Fidèle aux consignes de l’Europe et du FMI, le Premier ministre Papandreou a voulu la semaine passée proposer un gouvernement d’union nationale, en acceptant de ne pas le diriger. Cela a provoqué une surenchère de la droite et une rébellion de toute la direction du Pasok, non pour proposer une alternative, mais par crainte de tout perdre. Résultat de ces heures qualifiées de dramatiques par la presse : la farce s’est conclue par un très pâle remaniement, qui voit tous les courants du Pasok (même ceux qui renâclaient… en paroles) représentés dans les postes ministériels. Et, dans un dernier bluff, Papandreou annonce un référendum en septembre… sur de prétendues grandes orientations.
Mais en fait, dès cette semaine, l’enjeu, rappelé dimanche par les donneurs d’ordre de l’UE et du FMI, c’est l’imposition de nouvelles mesures draconiennes (impôts, privatisations, baisse des salaires), pour obtenir la 5e tranche (12 milliards d’euros) du plan « d’aide » et un éventuel nouveau prêt de 100 milliards. La réalité de cette « aide » est que désormais un chômeur sur deux le reste pour une longue durée, et cela dans tous les secteurs.
La grève du 15 juin
La grève générale, même dans le cadre voulu par les bureaucrates, a encore été massive, avec jusqu’à 100 % de grévistes dans les entreprises publiques menacées de privatisation. Les manifs ont été partout énormes, faisant le lien avec le mouvement des indignés. À Athènes, la jonction a été clairement faite, et on a vu coude à coude des jeunes et des travailleurs tenter de renverser les grilles placées par les flics pour empêcher tout blocage du Parlement. Mais ce qu’il faut aussi souligner, c’est l’impressionnante réponse donnée par le mouvement à une inquiétante provocation (de secteurs de la police ? Du gouvernement ?) : des incidents violents ont été orchestrés par des flics en civil (selon tous les témoignages), avec comme objectif de vider la place Syntagma, occupée depuis quatre semaines. Malgré le danger (jets de lacrymos y compris sur le coin médical du campement), les provocateurs ont été repoussés, et le soir même, la place revenait aux indignés ! Et dimanche soir, pour la nouvelle journée européenne d’occupation des places, une partie des 10 à 20 000 présents débattait sur la démocratie et les perspectives. C’est moins que les autres fois, certes, mais cela se passait entre les deux temps forts constitués par le succès du 15 juin et les manifs qui s’annoncent pour mardi, jour du vote de confiance au Parlement !
Perspectives
Ce mouvement intergénérations impressionne par sa force, à l’échelle de tout le pays (y compris avec aujourd’hui une vingtaine de « mouvements » sur des places de quartiers ou de banlieues d’Athènes). Cela dit, les faiblesses existent. Le KKE (communistes) garde une attitude sectaire et organise ses propres rassemblements de son côté. L’extrême droite nationaliste bien que très minoritaire a été assez visible dimanche soir et pourrait marquer des points si le mouvement piétine. Il existe des risques de surestimation d’un mouvement très faible encore quant aux perspectives politiques. L’urgence est donc d’approfondir le lien entre mouvement ouvrier organisé et les indignés : que ce soit mardi 21 juin ou la semaine suivante (grève générale de 48 heures !), la perspective sociale et politique à mettre en avant est celle de la grève générale reconductible.
Andreas Sartzekis, Athènes, le 20 juin
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 108 (23/06/11).
FMI, Banque centrale européenne, Union européenne, ils veulent saigner le peuple grec
Malgré un plan d’austérité aux conséquences dramatiques pour la population, la crise est loin d’être terminée. Aujourd’hui, les classes dirigeantes craignent un effet domino. La seule solution est l’annulation de la dette.
Il y a encore quelques jours, Evangélos Vénizélos était au service des marchands d’armes. Ministre de la Défense, il annonçait par exemple, en février, l’achat à Israël de bombes « guidées » SPICE pour équiper les chasseurs aériens grecs. 100 millions d’euros viendront ainsi gonfler la lourde facture militaire de la Grèce, 5e importateur mondial d’armement. Vénizélos vient d’être nommé vice-Premier ministre et ministre des Finances à l’occasion d’un remaniement gouvernemental visant uniquement à resserrer les rangs du Pasok pour faire passer un nouveau plan d’austérité au Parlement, le 28 juin. L’homme a bien compris sa mission : « Je quitte le ministère de la Défense pour entrer dans une véritable guerre. » Celle que Papandréou et l’Union européenne ont déclenchée contre le peuple grec. Et pour que les choses soient plus claires encore, le FMI a demandé lundi aux dirigeants européens de cesser leurs « enfantillages improductifs », puis a réécrit leur dernier communiqué sous forme d’ultimatum.
Chacun joue donc bien sa partition. Mais la symphonie déraille. L’effet récessif des plans de rigueur est plus important que ne l’avaient estimé les autorités. Le PIB grec diminue pour la troisième année consécutive (-2 % en 2009, -4,5 % en 2010, -3,1 % prévu en 2011), tandis que le taux de chômage s’envole à 16 %. Contrairement à ce qui était prévu, l’État grec ne pourra pas emprunter sur les marchés financiers en 2012. Le pseudo-plan de sauvetage mis en place par l’Union européenne est donc un échec.
