Sur les 27 États que comptent l’Inde, ces cinq États occupent un cinquième des sièges à la Chambre basse du Parlement national [1].140 millions d’Indiens étaient appelés aux urnes. Avec ces résultats et la nomination des Premiers ministres, un tiers du pays est gouverné par des femmes.
C’est la défaite du Parti Communiste Indien PCI (M) dans le Bengale de l’Ouest qui est très remarquée. Vainqueur des élections en 77, il a dirigé l’État du Bengale de l’Ouest depuis plus de 30 ans. Sans rentrer au gouvernement fédéral, il avait soutenu la coalition menée par le Parti du Congrès notamment pour faire face au gouvernement national du BJP, parti de la droite nationaliste hindou. Il s’est ensuite retiré du soutien parlementaire à cette coalition. Après avoir enregistré des scores électoraux historiques en 2004, il s’est nettement affaibli aux élections à l’assemblée nationale en 2009 pour subir le revers d’aujourd’hui.
Ces élections régionales étaient un test pour la coalition gouvernementale nationale de centre gauche [2], menée par le Congrès. Bien qu’il semblait avoir perdu toute crédibilité dans des scandales de corruption et dans sa capacité à contrôler les prix, les élections ont été favorables à sa coalition sauf dans un État.
En même temps, les élections ont réellement une dimension régionale, car les coalitions sont formées autour d’un parti « leader », qui n’a pas forcément une implantation nationale. C’est donc d’abord ces alliances qui ont gagné les élections.
Au Bengale, recul historique du Parti Communiste Indien (PCI (M)) Marxiste
Le scrutin s’est étalé du 18 avril au 10 mai. Les résultats sont désastreux pour le PCI (M) soit 62 sièges pour la coalition du Front de Gauche qu’il conduisait contre 226 au profit de la coalition régionale conduite par le Trinamool (TMC) [3].
Au pouvoir depuis 34 ans dans l’État du Bengale occidental, le Parti Communiste Indien Marxiste [4] y avait jusqu’à présent remporté toutes les élections. C’est une défaite historique : le déclin de l’un des derniers grands partis communistes « traditionnels ». Il marquait sa différence en n’ayant choisi ni le ralliement à l’URSS, ni à la Chine.
Le Parti Communiste victime de sa propre politique…
Lancé par le Parti communiste en 1978, le mouvement de réforme agraire a permis la mise en place d’un registre légal pour les métayers afin d’empêcher l’exploitation des propriétaires terriens et de garantir un accès à la propriété de la terre.
Or, depuis plusieurs années, le gouvernement du Bengale a défendu une politique économique libérale. Il a permis l’ouverture de zones franches économiques aux industriels, aux capitalistes indiens ou étrangers. Il a organisé la main mise sur les terres des paysans et l’expropriation pour des projets privés, et non pas publics.
C’est le gouvernement qui a organisé la répression des manifestants de Singur, Nandigram et Lalgarh. En 2007, lors des mobilisations contre la construction du complexe chimique à Nandigram [5], la police a tiré sur des manifestants et les cadres du Parti communiste au pouvoir ont molesté et violé des femmes. La répression des forces de l’ordre a fait plusieurs dizaines de morts. A Singur, les mouvements contre la confiscation des terres au profit de TATA ont conduit au renoncement de l’industriel à installer son usine automobile.
… au profit du parti régional du Trinamool
Ce parti est mené par la ministre fédérale des Chemins de fer, Mamata Banerjee. Aux élections législatives nationales de 2009, sur les 42 postes réservés au Bengale-Occidental, le Trinamool a conquis 19 sièges à la Chambre basse du Parlement fédéral, alors qu’il n’en avait qu’un seul aux élections de 2004. Depuis 2009, l’opposition avait commencé à grignoter des sièges, puis en 2010 aux élections municipales (Panchayat).
