Après que le Conseil constitutionnel a décidé, vendredi 5 mai, l’abrogation immédiate de l’article du code pénal condamnant le harcèlement sexuel, qu’il a jugé trop flou, partis politiques et associations se sont inquiétés du « vide juridique » qui va résulter de cette décision. La ministre des solidarités, Roselyne Bachelot, a estimé que la nouvelle Assemblée nationale élue en juin devrait se saisir « en urgence » du dossier « afin de garantir les droits des salariés et, plus particulièrement, ceux des femmes ». François Hollande s’y « engage », s’il est élu président dimanche, a fait savoir son équipe de campagne. Peu après, Nicolas Sarkozy annonçait qu’il s’engageait à soumettre au Parlement, s’il est réélu, un projet de loi sur le sujet assurant par ailleurs que, dans l’attente d’une loi, le ministre de la justice donnera instruction aux parquets de poursuivre les faits de harcèlement sexuel sur d’autres bases juridiques.
L’article qui va être abrogé était ainsi rédigé : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » Son abrogation « est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement », c’est-à-dire en cassation, précisent les « Sages ».
Jusqu’à ce qu’un nouveau texte soit adopté par le législateur, les personnes dont les procès sont en cours ne peuvent donc plus être condamnées pour cette infraction.
Le Conseil avait été saisi de cette affaire par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée en cassation par Gérard Ducray, ancien député du Rhône, condamné en appel en 2011 pour harcèlement sexuel à trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende. Il considérait que le code pénal, laissant au juge une trop grande marge d’appréciation des éléments constitutifs du délit qui lui était reproché, permettait « tous les débordements, toutes les interprétations », avait plaidé son avocate, Me Claire Waquet, à l’audience du 17 avril devant les Sages.
IL Y A « URGENCE À LÉGIFÉRER »
La loi « comportait de nombreuses imprécisions quant à la qualification du délit », a de son côté réagi l’association féministe Paroles de femmes, ajoutant qu’elle travaille « à une nouvelle proposition de loi » qui sera soumise à la nouvelle majorité. « Notre crainte est le vide juridique dans lequel vont se retrouver les victimes dont les dossiers sont en cours ainsi que les nouvelles victimes, écrit l’association. En attendant la nouvelle loi, notre idée, proposée par notre avocat, est de pouvoir porter plainte pour violence avec préméditation. »
La présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes, Brigitte Gonthier-Maurin (groupe communiste, républicain, citoyen), a aussi estimé qu’il y avait « urgence à légiférer » pour « combler au plus vite le vide juridique qui résulte de cette abrogation ». « A cette fin, la délégation sénatoriale aux droits des femmes va engager une réflexion dans la perspective de la préparation d’une proposition de loi », précise-t-elle dans un communiqué.
« IMPUNITÉ POUR LES SOI-DISANT GRIVOIS »
Le Parti communiste (PCF) a lui jugé cette décision « irresponsable ». « Avec cette décision, aucun recours n’est possible pour les femmes victimes de harcèlement. Les procès en cours sont désormais caducs. Les auteurs de harcèlement sexuel sont absous de toutes poursuites et resteront impunis. Cette décision lourde de conséquences pour les femmes nous laisse entrevoir une fois de plus la banalisation du machisme et des violences qu’elles subissent », a déclaré le PCF, qui ajoute : « Nous demandons, dans l’immédiat, que le Conseil constitutionnel revienne sur sa décision et que la loi actuelle, même imparfaite, continue à être appliquée jusqu’au vote d’une nouvelle loi. »
Même constat pour le Parti de gauche, qui y voit « l’impunité pour plusieurs mois ». « Certes la loi était insuffisante et se retournait parfois contre les femmes accusées de dénonciation calomnieuse. Mais au lieu de l’améliorer, vingt ans de luttes pour faire reculer l’impunité dont profitent des hommes agresseurs, souvent en position de pouvoir que ce soit économique, politique ou autre, sont effacés d’un coup au détriment des femmes. [...] C’est irresponsable et un signe de mépris envers les femmes victimes de harcèlement », affirme le parti dans un communiqué.
Le NPA dénonce lui aussi « une décision scandaleuse » et « un recul grave des droits des femmes et son application immédiate laisse des milliers de femmes ayant engagé des poursuites dans une situation d’injustice intenable ». « Il faut changer la loi sur le harcèlement sexuel pour renforcer le droit des victimes, pas pour dédouaner les soi-disant ’bons vivants’ et autres ’grivois’. Le NPA s’associe à l’indignation de toutes les femmes concernées et participera de la mobilisation unitaire pour une redéfinition du harcèlement sexuel comme délit et la fin de l’impunité », peut-on lire dans un communiqué.
* Le Monde.fr | 04.05.2012 à 17h03 • Mis à jour le 04.05.2012 à 22h38.
Harcèlement sexuel : quatre « sages » connaissaient le requérant
Gérard Ducray, l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui a conduit le Conseil constitutionnel à censurer la loi sur le harcèlement sexuel, va donc être blanchi et sa condamnation cassée.
Cependant M. Ducray n’est pas un total inconnu d’au moins quatre des membres du Conseil. Il a été secrétaire d’Etat au tourisme de 1974 à 1976, le chef de l’Etat était alors Valéry Giscard d’Estaing, le premier ministre Jacques Chirac, tous deux membres de droit du Conseil constitutionnel, même s’ils ne siègent plus.
