Si l’on écarte les déclarations lyriques de notre nouveau ministre de l’Environnement, Yves Cochet, vantant un « texte très positif » dégageant « des perspectives d’avenir qui sont très fortes », l’accord, signé à Bonn le 23 juillet 2001, de mise en œuvre du protocole de Kyoto de 1997 sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne fait l’objet parmi les principales organisations écologistes, WWF, Greenpeace ou les Amis de la Terre, que d’une défense par défaut. L’accord aurait le mérite de réaffirmer l’objectif de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre en isolant les Etats-Unis. En mars 2001, Bush avait en effet annoncé que la principale superpuissance mondiale et principale émettrice de CO2 de la planète se retirait du cadre du protocole.
L’accord signé constitue un revers pour Bush, mais il n’a été possible qu’à un prix exorbitant.
Son contenu n’est pas à la hauteur des menaces pesant sur le climat et avalise des méthodes de lutte contre les émissions lourdes d’effets pervers et à l’efficacité douteuse. Le résultat est en deçà du projet de compromis rejeté par l’Union européenne lors de la conférence de La Haye en novembre 2000. Pour décrocher la signature de certains pays dits du groupe de l’Ombrelle, comme le Japon, la Russie, l’Australie ou le Canada, indispensable à l’entrée en vigueur juridique du protocole, les autres pays de la conférence, avec l’UE comme force motrice et sous l’égide du très libéral ministre néerlandais Pronk, ont fait concession sur concession au point de vider le protocole de son contenu ou de donner corps à ses dispositions les plus critiquables. Les défaites ont eu lieu sur tous les fronts : les objectifs de réduction, les mécanismes de réduction et le contrôle des réductions.
Plantons notre pollution !
En ce qui concerne les objectifs, si le pourcentage affiché de 5,2% de réduction en moyenne d’ici 2012 par rapport au niveau de 1990 ne semble pas avoir changé, c’est sans compter l’aval délivré au système des « puits de carbone » à grande échelle. Cette idée - promue par l’administration américaine - permet de déduire des efforts de réduction des émissions le stockage naturel des gaz à effet de serre, notamment du CO2, par les forêts et terres agricoles, d’où leur qualification de « puits de carbone ». Le problème est que l’estimation de ce stockage est difficile et qu’il est réversible, le carbone stocké étant susceptible d’être libéré. Qu’à cela ne tienne, plusieurs pays ont obtenu de substantiels rabais de leur note de réduction par une évaluation très politique de leurs stocks forestiers en CO2. Les puits de carbone pourront ainsi être utilisés à hauteur de 70% des engagements de réduction d’émissions des pays industrialisés. Autant dire que la tentation du « plantons et polluons » va être forte.
Un autre des enjeux de la mise en œuvre du protocole était de déterminer l’équilibre entre les différents mécanismes de réduction inscrits dans ce texte. Force est de constater que l’accord de Bonn donne consistance aux solutions les plus dangereuses.
L’accord n’impose pas que les « mesures domestiques », c’est-à-dire les mesures nationales de type réglementaire comme les taxes et les normes, constituent l’essentiel du processus de réduction : les pays industrialisés ne sont pas vraiment tenus de prendre des mesures internes. Ils vont pouvoir tirer partie sur le dos du Sud des mécanismes de défausse sans lesquels l’accord n’aurait pas été signé, que ce soient les puits ou le mécanisme de développement propre (MDP). Ce dernier outil va permettre à un pays industrialisé finançant un projet dit propre au Sud de gagner des crédits d’émission chez lui. Il semble même qu’on va pouvoir planter des arbres au Sud pour continuer à polluer chez soi... Une astuce impérialiste, tout simplement... Le Sud peut se développer s’il ne pollue pas tandis que le Nord peut continuer à polluer. Heureusement, le nucléaire est exclu de la liste des projets propres.