Avant son adoption, le taux d’intérêt des emprunts publics à deux ans culminait à 6,5 %. Il atteignait 12 % début 2011, 20 % en avril et... 30 % ces derniers jours. Les dirigeants européens savent que la restructuration est inévitable. Seuls le calendrier et les modalités font actuellement l’objet de négociations. Angela Merkel explique depuis sept mois que les créanciers privés doivent contribuer au coût de la restructuration de la dette. Aujourd’hui, tout en réaffirmant que cette contribution doit être « substantielle », elle précise qu’il n’existe « aucune base légale pour une participation obligatoire » des créanciers. Pourquoi ?
Les dirigeants tentent de trouver une issue sans légitimer les revendications des indignés de tous pays en faveur de la réquisition des banques ou d’une répudiation des dettes publiques. Les classes dominantes aimeraient toutefois limiter la contagion de la crise. Or, la plupart des titres de créance grecs sont détenus par des banques européennes. Celles-ci ont encore le droit de valoriser ces créances à leur coût d’acquisition. Mais cette fiction comptable va bientôt se dissiper, provoquant des effets systémiques que nul ne peut évaluer avec certitude. Une des sources d’inquiétude provient des « produits dérivés » de la dette grecque. N’étant pas téméraires, les acheteurs de titres souverains ont acquis des assurances (les CDS : Credit Default Swap) afin de se protéger contre le risque de défaut. Mais dans le merveilleux monde de la finance globalisée, l’assureur est diffus : c’est en fait un ensemble de spéculateurs.
Effet boule de neige
La restructuration grecque pourrait donc avoir des répercussions en cascade, comme en 2008 lorsque la crise des subprimes avait été démultipliée par la « titrisation ». Pour éviter un tel scénario, les dirigeants insistent sur l’idée que la restructuration doit se faire « sur une base volontaire ». En effet, avant de rembourser un assuré, tout assureur vérifie que le risque n’a pas été encouru volontairement mais provient bien d’un événement non prévu. En acceptant que son débiteur le rembourse moins, un créancier perdrait donc sa couverture d’assurance. L’effet boule de neige serait évité. C’est du moins ce que souhaite le président de la BCE, Jean-Claude Trichet. Mais l’interprétation du caractère « volontaire » de la restructuration est entre les mains d’une association internationale (l’ISDA), composée... de banquiers et financiers.
Quand bien même le risque lié aux CDS serait neutralisé, la propagation pourrait emprunter d’autres canaux. L’accélération de la crise grecque intervient dans un contexte très tendu. En Espagne, début juin, la plus grande banque du pays (Santander) n’est parvenue à placer que la moitié de son émission obligataire d’un milliard d’euros. Quelques jours plus tard, Telefonica a dû annuler l’introduction en Bourse d’une de ses filiales. La semaine dernière, les titres publics belges, puis italiens, ont été rétrogradés par les agences de notation. La crise va se poursuivre. L’urgence politique est d’unifier les mouvements pour l’annulation des dettes illégitimes et de montrer qu’une issue progressiste implique la remise en cause de la libre circulation des capitaux et de la propriété privée du système bancaire.
Philippe Légé
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 108 (23/06/11).
De nouveaux reculs sociaux imposés au peuple grec
Communiqué du NPA
Le gouvernement socialiste de Papandréou vient de faire adopter de justesse son nouveau plan d’austérité. C’était la condition imposé par l’Union européenne (UE) et les organismes financiers internationaux pour bénéficier de la 5e tranche du plan d’aide de 110 milliards d’euros.
En échange de 12 milliards d’euros, le parlement va infliger au peuple grec une nouvelle cure d’austérité, de nouveaux reculs sociaux.
Privatisations, licenciements dans le secteur public de 150 000 fonctionnaires -soit plus d’un cinquième des effectifs-, réduction des salaires, des retraites, des allocations sociales, augmentation de la TVA, des tarifs du gaz, notamment : ce ne sont que quelues-unes des mesures prévues par ce plan.
En saccageant le pouvoir d’achat et le niveau de vie des salariés, des précaires et des chômeurs, le gouvernement grec, l’UE, le FMI, la Banque européenne veut imposer 28, 4 milliards d’euros d’économies. A l’austérité, s’ajoutent les privatisations à hauteur de 50 milliards d’euros.
La Grèce n’est que la pointe avancée de l’offensive des capitalistes, des banquiers qui veuelent faire payer leur crise aux peuples. D’autres pays d’Europe sont menacés du même sort.
Le mouvement des indignés expriment à sa façon le refus du système capitaliste qui fonctionne pour le profit de quelques-uns au détriment des besoins de la population.
Il faut se donner les moyens d’arrêter ce massacre, unir nos efforts pour construire des mobilisations à l’échelle du continent européen.
Le 22 juin 2011.
Chronologie grecque 2010-2011
• 2010 mars : plan d’austérité (hausse des impôts et baisse des salaires des fonctionnaires).
