La crise d’une NPA c’est d’abord une crise de sa direction.
Que veut dire une crise de direction ?
Par crise de direction, on comprendra :
– une crise de compréhension
– une crise d’analyse
– une crise d’explication
Avec la création du NPA, au nom de la rénovation des concepts, des mots disparaissent du langage : conscience de classe, hégémonie, niveau de conscience, crise de surproduction, ondes longues, etc... Or derrière l’évolution du langage, il y a perte de références, de référents communs.
La LCR, au cours des années 70 avait inventé le concept d’avant-garde large. Tout en étant polémique, imparfait, discutable, un tel concept permettait d’avoir un véhicule de discussion sur l’analyse de la situation politique et l’environnement politique, donnant un sens à la construction de l’organisation.
Recréer une direction, c’est recréer un environnement, un cadre de discussion, dans lequel existe des références communes, un consensus minimum sur la fonctionnalité de l’organisation que l’on veut construire permettant les évolutions et les désaccords tactiques, parce que les uns et les autres partagent un accord sur des points fondateurs.
Cette problématique ne concerne pas tel ou tel regroupement. Car aucun ne peut revendiquer la sauvetage du NPA par lui-même . Elle concerne tous ceux qui veulent un cadre permettant de construire le NPA, autour d’une majorité faite de sensibilités qui reconstruiront la légitimité de décisions applicables par tous, malgré des divergences.
Par exemple :
Y-a-t-il un consensus pour apprécier le niveau de conscience de classe, pour savoir si la classe ouvrière (dans son sens le plus large) est en situation, à court et moyen termes de disputer l’hégémonie à la bourgeoisie. Ya-t-il une grille de lecture commune sur les expériences en cours avec les révolutions arabes.
Comprendre les ruptures
Qu’est ce qui avait forgé la LCR ? La LCR, son noyau de direction, ses références s’étaient construits au travers :
– de la montée des luttes des années 60
– d’une remontée de l’activité et du niveau de conscience de classe, de part le monde
– et d’une rencontre entre deux générations de militants, dont l’une assurait la continuité avec la révolution russe et allemande, et les combats de la résistance.
Qu’est ce qui forge le NPA ? Qu’est ce qui constitue ses références, qu’est ce qui fait l’assise commune possible d’une direction pouvant assurer à tout moment un consensus pour se faire accepter et fonctionner le parti ? Est-ce que la référence aux grèves de 1995, au référendum contre le traité européen, à l’altermondialisme ont été des références suffisantes pour faire émerger un cadre de direction stable et durable ?
En posant ces questions, on entrevoit le non parallélisme des situations, la non-équivalence.
Au point de départ de la LCR, il y a une continuité, une permanence. Les références historiques sont en place, les références idéologiques sont actives et vivantes. Un appareil théorique et idéologique est en place pour apporter une explication du monde et des certitudes. Ernest Mandel et « Critique de l’économique Politique » dans la continuité de Marx.
Au point de départ du NPA, il y a une discontinuité, voir une rupture.
Le point de départ du NPA : c’est la chute du mur de Berlin qui clôt définitivement, la période ouverte avec la révolution d’octobre. On déconstruit la LCR pour créer le NPA. Encore fallait- il déterminer les conséquences en termes idéologiques, en termes organisationnelles, en termes d’orientation.
La première conséquence est la conséquence idéologique : quels outils utilise-t-on pour analyser la crise de 2008, puis la crise de 2011.
2008 est une crise de surproduction. L’effondrement du système financier provient de l’incapacité de consommer de la classe ouvrière américaine autrement que par des emprunts. Mais comme il n’avait pas été analysé par notre courant, un cycle d’expansion du capitalisme, il n’était pas facile d’appréhender 2008 comme une vraie situation de crise, se traduisant par une chute de profits, et de la destruction massive de valeurs. Donc retard sur la compréhension.
Arrive 2011, c’est toujours la crise. Mais quelle crise ? Est-ce la continuité de 2008 sous d’autre forme, ou bien s’agit-il d’autres choses. Les soubresauts systémiques de 2011 ne sont pas liés à une nouvelle crise de surproduction.. L’acharnement sur la dette de la Grèce serait dérisoire (Giscard lui-même s’étonne de la fébrilité sur cette question) s’il ne laissait apparaitre une bataille stratégique du système : la recherche d’un nouveau partage du monde.
