La crise économique mondiale est maintenant dans sa quatrième année. Ce n’est évidemment pas une récession cyclique « normale », mais une crise systémique d’une ampleur et d’un potentiel aussi destructeur que celui de la Grande Dépression des années 30. Comme cette dernière, la crise actuelle est longue et passe par différents stades – resserrement du crédit, krach financier, récession mondiale, et à présent une « reprise » marquée par un chômage de masse, la concurrence accrue entre les grandes puissances capitalistes et la crise de la dette souveraine. A gauche, il y a matière à débat sur les causes précises de la crise – doivent-elles être attribuées à la baisse tendancielle du taux de profit ou sont-elles limitées aux problèmes plus spécifiques générés par le néolibéralisme ? – mais il est clair qu’il sera difficile de surmonter la crise.
Ce qui a empêché la « Grande Récession » de 2008-2009 de se transformer en une récession aussi profonde que celle des années 30 est la volonté des classes dirigeantes des Etats capitalistes avancés d’accroître sensiblement les dépenses et les emprunts publics : en 2009, les déficits budgétaires ont augmenté de cinq pour cent par rapport au revenu national dans les économies avancées. Mais les classes dirigeantes ont rejeté les appels à rompre avec les politiques néolibérales qui ont contribué à précipiter la crise. Au lieu de cela, elles ont pointé l’augmentation des emprunts gouvernementaux causée par la crise comme un problème qui requiert de sévères mesures d’austérité, politique qui représente une radicalisation du néolibéralisme et qui menace la survie de l’Etat-providence. En Europe, cette politique est désormais imposée par la droite qui est maintenant au pouvoir presque partout.
Mais la crise continue de poser un grave danger politique aux classes dirigeantes en raison de l’intensification de la lutte de classe qu’elle peut provoquer. Ce danger s’est illustré dans le monde arabe avec les révolutions en Egypte et en Tunisie. Là, les privations matérielles intensifiées par la crise – le chômage de masse des jeunes, la hausse des prix alimentaires, etc. – se sont ajoutées à la haine accumulée contre des régimes corrompus, brutaux et misogynes soutenus par les Etats-Unis et l’UE. Le résultat en a été des explosions populaires incroyables dont l’avenir est incertain, mais qui ont remis la révolution à l’ordre du jour.
Bien que les révolutions arabes en soient les exemples les plus spectaculaires, il y a eu une recrudescence générale des luttes. 2010 a vu la lutte sur les retraites en France, les grèves générales au Portugal et en Espagne, des grèves générales à répétition en Grèce, des mouvements étudiants en Grande-Bretagne, en France et en Italie, et le mouvement contre la précarité au Portugal. Le mouvement du 15 mai en Espagne, initié par un appel pour la « démocratie réelle » et le refus d’être « des marchandises entre les mains des politiciens et des banquiers », a trouvé un écho chez des dizaines de milliers de personnes et avant tout des jeunes qui ont rapidement organisé leurs propres « places Tahrir » à travers tout le pays, s’engageant dans des actions de désobéissance civile auto-organisées et de plus en plus déterminées, attirant une sympathie indéniable, et avec la perspective de s’étendre à d’autres pays. Un mouvement similaire s’est développé en Grèce avec une dynamique qui combine grèves et rassemblements sur les places.
Le récent mouvement de défense des droits de négociation collective dans le Wisconsin montre que l’offensive pour imposer l’austérité a maintenant atteint les Etats-Unis, grâce notamment aux victoires remportées par les républicains, avec le soutien du mouvement Tea Party, aux élections de mi-mandat en novembre dernier. Mais ce mouvement montre aussi la combativité persistante de la classe ouvrière américaine. Le mouvement ouvrier dans les économies avancées a été affaibli par l’offensive néolibérale de la génération passée, mais les dernières attaques risquent de susciter un regain de militantisme.
Cette offensive majeure ne peut être combattue que grâce à la collaboration de la gauche anticapitaliste et d’un mouvement syndical combatif, pleinement démocratique, basé sur une forte participation de la base. Cela nécessite une rupture avec les politiques de collaboration de classe qui, trop souvent, dominent les syndicats, et qui trouvent leurs racines dans les pressions sociales qui s’exercent sur les responsables syndicaux pour à la fois représenter et contenir les luttes ouvrières.
Les conditions principales d’une telle rupture sont le développement de l’influence de la gauche anticapitaliste dans les syndicats, ainsi que le développement de la confiance et des capacités d’auto-organisation des travailleurs du rang.
Plus concrètement, nous devons :
• défendre les droits démocratiques et sociaux des travailleurs, des classes populaires et des jeunes contre l’austérité, être en toutes circonstances leur porte-parole, pour mener, notamment au sein des organisations syndicales, une politique indépendante du patronat, ainsi que des Etats et des gouvernements, quels qu’ils soient.
• Bien que partant de l’opposition inconditionnelle à la droite, nous poursuivons une critique politique implacable des partis soi-disant socialistes, travaillistes et sociaux-démocrates qui ont capitulé devant le néolibéralisme ;
• défendre dans les mobilisations, ainsi que sur le terrain électoral, comme au parlement, une alternative anticapitaliste pour offrir une perspective de rupture avec la société capitaliste, rupture qui ne peut être mise en œuvre que par un mouvement de l’ensemble de la population contestant le pouvoir absolu que l’oligarchie capitaliste exerce sur la société et posant la question d’un gouvernement démocratique des travailleurs et du peuple.
