Depuis quelques jours, tous les médias internationaux relatent l’information d’une possible agression sexuelle par Dominique Strauss Kahn à New York et la photo du directeur général du FMI menotté a fait le tour du monde. Sans nous prononcer sur son éventuelle culpabilité, nous voulons dénoncer un autre scandale : celui de l’action même du FMI.
Contrairement aux proclamations de ses responsables, le FMI n’est pas l’institution qui aide les pays en crise, c’est au contraire celle qui impose des programmes draconiens d’austérité et qui défend un modèle économique structurellement générateur de pauvreté et d’inégalités. C’est l’action même du FMI et de ceux qui soutiennent la mondialisation néolibérale qui a fait porter le fardeau de la crise aux populations qui en sont les premières victimes. Si on peut parler de sauvetage à son sujet, il s’agit de celui des banques, tandis que les peuples sont sacrifiés. Profondément antidémocratique, puisque les pays les plus riches disposent de plus de la moitié des voix au sein du conseil d’administration, le FMI est en fait un instrument des grandes puissances pour veiller au maintien du système capitaliste et aux intérêts des grandes sociétés transnationales. Plus que jamais, du côté des puissants, la lutte des classes bat son plein.
Très actif depuis plusieurs décennies en Afrique, en Amérique latine, en Asie et en Europe de l’Est, le FMI a profité de la crise qui a éclaté en 2007-2008 pour reprendre solidement pied en Europe occidentale et imposer aux peuples des pays les plus industrialisés les remèdes frelatés qui ont mené dans une impasse tragique ceux des pays du Sud qui les ont appliqués.
Aux Etats-Unis, trente ans de politiques néolibérales ont permis une dérèglementation généralisée du secteur financier, ayant mené tout droit à cette crise de grande ampleur. Pendant la première phase de la crise (2007-2009), les gouvernements des pays les plus touchés ont tiré les leçons des premiers mois ayant suivi le krach de Wall Street en octobre 1929. Un certain nombre de mesures ont donc été prises pour amortir l’impact de la crise financière : aides massives aux banques, injection d’une masse énorme de liquidités pour éviter un tarissement du crédit et des échanges, baisse des taux d’intérêt… Les gouvernements ont combiné le sauvetage des banques et des assurances avec la mise en place d’amortisseurs sociaux. Pour réussir à calmer le mécontentement social contre les banquiers, les gouvernants ont eux-mêmes durement critiqué les brebis galeuses qui se trouvaient à la tête de certaines institutions financières privées et un certain type de capitalisme dévoyé.
Ces « amortisseurs sociaux » n’ont été mis en place que temporairement, pour limiter les risques d’explosion sociale. En 2008, la peur d’un éveil de l’opinion publique à une critique radicale du capitalisme et de la réussite d’une majorité sociale à obtenir des changements révolutionnaires s’est faite jour. Pour cette raison, les gouvernements n’ont pas mis immédiatement en pratique la stratégie du choc, à savoir l’utilisation d’un choc psychologique important (comme celui provoqué par une crise de grande ampleur, un désastre naturel ou une attaque terroriste) pour imposer des réformes économiques néolibérales majeures qui seraient impossibles en temps normal. La mise en pratique de cette stratégie du choc est intervenue à partir de 2010, et a touché d’abord les pays les plus fragiles dans la chaîne de l’endettement : Grèce, Irlande, Portugal… Le FMI est au cœur de ce combat-là.
En avril 2009 à Londres, le sommet du G20 a décidé de renflouer le FMI afin de lui permettre d’intervenir auprès des États surendettés. Grand gagnant de l’opération, le FMI a vu ses capacités de prêt tripler, de 250 à 750 milliards de dollars. Pour la première fois, le FMI peut aussi envisager d’emprunter sur les marchés financiers. Après une grave crise de légitimité au début des années 2000 suite au fiasco de ses politiques dans les pays du Sud et à de nombreuses émeutes anti-FMI, après la démission de ses deux derniers directeurs généraux avant la fin de leur mandat, après le scandale de népotisme ayant touché Paul Wolfowitz alors président de l’institution voisine qu’est a Banque mondiale, les temps de vache maigre semblent terminés pour le FMI qui a ouvert une ligne de crédit à une dizaine de pays d’Europe en moins d’un an et intervient désormais sur de multiples fronts.
