Nguyen Khanh Hôi, camarade Hugues, un « Lutteur », Hôi mon tonton vietnamien… (Khanh Hôi veut dire en vietnamien « rencontre »)
Hoi avait créé, il y a quelques années, l’Association Viet Nam Mémoires pour récolter la mémoire des Vietnamiens de France. Souvent je lui ai dit que nous saurions tout des Vietnamiens de France mais rien de lui. « mais si, mais si, plus tard » disait-il. Voici quelques éléments rassemblés.
Nguyen Khanh Hôi est né le 27 juillet 1931 dans une famille modeste dans le centre de Saigon alors capitale de la colonie de Cochinchine, la « perle de l’extrême orient ».
De cette jeunesse, souvent passée dehors dans la rue avec une bande de gamins de son âge, il gardera toujours le sens de la débrouille : astuce et initiative qui toute sa vie lui permettront de faire beaucoup avec peu et avec une éternelle jovialité. Grâce à son père, il apprit très tôt le français, sans doute avait-il fait sien ce dicton de Nguyên An Ninh « L’oppression nous vient de France mais l’esprit de libération aussi ».
Hasard de l’histoire : sa maison était proche du journal La Lutte qui, à partir de 1933, regroupait de manière légale les différentes composantes de la gauche vietnamienne, essentiellement communiste, qu’elle se réclame de la 3e internationale ou de l’opposition de gauche qui formera plus tard la 4e internationale. Un front uni qui resta unique dans l’histoire, mais qui se brisa en mai 1937. Un de ses oncles me dit-il participait à l’aventure de la Lutte et était donc un de ces « Lutteurs » puisque c’est ainsi que l’on appelait les gens regroupés autour du journal que Ta Thu Thau poursuivra plus tard.
En 1945, l’histoire s’accéléra : en mars la puissance coloniale fut balayée en une nuit par l’armée japonaise. En août, la capitulation du Japon poussa des millions de Vietnamiens dans les rues pour s’emparer d’un pouvoir devenu vacant. Je ne sais ce que furent les « journées inoubliables » de la révolution d’Août pour Hôi, mais il ne fait aucun doute qu’il se joignit aux multiples manifestations qui sillonnaient la ville de part et d’autres. Peut-être portait-il ce fameux calot à l’étoile d’or qui était alors le symbole de toute une jeunesse qui pensait l’indépendance à portée de main.
Quelque temps plus tard, et alors que le retour du colonialisme dans toute l’Indochine avait conduit à la guerre, Hôi et sa famille se trouvaient mêlés à la lutte pour l’indépendance. Je n’ai pas le détail de ses activités, mais, son départ pour la France en 1948, aurait été une manière de le mettre à l’abri tout autant que lui faire poursuivre des études.
Il aimait raconter ses premières années à Paris, un Paris à la Robert Doisneau. Sa première chambre mise à disposition par l’administration était assez particulière. En pleine période de crise du logement il avait été mis à disposition des étudiants « indochinois » les chambres d’un établissement de luxe récemment fermé à la suite de la loi dite loi Marthe Richard. Ces jeunes gens encore innocents avaient été surpris par ces chambres et ne doutaient pas de la richesse matérielle d’un pays où les chambres avaient « des miroirs même au plafond ». Seul le locataire de la chambre noire, dite « le donjon », croyait voir des fantômes entre les chaînes et les instruments en cuir laissés sur place.
Chaque semaine, afin de survivre, Hôi se rendait dans le Marais trouver auprès de ses fournisseurs des briquets ou des montres « américaines » qu’il revendait à la sauvette avec la débrouillardise du gamin de Saigon. Il m’expliqua aussi sa façon de jouer au niakoué (nha quê, c’est-à-dire pecquenot annamite) (c’était son expression) dans les bus pour éviter de payer sa place et sauver ainsi quelques précieux centimes.
Arrivé en France en 1948 Hôi trouva sur place une communauté vietnamienne déjà bien établie : les ONS (il avait un oncle ONS qui l’avait introduit dans le camps Vietnam de Marseille). Ces 20 000 ouvriers et tirailleurs envoyés de force en 1939/40 qui attendaient toujours leur rapatriement. Ces tontons, comme il les appelait, avaient formé de multiples associations et partis. Le Foyer qu’ils avaient créé était à la fois la cantine et le centre social des vietnamiens de Paris. C’est là qu’il fit la connaissance de ceux qui restèrent ses amis pour la vie, parmi eux : Hoang Khoa Khôi, Dang Van Long, Tran Van Sam, Nguyên van Liên.
Hôi les rejoignit au sein du Groupe trotskyste Indochinois de la 4e internationale sous le pseudonyme de « camarade Hugues ». Long se souvenait avec malice de ce jeune « à la langue bien pendue » qui avait, lors d’un congrès international, traduit son intervention : « j’avais parlé 5 minutes à peine, Hôi a fait une traduction de plus de 20 minutes ! ». Le groupe comptait alors environ 450 cotisants dans toute la France soit presque le double du groupe français d’alors. Hôi participa à la traduction de nombreux écrits théoriques, à la confection de multiples journaux…
Son dévouement, ses qualités multiples dans le travail militant fit que le 24 avril 1954, Hôi devenait gérant de la société Typo-Lino Service (rue du Vide Gousset à Paris 2e), société au capital de 2 millions de francs. Une somme à l’époque. Bien entendu, il n’avait pas fait fortune depuis son arrivée en France. Cette société s’était constituée avec l’argent de la IVe Internationale. Il avait la responsabilité de la société et à ses côtés Tran Van Sam, un ancien ONS linotypiste.
