L’Europe et les États-Unis ont décidé, après l’arrivée au pouvoir du Hamas en Palestine, de bloquer leurs aides à l’Autorité palestinienne. Quelles sont les conséquences de ce blocus ?
Rabah Mhanna - Ce blocus est injuste, car il punit le peuple palestinien d’avoir fait un choix démocratique. Il est idiot, parce qu’il va aboutir à des résultats contraires au but recherché par Israël et les États-Unis. Il s’agit d’une stratégie des Israéliens et des Nord-Américains pour déstabiliser complètement la situation en Cisjordanie et à Gaza. Il y a des textes de l’ONU qui stipulent qu’elle a le droit de mettre un État sous tutelle pour cause de désordre intérieur. Ils ont déjà préparé des arguments dans ce sens.
En Palestine, les travailleurs sont répartis en trois catégories. En Cisjordanie et à Gaza, des gens travaillent dans l’administration (35 à 40 %). Ensuite, il y a les artisans et ceux qui travaillent dans le privé et les agriculteurs (20 à 25 %). Le reste est au chômage (40 %). C’est aujourd’hui près de 80 % des la population active qui n’a plus de revenu. La continuation du blocus va aboutir à beaucoup de tensions et de violences. Ce blocus est idiot et dangereux, parce qu’il va renforcer le Hamas. La Palestine est un petit pays, avec peu de ressources, mais ce blocus peut avoir des retombées dans toute la région.
Qu’est-ce qui explique le vote en faveur du Hamas lors des dernières législatives ?
R. Mhanna - Les accords d’Oslo sont dans l’impasse. La pauvreté a fortement augmenté. En même temps, une couche, parmi les dirigeants palestiniens liés à Israël, s’enrichit. Le vote du peuple palestinien est une façon de dire : « Nous sommes contre la corruption. » Le peuple a aussi fait le choix du Hamas parce qu’il a pensé qu’il était le plus apte à lutter contre Israël. Le Hamas fournit beaucoup d’aide sociale. Le parti est bien organisé et ses dirigeants, rencontrant un écho populaire, ont une autorité. Le Hamas a su saisir l’occasion. Ses membres ont obtenu le soutien financier des Frères musulmans et de certains pays arabes réactionnaires, comme l’Arabie saoudite et le Qatar.
De notre côté, nous n’étions pas très bien organisés face au Hamas. Le FPLP a beaucoup misé sur l’action politique, et pas assez sur le côté social. Le FPLP a été puni aussi en tant que membre d’une OLP qui a signé les accords d’Oslo. Le FPLP est le deuxième groupe de l’OLP, mais l’OLP est tout de même dirigée par le Fatah, qui a mis en place les accords d’Oslo. Le FPLP est une organisation marxiste, progressiste et démocratique. Nous ne pouvons évidemment pas obtenir le soutien des régimes arabes réactionnaires. Mais nous n’avons pas non plus été capables d’avoir des liens forts avec la population et nous n’avons pas reçu de soutien des forces progressistes arabes ou dans le monde.
Quels rapports entretenez-vous avec le Hamas ?
R. Mhanna - Le Hamas a rejoint le mouvement de libération nationale depuis 1988. Il est devenu un courant de la résistance. Dans les négociations avec le Hamas sur notre éventuelle participation au gouvernement, nous avons arraché des compromis sur les questions politiques et sociales, le droit aux libertés démocratiques et le principe de l’alternance à la tête de l’Autorité palestinienne. Nous étions arrivés à un accord sur la plupart des points, mais nous avons buté sur la question de l’OLP qu’ils ne veulent pas reconnaître comme représentant légitime du peuple palestinien.
Cependant, nous ne sommes pas parmi les forces qui mettent la pression sur le Hamas. Nous soutenons le Hamas en tant qu’Autorité palestinienne, à la fois au Parlement et dans les mobilisations de rue. Il y a eu une rencontre entre toutes les composantes de l’OLP et le Hamas, au Caire, l’année dernière. Le Hamas avait accepté le principe d’un État limité aux frontières de 1967. Khaled Mechaal [chef du bureau politique du Hamas, NDLR] avait même signé un texte reconnaissant l’OLP comme seul représentant du peuple palestinien. Une commission avait été mise en place pour discuter des réformes à apporter à l’OLP et de l’intégration du Hamas. Mais Abou Mazen [Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne et membre du Fatah, NDLR] a fait échouer ce processus.
Une rencontre a récemment eu lieu avec Khaled Mechaal pour discuter des réformes. Mais les choses ont changé. Il y a un risque que le Hamas revienne vers les Frères musulmans - qui ne se préoccupent pas vraiment du droit à l’autodétermination des Palestiniens. Les Frères musulmans et les pays capitalistes ont la même vision sur le plan économique : la défense de la propriété privée et le libéralisme. Nous perdrions une force de résistance et retournerions à la situation d’avant 1988.
Et la gauche ?
R. Mhanna - Lors des dernières élections, nous avons essayé d’organiser un courant de gauche avec tout le monde, y compris des personnalités indépendantes, mais cela n’a pas réussi. Nous nous sommes présentés seuls et nous avons obtenu 6% des voix, loin devant les autres.