Selon le rapport de Bernard Muhdo, expert indépendant, les politiques d’ajustement structurel, fruit d’une politique consciemment élaborée et appliquée par les responsables du FMI et de la Banque mondiale, ont eu des conséquences extrêmement négatives sur les droits économiques sociaux et culturels, spécialement en ce qui concerne la santé, l’éducation, l’accès à l’eau potable, la sécurité alimentaire, etc. Le même expert constate que les politiques menées par les institutions financières internationales (IFI) ont été contestées par les citoyens par le biais de mouvements de protestation, violemment réprimés par les gouvernements et les pouvoirs publics afin de garantir que les plans imposés par ces institutions soient réalisés (privatisation de l’eau, privatisation de l’électricité, privatisation des transports publics, privatisation des hôpitaux, libéralisation des prix de médicaments, du pain et d’autres biens de première nécessité, protection des intérêts des transnationales en matière d’investissements et appropriation des ressources naturelles communes, etc.).
Il y a, en conséquence, un lien étroit entre la violation massive des droits économiques, sociaux et culturels, et la violation massive des droits civils et politiques. Face à ce type de violation des obligations internationales de la part des pouvoirs publics de l’État concerné, le FMI et la Banque mondiale auraient dû rappeler aux gouvernements leurs obligations internationales en matière de protection des droits civils et politiques et des droits humains en général. Au lieu de les stopper ou de les suspendre, ces institutions ont poursuivi et intensifié leur application. A priori, c’est un fait extrêmement grave : ces institutions agissent comme si elles n’étaient redevables d’aucune obligation internationale, si ce n’est celles liées aux accords commerciaux ou aux accords sur les investissements. Bien sûr, elles suivent en cela un but bien précis. En 1999, l’expert indépendant désigné par la commission des droits de l’Homme a identifié, avec justesse, le processus de mondialisation et le rôle des institutions financières comme faisant partie de la « contre-révolution néolibérale ». Selon le droit international, tant conventionnel que coutumier, il existe des principes et des règles juridiques de base ou fondamentaux qui ont trait à la protection internationale des droits humains dont la portée s’étend à tous les sujets de droit international.
Plans d’ajustement structurel
La Banque mondiale comme le FMI ne sont pas des abstractions. Les décisions en leur sein sont prises par des hommes et aussi quelques femmes qui agissent au nom de leurs États ou de groupes d’États. Or, les États sont eux-mêmes incontestablement liés par les documents des Nations unies. Les États membres de la Banque mondiale et du FMI sont donc, comme les autres, dans l’obligation de tenir compte du respect obligatoire des droits de l’Homme dans les décisions qu’ils prennent au sein de ces institutions. Il faut même aller plus loin. Dans le processus de mondialisation, suite à l’action des sociétés transnationales, du G8 et des institutions financières internationales, les pouvoirs publics nationaux et locaux ont été délibérément dépossédés de leurs pouvoirs en matière économique et sociale. Les États interviennent de plus en plus pour assurer l’exécution des intérêts privés au lieu d’assurer la pleine jouissance des droits humains. Pour la Banque mondiale, tout le problème du sous-développement et de la pauvreté se réduit pratiquement au fait que les pouvoirs publics interviennent trop dans le social et dans l’économie, entravant souvent l’action et les activités du secteur privé. Ainsi, le président de la Banque mondiale, dans un document portant le titre de « Développement du secteur privé », confirme qu’« une croissance entraînée par le secteur privé est essentielle à un développement durable et à la réduction de la pauvreté ».
Déresponsabilisation
Les institutions financières internationales s’en prennent aux États, alors que dans le rapport soumis à l’Assemblée générale de l’ONU, le secrétaire général des Nations unies affirme : « Aujourd’hui, on tend généralement à demander aux gouvernements d’assumer trop de responsabilités, oubliant que l’ancienne conception du rôle de l’État dans le développement n’a plus cours... Et, alors que rien n’est dit des responsabilités internationales ou du rôle de l’économie mondiale et de ses mécanismes et instruments, ou encore de leur contribution au système politique actuel et au régime de gouvernement du monde moderne - responsabilités qui incombent à ces systèmes -, l’on impute aux gouvernements des maux, des difficultés et des problèmes qui trouvent essentiellement leur origine sur la scène internationale. Or, ce type de démarche n’est ni objectif, ni juste, en particulier à l’égard des pays en développement, qui n’ont guère leur mot à dire dans les décisions fondamentales prises à l’échelle internationale et qui, pourtant, sont accusés d’entraver le développement, tandis que les causes profondes des inégalités sur le plan international sont passées sous silence... ». C’est donc une erreur de fond de considérer les États comme les seuls responsables de la violation des droits de l’Homme lors de l’application des règles commerciales multilatérales ou à la suite de l’application des mesures imposées par le FMI et la Banque.
