Depuis quelques semaines est sensible une reprise du dialogue entre les deux Corées, qui se conjugue à une intensification des contacts diplomatiques en vue d’un retour à la table des négociations à six (Chine, les deux Corées, Etats-Unis, Japon et Russie) sur la dénucléarisation de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). S’agit-il de la part de Séoul, qui jusqu’à présent a voulu tenir la dragée haute à Pyongyang, d’un simple affichage sans volonté réelle de changement ? Les observateurs sont sceptiques et les autorités réservées. En fin de mandat, le président Lee Myung-bak pourrait chercher à se dégager de l’impasse à laquelle a conduit une politique dont les résultats sont minces qui, conjuguée à d’autres facteurs de mécontentement, pourrait faire « mordre la poussière » à la formation gouvernementale, le Grand Parti national, aux législatives d’avril 2012 puis à la présidentielle de décembre. Sentant le vent tourner, celui-ci cherche des ouvertures.
Son président, Hong Joon-pyo, vient de se rendre dans la zone industrielle de Kaesong, de l’autre côté de la zone démilitarisée qui sépare les deux pays, où ont investi une centaine d’entreprises du Sud qui emploient 47 000 Coréens du Nord. Une délégation d’une quarantaine de bouddhistes et de chrétiens a d’autre part été autorisée à se rendre début septembre à Pyongyang alors que, depuis mai 2010, Séoul, qui accuse Pyongyang d’avoir coulé en mars la corvette Cheonan (46 morts), interdisait tout contact avec le Nord. Enfin, la nomination d’un nouveau ministre de l’unification, Yu Woo-ik, ancien ambassadeur en Chine, en remplacement de Hyun In-taek, artisan de la ligne dure suivie depuis quatre ans, est interprétée comme un signe de flexibilité de Séoul après la tension de 2010 (huit mois après le naufrage du Cheonan, l’artillerie nord-coréenne avait bombardé une île frontalière, faisant quatre morts).
Le nouveau ministre de l’unification se défend de vouloir rompre avec la politique de son prédécesseur (qui est devenu le conseiller pour la sécurité du président Lee). Il s’agit, dans le cadre des principes définis (respect par le Nord de ses engagements sur la question nucléaire et excuses pour le torpillage du Cheonan), d’« explorer de nouvelles approches », fait-on valoir de source diplomatique sud-coréenne. Sinon d’avoir cabré Pyongyang et provoqué la plus grave tension entre les deux pays depuis vingt ans, le politique de fermeté de Séoul n’a guère porté de fruits, affirment les opposants. Selon le professeur Yun Dukmin, de l’Institut pour les affaires étrangères et la sécurité nationale (organisme gouvernemental), la responsabilité de la tension incombe à Pyongyang : « Quel qu’ait été le président, Pyongyang a besoin d’une crise pour faciliter le processus de succession de Kim Jong-il par son fils. »
Tout en se disant favorable au dialogue, le président Lee Myung-bak n’a pas mis en œuvre les engagements pris au sommet intercoréen d’octobre 2007 et a mené une politique dont il espérait qu’elle contraindrait Pyongyang à des concessions. La RPDC n’a pas renoncé pour autant à son arsenal nucléaire (deuxième essai en 2009) et les sanctions internationales ont conduit le régime à se rapprocher davantage de la Chine. Aujourd’hui, le jeu est encore un peu plus complexe : la Russie, qui a eu un profil bas dans les négociations à six, redevient un acteur de premier plan avec le projet de gazoduc entre la Sibérie et la Corée du Sud à travers la RPDC.
La politique du « rayon de soleil » (sunshine policy) des gouvernements de centre gauche (1998-2008) était sans doute trop conciliante. Mais elle se situait dans le long terme : intégrer progressivement à la communauté internationale un pays refermé sur lui-même (volontairement certes, mais aussi en raison du rejet, non exempt de menaces d’attaque préemptive de l’administration Bush, du reste du monde) et favoriser ainsi l’évolution de la société entamée par le développement d’une économie parallèle. Pour les analystes, favorables à une politique d’engagement sans pour autant soutenir le régime, la sunshine policy devait être amendée, mais elle reste la seule approche face à un régime qui, dans le contexte présent (soutien de la Chine), n’est pas sur le point de s’effondrer.
Depuis la seconde crise nucléaire déclenchée par l’administration Bush en 2002, la donne a changé : la RPDC a procédé à deux essais atomiques et dispose d’une nouvelle filière nucléaire : l’enrichissement de l’uranium. Dans l’hypothèse d’une reprise des pourparlers à six, suspendus depuis 2009, que va-t-on négocier ? Il est peu vraisemblable que la RPDC abandonne ses armes nucléaires. Aujourd’hui, note Andreï Lankov, professeur à l’université Kookmin à Séoul, « la débâcle de Kadhafi, qui a renoncé à son armement nucléaire, ne peut que conforter le régime dans sa volonté de conserver ses bombes ».
« Le seul point négociable est la non-prolifération horizontale (exportation de la technologie nucléaire) », fait valoir Yun Dukmin. Et pour essayer d’éviter de nouvelles provocations (un troisième essai atomique), poursuit-il, il est impératif de reprendre le dialogue Nord-Sud.
Philippe Pons (Tokyo, correspondant)