L’histoire a parfois des accélérations qui font que des débats anciens, moulinés à l’envie sans conséquence autre que de méthode générale, prennent d’un coup une importance majeure, concrète et directe. Il en est ainsi de la manière dont est abordé le rebond de la crise capitaliste, et en particulier la question de la dette. Sur l’analyse générale de ses racines il ne semble pas y avoir de grands écarts au NPA. Mais sur la manière de s’y confronter c’est une autre chanson. D’un côté nous avons ceux qui se contentent d’appels généraux à sortir du capitalisme, ce qui serait la condition pour réaliser le mot d’ordre de refus de payer la dette. Pures déclamations donc, se contentant de rappeler les fondamentaux, sans se donner la peine d’élaborer la démarche politique qui y mène. De l’autre côté, ceux qui, à force de transiter dans la transition, s’y égarent, et perdent de vue l’objectif final. Entre les deux, il y a place pour ceux qui réfléchissent à la manière effective dont la mobilisation populaire pourrait s’enclencher pour parvenir à réaliser ce mot d’ordre (de refus de payer la dette), ce qui nécessite une véritable logique transitoire, qui relie revendication immédiate et objectif révolutionnaire.
La méthode
Cette dernière approche transitoire a une longue histoire. Sa première manifestation à une échelle historique apparaît dans le texte de Lénine, « La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer ». Ce texte, d’une importance capitale et méconnue a été écrit quelques semaines à peine avant la Révolution d’Octobre, en septembre 1917. Alors que les soviets sont présents partout, et que le parti bolchevik a comme double mot d’ordre central « la paix, le pain, la terre » et « tout le pouvoir aux soviets », Lénine avance un programme d’extrême urgence pour faire face à « la catastrophe imminente ». Du point de vue de la méthode, en voici les éléments principaux d’une validité bien plus générale que le cas d’espèces.
– Il s’agit de proposer des mesures applicables immédiatement et qui amélioreraient tout de suite la vie des populations. Lénine insiste plusieurs fois sur leur caractère élémentaire, réaliste, déjà en œuvre ailleurs dans le monde ou dans le passé. Ceci pour peu que la volonté politique existe. Aucune de ces mesures en tant que telle ne fait sortir du cadre capitaliste.
– Il s’agit d’un programme de gouvernement, avancé sous la forme : « voilà ce que devrait faire le gouvernement si seulement il ne cédait pas aux plus extrémistes des capitalistes et en avait la volonté politique ». Ceci alors même qu’il avait sous les yeux un embryon d’État alternatif (les soviets), dont nous n’avons évidemment nulle part le moindre début de réalisation.
– Il explique en même temps pourquoi les partis du gouvernement se refusent et se refuseront à aller dans le sens indiqué par lui (sens toujours élémentaire pourtant). Ces partis sont trop liés aux intérêts de la classe dominante et craignent par dessus tout que la mobilisation populaire engagée sur ces terrains élémentaires ne conduisent à la révolution socialiste. Car en effet il ne fait aucun doute pour lui (et il l’explique) que c’est bien ce qui se passerait si la mobilisation s’engageait… Ce qui ne l’empêche pas de le leur proposer. En effet, lui, Lénine, il sait ce qu’il en est et ne se prive pas de le dire. Mais une partie des masses font toujours confiance aux mencheviks et autres S-R, et il s’agit de dire à ces masses : chiche, vous avez des revendications littéralement vitales, voyons si ces partis à qui vous faites encore confiance les mettent en pratique.