Cette thèse est très répandue au sein du FMI et de la Banque : les responsables des violations des droits de l’Homme seraient en fait les États membres, pris individuellement, car ce sont eux qui décident finalement les politiques que ces institutions doivent appliquer. Cette prétention de déresponsabilisation est irrecevable en droit international.
Tant le FMI, la Banque mondiale que l’OMC sont avant tout des organisations internationales dans le sens strict du terme. En tant que telles, elles possèdent une personnalité juridique internationale, elles ont leurs propres organes, elles sont dotées des compétences par le traité ou accord de base (compétences d’attribution). Et, surtout, en tant qu’organisations internationales, elles ont des droits et des obligations.
Incluse dans le corpus du droit coutumier, la Déclaration universelle des droits de l’Homme est, comme son nom l’indique, universelle ; elle lie donc les États et les autres sujets de droit international dans leurs actions spécifiques et dans leurs responsabilités. Aucun organisme international ne peut s’abriter derrière son règlement intérieur pour se considérer affranchi du respect des accords internationaux ratifiés par ses membres.
Les institutions internationales ont donc obligation de créer les conditions pour la pleine jouissance de tous les droits humains, le respect, la protection et la promotion de ces droits. Or, les programmes d’ajustement structurel, comme indiqué plus haut, s’en différencient nettement. Aujourd’hui rebaptisés « stratégies de lutte contre la pauvreté », ils postulent que la simple croissance économique apportera d’elle-même le développement, ce qui est démenti, entre autres, par les rapports annuels du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Ladite croissance économique telle qu’elle est proposée par les institutions financières internationales, bénéficie surtout aux couches les plus privilégiées de la société et augmente toujours plus la dépendance des pays du tiers monde. De plus, la croissance économique réellement existante est fondamentalement incompatible avec la préservation de l’environnement.
Crimes économiques
Cette vision du développement, défendue avec acharnement par la Banque mondiale, malgré ses échecs patents, n’est pas compatible avec un texte aussi abouti et éminemment social qu’est la Déclaration du droit au développement des Nations unies, adoptée en 1986 :
Article 1-1 : « Le droit au développement est un droit inaliénable de l’Homme. »
Article 1-2 : « Le droit de l’Homme au développement suppose la pleine réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui comprend [...] l’exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs ressources naturelles. »
Article 3-2 : « La réalisation du droit au développement suppose le plein respect des principes de droit international. »
Article 8-1 : « Les États doivent prendre sur le plan national toutes les mesures nécessaires pour la réalisation du droit au développement [...] Il faut procéder à des réformes économiques et sociales appropriées en vue d’éliminer toutes les injustices sociales. »
Bien que ce soit une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, la Déclaration du droit au développement n’a pas, en pratique, le caractère contraignant des traités internationaux. Mais d’autres textes peuvent jouer ce rôle : la Charte des Nations unies (préambule, paragraphe 3 de l’article 1 et articles 55 et 56) est non seulement le document constitutif des Nations unies, mais également un traité international qui codifie les principes fondamentaux des relations internationales.
Les deux pactes sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels sont aussi des textes normatifs liés au droit au développement : tous les droits énoncés dans ces pactes font partie du contenu du droit au développement. Les textes principaux des Nations unies visent aussi bien les droits individuels que les droits collectifs, le droit au développement que le droit à la souveraineté politique et économique des États. En fait, la Banque mondiale, mais aussi le FMI, l’OMC, les sociétés transnationales, n’ont jamais accepté d’y être soumis.
Ces institutions ont pu jouir d’une terrifiante impunité jusqu’ici car, malgré quelques avancées intéressantes, le droit actuel est loin d’être parfait. Bien sûr, une série d’instruments et de juridictions en matière de crimes contre les droits humains individuels et de crimes contre l’humanité existe, mais d’autres crimes, qui font un grand nombre de victimes à travers le monde - les crimes économiques -, ne font encore l’objet d’aucune juridiction internationale, d’aucune convention, d’aucune définition internationale à ce jour. S’il est exact que la Banque mondiale et le FMI sont indépendants de l’ONU dans leur fonctionnement, il leur appartient cependant de respecter les droits humains et le droit coutumier en général.
Les IFI doivent intégrer cette obligation dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs politiques : aucun sujet de droit international ne peut se soustraire à ces obligations en invoquant l’absence de mandat explicite ou l’argument de la « non-politisation », ou encore moins une interprétation restrictive des droits économiques, sociaux et culturels comme étant des éléments moins contraignants que les droits civils et politiques.
Tant la Banque que le FMI ne peuvent invoquer leur « droit constitutionnel » pour se dérober aux obligations de protéger les droits humains sous prétexte que leurs décisions doivent être guidées exclusivement par des considérations d’ordre économique. Il est important de souligner que les politiques menées par les institutions de Bretton Woods, dont la portée des activités est vaste, ont des répercussions directes sur la vie et les droits fondamentaux de tous les peuples.