• 2010 05/05 : grève générale quasi insurrectionnelle et quasi totale dans le public et forte dans le privé, avec la plus massive des manifestations depuis la période de l’après-junte militaire (tombée en 1974). Mort des trois employés de banque dans l’incendie provoqué par un cocktail Molotov, dont on ne sait pas si son jet est le fruit d’une provocation policière ou fasciste ou du crétinisme meurtrier d’un groupuscule de la mouvance autonome.
• 2011 11/05 : Les mesures d’austérité plongent la Grèce dans la recession (- 6,6% de croissance en 2010). Grève générale. Des manifestations ont lieu dans toutes les grosses villes. A Athènes, 40 000 travailleurs et jeunes défilent. Violence policière à Athènes : une charge sans prétexte envoie une centaine de manifestants à l’hôpital, tous frappés à la tête, avec un militant entre la vie et la mort.
• 2011 25/05 : début de l’occupation de la place Syntagma (Parlement, Athènes), ainsi que des places dans des dizaines de villes, par un rassemblement populaire massif.
• 2011 05/06 : La dynamique sociale change radicalement. Après les les mouvements syndicaux, une nouvelle couche de la population, essentiellement composée de jeunes, entrent dans le mouvement, inspirée par les protestations des indignés en Espagne. Plus de 300 000 manifestants descendent sur la place Syntagma à Athènes. Les indignados grecs manifestent contre le « mémorandum » de la troïka (gouvernement, FMI, UE), un accord secret qui comprend des mesures d’austérité lourdes. La dette publique de la Grèce est de 140 % de son PIB. Toutes les mesures d’allègement ou de restructuration pouvant heurter les banquiers sont rejetées par le gouvernement et les institutions internationales.
• 2011 15/06 : grève générale contre les mesures d’austérité et privatisations. 200 000 manifestants répondant à l’appel des syndicats et des Indignés encerclent pacifiquement le Parlement à Athènes. Plus grande manifestation depuis la fin de la dictature des colonels.
* Préparée par Inprecor.
Grèce, après la grève
Après la grève très suivie du 20 mai, les perspectives d’une mobilisation unitaire semblent renvoyées aux calendes grecques.
Même si les avions volaient (les contrôleurs du ciel n’ont pas fait grève, pour ne pas entraver le tourisme, à la suite de la campagne alarmiste du gouvernement), la nouvelle grève générale du 20 mai a été quasiment aussi suivie que celle du 5 mai : cela en dit long sur la colère de la population. Les manifs dans toutes les villes du pays étaient très fortes et à Athènes, le cortège principal a rassemblé bien au-delà de 50 000 personnes.
En plus de la bataille contre les mesures déjà votées, la confédération du privé GSEE et la Fédération du secteur public Adedy appelaient aussi contre le projet de loi réformant le régime des retraites, repoussées d’au moins trois ans. La colère était dans les slogans et sur les panneaux. Les enseignants (primaire et secondaire) formaient un très gros bloc avec leurs syndicats, et une nouvelle fois, des syndicats de base exigeaient la poursuite des mobilisations. Beaucoup de monde aussi avec la gauche radicale et anticapitaliste, qui défilait derrière les syndicats de base.
La manifestation a rendu hommage aux trois travailleurs morts le 5 mai, asphyxiés par des molotov dans l’incendie de leur agence bancaire, au pied de laquelle étaient déposées fleurs et couronnes. Déjà très provocatrice avant cette tragédie, la police se déchaîne depuis, ce qui a valu à différents militants d’être embarqués par les prétoriens, sans raison fondée évidemment : simples arrestations préventives… de militants syndicaux et politiques, dont des membres de Syriza et d’Antarsya ! Le regroupement de gauche anticapitaliste Antarsya, qui a eu l’« honneur » de voir son cortège massif encadré par les Rambo, dénonce ce climat policier très inquiétant.
Alors que la situation générale exige la constitution d’un large front de riposte unitaire, Pame, le regroupement syndical du KKE (PC grec), a manifesté une nouvelle fois à part (et loin du Parlement) et a tout fait pour ne plus être là quand allait arriver la manif principale ! Il semble que les dirigeants du KKE aient craint deux choses : la combativité de leurs militants, qui n’étaient pas les derniers à dénoncer les députés le 5 mai devant le Parlement, et la crainte que se répètent les rapprochements entre cortèges qui s’étaient opérés les 5 et 6 mai. On mesure le gâchis : alors que le KKE a réussi le 15 mai un rassemblement national de 20 à 30 000 manifestants à Athènes, son positionnement sectaire pèse sur la suite des mobilisations.
Cela ne peut qu’arranger les directions syndicales nationales, liées au Pasok, aujourd’hui sous une forte pression de leur base : l’absence d’unité est une entrave pour la seule perspective réaliste, la grève reconductible. Les bureaucrates, face à cette forme de mobilisation impliquant l’auto-organisation, risquent de ne proposer que de nouvelles journées de grève nationale, renvoyant ainsi aux calendes grecques le passage à une forme supérieure de mobilisation indispensable.
Andreas Sartzekis
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 57 (27/05/10).