En ce qui concerne la répartition des candidats, l’alliance régionale TMC-Congress-SUCI s’est construite en termes « à prendre ou à laisser » pour le Congrès. Ce dernier a seulement 65 candidats dans 294 districts. Et certains sortants du Congrès, hostiles à cette alliance parce qu’éconduits, ont fait des candidatures indépendantes.
Quelle est la politique de Mamata Banerjee ?
La carrière militante et politique de Banerjee commence dans les années 70 au sein du mouvement étudiant du Congrès et ensuite d’un siège au parlement. Elle fonde son propre parti en dissidence de celui du Congrès.
Opportuniste, depuis 2009, elle fait partie de la coalition nationale dirigée par le Parti du Congrès où elle a reçu le portefeuille des chemins de fer. Poste qu’elle occupait aussi dans une coalition dirigée par le parti de droite nationaliste, le BJP.
Se débarrasser du Parti Communiste Indien est son principal programme. Considérée littéralement comme l’ennemi à abattre par le PCI (M), elle s’est retrouvée matraquée sévèrement par un cadre du PCI (M) dans les années 90. Elle fait régulièrement l’objet d’insultes machistes et humiliantes pour une femme politique, de la part de membres du PCI - M.
Elle s’est appuyée sur l’opposition des paysans à l’éviction de leur terre, notamment dans la lutte contre l’industriel Tata. Dans la logique « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », elle s’est retrouvé du côté des protestataires. Le PCI (M) l’accuse de faire front commun avec les naxalites tandis qu’elle annonce publiquement le renoncement à la guérilla de leaders naxalites et leur ralliement à son parti. Par ailleurs, le TMC courtise la communauté musulmane, qui représente plus d’un quart de la population bengalie.
Populiste, elle a fait son slogan “Ma, Maati, Manush” (La mère, la terre, le peuple), A l’intérieur de son propre parti, elle se comporterait en « dictateur ». Selon le secrétaire du TMC « la vision de l’avenir du Trinamool est inscrite dans le slogan ‘Shokolaer jonno kaaj chai, shokolaer paetey bhaat chai’ (Du travail et de la nourriture pour tous)”.
Elle n’est pas considéré comme une bonne gestionnaire vu le déficit budgétaire grandissant du secteur ferroviaire. Les cables de Wikileaks ont révélé que le consulat américain de Calcutta regardait sa victoire positivement parce qu’elle était de bonne volonté pour le monde industriel. Elle essaye de casser son image d’« ennemie », elle a invité les grands noms de l’industrie de Calcutta l’année dernière.
L’effondrement du PCI(M) n’est pas du à une position dogmatique contre la politique néolibérale et au le partenariat stratégique Inde-États-Unis. Comme d’autres politiciens indiens d’autres partis et dans autres États, il a été adulé par le patronat. Les résultats des élections montrent que sa base sociale traditionnelle, les paysans, ne se sentent plus représentés par le Parti Communiste. La volonté des électeurs a été la défaite à tout crin du PCI (M), mais pour quelle politique et à quel prix ?
Au Kérala, l’arrivée au pouvoir d’une coalition autour d’un parti faible et des alliés puissants
Le Kérala a été un modèle de développement économique avec un taux d’éducation semblable à ceux des pays développés.
Une tradition d’alternance porte au pouvoir à tour de rôle, tous les cinq ans, les communistes et le Parti du Congrès. Le PCI (M) et sa coalition, le Front Démocratique de Gauche (LDF) [6], a perdu le scrutin, c’est l’alliance régionale du Front Démocratique Uni [7] qui l’a remporté. La différence tient à un cheveu, soit 72 contre 68 postes. C’est la montée de la Ligue musulmane au sein de la coalition du Congrès qui est à noter.
En Assam, c’est coup sur coup, la troisième victoire du Parti du Congrès
La politique de « paix et développement » a permis au Parti du Congrès sa troisième victoire consécutive. Il a la majorité absolue sur les 126 sièges.
