Dans la Péninsule arabique, plusieurs configurations politiques peuvent être observées, un an après le début du « Printemps arabe » qui, là aussi, se traduit par un bouillonnement politique et social sans précédent.
– Les plus marquantes sont celles de Bahreïn, pays qui a été l’épicentre des mouvements de contestation dans le Golfe en février/mars 2011 ;
– Celle du Yémen, où les affrontements ont été particulièrement longs et sanglants, et qui traverse actuellement une transition politique contrôlée « par en haut » ;
– Et celle de l’Arabie Saoudite, principale puissance et centre de la réaction dans la région. Un royaume qui donne le tempo régional d’un mix entre une dure répression et l’utilisation, par les régimes, de moyens financiers considérables pour « acheter » la paix sociale et tenter d’endiguer la contestation.
Bahrein
Bahreïn est un archipel dont les ressources pétrolières sont déjà en cours d’épuisement et où beaucoup de salaires sont faibles.
70 % des 1,2 millions d’habitants sont chiites et se plaignent de discriminations à fondement confessionnel par la monarchie d’obédience sunnite (en place depuis le 18e siècle).
La contestation sociale était extrêmement forte en février et mars 2011 : grèves, manifestations, occupations de places publiques… La place du « monument de la Perle » dans la capitale Manama en est devenue le symbole.
Après avoir décrété l’état d’urgence, à la mi-mars 2011, et fait entrer les troupes des monarchies du Golfe (surtout saoudiennes) pour mater la rébellion, le régime monarchique a fait d’ailleurs détruire ce monument. Plusieurs centaines de personnes ont été condamnées depuis l’été 2011 à de lourdes peines : manifestants, blogueurs, mais aussi médecins et infirmières qui avaient soigné des manifestant-e-s blessé-e-s. Rien ne devait rappeler la contestation.
Cependant, celle-ci s’est réveillée. Ainsi, après la mort d’un jeune manifestant (probablement asphyxié par des gaz utilisés par la police) le 13 décembre 2011, des émeutes ont secoué la capitale Manama pendant plusieurs jours.
D’autres affrontements avec la police avaient déjà eu lieu les 7 et 9 décembre, par exemple, et le 23 novembre aussi bien à Manama que dans d’autres villes. Alors qu’une commission d’enquête officielle avait admis, ce même 23 novembre, « un usage excessif de la force » contre l’opposition au printemps 2011, le régime avait promis des améliorations.
Cependant, le 14 décembre, Amnesty international constatait que « la situation des droits de l’homme à Bahreïn reste toujours ternie ». Le régime s’est doté d’un Ministère des droits de l’homme, mais celui-ci tente surtout de prendre le contrôle des associations indépendantes, et de contribuer ainsi à museler (de fait) la société.
Arabie Saoudite
En Arabie Saoudite même, la contestation s’est fortement exprimée en avril, puis en octobre et en novembre 2011 dans des régions à majorité chiite, situées dans l’Est du pays.
Les motifs du mécontentement ne résident pas dans des questions d’ordre confessionnel ou théologique, mais sont surtout liés à la discrimination que vit la minorité chiite dans ce royaume ultra-réactionnaire.
Sa doctrine d’Etat, se revendiquant de l’islam wahhabite, est particulièrement rétrograde et intolérante.
Le 20 novembre, la mort d’un jeune âgé de 19 ans, tué par la police, a déclenché un nouveau mouvement de protestation. La répression des jours suivants s’est soldée par la mort de quatre personnes et de nombreux blessés (dont des policiers).
En même temps que la monarchie a renforcé la répression tout au long de l’année 2011, elle a aussi distribué des dizaines de milliards de dollars pour « acheter la paix sociale ».
– Des sommes importantes venant de la rente pétrolière, ont été investies dans la construction de nouveaux logements.
– D’autres mesures consistaient, par exemple à amnistier (en mars 2011) toutes les personnes accusées d’avoir fait des chèques en blanc...
– Sur un autre terrain, la monarchie saoudienne a été obligée de lâcher du lest sur la question du statut – ultra-rétrograde – des femmes, au moins un petit peu. Celles-ci auront pour la première fois le droit de vote aux élections municipales de 2015, mais ne sont toujours pas autorisées à conduire une voiture (puisque, selon la doctrine officielle, cela conduirait à répandre « le vice, l’adultère et l’homosexualité »). L’inquisition étatique en Arabie saoudite reste en même temps l’une des plus extrêmes du monde et a conduit, par exemple en décembre 2011 à la décapitation en place publique d’une Saoudienne accusée de « sorcellerie » (sic).
Yemen
Au Yémen, le président yéménite Ali Abdallah Saleh, au pouvoir sans interruption depuis 1978, semble être réellement sur le départ. Depuis le 16 janvier (surlendemain de la chute du président tunisien Ben Ali), des manifestations d’abord petites puis - rapidement, suite à l’arrestation de la journaliste Tawakoul Karmal - grandes voire énormes se sont succédées pendant des mois et des mois.
