour avoir entrepris un « travail de désagrégation » de l’armée allemande. Emprisonné à Fresnes, torturé, il fut ensuite déporté. Outre « l’Univers concentrationnaire », il publia, en 1947, un roman, « Les Jours de notre mort », fondé sur la collecte de témoignages sur les camps de la mort nazis.
A la même époque, il prit ses distances avec le parti troskiste, et fut avec Jean-Paul Sartre, quelques jours après le « coup de Prague », de la création du Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR), dont l’ambition affichée était de réunir « dans l’action tous ceux qui ne pensent pas que la guerre et le totalitarisme sont inévitables ». Le RDR, qui se situait dans une double opposition au PCF et au RPF gaulliste, ne survit pas plus d’un an, déchiré entre ceux qui considéraient que la priorité était la recherche d’une alliance avec le PCF et ceux qui, comme David Rousset, se disaient partisans d’une « troisième force ». En octobre 1950, il impulsa la création de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire (CICRC), qui entreprit des enquêtes sur les situations espagnole, grecque, yougoslave et soviétique. De 1952 à 1956, il enquêta sur la situation pénitentiaire en Chine et rédigea un « Livre blanc ». En mai 1957, le CICRC entreprit l’examen de la politique répressive menée en Algérie.
De Guevara à de Gaulle
Parcourant le monde pour plusieurs journaux, dont « le Figaro » et « le Monde », David Rousset réalisa notamment, en 1963-1964, des entretiens avec Nasser, Ben Bella et Guevara. En accord avec la politique algérienne du général de Gaulle, David Rousset le soutint lors de l’élection présidentielle de 1965. « Gaulliste de gauche », il fut avec le mouvement étudiant en mai 1968, puis élu député UNR-UDT de l’Isère en juin : il acheva son mandat sur les bancs des non-inscrits, s’étant éloigné du mouvement gaulliste après la mort du général. Grand reporter au « Figaro littéraire », collaborateur de France-Culture, il publia encore plusieurs ouvrages, dont « la Société éclatée », « Sur la guerre », et « Fragments d’autobiographie », en décembre 1990, dans lequel il livrait une série de réflexions sur la chute des pays dits « socialistes ». Il y écrivait notamment : « Le conflit social peut devenir le conflit majeur de la société planétaire et remplacer le conflit entre Etats devenus obsolètes ».
(1) Du nom du fonctionnaire soviétique, réfugié politique aux Etats-Unis, auteur de « J’ai choisi la liberté ».
(2) Cf « l’Humanité » du 17 mai 1996.
* L’orthographe du nom de la femme de David Rousset et le sexe de ses enfants (il s’agit de fils et non de filles) ont été corrigé pour la mise en ligne sur le site d’ESSF.