En revanche, Jacques Barrot, qui était secrétaire d’Etat au logement dans le même gouvernement que M. Ducray, a, lui, statué sur la QPC qui a de fait annulé la condamnation de son ancien collègue. Hubert Haenel, qui a lui aussi siégé, était de son côté conseiller pour les questions judiciaires à l’Elysée de 1975 à 1977.
Si les membres du Conseil sont impartiaux, ils doivent aussi juridiquement en donner « l’apparence », et faute pour deux d’entre eux de s’être déportés (s’être abstenus de siéger), se pose une nouvelle fois la question de la composition du Conseil. « Les conditions de déport sont très strictes, fait valoir la haute juridiction, la seule question qui se pose, c’est de savoir si les membres ont participé à l’élaboration de la norme, c’est-à-dire le vote de la loi. Ce n’est pas le cas. »
* LE MONDE | 05.05.2012 à 10h57 • Mis à jour le 05.05.2012 à 10h57.
Le Conseil constitutionnel censure la loi sur le harcèlement sexuel
Le Conseil constitutionnel, saisi le 29 février d’une question prioritaire de constitutionnalité sur l’article 222-33 du code pénal qui définit le délit de harcèlement sexuel, a décidé vendredi 4 mai d’abroger cet article, le jugeant contraire à la Constitution (lire le communiqué).
L’article concerné indiquait : « Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » Son abrogation « est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement », c’est-à-dire en cassation, précisent les Sages. Jusqu’à ce qu’un nouveau texte soit adopté par le législateur, les personnes dont les procès sont en cours ne peuvent donc plus être condamnées pour cette infraction.
DÉFINITION JURIDIQUE TROP VAGUE
Le Conseil avait été saisi de cette affaire par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée en cassation par Gérard Ducray, ancien député du Rhône, condamné en appel en 2011 pour harcèlement sexuel à trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende. Il considérait que le code pénal, laissant au juge une trop grande marge d’appréciation des éléments constitutifs du délit qui lui était reproché, permettait « tous les débordements, toutes les interprétations », avait plaidé son avocate, Me Claire Waquet, à l’audience du 17 avril devant les Sages.
Pour elle, son client ne s’était livré, sur trois femmes, qu’à des « avances un peu lourdes » qu’il n’avait pas réitérées. Cela « peut aller très loin ! » avait-elle estimé. De fait, le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions de l’article incriminé méconnaissaient « le principe de légalité des délits et des peines » et les a donc déclarées contraires à la Constitution.
Ce principe, résultant de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « implique que le législateur définisse les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis », rappelle le Conseil, ce qui, selon lui, n’était pas le cas pour le délit de harcèlement sexuel.
« MESSAGE D’IMPUNITÉ D’UNE EXTRÊME GRAVITÉ »
« Aujourd’hui, toutes les procédures en cours pour harcèlement sexuel sont annulées, c’est un message d’impunité d’une extrême gravité à l’égard des harceleurs », déclare Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). L’AVFT était « intervenante » dans la procédure initiée devant le Conseil constitutionnel par un homme condamné pour harcèlement sexuel, qui considérait que l’article concerné du code pénal ne définissait pas assez précisément ce délit et en demandait donc l’abrogation.
L’association souhaitait elle aussi que ce texte, qu’elle critique depuis son adoption en 2002, soit abrogé, mais de manière différée, afin qu’il n’y ait pas de vide juridique jusqu’à l’adoption d’un nouveau texte. Le Conseil constitutionnel a décidé l’abrogation immédiate, au nom du principe de non-rétroactivité de la loi pénale. « C’est la décision qu’on redoutait le plus, qu’on avait essayé d’éviter en intervenant dans la procédure, le Conseil a donné intégralement raison à un homme condamné pour harcèlement sexuel », a ajouté Marilyn Baldeck.
« Compte tenu de son immense responsabilité vis-à-vis des victimes, il est maintenant de la responsabilité du législateur, dès que l’Assemblée nationale sera réélue, de mettre à l’ordre du jour prioritairement, avant tout le reste, le vote d’une nouvelle loi, a encore estimé la déléguée générale de l’association. Il faudra que cette fois le travail soit fait de manière sérieuse et non de manière insultante pour les victimes. »
Dans un communiqué, un collectif d’associations et d’organisations féministes (Marche mondiale des femmes, Femmes solidaires, AVFT, Collectif féministe contre le viol...) juge « révoltant » le « message d’impunité ainsi adressé aux harceleurs ». « Jusqu’au vote, le cas échéant, d’une nouvelle loi, les victimes sont abandonnées par la justice », dénonce ce collectif.
Le délit de harcèlement sexuel avait été introduit dans le code pénal en 1992, puis précisé par les lois du 17 juillet 1998 et du 17 janvier 2002. Le Conseil constitutionnel a estimé qu’en punissant « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, « la disposition contestée méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique ».
Il a par ailleurs considéré que ce délit est punissable « sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ». Cette loi du 17 janvier 2002 était contestée à la fois par une association de victimes et par un condamné pour harcèlement car elle était jugée trop imprécise, donc susceptible de dérives.
* LE MONDE | 04.05.2012 à 09h57 • Mis à jour le 04.05.2012 à 21h42. Avec AFP et Reuters