Polluer et faire du blé
Last but not least, l’accord ouvre la voie au marché des crédits d’émission entre pays industrialisés. Il ne s’agirait pas d’un simple échange de permis, comme nous l’avaient répété les promoteurs de cette mesure pour tenter de lever les suspicions, mais d’un marché international « d’unités de réduction d’émissions » sur lequel pourraient opérer, si l’on en croit « Les Echos » du 24 juillet 2001, « des entités aussi bien publiques que privées » : « C’est cet article qui intéresse les Etats et les entreprises du monde entier », commente le journaliste. On trouve confirmation de cet intérêt du côté du Medef en France. Son numéro 2, Denis Kessler, déclarait le 19 juillet 2001 : « Le Medef souhaite privilégier la voie des permis d’émissions négociés plutôt que l’écotaxe qui ne résoudrait en rien les problèmes d’émissions de gaz. » Transformer la pollution en marchandise, est-ce le moyen de la réduire ? On peut certes parier sur l’extrême complexité d’un tel système pour penser qu’il n’est pas près de voir le jour. Mais en tout cas, l’obstacle politique vient de sauter avec l’adoubement international de ce nouveau marché.
Sanctions incertaines
Autre clé de la négociation, l’accord allait-il imposer un système international de contrôle des émissions et de sanctions en cas de non-respect du niveau de réduction ? La réponse est reportée à plus tard, même si le principe d’une « observance » est acté. Il s’agit d’un des signes de la fragilité de l’accord : une des conditions de la garantie de son effectivité est repoussée à une négociation ultérieure. Sa mise en œuvre devra attendre un amendement qui ne pourra intervenir au mieux qu’en 2003, l’objectif, loin d’être acquis, étant que le protocole soit ratifié par le nombre suffisant de pays requis d’ici la date symbolique de septembre 2002, où s’ouvrira le Sommet de la terre Rio + 10, en Afrique du Sud.
L’accord de Bonn est truffé de chausse-trappes et d’oubliettes. Mais surtout, les objectifs de Kyoto sont d’ores et déjà caducs. Au lieu de les réduire artificiellement comme cela vient d’être entériné, il faut les réévaluer considérablement au vu des prévisions affinées du groupe international d’experts sur le réchauffement climatique rendues publiques en janvier 2001. Il faut agir beaucoup plus vite et plus fort, telle est la vérité, que beaucoup ne veulent pas entendre.
Coupés pour des raisons historiques diverses du mouvement ouvrier et de la gauche, les mouvements écologistes associatifs ont jusqu’ici souvent combiné action médiatique et lobbying. Face à la puissance de l’impérialisme américain (et des autres qui profitent discrètement de ses prises de position), ce mode d’action a atteint ses limites. Le défi du réchauffement climatique impose une nouvelle alliance qui organise la mobilisation sous toutes ces formes. La levée de masse contre la mondialisation capitaliste est la chance historique que ce rapprochement s’effectue et qu’associations, syndicats et partis engagent le combat de concert dans le respect de l’identité de chacun.
BUSH d’EGOUT
Georges Bush, surnommé Toxic Bush, a engagé la superpuissance américaine dans un nouveau cours agressif, qui vise à consolider l’hégémonie mondiale de l’impérialisme dominant. L’heure est donc à la révision des traités encore rescapés de la guerre froide afin d’entériner sur chaque terrain l’évolution du rapport de forces. A la fois symbole par excellence de la puissance, et secteur économique clé de l’économie, l’armement est en première ligne : projet de bouclier anti-missiles, blocages des conventions sur les armes biologiques ou légères... Mais ce cours agressif se traduit également à l’extérieur et à l’intérieur des frontières par une orientation anti-écologique frontale et assumée, tout aussi caractéristique de la suffisance impériale. A la volonté de saborder le protocole de Kyoto sur le climat, il faut ainsi ajouter la relance des énergies fossiles, à commencer par le pétrole, mais aussi le redémarrage annoncé du nucléaire, pourtant arrêté depuis l’accident de Three Miles Islands en 1979, ou encore la volonté de faire main basse sur l’eau douce canadienne en s’appuyant sur les mécanismes de l’ALENA. Jusqu’au relèvement du taux minimum d’arsenic autorisé dans l’eau potable... Bush d’égoût ? Vidangeons-le !