– Dans tous les cas, et quel que soit le niveau de la revendication « élémentaire », il insiste sur le refus de laisser aux mains du gouvernement la réalisation. Le thème du contrôle (pas de la prise du pouvoir, j’insiste et je souligne, le thème du contrôle) est central tout au long du texte. Y compris pour les moyens institutionnels de celui-ci (par exemple la nationalisation des banques). Ce point est capital à double titre. Le premier est qu’il fait le lien avec le précédent : ce n’est pas un hasard si les partis de gauche au gouvernement ne réalisent pas le programme d’urgence, mais pour des raisons de nature, de ce qu’ils sont profondément. Le second point recoupe une divergence essentielle dans les débats du NPA. Il est lié à la recherche des voies d’une mobilisation effective du peuple. De ce point de vue, mener propagande non sur la possibilité effective d’un programme d’urgence – débutant dans le cadre même du système – mais au contraire sur son impossibilité revient à désarmer le peuple. Si vraiment il faut tout changer pour changer un peu, alors les réformistes ont raison en disant qu’une autre politique est impossible dans l’immédiat. Et si par ailleurs la révolution est concrètement hors de portée comme aujourd’hui, alors il ne reste plus qu’à rester chez soi. À prier ou à maudire. Mais sans agir. Miracle de la dialectique quand des révolutionnaires droit dans leurs bottes produisent du fatalisme et de l’immobilisme.
Dans le cas russe de 17, Lénine suivra cette ligne pendant quelques semaines, en pleine effervescence révolutionnaire. Ligne indispensable selon lui pour bien montrer que décidément il fallait rompre avec les socialistes gouvernementaux (fraction de droite des Socialistes-Révolutionnaires et des mencheviks). Même si cet aspect disparaît presque pour nous avec l’expérience acquise largement dans le peuple depuis des décennies sur la nature d’un parti comme le PS, il demeure l’essentiel de la démarche, elle toujours productive. Ceci alors que pour l’instant nous n’avons aucune possibilité de nous appuyer sur des structures massives d’auto-organisation. Or il faut se rendre à l’évidence historique que de telles structures ne se décrètent pas et ne découlent jamais de la seule propagande. Mais qu’elles dépendent d’une situation indépendante de notre volonté. Ce n’est donc nullement sur ce point que le NPA peut prouver qu’il est utile comme parti, mais en tenant les deux bouts de la chaîne : c’est-à-dire en ouvrant des voies pour faire face à l’urgence, tout en articulant cette démarche avec le débouché révolutionnaire.
Je donne en annexe 1 quelques extraits de ce texte fondamental. On peut le lire en entier sur le site suivant :
http://321ignition.free.fr/imp/fr/lin/pag_002/Lenin_008.htm.
Tout ceci est au cœur de la démarche transitoire, qui sera par la suite largement développée, et qui est encore reprise dans les principes fondamentaux du NPA. Le cœur de la démarche transitoire a trois dimensions : niveau de conscience ; unité de la classe ; auto-émancipation.
Sur le premier de ces points, il faut rappeler ce qui ressort de toutes les expériences révolutionnaires : les grandes masses ne font pas la révolution pour le socialisme, mais pour la satisfaction de revendications immédiates, vitales, brûlantes (ce qui n’empêche évidemment pas de leur demander leur approbation quand il s’agit de passer au socialisme !). Il faut rappeler que « la paix, le pain, la terre » a accompagné les bolcheviks d’un bout à l’autre de leur démarche révolutionnaire. Les paysans ont fini par se convaincre que seuls les bolcheviks pouvaient leur garantir la terre ; les soldats ont fini par se convaincre que seuls les bolcheviks étaient décidés à faire la paix ; les ouvriers des villes ont fini par se convaincre que seuls les bolcheviks pouvaient apporter le pain. Ce qui n’a pas empêché les bolcheviks de proposer en permanence ces mots d’ordre aux mencheviks et autres s-r. La démarche de transition consiste donc à faire le pont du vital d’aujourd’hui à la révolution de demain.
Sur le deuxième point (unité) maintenant. La logique de transition intègre une logique de front unique, c’est-à-dire de reconstitution de l’unité de la classe, œuvre toujours entreprise, jamais achevée. Unité sociale, bien sûr, mais aussi politique.