Cette imprimerie allait jouer un rôle important pendant la guerre d’Algérie en apportant au FLN algérien une aide précieuse. « Le jour nous éditions des journaux et des brochures pour “ la propagation de la Foi ”, le soir en heures supplémentaires nous faisions des faux papiers pour les Algériens, nous imprimions des tracts ou des journaux, tout ce qu’il fallait pour leur lutte clandestine. Nous n’étions pas les seuls bien sûr, mais la police ne nous a jamais trouvés ! C’est pour ça que nous ne sommes même pas répertoriés dans le livre Les porteurs de valises d’Hervé Hamon et Patrick Rotman. Mais contrairement à Pablo nous n’avons jamais fait de fausse monnaie », ajoutait-t-il en riant ! Il pouvait expliquer pendant des heures les mille et une astuces pour faire des faux papiers !
Cette imprimerie ferma après la fin de la guerre d’Algérie. Je ne sais que peu de chose sur son parcours professionnel si ce n’est qu’il suivit des cours du soir et décrocha un poste dans la société américaine IBM.
Ce qui ne l’empêcha pas d’être aux premiers rangs dans la lutte contre la guerre américaine bien au contraire.
Durant des décennies, il fut de bien des organisations qui aidèrent le Viêt Nam et je serai bien incapable de les citer toutes.
Connaissant beaucoup de monde, sans cesse sur la brèche, il ne cessait de mettre les gens en contact afin de créer des synergies nécessaires.
Avec l’association des retraités bénévoles pour la coopération il avait participé à de nombreux projets d’aide au Viêt Nam.
Je renvoie à l’excellent film que Patrick Barberis Chroniques du coq et du dragon qui raconte le parcours de Hôi et Truong Công Tin.
Il avait aidé, bien avant d’autres, à parler de l’agent orange, ce poison déversé sur le Viêt Nam par les USA. Il avait participé avec Nguyên Vu Thi Xuan Phuong (décédée en décembre dernier et nous saluons sa mémoire) à la création des « Enfants de la dioxine » à une époque où il n’était pas forcément de bon ton de se pencher sur ce problème. Et je suis certain que si sa santé lui avait permis il aurait été aux côtés de ceux qui tentent de faire quelque chose pour les pêcheurs du centre Viêt Nam victimes de la marine de guerre chinoise dans l’archipel des îles Hoang Sa.
Il avait créé Vietnam Mémoires afin que ne soit pas perdu et enfoui ce qu’avaient fait les Viêt Kieu de France.
Lorsqu’avec mon ami Philippe Dumont nous avons créé Les Carnets du Viêt Nam en 2003 (après les déboires de Passions Vietnam, une autre revue) il nous avait conseillés et encouragés et lorsque la revue battit de l’aile à une période, il nous aida matériellement afin que se poursuive cette publication qui grâce à lui perdure encore aujourd’hui. (et là, je l’entend me dire : « tu vois Dominique quand tu abordes ce point tu fais remarquer, discrètement, qu’il te semble voir dans l’assistance quelques personnes qui n’ont pas renouvelé leur abonnement »).
Il est souvent l’usage de dire en de pareilles circonstances ; « ne le pleurons pas, réjouissons nous de l’avoir connu ». C’est combien vrai aujourd’hui, même s’il est difficile de ne pas pleurer.
Adieu camarade Hugues, Adieu mon ami Hôi, Adieu mon tonton vietnamien
Dominique Foulon
Merci à Lam Lê pour ses corrections orthographiques et des détails suplémentaires
Il s’en est allé au Crématorium de Nanterre, en ce jour pluvieux du 23 février 2012 entouré de sa famille et de ses ami(e)s venus lui dire adieu ! Il aura vécu les remue-méninges des luttes anticoloniales, l’émigration et même enjambé le début du 21è siècle avec les ébranlements du nucléaire après Fukushima.
Toutefois, il est délicat de le peindre ou de le planter par un signe extérieur. Chez cet homme enraciné sur cette terre de France où il a laissé un grand impact, la bonté et le désir de rendre service illuminent ses yeux de couleur vague. Certes, il n’a pas de vague à l’âme bien qu’il soit envahi par une manifestation inattendue d’indignité lorsque des impasses de dignité humaine lui sont fomentées. Les victimes de l’Agent orange/dioxine de la Guerre américaine au Vietnam sont devenues des humains dont il tient à cœur de soutenir. D’ailleurs il n’a de cesse de nous confier « j’ai tellement de vices que je suis devenu vice-président dans nombre d’associations où le combat prend un caractère de force de loi ». Il est aussi vrai et naturel de constater que ce qui constitue l’atout majeur et le secret de sa vitalité, c’est sa liberté de mouvoir dans un espace à multiple visions : conceptions, évocations, images, idées, obsessions, hantises, surgissements, hallucinations, mirages…
Que l’histoire du Vietnam devienne « Devoir de Mémoire » et qu’il faille remuer autrement les cendres des héros qui ont échelonné les siècles passés, il voyage pour rencontrer, tendre la main en économiste, échanger, recueillir des documents de ses contemporains, en débattre et même construire la passerelle entre la création et l’illusion. Aberration, apparence, chimère, rêve, songe, utopie, fantasme mais aussi que de transports d’allégresse et de jubilation sont étalés devant la page d’écriture de l’homme à multiple fonctions. En effet, il suffit de les lire sur sa carte de visite pour décrypter le véritable penchant de Nguyên Khanh Hôi : celui de la conscience universelle en passant par les traditions et les us et coutumes du terroir d’où il a vu le jour en juillet 1931 !.
Nguyen Dac Nhu-Mai
Hommage à l’Ami
par les 10 mots d’Or 2012 de la francophonie, dédicacés à sa fille Mai-Huong