Merci à Joël Legendre de l’éclairage qu’il nous a offert concernant les mobilisations qui se sont déroulées en juillet à Okinawa, à l’occasion du sommet du G8. Il apporte, par bien des aspects, une matière complémentaire à celle de mon article initial.
Je voudrais cependant revenir sur des critiques portées par Legendre à l’encontre de mon article qu’il juge, notamment, par trop « occidental ». Je ne prétends certes pas décrypter ce que ressent la majorité des Okinawais ou des Japonais. Mais je n’ai fait, sur la question des bases américaines, que résumer le point de vue d’organisations okinawaises ou japonaises et retransmettre l’objet des mobilisations. L’analyse peut être discutable, mais elle n’a rien de spécifiquement occidentale.
Le point de vue occidental (ou, plus simplement, le point du vue « lointain »), c’était plaquer le syndrome de Seattle sur le G8 nippon et en conclure qu’il était à la recherche d’une île isolée où se réunir en toute tranquillité. Si tel avait été le cas, l’endroit était bien mal choisi : il y a quand même eu en tout plus de 30.000 manifestants -certes, bien ordonnés, mais dans la situation présente, un mini-Seattle ne peut pas se produire au Japon : les mouvements syndicaux et sociaux radicaux se trouvent par trop minorisés, sur la défensive. En fait, les mobilisations locales ont été plus amples à Okinawa à l’occasion du G8 qu’elles ne l’auraient été en bien d’autres lieux au Japon, précisément du fait de la présence des bases, une importante question politique du point de vue de la population.
L’une des principales spécificité du G8 de l’an 2000, c’est qu’il s’est réuni à Okinawa. Indépendamment de son ordre du jour officiel, il contribuait ainsi à la consolidation des rapports militaires nippo-américains et à la légitimation du déploiement stratégique US en Asie orientale, dans l’après-guerre froide. Vu du Japon et de la région, cet enjeu s’imposait plus directement que vu d’Europe. C’est bien pourquoi la conférence sur les problèmes de sécurité a été organisée par des mouvements japonais (fort minoritaires, certes, mais japonais) et asiatiques, avec des Nord-Américains mais malheureusement sans la participation d’Européens.
A Okinawa même, l’ampleur de l’opposition aux installations militaires US s’explique probablement plus par les implications quotidiennes de la présence de ces immenses bases, véritable Etat dans l’Etat, que par la perception des enjeux stratégiques. Mais pour autant, il serait singulièrement réducteur (et « économiste ») de n’y voir que le reflet d’intérêts industriels particuliers, comme ceux du BTP local. Il est symptomatique que quelque 85.000 personnes aient manifesté en 1995 après le viol de la fillette de 12 ans par des soldats américains. Et le succès de la chaîne humaine (plus de 27.000 personnes) entourant la base de Kadena, à la veille du G8, n’a été possible que grâce à l’action menées depuis des années par de nombreuses associations d’Okinawa. A commencer par des mouvements femmes (qui ont organisé une conférence contre les violences sexuelles les 22-25 juin) et par la fédération syndicale indépendante des enseignants de la préfecture (et avec le soutien de la principale centrale modérée, Rengo). Quelles que soient les batailles d’intérêts qui se mènent autour de l’avenir économique d’Okinawa et les jeux de pouvoir engagés dans l’ombre, je ne vois pas ce qui permet d’affirmer de façon péremptoire que cette manifestation n’était qu’une « manip ».
Une déclaration (THYPHOON : Thousand Year Peace Happening in Okinawa Now) a été envoyée au G8 par 17 associations okinawaises et 8 autres ONG japonaises. Elle réclame notamment l’élimination des bases au nom d’arguments pacifistes, démocratiques, solidaires et écologistes. Comme d’autres rendez-vous, elle montre à quel point les mobilisations de ce mois de juillet ont été avant tout ancrées dans les réalités locales (Okinawa) et nationales (Japon). Dans mon article initial, je n’avais pas mentionné un certain nombre d’initiatives qui se sont déroulées en juin et juillet, à l’occasion du G8 : un forum sur les questions environnementales, deux rencontres syndicales internationales (à Osaka et Okinawa) initiées par des militants de la centrale radicale Zenrokyo, une marche de chômeurs... Aucune de ces dernières n’a eu, il est vrai, l’envergure et l’impact politique des mobilisations sur les bases et, dans le cadre d’une campagne mondiale, de la conférence Jubilé 2000. Mais toutes éclairent des réalités japonaises (y compris l’atonie du mouvement syndical majoritaire et la faiblesse des mouvements sociaux radicaux).
Une dernière remarque de clarification. Je n’ai pas écrit que le nouveau gouverneur d’Okinawa avait été « parachuté » de Tokyo (je ne le sais pas...), mais que le gouvernement central a jeté ses moyens dans la bataille électorale pour battre l’ancien gouverneur (trop hostile aux bases) et le faire élire à sa place.
Tout aussi cordialement,
Pierre Rousset
Groupe de travail international d’Attac