Sur le troisième point, celui de l’auto-émancipation, il faut souligner qu’à la veille de sa mort, Engels rappelait que le principe intangible auquel lui et Marx s’étaient tenus toute leur vie durant était « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». La logique de transition n’a de sens, comme souligné fortement ci-dessus, que si elle s’appuie sur, et accompagne, un processus d’auto-émancipation : le fameux « contrôle » de Lénine, l’auto-activité, l’auto-organisation, etc.
Le contenu d’une politique sur la question de la dette
Il faut se garder de la pente classique chez des révolutionnaires de considérer qu’il n’y a plus d’issue pour le capitalisme. Il y en a toujours, ceci dépendant à la fois des rapports de force entre exploiteurs et exploités et de ceux qui sont internes à la classe dominante.
Certes comme le dit Lénine dans son texte, « La question se ramène toujours à ceci : la domination de la bourgeoisie est inconciliable avec la démocratie authentique, véritablement révolutionnaire. Au XXe siècle, en pays capitaliste, on ne peut être démocrate révolutionnaire si l’on craint de marcher au socialisme ». Un programme démocratique authentique, véritablement révolutionnaire, est inconciliable avec la domination bourgeoise, c’est vrai. Mais, malheureusement, tout n’est pas qu’une affaire de programme : il faut bien d’autres choses, à commencer par la mobilisation des masses. Sans cela le capitalisme trouve une issue. Cela aussi, Lénine l’avait dit.
Cela étant, quand même, dans l’histoire on ne compte plus les cas où l’existence d’une crise de la dette a accompagné, voire a directement provoqué des soubresauts y compris révolutionnaires. Ainsi la révolution de 1789 a comme cause immédiate de son déclenchement un endettement endémique, couplé avec l’intransigeance de la noblesse, attachée au fait qu’elle échappe massivement à l’impôt. Aujourd’hui, de nombreux économistes en tiennent pour une inflation massive et prolongée pour donner une nouvelle vie au capitalisme. En effet, comme le disait Keynes, il s’agit ainsi de rendre la dette indolore, « d’euthanasier les rentiers ». Mais aussi au passage les retraites et les livrets A, voire les salaires si, comme c’est prévisible, les rapports de force ne permettraient pas d’imposer qu’ils suivent tous l’inflation. Mais « les rentiers » se laisseront-ils faire aujourd’hui compte tenu de la puissante financiarisation du système ? Question à mille euros…
En tout cas on peut prévoir une période relativement longue où cette question sera au centre du débat et des confrontations dans toute l’Europe au moins…
Le texte adopté au Congrès en appelle à « l’annulation de la dette illégitime » en précisant qu’il s’agit de « l’essentiel de la dette détenue par des banques et fonds d’investissements qui doivent être nationalisés » et que « il est possible d’annuler la dette illégitime tout en garantissant une pension aux ménages modestes qui détenaient des titres publics ». Comment y parvenir est la question qui suit, puisqu’on ne peut imaginer que l’on puisse le faire sans propositions transitoires de mobilisation.
On peut pour cela se laisser conduire par le document « sortir de la crise » ainsi que par les textes de contribution qui ont cherché à actualiser l’approche, en particulier ceux de Henri Wilno et Isy Johsua, convergents dans leur propositions, qu’il faudrait à mon sens reprendre telles quelles (rappelées en annexe 2 et 3).
Dans la même logique que l’approche de Lénine, il convient pour le NPA de donner ce qui constituerait les premières mesures d’un « gouvernement au service des travailleurs » (selon la formule votée au Congrès).
Pour cela, ne rien laisser échapper de ce qui pourrait brider la nuisance extrême de la finance, même si ces mesures apparaissent parfois un peu techniques (voir donc les contributions en annexe). Puis de se donner les moyens d’une politique alternative, en particulier par la constitution d’un monopole bancaire public.