Dans ce contexte, DSK s’efforçait de communiquer l’idée d’un FMI nouveau, en rupture avec les erreurs du passé… Or la logique des politiques imposées n’a pas changé. Partout les conditions sont sévères : réduction ou gel des salaires dans la fonction publique, réduction des pensions de retraite, privatisations des entreprises publiques, allongement de la durée du travail par le recul de l’âge de départ à la retraite, etc. Un véritable ouragan d’austérité s’abat sur l’Europe. Les délégations du FMI sont dépêchées simultanément dans les grandes capitales et étudient, du haut de leurs chambres dans des hôtels de luxe et à partir des bureaux du ministère des Finances qu’elles occupent comme s’il s’agissait de leurs propres bureaux, le bilan comptable de leurs plans sans égard pour les conséquences sociales.
Les exemples sont nombreux. Le FMI suspend un prêt à l’Ukraine suite à la décision du gouvernement d’augmenter le salaire minimum ; pour continuer à recevoir les financements du FMI et de l’Union européenne, la Lettonie doit fortement réduire les salaires des fonctionnaires et les pensions de retraite ; la Grèce doit accepter de privatiser bien plus que prévu initialement et remettre aux causes de nombreux droits sociaux ; la Roumanie doit réformer le système des retraites et tailler dans les salaires de la fonction publique. Enfin, l’Islande, pour recevoir l’aval du FMI, cherche à contourner la volonté populaire qui s’est exprimée par référendum à deux reprises contre le paiement de la dette. Partout, le FMI prétend que l’initiative et les intérêts privés doivent être soutenus par les politiques des pouvoirs publics au détriment des politiques sociales. Partout, il donne raison aux banquiers contre les peuples. Partout, il favorise le creusement spectaculaire des inégalités, le développement de la corruption, le maintien des peuples dans la soumission au néolibéralisme. Alors que certains attendaient de DSK, la mise en œuvre durable d’une politique néokeynésienne, il applique une politique digne de Friedrich Von Hayek et Milton Friedman. Contraction de la demande publique, compression des salaires, précarisation de l’emploi, privatisations constituent l’alpha et l’oméga de son orientation.
Au-delà, le système international en place aujourd’hui est non seulement capitaliste, mais aussi patriarcal et machiste. Seuls des hommes président jusqu’ici des institutions telles que le FMI, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce.
Le machisme et le caractère patriarcal vont automatiquement de pair avec des comportements de domination, de harcèlement ou de violence sexuelle. Indépendamment de la responsabilité réelle ou non de DSK dans l’affaire actuellement médiatisée, la banalisation de tels comportements doit être dénoncée. La lutte contre le capitalisme est indissociable de celle contre un système patriarcal tant ces systèmes de domination ont des racines communes et s’alimentent mutuellement. L’exploitation économique et sexuelle des femmes n’a cessé de se renforcer sous les attaques incessantes de la mondialisation néolibérale promue par les Institutions financières internationales. La traite des femmes, leurs migrations pour assurer la survie de leur famille, l’accroissement exponentiel de la féminisation de la pauvreté et de l’extension du travail informel et forcé des femmes nous le démontrent chaque jour. Sans cesse, les inégalités de sexe, de classe et de race se renforcent sous l’effet des politiques imposées aux peuples notamment par le FMI et la Banque mondiale. L’imbrication des systèmes de domination est telle que toute réelle émancipation des êtres humains –hommes et femmes – ne pourra se faire sans combattre simultanément le capitalisme, le racisme et le patriarcat.
Que les faits concernant DSK soient avérés ou non, on comprend qu’il ne peut pas y avoir d’immunité pour un fonctionnaire du FMI et tous ceux qui travaillent pour une institution internationale doivent rendre des comptes à propos de leur action. Le FMI en tant qu’institution doit être poursuivi en justice pour les violations multiples des droits humains fondamentaux qu’il a commises et qu’il continue de commettre dans de nombreux pays. Le remplacement du FMI par un organisme démocratique mondial chargé de la stabilité des monnaies et de la lutte contre la spéculation financière constitue une urgence. Depuis plus de soixante ans, le FMI agit contre les peuples en toute impunité. Aujourd’hui, le message doit être clair : le FMI au-dessus des lois, c’est fini.
Stéphanie Jacquemont- Damien Millet - Eric Toussaint - Christine Vanden Daelen (CADTM)