En Grèce, de nombreux facteurs significatifs suggèrent qu’elle est à la veille de changements majeurs. La perturbation des opérations basiques de l’Etat, en conjonction avec la certitude largement répandue que la dette grecque est incontrôlable (rumeurs permanentes d’un défaut de paiement dans la période qui arrive) tracent le tableau d’une crise et d’une instabilité politique qui semblent être précurseurs d’une crise politique plus généralisée qui s’étendrait au reste des régimes du sud de l’Europe d’abord, et possiblement jusqu’au cœur de la Zone Euro, compte tenu de l’accélération des tensions de la crise financière et des désaccords entre les leaders actuels de la Zone Euro. Les jours restant avant le sommet des leaders européens du 23 octobre et le sommet du G20 durant la première semaine de Novembre sont cruciaux. Quelquechose doit céder, et rapidement. Et cela pourrait aller dans bien des directions différentes. Pour le meilleur, ou pour le pire. Des rumeurs, qui peuvent être vraies ou fausses, circulent sur la possibilité d’un déploiement en Grèce dans les prochains jours du personnel militaire de l’EuroGendFor (Force de Gendarmerie Européenne). Voir l’encadré ci-dessous pour une description plus détaillée.
D’un côté, il y a un niveau incroyable d’activité politique et de mobilisation de pans très larges de la société. Cela a continué à s’intensifier, à se massifier et s’inscrire dans une continuité pendant que la crise s’aggravait profondément depuis 2009. Ces mouvements ont suivi le schéma général suivant : fort mouvement étudiant et émeutes in 2006-07 avant l’annonce officielle de la crise de la dette grecque ; des semaines d’émeutes urbaines en Décembre 2008 par les jeunes en riposte à l’assassinat policier d’un adolescent ; des manifestations de masse ; 13 grèves générales depuis les négociations avec le FMI ; une forme plus politique du mouvement des indignés (comparé au mouvement similaire en Espagne) ; la dernière étape de cette série de résistances s’exprime par les occupations d’espace public et des grèves dans des industries stratégiques telles que le transport ou le rail.
D’un autre côté, ce haut niveau de mobilisation n’a pas stoppé ni même ralenti le rythme des mesures d’austérité, ni les privatisations en masse, et la répression s’accroît. La police répond à la contestation avec une extrême violence, et de plus en plus de grèves sont déclarées illégales. Malgré le haut niveau d’organisation, les gens font état d’un profond sentiment de désespoir et ne perçoivent pas clairement d’alternatives construites par le peuple. Il y a beaucoup de panique et un sentiment général d’effondrement économique, politique et surtout social. Tandis que le fonctionnement de la société se grippe de plus en plus, la reproduction des pans massifs de la société est de plus en plus difficile. Rein ne fonctionne, ni les services publics, ni le privé.
Les organisations politiques, telles que les partis de gauche ou des groupes du milieu anti-autoritaire ou anarchiste, subissent une énorme pression. L’accélération de la crise économique mène à une sérieuse crise politique et l’absence totale d’une alternative concrète est criante. Certaines voix du côté de la gauche commencent à murmurer le besoin de former un gouvernement de gauche constitué d’une large coalition des partis de gauche et de groupes plus petits. Cependant, ils sont incapables d’énoncer cette idée de manière à avoir un écho dans les luttes et les mouvements larges qui sont apparus de façon très soudaine et décentralisée. Cela en dépit du fait que ces partis sont potentiellement très fort, puisque ils font 26% dans les sondages, alors que le parti au pouvoir recueille 15%, avec 50% des votants qui déclarent l’intention de s’abstenir lors de toute future élection. Le panel des partis de gauche comprends : Syriza, une coalition de gauche née après le déclin des Forums Sociaux ; le Parti Communiste, un parti communiste traditionnel avec ses propres syndicats, qui sont largement critiqués pour leur réticence à rejoindre le reste de la gauche dans une sorte de coalition ; Antarsia, une petite coalition de groupes anticapitalistes ; et les Verts-Ecologistes, un parti relativement récent, lié aux Verts Européens.
Le peuple subit une pression énorme. De plus en plus de gens ne peuvent plus payer leurs impôts, rembourser leurs crédits ou même assurer la satisfaction de leurs besoins fondamentaux tels que l’électricité, la santé, le logement, etc. Le chômage augmente rapidement et est attendu à une moyenne de 25% au premier semestre de 2012. Des impôts élevés sont imposés via les factures d’électricité, l’économie s’est contractée rapidement, et la peur, même la panique, règne sur de larges parts de la population active. Tout ceci a créé une masse fluide de travailleurs licenciés et de salariés sur-exploités et paniqués. Ces gens ne sont pas connectés aux syndicats traditionnels (les syndicats qui pour la plupart sont traditionnellement rattachés à deux partis majeurs : le PASOK au pouvoir et Nea Dimokratia qui était au pouvoir jusqu’à une défaite aux élections de 2009). Le chômage et la précarité touchent les plus jeunes générations, qui sont forcées d’émigrer (principalement en Europe Centrale et du Nord, ainsi qu’en Australie ou au Canada). Cela est particulièrement vrai des travailleurs hautement qualifiés et des diplômés d’université.