Sur la dette elle-même, notre position (celle de notre congrès) est celle de « l’annulation de la dette illégitime ». Mais se contenter de répéter ceci ne fera pas avancer d’un pouce dans cette direction. Le peuple grec s’est levé contre la politique assassine de la troïka. Il l’a rejetée d’une manière très claire et massive. Il n’a pas manqué de groupes révolutionnaires appelant de leur côté à annuler la dette. Mais la jonction entre les deux ne s’est pas faite, au moins dans l’immédiat. C’est qu’il ne suffit pas de résister d’un côté et de fixer le but de l’autre. Deux choses évidemment indispensables, mais qui ne sont pas grand-chose en définitive sans les moyens de les relier par des mobilisations transitoires. Je ne prétends certes pas que le fait de proposer les voies transitoires adéquates suffirait pour que l’issue en Grèce ou ailleurs soient différente que ce que l’on sait. Ceci dépend de bien d’autres éléments constitutifs du rapport de force global, et bien plus importants. J’ai défendu déjà combien m’était étrangère l’idée que « la bonne ligne » avec « le bon texte » feraient l’avenir radieux. Mais cela au moins dépend de nous.
En l’occurrence le point majeur, central, décisif, est celui de l’engagement du peuple dans le contrôle « d’en bas ». Cette volonté de maîtrise démocratique est ce qui ressort de tous les axes mis en avant par les Indignés dans chaque pays. Mais que peut-on contrôler exactement ? La seule issue est la suivante. Un, on arrête de payer. C’est la condition pour stopper la spirale des mesures antisociales de plus en plus brutales. C’est donc un moratoire. Deux, on veut savoir où est passé cet argent. C’est l’audit populaire. Nous connaissons nous NPA la réponse pour l’essentiel. Mais nous sommes prêts à le vérifier publiquement, par la mobilisation populaire appuyée sur la fin du secret financier. Certes nous savons (et nous le disons) que tout ceci est impossible sans une confrontation majeure avec les institutions politico-financières nationales et internationales. Quant au PS et ceux qui seront alliés éventuellement avec lui au gouvernement, nous savons d’ores et déjà qu’ils n’en seront pas. Mais ces pas indispensables sont pourtant ceux que devront faire tous ceux et toutes celles qui cherchent vraiment à sortir de la crise de la dette. Nous sommes prêts à faire ces pas avec toutes celles et tous ceux qui s’engageront dans cette voie, même s’ils ne partagent pas avec nous toutes nos analyses et toutes nos solutions, et quel que soit leur vote conjoncturel en 2012.
Pour le NPA comme pour tout le monde désormais : c’est au pied du mur qu’on voit le maçon.
Samy Johsua
Annexe 1 : Lénine
La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer (Extraits)
C’est un fait. On peut affirmer en toute certitude que vous ne trouverez pas un seul discours, un seul article de journal de quelque tendance qu’il soit, une seule résolution d’une assemblée ou d’une institution quelconque, qui ne reconnaisse en termes parfaitement clairs et précis la nécessité de la mesure de lutte fondamentale, essentielle, propre à conjurer la catastrophe et la famine. Cette mesure, c’est le contrôle, la surveillance, le recensement, la réglementation par l’État ; la répartition rationnelle de la main d’œuvre dans la production et la distribution des produits, l’économie des forces populaires, la suppression de tout gaspillage de ces forces, qu’il faut ménager. Le contrôle, la surveillance, le recensement, voilà le premier mot de la lutte contre la catastrophe et la famine. Personne ne le conteste, tout le monde en convient. Mais c’est justement ce qu’on ne fait pas, de crainte d’attenter à la toute-puissance des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, aux profits démesurés, inouïs, scandaleux qu’ils réalisent sur la vie chère et les fournitures de guerre (et presque tous « travaillent » aujourd’hui, directement ou indirectement, pour la guerre) profits que tout le monde connaît, que tout le monde peut constater et au sujet desquels tout le monde pousse des « oh ! » et des « ah ! ».
