La Marche pour la Paix est arrivée le 8 mai à Mexico regroupant des dizaines de milliers de manifestants. Simultanément, d’autres manifestations étaient organisées aux quatre coins du pays, ainsi que dans de nombreuses villes du monde, afin de porter la même exigence : l’arrêt immédiat de la militarisation du pays et un changement de stratégie dans la lutte contre le crime organisé.
Bref rappel des faits : au mois de mars, sept jeunes sont enlevés à Cuernavaca dans l’Etat de Morelos. Quelques jours plus tard, leurs corps sont retrouvés portant des marques de tortures. Une histoire tragiquement banale depuis le déclenchement, par Felipe Calderón, de la guerre contre le narcotrafic, dont le but premier était d’asseoir sa légitimité, à la suite de son arrivée frauduleuse au pouvoir. Parmi les sept jeunes se trouve le fils du poète Javier Sicilia. Ce dernier, appuyé, entre autres, par les secteurs progressistes de l’Église catholique lance un appel à une marche, du 5 au 8 mai, de Cuernavaca à Mexico. Cet appel rencontrera immédiatement un écho important.
Un possible point d’inflexion
Difficile de savoir pourquoi le cas du fils de Javier Sicilia et des six autres jeunes assassinés servira de catalyseur à cette impressionnante mobilisation dont le caractère relativement spontané n’est pas sans rappeler les manifestations gigantesques de 1994, qui demandaient, à l’époque, l’arrêt de la guerre au Chiapas et l’établissement d’un dialogue entre le gouvernement et les rebelles de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Toujours est-il que l’arrivée de la marche à Mexico, le dimanche 8 mai, aura permis l’expression d’un vaste mécontentement social et pourrait marquer un point d’inflexion dans la lutte contre la militarisation du pays. La consigne (problématique), donnée par les organisateurs, d’une marche « silencieuse », n’a été respectée que de manière partielle, et de nombreuses autres demandes ont été exprimées, comme le rejet de la révision de la loi sur le travail, qui est un projet de liquidation en bonne et due forme des dernières conquêtes des travailleurs mexicains. A noter également la bonne représentation des organisations sociales et syndicales indépendantes.
Dehors Calderón !
Avant l’arrivée de la marche, plus de septante orateurs se sont succédé à la tribune installée sur le Zócalo. La plupart d’entre eux, des parents de disparus ou d’assassinés, prenaient la parole pour la première fois, et beaucoup n’avaient même pas dénoncé les cas à la justice, par peur des représailles. Lors du discours de Sicilia, un slogan, d’abord timide, puis repris avec force par l’ensemble de la foule présente, « dehors Caldéron », s’est alors fait entendre, ce qui démontre que pour un nombre croissant, les responsabilités sont clairement établies. De manière plus modeste, Sicilia a demandé la révocation de Genaro García Luna, le Secrétaire à la Sécurité publique, comme preuve de bonne volonté et d’écoute de la part de Felipe Calderón. Il est clair que ce dernier ne cédera pas sous la pression, ce qui pourrait contribuer à radicaliser le mouvement.
Que faire après le 8 mai ?
C’est la question que beaucoup se posent. Ce qui fait la force du mouvement, son caractère relativement spontané et très hétérogène, est probablement aussi sa faiblesse. Il n’y a pas, pour l’instant, de lieux ou d’instances collectives, où discuter des revendications et de la suite à donner au mouvement. Par défaut, c’est donc le groupe très restreint de personnes, qui est à l’origine de l’appel, qui prend les décisions pour l’ensemble de ce vaste mouvement. Cela n’est pas sans poser de problèmes, notamment lorsque parmi les demandes centrales figurent l’adoption par le parlement, sous certaines conditions, de la loi de « sécurité nationale » ainsi que la « réforme politique », toutes deux proposées par… Calderón, et qui ne feraient, si elles étaient approuvées en l’état, que renforcer le cours actuel des choses.
Prochaine étape : Ciudad Juárez
Le mouvement propose également un Pacte national « citoyen » en six points, qui demande un changement de stratégie dans la lutte contre le crime organisé. Une caravane partira prochainement pour Ciudad Juárez, où elle arrivera le 10 juin, avec l’intention de faire signer le Pacte par le plus grand nombre, dans la ville qui symbolise la stratégie criminelle de Calderón. Ce mouvement, malgré toutes ses limites et contradictions, représente la première expression organisée, du rejet de la politique de militarisation de Calderón. Il convient de ne pas en sous-estimer l’importance.
Héctor Márquez
correspondant de solidaritéS à Mexico.
Les autorités mexicaines viennent d’expulser Gianni Proiettis, correspondant italien du quotidien Il Manifesto et professeur à l’Université Autonome du Chiapas. Ce dernier, résident légal depuis 1993, avait récemment publié des articles sur le narcotrafic et couvert le Sommet de Cancún. Il a qualifié son expulsion « d’acte paranoïaque du gouvernement mexicain ».
HM