Le premier ministre explique les résultats électoraux par son travail de développement économique tel que la construction des routes et des ponts, la priorité à la santé et à l’éducation, des mesures sociales pour les pauvres, les fermiers, les tisserands et tous les secteurs marginalisés de la société. Mais surtout par le maintien de l’ordre et le fait que le Parti du Congrès ait amené presque tous les groupes séparatistes dont le Front Uni de Libération de l’Assam [8], à la table des négociations. Des dizaines d’attentats meurtriers à la bombe ont été perpétrés par des groupes séparatistes ces dernières années.
Malgré son petit score, l’allié régional du Congrès, le Bodoland Peoples Front (BPF) continuera à gouverner. Le deuxième plus grand parti de l’Etat reste le Front Uni Démocratique Indien [9], il a une base importante parmi les immigrants musulmans. Des massacres communautaires ont eu pour victimes les musulmans immigrés du Bangladesh, voilà vingt ans. Et encore récemment, en 2008, colons musulmans et tribus autochtones de la communauté bodo se sont affrontés violemment.
Les partis d’opposition Asom Gana Parishad (AGP) et le Bharatiya Janata Party (BJP) ont encaissé une défaite sévère. Ils ont accusé le Congrès d’avoir manipulé les machines de vote électronique. Leur stratégie politique depuis dix ans de dénonciation de la corruption et des scandales n’a pas eu prise dans les régions rurales. Quant aux partis communistes PCI et PCI (M), ils ont chacun un siège.
Au Tamil Nadu, grand coup de balai anticorruption
L’allié régional du Congrès, le DMK [10] y a perdu les élections. Il était particulièrement impliqué dans le scandale de corruption lié à l’attribution de licences de téléphonie mobile. Le ministre fédéral des Télécommunications (DMK) vient d’être arrêté pour cette raison.
A lui tout seul, l’AIADMK [11] parti de l’opposition, a remporté la majorité absolue. Ses alliés dont le DMDK [12], le PCI (M), le PCI y ont également fait des bons scores. Depuis 1991, l’électorat vote alternativement pour le DMK et l’AIADMK. Depuis trois ans, la crise de l’énergie a affecté les filatures et les industries textile et automobile. Jayalalithaa Jayaram, une femme, leader de l’AIADMK, explique qu’à chacun de ses retours au pouvoir, elle doit s’atteler à restaurer l’économie et la santé fiscale de l’Etat.
Le vote contre le DMK se veut un grand coup de balai anti-corruption Au niveau national, les sommes impliquées dans le scandale des télécommunications sont énormes. Au niveau régional, ses ministres sont accusés d’enrichissement personnel en s’appropriant des terres et l’exploitation de carrières de sable. Le DMK est également soupçonné d’avoir voulu acheté le vote des électeurs. Même les dirigeants locaux sont accusés de corruption au niveau municipal dans les villes et les villages.
Il a été également reproché au DMK, tout comme au congrès, leur passivité lors du massacre de 40 000 tamouls par les forces gouvernementales dans le conflit du Sri Lanka en 2009 et notamment de pêcheurs tamouls par la marine sri-lankaise.
La politique des organisations d’extrême gauche dans le Bengale de l’Ouest
Le 3 mai, c’était les élections dans le district de Nandigram et les forêts contrôlées par les naxalites. Ils ont développé une opposition armée aux évictions des terres et sont pourchassés par la politique du gouvernement du Congrès qui a entamé la guerre à ce mouvement. Ils appelaient au boycott des élections.
Le PCI-ML (Liberation) a eu des candidats dans 37 districts, dont certains dans les districts du Sud, anciens bastion du PCI(M). Leur programme revendiquait l’abrogation de la loi sur les acquisitions de terre, l’arrêt de l’opération Green Hunt et de ses atrocités, le retour à la terre des paysans de Singur, 50 Kg de riz et 5 litres de kérosène à un prix fixe par famille. Ils ont été attaqués à plusieurs reprises par des miliciens du TMC.