Et l’État ne fait absolument rien pour établir un contrôle, une surveillance et un recensement tant soit peu sérieux.
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Accablés par les charges extrêmes et les calamités de la guerre, souffrant dans une plus ou moins grande mesure du marasme économique et de la famine, tous les États belligérants ont depuis longtemps établi, défini, appliqué, essayé toute une série de mesures de contrôle, qui, presque toujours, reviennent à associer la population, à créer ou encourager des associations de toute sorte, surveillées par l’État, auxquelles participent ses représentants, etc. Toutes ces mesures de contrôle sont universellement connues, on en a beaucoup parlé et on a beaucoup écrit à leur sujet ; les lois sur le contrôle, édictées par les puissances belligérantes avancées, ont été traduites en russe ou exposées en détail dans la presse russe.
Si notre gouvernement voulait réellement appliquer le contrôle de façon sérieuse et pratique, si ses institutions ne s’étaient pas condamnées, par leur servilité envers les capitalistes, à une « inaction totale », l’État n’aurait qu’à puiser des deux mains dans l’abondante réserve des mesures de contrôle déjà connues, déjà appliquées. Le seul empêchement à cela, empêchement que les cadets, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks dissimulent aux yeux du peuple, a été et reste que le contrôle mettrait en évidence les profits fabuleux des capitalistes et leur porterait atteinte.
Pour mieux faire comprendre cette question capitale (qui est en somme la question du programme de tout gouvernement vraiment révolutionnaire, désireux de sauver la Russie de la guerre et de la famine), nous allons énumérer ces principales mesures de contrôle et les examiner l’une après l’autre.
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Ces principales mesures sont :
1. La fusion de toutes les banques en une seule dont les opérations seraient contrôlées par l’État, ou la nationalisation des banques.
2. La nationalisation des syndicats capitalistes, c’est-à-dire des, groupements monopolistes capitalistes les plus importants (syndicats du sucre, du pétrole, de la houille, de la métallurgie, etc.).
3. La suppression du secret commercial.
4. La cartellisation forcée, c’est-à-dire l’obligation pour tous les industriels, commerçants, patrons en général, de se grouper en cartels ou syndicats.
5. Le groupement obligatoire ou l’encouragement au groupement de la population en sociétés de consommation, et un contrôle exercé sur ce groupement.
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Mais voilà précisément l’exemple qui nous permettra, peut-être, de comparer le mieux les méthodes bureaucratiques réactionnaires de lutte contre la catastrophe, qui tendent à réduire les réformes au minimum, aux méthodes démocratiques révolutionnaires qui, pour mériter leur nom, doivent se proposer nettement comme tâche de rompre par la violence avec les vieilleries périmées et d’accélérer le plus possible la marche en avant.
La carte de pain, ce modèle classique de réglementation de la consommation dans les États capitalistes d’aujourd’hui (dans le meilleur des cas) se propose et réalise une seule tâche : répartir la quantité disponible de pain, de façon que tout le monde en soit pourvu. Le maximum de consommation n’est pas établi pour tous les produits, tant s’en faut, mais seulement pour les principaux produits « d’usage courant ». Et c’est tout. On ne se préoccupe pas d’autre chose. Bureaucratiquement, on fait le compte du pain disponible, on divise le total obtenu par le nombre d’habitants, on fixe une norme de consommation, on la décrète et on s’en tient là. On ne touche pas aux objets de luxe puisque, « de toute façon », il y en a peu et ils sont d’un prix qui n’est pas à la portée du « peuple ». C’est pourquoi, dans tous les pays belligérants, sans exception aucune, même en Allemagne, pays que l’on peut, je crois, sans crainte de contestation, considérer comme le modèle de la réglementation la plus ponctuelle, la plus méticuleuse et la plus stricte de la consommation, même en Allemagne on voit les riches déroger constamment, aux « normes » de consommation, quelles qu’elles soient. Cela aussi, « tout le monde » le sait, « tout le monde » en parle avec un sourire ironique ; on trouve constamment dans la presse socialiste allemande, et parfois même dans la presse bourgeoise, malgré les férocités d’une censure dominée par l’esprit de caserne, des entrefilets et des informations sur le menu des riches. Ceux-ci reçoivent du pain blanc à volonté dans telle ou telle ville d’eaux (laquelle est fréquentée, sous prétexte de maladie, par tous ceux.... qui ont beaucoup d’argent) ; ils consomment, au lieu de produits d’usage courant, des denrées de choix, rares et recherchées.