• mettre en œuvre la tactique du front unique de manière constante et créative afin de construire l’unité de la classe ouvrière pour la lutte et collaborer de manière critique avec toutes les forces politiques opposées à la politique néolibérale et avec les mouvements/syndicats qui résistent à la politique néolibérale.
Cette démarche est probablement la plus efficace quand elle repose sur une participation active dans la construction de la résistance aux politiques d’austérité. La gravité même de la crise signifie que cette résistance se confrontera à des questions idéologiques : avant tout, quelle est l’alternative à l’austérité ? Les classes dirigeantes occidentales ont rejeté le keynésianisme et la social-démocratie a refusé de le reprendre à son compte. La gauche anticapitaliste doit s’opposer aux coupes dans les services publics et à leur privatisation et mener campagne pour un audit de la dette. Mais elle doit aussi être prête à mettre en avant un programme alternatif qui commence à rompre avec la logique du profit – par exemple, avec la nationalisation des banques, de l’énergie, du rail, et des principales industries de services sous le contrôle démocratique des travailleurs, l’imposition progressive sur les revenus et les fortunes, l’annulation de la dette qui a été créée par la spéculation financière, l’investissement dans des « emplois climatiques » qui permettrait dans le même temps de réduire les émissions de CO2 et le chômage. Nous soutenons le peuple d’Islande dans sa détermination à refuser de payer la dette des banques en faillite.
La politique anticapitaliste doit continuer à aller de pair avec l’anti-impérialisme. L’impérialisme américain, déjà affaibli par sa débâcle en Irak, a été encore affaibli par les révolutions en Egypte et en Tunisie. Mais la résolution sur la Libye du Conseil de sécurité des Nations Unies a donné le feu vert à une intervention militaire occidentale visant à reconstruire le système étatique dominé par l’impérialisme au Moyen-Orient. La gauche radicale et révolutionnaire doit combiner soutien à la lutte contre le régime de Kadhafi et opposition à l’intervention militaire des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’OTAN qui se poursuit en Libye. Il est également nécessaire de continuer à faire campagne contre les occupations en Afghanistan et en Irak.
Une des nombreuses conséquences négatives de la « guerre contre le terrorisme » est l’élan qu’elle a donné au développement du racisme et de la xénophobie en Europe et aux États-Unis. Les attaques menées contre le multiculturalisme par des dirigeants comme Merkel, Sarkozy et Cameron donnent une respectabilité aux tentatives de l’extrême droite – que ce soit Geert Wilders aux Pays-Bas, Marine Le Pen en France, ou la Ligue de Défense Anglaise et ses alliés en Grande-Bretagne – de faire du racisme anti-musulman son axe principal pour se constituer une base populaire. Ailleurs en Europe, ce sont les Roms qui sont les principales cibles de l’offensive raciste. Construire une opposition large au racisme et à l’islamophobie, mettre en échec les tentatives des organisations fascistes pour se construire et sur le plan électoral et dans la rue sont parmi nos tâches les plus importantes.
Cela signifie reprendre l’offensive sur le terrain politique et social, mettre en œuvre une politique de solidarité des classes exploitées contre les classes dominantes qui cherchent à diviser pour mieux imposer leurs politiques. Les capitulations et les reculs créent un climat de démoralisation qui ouvre la voie à une offensive idéologique réactionnaire. Reprendre l’offensive sur le terrain social signifie aussi construire une nouvelle conscience de classe socialiste.
Il est clair que la situation exige beaucoup de la gauche radicale et révolutionnaire. Nous avons donc à construire nos propres organisations pour accroître notre capacité à répondre à ces exigences – gagner de nouveaux militants à nos rangs et approfondir nos racines dans les milieux ouvriers. Nous pouvons également nous renforcer en collaborant davantage. La gauche anti-capitaliste doit se mettre au niveau de l’organisation internationale du capitalisme. Nos forces sont limitées, mais elles sont plus grandes lorsqu’elles sont combinées. Au travers de rencontres et de discussions, nous pouvons aboutir à des initiatives et des actions communes et, nous l’espérons, définir les bases politiques d’un regroupement anticapitaliste européen.
Dans cet esprit, nous soutenons les initiatives suivantes et y interviendrons ensemble chaque fois que possible :
– Le 16 juillet : mobilisation de la campagne ASSEZ contre le FMI à Dublin
– Le 1er octobre : conférence européenne contre l’austérité et les privatisations à Londres
– Le 15 octobre : appel du mouvement Indignatos pour des actions contre l’austérité partout en l’Europe
– Le 1er novembre : mobilisation contre le sommet du G20 en France
Organisations signataires :
Belgique : Ligue Communiste Révolutionnaire-Socialistische Arbeiderspartij (LCR/SAP)
Croatie : Radnicka Borba
Danemark : Red-Green Alliance
France : Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA)
Grande Bretagne : Counterfire - Socialist Workers Party (SWP) – Socialist Party - Socialist Resistance
Grèce : Anticapitalist Political Group (APO) - Sosialistiko Ergatiko Komma (SEK)
Irlande : People Before Profit – Socialist Workers Party (SWP) – Socialist Party
Pays-bas : Internationale Socialisten - Socialist Alternatieve Politics
Pologne : Polish Labour Party (PPP)
Portugal : Bloco de Esquerda
Ecosse : Scottish Socialist Party (SSP)
Etat Espagnol : En Lucha - Izquierda Anticapitalista - Partido Obrero Revolucionario (POR)
Suède : Socialist Party
Suisse : Solidarités