« Je suis favorable à la pénalisation des clients. Il faut les punir », a déclaré Roselyne Bachelot dans Le Parisien du 30 mars. Une commission parlementaire planche sur le sujet. Après avoir organisé la chasse aux prostituées avec la Loi de sécurité intérieure de 2003, l’UMP menace donc d’étendre la répression. Non pas pour lutter contre la prostitution, mais pour la cacher.
Bronca immédiate, véhiculant le meilleur comme le pire… encore une fois, on a eu droit à tous les clichés la « liberté » d’acheter des « services » à des « adultes consentantes » qui sont en fait des « travailleuses du sexe ». Le comédien Philippe Caubère, avec une fatuité écœurante, a pour sa part assuré le plaidoyer larmoyant des « clients » pour le loisir dont on veut les priver [1]. Il a reçu le renfort d’un autre prostitueur, Pascal Bruckner, mais aussi d’Éric Zemmour et Robert Ménard. Hédonistes, ultralibéraux, misogynes et réactionnaires font front commun contre une possible limitation de leur « liberté ». Certaines prostituées indépendantes ont également protesté, craignant de voir se raréfier leur clientèle.
En face, Bachelot a invoqué le « modèle suédois »… bien abusivement tant il est éloigné de la stricte obsession répressive de l’UMP ! Et, bien sûr, elle n’a même pas effleuré les mesures qui permettraient de faire drastiquement reculer la prostitution, à savoir : le droit au logement, le droit à un revenu pour toutes et tous (ne serait-ce que l’accès au RSA pour les moins de 25 ans) et la liberté de circulation des migrants (qui, forcés à la clandestinité, sont une proie idéale pour les proxénètes). Une fois pour toutes : il ne peut y avoir de politique d’abolition du système prostitutionnel sans éradication de la précarité économique et sociale. C’est en cela que l’abolitionnisme et l’anticapitalisme sont liés et, de ce point de vue, la Suède n’est bien sûr pas une panacée, les budgets sociaux y étant en régression constante. Néanmoins, on aurait tort d’ignorer cette expérience, pour les enseignements qu’elle apporte.
Échec aux réseaux mafieux
Le « modèle suédois », qu’est-ce ? C’est tout un dispositif de lutte contre les violences machistes institué en 1999 par la loi Kvinnofrid (« La paix des femmes »). Il repose sur une éducation antisexiste plus avancée qu’ailleurs, des centres d’accueil et des campagnes de sensibilisation [2]. Sur le plan de la prostitution, il dépénalise les prostituées et pénalise les prostitueurs – proxénètes et « clients » [3].
Douze ans plus tard, quel est le résultat ? Les statistiques établies par Stockholm en 2004 sont à prendre avec des pincettes. En effet, elles révélaient qu’en quatre ans la prostitution de rue avait baissé de 30% (de 2.500 à 1.500 personnes) mais restaient muettes sur la prostitution « invisible », par le biais d’Internet. À cette date, seules 130 personnes avaient sollicité une aide sociale pour sortir de la prostitution, et 60% y étaient parvenues. Sur les trois premières années, plus de 700 prostitueurs pris sur le fait ont dû payer des amendes (indexées sur leur revenu). Il est à noter que la loi est censée concerner aussi les Suédoises et les Suédois qui vont consommer à l’étranger. Ainsi, en 2002, des officiers militaires ont été démis de leurs fonctions pour avoir fréquenté des bordels kosovars [4].
Un élément du bilan en revanche est incontestable : les réseaux mafieux ont désinvesti ce pays désormais trop peu accueillant, pour aller prospérer dans les pays où la prostitution est réglementée (Pays-Bas, Allemagne, Suisse…). En 2004, le gouvernement suédois estimait qu’en quatre ans, les proxénètes n’avaient « importé » dans le pays que 200 à 400 femmes, un nombre négligeable en comparaison des 15.000 à 17.000 convoyées chaque année en Finlande [5]. L’interdiction en Suède a bel et bien « déplacé le problème », comme aiment à le rappeler les libéraux, puisque la consommation de prostituées a augmenté dans les pays limitrophes. Mais de ce fait, le « modèle suédois » a fait des émules : la Norvège l’applique depuis 2008, l’Islande depuis 2009. L’Irlande, l’Estonie et la Finlande y songent aussi sérieusement.
La fausse bonne idée de la légalisation
Au bout du compte, et malgré ses limites nécessaires dans un environnement capitaliste, on est donc loin d’un « échec » du modèle suédois. Surtout si on le met en regard du désastre dans les pays où la prostitution est légalisée [6] : explosion des réseaux d’esclavage sexuel, développement des bordels, tranquillité des proxénètes qui peuvent exploiter sans lien de subordination apparent grâce au statut de profession libérale étendu aux prostituées… mais aussi désinhibition des hommes par rapport à la consommation des femmes. Ainsi, alors qu’on estime qu’en France, 12% des hommes ont été clients au moins une fois dans leur vie, le site Donjuan.ch estime que 20% des Suisses le sont au moins une fois par an [7]. Quel progrès de civilisation !
Vis-à-vis des « clients », une autre expérience qui relève, elle, de l’éducation populaire, mérite d’être citée. Depuis 1995 existe dans plusieurs villes des Etats-Unis un programme original de réhabilitation des prostitueurs : Standing Against Global Exploitation, mis en place par une « rescapée » de la prostitution, Norma Hotaling. Les clients pris sur le fait ont le choix entre une amende et un stage d’une journée où ils sont confrontés à d’anciennes prostituées qui leur racontent ouvertement leur vécu. Fatalement, elles liquident sans retenue les mythes glamour dont se persuadent les clients, avec une liberté de ton qu’une prostituée en exercice ne pourra, par définition, jamais se permettre à moins de vouloir dissuader la clientèle. Les stagiaires en ressortent apparemment édifiés. « Les hommes nous remercient, racontait Norma Hotaling dans une interview en 1998 [8]. Certains disent regretter de ne pas avoir eu ces connaissances plus tôt. » Sur 1.400 hommes passés par ce programme en trois ans, quatre seulement avaient récidivé : « C’est la preuve que les hommes peuvent changer », concluait-elle.
Guillaume Davranche (AL 93)