L’État capitaliste réactionnaire, qui craint d’ébranler les fondements du capitalisme, les fondements de l’esclavage salarié, les fondements de la domination économique des riches, craint de développer l’initiative des ouvriers et des travailleurs en général ; il craint d´« attiser » leurs exigences. Un tel État n’a besoin de rien d’autre que de la carte de pain. Un tel État, quoi qu’il fasse, ne perd pas de vue un seul instant son objectif réactionnaire : consolider le capitalisme, ne pas le laisser ébranler, limiter la « réglementation de la vie économique » en général, et de la consommation en particulier, aux mesures absolument indispensables pour assurer la subsistance du peuple, en se gardant bien de réglementer effectivement la consommation par un contrôle sur les riches, qui leur imposerait, à eux qui sont mieux placés, privilégiés, rassasiés et gavés en temps de paix, des charges plus grandes en temps de guerre.
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L’émission de papier-monnaie en quantité illimitée encourage la spéculation, permet aux capitalistes de gagner des millions et entrave considérablement l’élargissement, pourtant si nécessaire, de la production, car la cherté des matériaux, des machines, etc., augmente et progresse par bonds. Comment remédier à la situation alors que les richesses acquises par les riches au moyen de la spéculation restent dissimulées ?
On peut établir un impôt progressif sur le revenu, comportant des taxes très élevées sur les gros et très gros revenus. Cet impôt, notre gouvernement l’a établi à la suite des autres gouvernements impérialistes. Mais il est dans une notable mesure une pure fiction et reste lettre morte ; car, premièrement, l’argent se déprécie de plus en plus vite, et, deuxièmement, la dissimulation des revenus est d’autant plus grande qu’ils ont davantage leur source dans la spéculation et que le secret commercial est mieux gardé.
Pour rendre l’impôt réel et non plus fictif, il faut un contrôle réel, qui ne soit pas simplement sur le papier. Or, le contrôle sur les capitalistes est impossible s’il reste bureaucratique, car la bureaucratie est elle-même liée, attachée par des milliers de fils, à la bourgeoisie. C’est pourquoi, dans les États impérialistes de l’Europe occidentale monarchies ou républiques, peu importe l’assainissement des finances n’est obtenu qu’au prix de l’introduction d’un « service obligatoire du travail », qui équivaut pour les ouvriers à un bagne militaire ou à un esclavage militaire.
Le contrôle bureaucratique réactionnaire, tel est le seul moyen que connaissent les États impérialistes, sans en excepter les républiques démocratiques, la France et les États-Unis, pour faire retomber les charges de la guerre sur le prolétariat et les masses laborieuses.
La contradiction fondamentale de la politique de notre gouvernement, c’est justement qu’il est obligé, pour ne pas se brouiller avec la bourgeoisie, pour ne pas rompre la « coalition » avec elle, de pratiquer un contrôle bureaucratique réactionnaire, qu’il qualifie de « démocratique révolutionnaire », en trompant constamment le peuple, en irritant, en exaspérant les masses qui viennent de renverser le tsarisme.
Or, ce sont précisément les mesures démocratiques révolutionnaires qui, en groupant dans des associations les classes opprimées, les ouvriers et les paysans, c’est-à-dire les masses, permettraient d’établir le contrôle le plus efficace sur les riches et de combattre avec le plus de succès la dissimulation des revenus.