Comprendre 2011 ce serait entrevoir : une remise en cause du partage du monde, une remise en cause de l’ordre impérialiste issue des deux guerres mondiales et de la révolution russe dans le cadre suivant :
– une suite ininterrompue depuis 40 ans de défaites « dites partielles » pour la classe ouvrière, se traduisant par le démantèlement du mouvement ouvrier organisé. Le Royaume Uni et l’Italie sont peut être les exemples les plus avancées de ce long effritement. Par ailleurs, le Nicaragua et Cuba sont deux autres types d’exemples d’effondrement, celui du mouvement révolutionnaire de ces trente dernières années face auxquels on peut percevoir l’écart qui les sépare des révolutions arabes, en termes de processus révolutionnaire conscient.
– La chute du mur de Berlin, malgré l’avancée démocratique, représente, en terme d’hégémonie politique une défaite majeure (et non partielle) pour le mouvement ouvrier. Cela veut dire, depuis plus de 20 ans l’incapacité pour le mouvement ouvrier de se constituer une perspective politique en termes de conquête du pouvoir. A l’inverse, cela veut dire une hégémonie politique, économique et idéologique quasi-totale pour le libéralisme et la bourgeoisie.
Ce dernier élément est un fait historique sans précédent dans l’histoire du mouvement ouvrier, dans l’histoire de la construction de la conscience de classe.
A cela vient s’ajouter un deuxième élément sans précédent, qui ne peut être sans conséquence sur le processus de constitution de la conscience de classe : pour la première fois de son existence, l’humanité peut voir sa fin. Le progrès industriel était jusqu’à maintenant constitutif de la conscience de classe. La classe ouvrière pouvait se constituer en classe dominante et hégémonique parce que le progrès industriel était aussi compris comme la perspective de la fin de son exploitation. Il y avait un lien direct entre progrès et plus value. On garde le progrès, on s’approprie la plus-value, les soviets plus l’électricité. Ce paradigme n’est plus possible. Si la classe ouvrière ne s’approprie pas urgemment la question de quel progrès et comment, elle n’aura même pas le temps d’envisager sa survie.
Autrement dit, la classe ouvrière n’a plus seulement un problème à résoudre : comment envisager la conquête du pouvoir, le socialisme, comme mode de production préparé par le développement industriel capitaliste ? Il lui faut en résoudre deux : celui de la conquête du pouvoir et celui d’un autre développement industriel.
Dernier élément qui n’a pas de précédent : le nouveau partage du monde qui est entrain de se faire sous nos yeux n’est plus seulement la conquête de nouveaux marchés, entre impérialismes issus du monde occidentale. Il s’agit d’une nouvelle répartition du monde en termes de marchés, de lieu de productions et de reproductions. La production et la réalisation de la valeur migrent des anciennes métropoles vers les pays dits émergents. Cette migration engendre des éléments de défaites partielles, en termes de délocalisation. Elle engendre également des doutes forts sur la capacité de la classe ouvrière, là aussi dans son sens large, à assurer sa propre reproduction élargie. La remise en cause des acquis est alors d’autant plus aisée, si la classe ouvrière ne se considère pas être suffisamment puissante pour assurer sa propre reproduction. La grève générale devient difficile à justifier si la conscience se fait que c’est l’extraction de la plus value dans les pays émergents qui assure la reproduction élargie de la classe ouvrière occidentale. « Tout est à nous » perd de sa substance en termes d’hégémonie de la classe ouvrière française ou occidentale, puisque celle-ci perçoit clairement que les profits accumulés se font soit par l’extraction de la plus value des classes ouvrières pays émergents, soit par la réalisation de la valeur sur les marchés de ces pays émergents. Le pire étant quand les deux phénomènes se réalisent : Renault délocalise son technopole et sa production des voitures de haut de gamme, en Asie, pour mieux les vendre… en Asie. Les ingénieurs du technopole et les ouvriers de Sandouville ne peuvent plus se vivre en classe ouvrière hégémonique et triomphante.
Les défaites successives de la fin du XXe siècle ont produit un double effet : un affaiblissement de la conscience de classe dans les pays occidentaux, et par la même l’impossibilité de construire un projet d’alternative à l’économie de marché, pour combattre l’hégémonie de la pensée libérale. Les questions de la dette ou des licenciements sont emblématiques sur les nécessaires capacités hégémoniques d’une pensée qui ne doit pas être simplement anti-capitaliste, mais post-capitaliste.
Les conséquences organisationnelles :
Arriver à ce stade du raisonnement, on se trouve au cœur de la question de pourquoi le NPA, par rapport au FG. Comment clarifier les divergences avec le FG, si l’on n’est pas capable de formuler des réponses en termes post-capitalistes. Donner un sens pratique et compréhensible à l’indépendance, c’est-à-dire à la rupture avec le marché et la propriété privée.
