De notre correspondante à Jérusalem,
Nom et prénom : Tanya Rosenblit ; âge : 28 ans ; profession : étudiante ; lieu de résidence : Ashdod. Une fiche signalétique banale !
Celle d’une Israélienne lambda… Jusqu’à ce fameux jour de la semaine dernière où la jeune femme est devenue une célébrité ! Une nouvelle « Rosa Parks » ? Du nom de cette couturière noire de l’Alabama qui, le 1er décembre 1955, a créé le scandale en refusant de céder sa place dans un autobus à un passager blanc. Un acte qui fera d’elle l’icône de la lutte contre la ségrégation raciale : « la femme qui s’est tenue debout en restant assise… »
Et pourtant, quand Tanya sort de chez elle à 9 heures du matin ce vendredi 16 décembre, son objectif est simple : aller à un rendez-vous de travail à Jérusalem. Pour ce faire, elle décide de prendre le bus 451, une de ces lignes « super-cachère ». Comprenez des autobus de la compagnie publique Egged dans lesquels les ultraorthodoxes font régner la loi de la séparation des sexes : les hommes à l’avant et les femmes à l’arrière. En prévision de ce voyage et pour ne pas choquer les passagers, notre jeune femme s’habille avec « modestie ». Manches longues, jupe jusqu’aux chevilles. Pas de décolleté. Seuls son visage et ses cheveux sont découverts.
« Nous sommes en 2011… »
Après quelques minutes d’attente à la station, le 451 arrive. Alors qu’elle monte à bord, le chauffeur lui explique qu’en général les femmes ne prennent pas cette ligne, a fortiori les laïques. Rien n’y fait. Après avoir payé sa place, Tanya s’assoit juste derrière le conducteur « pour qu’il puisse (lui) dire où descendre à Jérusalem ». Par la suite, elle racontera qu’elle a tout de même hésité à s’installer à cet endroit, mais qu’elle a fini par se dire « nous sommes en 2011 et il n’y a pas de raison pour qu’il y ait un problème ».
Eh bien, si ! En ce début de XXIe siècle, qu’une femme prenne place à l’avant d’un bus en Israël peut créer un incident. À l’arrêt suivant, des hommes ultraorthodoxes montent. La plupart la dévisagent sans aménité et poursuivent leur chemin vers des places assises. Cependant, pour l’un d’entre eux, c’est insupportable. Il décide de bloquer la fermeture automatique des portes et empêche le départ du véhicule. Très vite, la tension monte, à l’intérieur du bus et à l’extérieur où un groupe agité d’ultrareligieux se forme. Les insultes fusent. On la traite de « shikse », un qualificatif péjoratif pour désigner une femme non juive.
« C’était assez effrayant… Ils me regardaient comme une sorte de statue bizarre, une extraterrestre… L’un d’entre eux a crié dans ma direction : C’est notre ligne à nous. »
« Sous le couvert de la sainteté… »
Au bout d’une demi-heure et alors que les passagers perdent patience et commencent à exiger le remboursement de leur ticket, le chauffeur appelle la police. Très vite, un agent monte à bord. Il demande à Tanya de s’asseoir au fond du véhicule. « Non, répond-elle ! J’ai suffisamment montré de respect en faisant attention à ma tenue vestimentaire. » Finalement, les choses se règlent. Le récalcitrant permet la fermeture des portes. Jusqu’à Jérusalem, il restera debout à côté du chauffeur plongé dans la lecture de psaumes.
À ce stade, personne ne sait rien de l’affaire. La rumeur ne se répandra que quelques heures plus tard. Le temps qu’à son retour de Jérusalem notre « rebelle » poste sur Facebook les photographies prises dans le bus de la discorde avec son téléphone portable. À la fin du shabbat, les médias s’en emparent. Le lendemain matin, le nom et la photo de Tanya Rosenblit sont partout. Télés, radio, journaux, sites en ligne. Les politiques s’y mettent aussi. À commencer par le Premier ministre.
En ouverture de la réunion du gouvernement, Benyamin Netanyahou prend quelques minutes pour réaffirmer qu’il s’oppose à toute éviction et discrimination des femmes dans l’espace public, relançant de plus belle le débat. Mais pour combien de temps ? Notre « Rosa Parks » locale n’est pas dupe. Dans une lettre publiée par le Yediot Aharonot, le journal le plus lu en Israël, elle prédit que sa « célébrité » médiatique aura très vite vécu.
« Sous le couvert de la sainteté, enfreindre la liberté de choix et le droit au respect de chacun, c’est là la vraie provocation », écrit malgré tout Tanya Rosenblit. « Comment se fait-il que la société israélienne de 2011 n’ait pas encore intériorisé cette idée-là ? » demande-t-elle.
Autant de questions qui semblent trouver un large écho au sein de l’opinion publique israélienne. Des groupes contre les discriminations à l’égard des femmes poussent comme des champignons sur les réseaux sociaux. Des manifestations sont prévues
Danièle Kriegel