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La question se ramène toujours à ceci : la domination de la bourgeoisie est inconciliable avec la démocratie authentique, véritablement révolutionnaire. Au XXe siècle, en pays capitaliste, on ne peut être démocrate révolutionnaire si l’on craint de marcher au socialisme.
Annexe 2 : Propositions Isy Johsua
Voir sur ESSF (article 22522) le texte complet : Crise : l’heure de vérité
Ce n’est pas ici le lieu d’énoncer l’intégralité d’un programme qui passerait en revue toutes les mesures nécessaires, certaines qui découlent directement de la situation actuelle, d’autres qui en sont la conséquence logique, d’autres encore qui s’attaquent au système capitaliste dans ce qu’il a de plus fondamental. Cela serait utile, mais le feu est à la maison et il faut mettre en œuvre l’indispensable quitte à ce que, à partir de là, d’autres voies soient ouvertes sur un autre horizon. Il faut – priorité des priorités – éteindre l’incendie de la dette. Il faut – geste de survie – maîtriser la finance, l’empêcher de nuire, une bonne fois pour toutes. Il faut – préparation de l’avenir - jeter les bases d’un redémarrage, de façon à assurer l’emploi.
L’urgence absolue est de faire face au problème de la dette publique. Trois points sont essentiels : 1) quel que soit le pays, il faut décréter un moratoire sur la dette existante et la soumettre à un audit, pour porter un jugement circonstancié et déterminer quelles dettes seront remboursées et quelles ne le seront pas. Une partie substantielle de la dette, cela est clair, devra être répudiée. Le reste sera soumis à restructuration :
rééchelonnement, réduction, plafonnement, etc. 2) réformer dans les plus brefs délais les statuts de la BCE, pour permettre le financement monétaire du déficit public (achat par la BCE des titres de la dette publique lors de leur émission). La BCE procède déjà à des achats de tels titres, mais il s’agit surtout du « marché de l’occasion », où les titres achetés par les banques sont revendus. Ce qui permet aux banques, tout à la fois, d’exiger une prime de risque lors de l’achat du titre et d’être assurées ensuite de pouvoir le revendre. Le financement monétaire du déficit enlèverait son pouvoir de chantage à la finance. 3) En matière de déficit public, il faut redresser la situation, surtout s’il faut renoncer aux fonds fournis par les marchés. Une réforme fiscale d’ampleur s’impose, pour revenir sur les avantages consentis aux patrons et taxer fortement les hauts revenus, les profits des sociétés et les patrimoines des riches.
La crise l’a montré de façon éclatante…. et désastreuse : il faut ligoter la finance . Ce qui, outre l’interdiction de la titrisation des créances et des fonds spéculatifs, implique la levée du secret bancaire, la chasse aux paradis fiscaux et la constitution d’un grand pôle bancaire public, par nationalisation d’un nombre significatif de banques en position dominante. L’appareil bancaire doit être soumis à un contrôle sévère, la séparation entre banque de dépôts et banques d’affaires restaurée. Il faut taxer les transactions financières, instaurer le contrôle du mouvement des capitaux. Il faut interdire les ventes à découvert, qui permettent la spéculation sur titres. Il faut aussi placer les Bourses en position subordonnée, ce que nous pouvons obtenir par une taxation renforcée des plus-values, l’introduction d’un délai entre l’achat et la revente des actions ou carrément la non cessibilité des titres émis. Il faut enfin mettre les banques centrales et toutes les institutions financières sous le strict contrôle des pouvoirs publics.
Si l’on ne veut pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets, il faut rompre avec le modèle de la mondialisation libérale. Ce qui suppose bien des choses qu’on ne peut développer ici, qu’il s’agisse du droit de propriété de l’entreprise, d’une autre mondialisation (et d’une autre Europe), du périmètre des biens communs ou encore de la crise écologique. Mais l’indispensable, le socle à partir duquel bâtir, c’est un nouveau rapport salarial. En effet, il faut un nouveau partage de la valeur ajoutée, radicalement différent de l’actuel, pour assurer les bases d’un autre développement. Il faut aussi stabiliser le marché du travail, en rétablissant la prépondérance des CDI, en confinant les diverses formes du travail précaire, en encadrant strictement les licenciements. Il faut garantir les acquis sociaux, en finir avec les politiques d’austérité, reconstituer des services publics dignes de ce nom.
