Le Bureau Central des Statistiques (BCS) israélien a annoncé qu’il changeait ses critères de calcul du chômage. Sur la nouvelle nomenclature : les communautés arabes. En dehors : les conscrits des forces armées israéliennes qui sont dorénavant considérés comme « employés ». Résultat : un bond gigantesque de 20%.
Ce n’est même pas un poisson d’avril. J’aimerais que ça le soit. Le Bureau Central des Statistiques (BCS) d’Israël a annoncé honteusement que les critères qu’il utilisait jusqu’ici pour calculer le taux de chômage en Israël ne correspondaient pas à ceux utilisés par l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques (OCDE) [1], qu’Israël avait intégrés deux ans auparavant, non sans insister. Maintenant que le BCS veut adopter les standards de l’OCDE, le taux de chômage en Israël passe de 5,6 à 6,5%, pratiquement en une nuit. Comme Globes [2] l’a rapporté ce matin, le BCS avait annoncé pas plus tard que le 28 février 2012 qu’Israël comptait 174’000 personnes au chômage. Vendredi matin, Israël en a 227’000. Dans son communiqué, le Bureau suggère que la tendance générale du chômage en forme de pente ascendante douce reste vraie dans ses grandes lignes, sauf que, pour commencer, le taux de chômage global est beaucoup plus élevé qu’il n’était admis.
Est-ce que tout ceci n’aurait pas à voir avec le racisme et le militarisme ? Hé bien, je suis très content que vous posiez cette question. Globes suggère qu’en substance ce changement provenait de l’ajout d’« environ une centaine de communautés qui n’étaient pas prises en compte dans les études précédentes du BCS. » L’article émet l’hypothèse que ces communautés, décrites avec tact par l’analyste Uri Grienfield de la Firme d’investissement Psagot [3] comme « plus petites, plus périphériques et avec une tendance à des niveaux d’emploi plus faibles que dans les grandes villes », sont essentiellement des villages et des villes arabes.
Cette propension à oublier a déjà été assez souvent relevée à propos des médias israéliens – je me souviens très bien des indices de pauvreté divulgués dans les journaux télévisés qui, années après années, omettaient de leurs calculs les dix communautés les plus pauvres, toutes arabes – mais de mémoire c’est la première fois, qu’une institution gouvernementale admet une amnésie sélective similaire.
« Si en effet ils ont fauté pour n’avoir pas inclus certaines localités arabes, cela jette le doute sur toute la collection des données de chômage par le BCS dans les communautés arabes, surtout si l’on considère le soin avec lequel le chômage est régulièrement surveillé dans les communautés arabes et haredim [4], toutes deux traditionnellement sous-employées » me dit ma collègue Dhalia [5] lorsque je la consulte pour savoir si cette nouvelle est bien aussi bizarre qu’elle n’y paraît. « En plus des groupes de la société civile, le BCS surveille lui-même les niveaux de chômage des Arabes. Il est donc difficile d’imaginer comment le BCS a pu soudainement oublier ses propres données. »
Comme si cela ne suffisait pas, il semble que le niveau de chômage réel est en fait plus élevé, parce que les données modifiées considèrent tous les membres des forces armées – conscrits, sous-officiers, et officiers dans le même sac – comme « employés ». Sachant que les conscrits sont payés de l’ordre de 350 NIS [6] (95 dollars) par mois, et subviennent à leurs besoins essentiellement grâce à la bouffe de l’armée (soit, l’argent des contribuables israéliens et américains), au salaire de leurs parents et aux jobs payés sous la table, il semble qu’il manque au statut des conscrits [7] plusieurs caractéristiques associées au rôle de l’emploi dans une économie (« donner plutôt que prendre » au Trésor public et le pouvoir d’achat viennent tout de suite à l’esprit).
Alors que le BCS tient à présenter ce développement comme tout à fait habituel (ils n’ont même pas tenu de conférence de presse, tout juste ont-ils glissé le communiqué sur leur site web, juste avant le week-end), peu de personnes sont portées à le croire. Psagot dit que cela a ajusté ses prévisions de chômage pour Israël en 2012 à un niveau de 7,5%. Une « source financière autorisée » à Jérusalem a dit à Globes que les meilleurs administrateurs financiers du pays étaient « stupéfaits » par la nouvelle et que le Gouverneur de la Banque d’Israël, Stanley Fischer, « demande une explication » pour ce changement. Comme l’article le note, tout ceci pourrait aider à expliquer pourquoi des centaines de milliers d’Israéliens sont descendus dans la rue l’été dernier malgré une image bien rose de l’économie peinte de manière persistante par le gouvernement.
Dimi Reider