TOKYO, CORRESPONDANCE - Alors que les dettes américaine et européenne contribuent à l’effondrement des marchés financiers, celle du Japon continue de grossir sans susciter de mouvement de panique. C’est pourtant la plus grosse du monde, puisqu’elle représente 200 % du produit intérieur brut (PIB) et pourrait atteindre 892 000 milliards de yens (8 100 milliards d’euros) à la fin de l’exercice en cours.
Le coût de la reconstruction des dommages causés par la catastrophe du 11 mars contribue à sa hausse, même si le financement des deux premiers budgets qui lui sont consacrés, d’un total de 54 milliards d’euros, ne se fait pas par de nouvelle émission de bons mais par des prélèvements dans différentes réserves. Ces ressources ne sont pas inépuisables et les problèmes économiques causés par le séisme et le tsunami réduisent les rentrées fiscales.
En outre, le gouvernement reste englué dans de difficiles négociations avec l’opposition, majoritaire à la Chambre haute du Parlement, sur les textes permettant l’émission de bons nécessaires au financement de 40 % du budget de l’exercice 2011 qui a débuté le 1er avril. Dans ce contexte, les trois agences de notation Standard & Poor’s (S & P) Moody’s et Fitch ont abaissé en mai à « négatives » les perspectives sur les bons japonais. Ces bons sont évalués à Aa2 par Fitch et AA - par ses homologues.
La situation du Japon n’apparaît pas totalement négative et le pays a pour l’instant peu de chance de se retrouver dans la situation de la Grèce, avec une brusque hausse des taux d’intérêts des bons. Plus de 90 % de la dette est détenue par les investisseurs de l’Archipel, à commencer par les banques et la Japan Post, qui financent l’achat des bons avec l’importante épargne de la population - en lent déclin mais toujours à plus de 12 600 milliards d’euros, soit trois fois le PIB.
Réformer la fiscalité
Et puis le Japon reste l’un des principaux créanciers de la planète, notamment des Etats-Unis, avec des réserves de change de 1 151 milliards de dollars (806 milliards d’euros) fin juillet 2011.
En outre, si le gouvernement ne peut compter sur l’inflation, il a toujours la possibilité de réformer la fiscalité d’un pays où le poids de l’impôt ne dépasse pas 25,1 % du revenu national et où la taxe sur la consommation, dont la hausse est évoquée depuis plusieurs années, se situe à 5 %.
L’option fiscale, la plus souvent évoquée pour tenter d’améliorer la situation budgétaire japonaise, apparaît pourtant comme la plus difficile à mettre en œuvre. Ainsi le gouvernement prévoit autour de 117 milliards d’euros de nouvelles dépenses pour la reconstruction. Leur financement fait l’objet d’âpres débats car, à la différence des deux premiers plans, il pourrait passer par un recours à la dette. Le projet évoque également « des augmentations d’impôts pour une période limitée » mais reste vague à ce sujet. De fait, la cote de popularité du gouvernement ne dépasse pas les 20 % et des élections législatives anticipées pourraient intervenir dans les mois qui viennent.
Philippe Mesmer
* Article paru dans le Monde, édition du 11.08.11.| 10.08.11 | 16h03 • Mis à jour le 15.08.11 | 08h49.
La Banque du Japon tente d’enrayer l’envolée du yen
La Banque du Japon est intervenue sur le marché des changes, jeudi 4 août, afin de tenter d’enrayer l’envolée du yen. En coordination avec le gouvernement, la banque centrale a acheté des dollars, pour un montant tenu secret, deux jours après que la devise nippone a frôlé son plus haut niveau face au billet vert depuis la deuxième guerre mondiale. A quelques encablures du taux de change record de 76,25 yens pour un dollar, atteint le 17 mars après le séisme et le tsunami du 11 mars, qui avait déclenché une intervention du G7. Jeudi, après l’action des autorités monétaires nippones, le yen a reculé de 3 % pour revenir à 79,46 yens pour un dollar.
« Des mouvements unilatéraux renforçant le yen se sont produits récemment sur le marché des changes. Si cela continue, cela pourrait affecter négativement l’économie japonaise et la stabilité financière au moment où le Japon fait le maximum d’efforts pour se reconstruire après le désastre » du 11 mars, a expliqué le ministre des finances, Yoshihiko Noda. Il a jugé la hausse du yen - qui handicape les exportations - « excessive » et alimentée par des mouvements spéculatifs. Précisant que le Japon avait agi seul, jeudi, sur le marché des changes, il a néanmoins insisté sur la nécessité d’une coopération des membres du G7 voire du G20 pour infléchir la baisse du dollar, qui a provoqué cette flambée du yen.
La banque du Japon sait qu’en agissant unilatéralement - et non pas de manière coordonnée avec d’autres grandes banques centrales -, l’efficacité de son action risque d’être temporaire. Pour compléter le dispositif, elle a décidé, jeudi, d’accroître sa force de frappe sur les marchés. Elle va faire passer de 10 000 milliards de yens (87,7 milliards d’euros) à 15 000 milliards, la somme qu’elle s’autorise à consacrer à l’acquisition de bons du Trésor, d’obligations d’entreprises et autres titres, jusqu’à fin 2012. Ce programme mis en place en 2010 pour lutter contre l’inflation avait été renforcé après le 11 mars.
Transferts de placements
Le monde des affaires réclamait une initiative du gouvernement, évoquant les pertes induites par la hausse du yen et allant jusqu’à menacer de délocaliser. Le constructeur Nissan a ainsi évoqué l’appréciation de la devise nippone pour justifier le 4 août son intention de transférer une partie de sa production hors du Japon.
Les difficultés récentes des Etats-Unis à régler la question du relèvement du plafond de la dette, et la crise de l’endettement des Etats dans la zone euro ont incité les investisseurs sur les marchés financiers à transférer une partie de leurs placements en dollars et en euros vers des places financières un peu moins agitées comme le Japon, où ils espèrent profiter du rebond de la croissance due à la reconstruction du pays, ou encore la Suisse, à la croissance tranquille. Pour freiner la hausse du franc qui avait progressé de 10 % face à l’euro depuis le début de l’année, la banque nationale suisse est aussi intervenue, mercredi, en retirant des liquidités sur le marché. Mercredi, le franc suisse avait reculé de plus de 1 %.
Philippe Mesmer (à Tokyo) et Cécile Prudhomme
* Article paru dans le Monde, édition du 05.08.11. | 04.08.11 | 14h17 • Mis à jour le 15.08.11 | 08h49.