Dans les centres urbains, une opposition politique de masse s’est structurée. Dans les campagnes, dans un pays dont la société (surtout rurale) reste extrêmement tribalisée, c’étaient plutôt des structures tribales ayant rompu les liens avec le pouvoir qui sont entrées en rébellion, en prenant les armes. Oppositions urbaine d’un côté, rurale et « tribale » de l’autre côté se sont souvent regardé avec une méfiance marquée.
Le pouvoir, de son côté, à tenté de jouer la carte de la « menace Al-Qaida » - abandonnant délibérément le contrôle d’une ville, Zinjibar, à une milice d’extrémistes islamistes en juin 2011 - pour obtenir un soutien des puissances occidentales. La manœuvre a, cependant, été trop visible. L’opposition politique ne s’est jamais laissé affaiblir par les innombrables tromperies du pouvoir, y compris les annonces successives du président Saleh selon lesquelles il allait « bientôt abandonner le pouvoir »… sans en avoir la moindre intention du monde. Les opposant-e-s ne se sont finalement jamais laissé tromper.
Ayant signé un accord de transition du pouvoir, le 23 novembre 2011 dans la capitale saoudienne Ar-Ryad, Saleh devra définitivement abandonner son pouvoir en février 2012. Il n’en gardera que le titre de « président d’honneur », titre honorifique.
A la date du 21 février prochain, devra se dérouler une élection présidentielle. En attendant, un représentant de l’opposition officielle, Mohamed Basindawa, a été chargé de former un gouvernement « d’union nationale ». Basindawa avait fait partie de l’administration Saleh et avait été son ministre des Affaires étrangères, avant de rompre avec lui. Son gouvernement sera composé à moitié de membres de l’opposition parlementaire et à moitié de membres du parti de Saleh, le « Congrès général du peuple ».
Ce gouvernement reste cependant contesté. Ainsi, le 8 décembre 2011, au moins des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans les grandes villes du pays contre la « transition » contrôlée par en haut.
Oman : un mouvement irréversible
Au terme d’une année de mobilisations sans précédent, le régime est incapable de répondre aux revendications de la jeunesse, en termes d’emploi et de libertés démocratiques.
Ce mouvement exigeant des réformes a été initié par une vague de grèves et de sit-in pour les salaires dans diverses branches de la fonction publique et des sociétés nationales, y compris dans le secteur du pétrole.
Les demandeurs d’emploi ont occupé la rue et manifesté des semaines durant pour exiger des emplois, la fin de la corruption, une autre répartition des richesses (gaz, pétrole) ou la fin de l’endettement des ménages. Ils ont été rejoints par tous ceux et celles qui aspiraient à la liberté d’expression et de presse.
Le pouvoir a répondu par des augmentations de salaires, portant un coup d’arrêt aux mobilisations des travailleurs.
Les chômeurs et la jeunesse ont poursuivi leurs manifestations concentrées sur quelques villes du pays, et organisé une semaine de sit-in en solidarité avec le peuple de Bahrein. Certaines de ces manifestations ont été réprimées, entrainant arrestations, emprisonnement et plusieurs morts, générant de nouvelles mobilisations pour l’élargissement des détenus.
Le pouvoir a augmenté les allocations des étudiants et des retraités et créé une allocation chômage. Il s’est fendu de promesses, annonçant la création de 50 000 emplois et des réformes constitutionnelles, et il a procédé à des remaniements ministériels pour évincer quelques figures corrompues ou discréditées.
Lors des élections à l’Assemblée consultative en octobre, quelques manifestants ont été élus et une femme a fait son entrée au Mejless. Un comité ministériel spécial a été créé, qui a décidé de subventionner certains produits alimentaires de première nécessité et le fourrage pour les agriculteurs. Une banque islamique devrait voir le jour également.
Mais cette panoplie de mesures est loin d’avoir éteint la braise qui couve depuis un an. C’est dans un huis-clos assourdissant qu’ont été très brutalement réprimées des manifestations d’enseignants en septembre et de chômeurs en décembre, tandis que le jugement lors du procès en appel du journal Ezzaman, -dont l’un des journalistes avait dénoncé la corruption du ministre de la justice et avait écopé de cinq mois d’emprisonnement en première instance-, devrait être rendu à la fin de l’année.
Par ailleurs, ces mesures « préventives » dissimulent mal les indices de la crise à venir : baisse de la rente pétrolière, arrivée sur le marché du travail d’une nouvelle génération (40 % de la population a moins de 15 ans), sans parler de la perspective de la question de la succession, puisque le Sultan Qabous règne en monarque absolu depuis quarante ans et n’a pas d’héritiers.
Si la légitimité du Sultan, le plus ancien dirigeant arabe depuis la chute de Kadhafi, a été épargnée durant cette année de contestation, c’est précisément sur la question de l’élargissement des prérogatives de l’Assemblée que les engagements princiers n’ont pas eu de traduction sensible. Si elle peut désormais proposer des lois et élire son président, elle n’en demeure pas moins consultative.