Ce qui peut faire divergence compréhensible avec le FG n’est pas tant l’anticapitalisme que la capacité à définir un projet post-capitalisme et les moyens pour y arriver : quelles sont les possibilités concrètes d’échapper au diktat de l’économie de marché, à l’emprise des institutions qui sont le cœur de la domination idéologique. Ces problématiques ne peuvent pas se résumer à des slogans. Il ne suffit pas de se débarrasser d’un concept comme « Etat ouvrier bureaucratiquement dégénéré » concept difficile et apparemment dépassé pour être plus armés pour analyser :
– ce qui a été la question du rapport de force entre les classes de 1920 à 1989, y compris sur le terrain idéologique
– ce qu’il faut développer comme approche des instruments de contrôle et de débats démocratique dans les processus de transition. Question décisive pour contester l’approche « révolution par les urnes ».
Reconstituer un liant idéologique
Autrement dit reconstituer une direction politique ne se jouera pas simplement sur le terrain de quelque lutte, de campagne politique ou démocratique réussie. Même si celles-ci sont évidemment indispensables. Cela se joue et se jouera sur la capacité à constituer un liant idéologique autour de concepts fondamentaux. Sans ce liant sur l’approche du rapport de force entre les classes, sur les capacités d’hégémonie de la classe ouvrière et les possibilités de la prise du pouvoir, alors, les questions tactiques surdétermineront toutes les questions d’orientations et d’alliance, et produiront l’éclatement.
Sans ce liant, comment comprendre ou justifier que du point de vue stratégique, la question de l’indépendance surdétermine la question de l’unité. Et à l’opposé, il faut ce liant pour expliquer que l’indépendance ne doit pas empêcher de poser la problématique d’alliance pour poser la question du pouvoir. Refuser cette dialectique, c’est refuser de se poser la question de la conquête de l’hégémonie politique pour la classe ouvrière et de l’élévation de son niveau de conscience.
L’enjeu n’est donc pas de se constituer en courant politique interne, externe, les deux et leur contraire. L’enjeu est :
– de constater l’éclatement du cadre de direction, dont la campagne présidentielle actuelle représente l’illustration.
– de vérifier que le NPA peut ou non constituer le creuset d’une refondation politique nécessaire pour constituer une direction politique
– de constater par la constitution d’une nouvelle direction passe par la recomposition du jeu d’alliance interne afin de permettre la consolidation d’un consensus
La campagne Poutou/Besancenot
Le meeting de St Denis,le 24 novembre apporte des enseignements et des leçons à tirer :
1. le NPA bien qu’affaibli, n’est pas mort., y compris en tant qu’organisation avec ses divergences.
2. La direction actuelle ne maitrise pas l’orientation de la campagne présidentielle. D’un coté il y a l’intervention de Poutou proposant une liste de mesures à vocation immédiate et transitoire, sans développement politique de fond, et de l’autre, il y a le discours d’Olivier, construit, pertinent et questionnant sur les perspectives politiques, portant des éléments de refondation possible.
Dans tous les cas, ni l’un, ni l’autre ne défend le projet porté par l’accord de direction de la conférence nationale. Il y a donc un écart impressionnant entre ce que porte « l’accord direction actuel » et ce qui s’exprime au travers des interventions d’OB. Le discours de OB à ST Denis est effectivement porteur du débat politique permettant de trouver ce qui fonde un projet commun.
Sans gommer les divergences, mais avant que ne se figent des délimitations et des démarcations organisationnelles en fractions organisées, la perspective de construction d’une majorité politique regroupant différentes positions doit être posée sans être reportée aux calendes grecques. Il y a un risque mortel à figer et caractériser les courants et les regroupements issus de la LCR et du processus de création du NPA qui sont tous minoritaires. D’autant que la responsabilité du processus de crise et d’éclatement du NPA est largement répartie entre l’ensemble des courants.
Le cadre du NPA est à protéger. Même à 3000, même à 2500, voire à 2000, cela reste un regroupement militant précieux, irremplaçable, unique, capable de polariser. Le courant B est aujourd’hui le courant qui rassemble la plus grosse minorité de l’organisation. Il est donc de sa responsabilité, non pas de mettre en œuvre des éléments de crispation politique et organisationnelle, mais d’avancer des perspectives, pour une majorité du NPA et tenter de stopper l’hémorragie.
Seule l’impossibilité d’avoir les 500 signatures arrêtera la campagne présidentielle. Sauver le NPA consiste donc maintenant à sauver le NPA dans les campagnes présidentielle et législative : avoir des candidatures NPA partout où cela est possible, sans entériner la scission, et dans le même temps, créer les cadres d’une recomposition d’une direction pour le NPA pour un congrès extraordinaire le plus tôt possible.
Christophe Armen