Voilà le plus urgent. L’accomplir serait déjà énorme, mais s’en tenir là serait illogique. Ne voit-on pas que derrière tel ou tel « excès » de la finance, il y a l’esprit d’un système, le capitalisme ? Ne voit-on pas que, derrière la mondialisation libérale, il y a encore et à nouveau les exigences d’un système, le capitalisme ? La crise actuelle a déjà suscité d’immenses souffrances dans le monde. Ses nouveaux développements sont, de ce point de vue, terriblement menaçants. Il est temps de tirer un trait, il est temps de changer d’horizon.
Annexe 3 : Propositions Henri Wilno
Voir sur ESSF (article 22554) le texte complet : Face aux derniers soubresauts de la crise : quelques éléments d’analyse
• Pour faire face au problème de la dette publique, quel que soit le pays, il faut décréter un moratoire sur la dette existante et la soumettre à un audit public, pour porter un jugement circonstancié et déterminer quelles dettes seront remboursées et quelles ne le seront pas. Une partie substantielle de la dette devra être répudiée. Le reste sera soumis à restructuration : rééchelonnement, réduction, plafonnement, etc.
• Il faut réformer les statuts de la Banque centrale européenne, pour mettre fin à son indépendance et permettre le financement monétaire du déficit public (achat par la BCE des titres de la dette publique lors de leur émission).
• En matière de déficit public, il faut redresser la situation par une réforme fiscale d’ampleur, pour revenir sur les avantages consentis aux plus riches et taxer fortement les hauts revenus, les profits des sociétés et les patrimoines des riches.
• Il faut ligoter la finance. Ce qui, outre l’interdiction de la titrisation des créances et des fonds spéculatifs, implique la levée du secret bancaire et l’instauration d’un contrôle du mouvement des capitaux accompagné d’une taxation des transactions financières. Il faut interdire définitivement les ventes à découvert, qui permettent la spéculation sur titres.
• Il faut enfin mettre toutes les institutions financières sous le strict contrôle de la société avec la constitution d’un grand pôle bancaire public par socialisation des banques sans indemnité ni rachat.
• Il faut reprendre aux patrons, par la hausse des salaires et une fiscalité redistributrice, les points de valeur ajoutée confisqués aux salariés depuis le début des années 80, afin d’assurer les bases d’un autre développement.
• Face aux licenciements supplémentaires qui s’annoncent, il faut stabiliser le marché du travail, en rétablissant la prépondérance des CDI et en interdisant les licenciements, d’abord dans les entreprises qui font des profits.
• Il faut garantir les acquis sociaux, en finir avec les politiques d’austérité pour enclencher une croissance sociale et écologique , reconstituer des services publics dignes de ce nom.
Ces points n’épuisent pas l’ensemble des revendications à l’ordre du jour, mais, au-delà des formulations, ils synthétisent ce qui semble le plus urgent pour faire face à une crise qui n’est pas seulement économique et produit en Europe des risques de décomposition sociale propices au regain de l’extrême-droite. Un combat idéologique le plus unitaire possible autour de ces axes est nécessaire. Mais, bien entendu, il serait illusoire de croire que de telles exigences s’imposeront par leur force intellectuelle : elles nécessiteront des mouvements sociaux d’ampleur pour faire plier les dominants et à terme faire dégager leurs représentants politiques au profit de gouvernements aussi fidèles aux intérêts des travailleurs que Sarkozy, Merkel et consorts (et Jospin en son temps) le sont aux intérêts des capitalistes