Dans le contexte politique marocain, le Mouvement du 20 février fut une forme de résonance de la vague révolutionnaire qui a envahi la région maghrébine et arabe. En raison de l’histoire politique récente spécifique du Maroc – histoire marquée, rappelons-le, par (1) la défaite de l’opposition historique traditionnelle qui fut d’abord maîtrisée par la monarchie avant d’être intégrée au pouvoir absolu lors d’une de ses graves crises [1] pour ainsi servir de « pompier », (2) l’implication des syndicats à la co-gestion de la crise sociale, (3) la marginalisation de la gauche révolutionnaire, chose qui a empêché le développement d’une conscience radicale de la classe ouvrière et plus largement des opprimés –, un tel contexte donne à comprendre qu’au Maroc la vague militante actuelle n’a pas engendré dans l’immédiat une dynamique révolutionnaire visant directement le renversement du pouvoir en place, mais plutôt un mouvement de contestation d’aspiration revendicative essentiellement sociale. Certes, l’émergence du M20fev [2] fut principalement fondée sur des revendications politiques, variant entre la réforme de la monarchie et sa remise en cause par le biais de la revendication de l’assemblée constituante. Mais une vraie dimension politique du mouvement au Maroc n’a pas encore trouvé l’enracinement social que doit incarner une force politique massive consciente et capable de la porter jusqu’au bout. Cela concerne, au premier plan, l’irruption de la classe ouvrière comme force sociale consciente et organisée en tant que telle. Si la campagne, menée par le M20fev, pour le boycott de la constitution a dû stimuler une opinion générale hostile au despotisme, cela fut en deçà de pouvoir forcer le régime à l’abroger.
Cela dit, l’émergence du M20fev, son étendue et sa croissance progressive – plus particulièrement à Casablanca et Tanger – constituent un indice patent d’une ère qualitativement nouvelle dans la scène politique au Maroc, tournant la page d’un passé durant lequel le régime fut absolument hégémonique, et ouvrant la voie à la percée de la force combative potentielle des opprimés.
Dans ce contexte, la gauche révolutionnaire marocaine s’est trouvée portée, pour la première fois de son histoire, dans un véritable mouvement de masse, quoiqu’à côté d’autres forces politiques opposées au régime n’ayant aucune perspective critique au capitalisme, à savoir les islamistes. Il se trouve que, dans le cas du Maroc, ceux-ci constituent la force d’opposition la plus organisée, ayant profité antérieurement de la faiblesse de la gauche et de la montée des mouvements de même filiation idéologico-politique depuis que les Ayatu-llah-s se sont emparés du pouvoir en Iran. Cela pendant que les trois décennies de l’effervescence de ces forces furent justement l’époque de la crise de la gauche et de l’effondrement de ses tendances les plus dominantes dans le monde (partis et Etats).
La présence des islamistes dans le mouvement actuel au Maroc, a poussé une partie de la gauche – fût-ce réformiste ou révolutionnaire –, paniquée, à espérer obtenir des « garanties » politiques quant à leurs véritables objectifs et programme, tandis qu’une autre partie a carrément refusé de s’impliquer dans le mouvement sous prétexte de ne pas se mêler avec eux. Pour cette dernière tendance dans la gauche, l’évolution du mouvement et l’afflux populaire croissant dans les manifestations vont vite la marginaliser dans son sectarisme et dogmatisme stérile. Alors que la première partie court derrière Al-Adl-wa-l-Ihsân sans critique aucune, ignorant ainsi les conditions de base pour une action politique unitaire déjà avérée par l’expérience de l’histoire du mouvement ouvrier comme conduite tactique fondamentale pour les socialistes révolutionnaires.
La méfiance envers Al-Adl-wa-l-Ihsân doit induire pour la gauche une modalité d’action unitaire qui consiste à se placer comme pôle principal de convergence, et non à briser le mouvement. Si la gauche se trouve au même front d’opposition avec les islamistes, chacun ayant leurs propres objectifs, cela ne doit pas être au prix de la mise en avant de son programme et ses tactiques.
Frapper ensemble et marcher séparément, militer obstinément pour s’enraciner parmi le peuple opprimé, développer et élargir le champ des actions militantes (en vue de renverser la quantité en qualité), rester attentif à l’évolution du niveau de la dynamique et de la conscience des masses pour mettre en avant les mots d’ordres adéquats : telles sont les voies qui permettraient à la gauche d’être à même de remplir ses responsabilités historiques.
La phase de la lutte actuelle est encore à caractère défensif. Il est possible et nécessaire, dans ce qui est à venir, de passer à une dynamique d’offensive révolutionnaire qui permettrait aux larges couches sociales d’assumer des actions révolutionnaires de plus grande envergure. Néanmoins, pour atteindre un tel niveau dans le rapport de force, il faut que les révolutionnaires veillent à ce qu’ils se mettent dans les premiers rangs des luttes de masse, tout en restant intransigeant envers leurs orientations et principes politiques fondamentaux.
Al Mounadil-a