Situation actuelle
Le niveau et l’intensité des luttes a rapidement augmenté depuis cet été et pendant les premières semaines d’octobre. La version grecque des Indignés (« Aganaktismenoi” en grec), qui s’est terminé sur des émeutes milieu juillet, semble avoir achevé son premier cycle d’existence, laissant derrière lui l’espace d’une large base d’interaction entre différents groupes et mouvements à travers le pays. Cela s’est exprimé sous la forme de nombreuses activités décentralisées et spontanées telles que des grèves et des occupations dans le secteur du public, des manifestations massives et des émeutes. Durant cette période, des nouvelles formes de comités de lutte ont émergé, augmentant en nombre de participants et montrant une volonté de s’unir autour de l’appel à la grève de 48h lancé par la Confédération Générale des Travailleurs (GSEE) et la Confédération des Fonctionnaires (ADEDY) pour les 19 et 20 Octobre. Bien que ces comités soient encore récents, ils se sont déjà avérés très stables. Ils sont tous différents tant par leur forme que par leur lieu de lutte (d’intervention), il y a des syndicats locaux sur les lieux de travail, des assemblées qui organisent des occupations, des assemblées de quartier qui organisent des luttes locales et se rassemblent lors des temps forts, comme les appels à manifester dans le centre d’Athènes.
Plusieurs nouvelles formes de lutte sont nées durant cette période. Cela inclut des occupations de (8) ministères et bureaux du gouvernement ; la perturbation des opérations à différents niveaux de l’Etat, des autorités locales jusqu’aux services de l’Etat tels que les impôts et les tribunaux ; l’occupation des infrastructures productives (moyens de transport public, voies ferrées, occupations par le puissant syndicat des travailleurs de la Compagnie Publique de l’Energie). Tous les jours des protestations plus petites perturbent aussi le fonctionnement normal de la vie sociale, économique et commerciale. Cependant, ce niveau de mobilisation n’a, jusqu’à maintenant, pas réussi à stopper ni même ralentir le rythme des mesures d’austérité, ni les privatisations massives. De plus, les efforts faits pour créer une organisation « parapluie » (=un cadre unitaire, une sorte de fédération ou confédération qui « chapeaute » et englobe les orgas, NdT) large et concrète rassemblant tous ces mouvements n’a, pour le moment, abouti à aucune forme d’institution nouvelle. Les partis de gauche, les militants et les travailleurs se rencontrent dans ces luttes de manière assez chaotique. Il devient de plus en plus important de s’assurer que ces comités qui ont émergé deviennent le centre de gravité légitime pour construire et défendre un pouvoir populaire de masse par la lutte.
Jusqu’à maintenant le gouvernement a tenté d’éviter une explosion d’en bas incontrôlable (comme les occupations en cours dans la Compagnie Publique de l’Energie, les grèves des éboueurs des collectivités locales). La répression grandit. Les manifestations sont traitées par des niveaux de violence policière de plus en plus élevés. De plus en plus de grèves sont déclarées illégales et des entreprises privées sont embauchées par le gouvernement pour assumer les tâches qui ne sont pas prises en charge du fait des grèves et des occupations dans le secteur public, etc. L’armée a même été appelée pour nettoyer les rues, puisque les éboueurs sont en grève.
Nous arrivons maintenant à un point critique, et ce n’est qu’une question de jours. Dans le temps restant avant les sommets mentionnés au-dessus, le mouvement par en-bas intensifie ses actions par les grèves et les manifestations à travers le pays. Dans le même temps où l’activité de masse s’accroît, le gouvernement prend de nouvelles initiatives par en-haut, apparemment en préparation de ce qui arriverait si le gouvernement démissionnait. Ces plans autour d’un état d’urgence amènent les mesures anti-démocratiques à des niveaux inédits.
Certaines initiatives du gouvernement montre que cette semaine est probablement la plus cruciale de cette période de crise en Grèce. De ce point de vue, on considère comme particulièrement important un article signé le Dimanche 16 Octobre par 3 ministres importants, et soutenu par le ministre des Finances V. Venizelos. Cet article appelle la peuple à suivre loyalement les politiques agréées par le FMI, et à établir le consentement de la majorité silencieuse contre la soi-disant minorité bruyante qui perturbe le fonctionnement politique du pays. Cet article a une tonalité incroyablement autoritaire et anti-démocratique, donnant à voir l’urgence de la situation. Un autre facteur important qui renforce l’image d’un gouvernement qui s’effondre est le nombre croissant de syndicats importants et le grand nombre de militants qui se retirent du PASOK, parti au pouvoir, de même qu’un de ses parlementaires. Les rumeurs vont bon train à propos des scénarios possibles de ces prochains jours, et il est quasi-impossible de séparer le vrai du faux. Cela comprends une rumeur comme quoi un genre de nouveau compromis politique et social anti-démocratique sera mis en place entre les partis de centre-droit, sous la forme d’un gouvernement d’unité nationale ou d’un gouvernement de technocrates ou d’un état d’urgence, etc, dans le but d’empêcher la menace d’un scénario encore pire, une menace qui reste non-dite par tous. On peut penser que cette menace que personne n’énonce clairement et que les autorités politiques établies ne comprennent que trop bien, est la menace d’une révolution par en-bas. La question du pouvoir politique est posée et la crise politique se résoudra dans les jours et les semaines à venir, dans un sens ou dans l’autre.
Ceci est un appel aux peuples en Europe et dans le reste du monde, appel à observer de près ce qui se passe en Grèce et à se tenir prêts pour les prochaines étapes du développement de cette crise politique, qui s’étendra bientôt, en toute probabilité d’abord au reste de l’Europe du Sud et ensuite à l’Union Européenne dans son ensemble. La crise politique en Grèce a mis environ 2 ans à atteindre son apogée et ce laps de temps a des chances d’être bien moindre dans les autres pays alors que que la crise européenne et globale s’accélère. Il n’y a pas de temps à perdre.
Aris Leonas