Ancien président de l’association Enfants de Tchernobyl-Bélarus, aujourd’hui professeur émérite à l’université de Bâle, Michel Fernex relève, lors de l’accident de Tchernobyl comme actuellement à Fukushima : une « étrange absence » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Médecin tropicaliste à l’OMS, il mène une carrière paisible nourrie d’idéaux, jusqu’à ce qu’il découvre fortuitement l’accord qui lie son institution à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) : en 1995, il participe à un congrès sur les conséquences de Tchernobyl, Hiroshima et Nagasaki. Les actes ne sont pas publiés. Pourquoi ?
Son enquête commence au sein de l’OMS. Finalement, un ancien directeur général de l’agence de santé lui confiera que c’est l’AIEA qui a bloqué la publication, grâce à l’accord WHA 12-40 qui lie les deux institutions. Un accord inacceptable d’après lui, puisque l’OMS a pour but la santé publique dans le monde, et l’AIEA le développement du nucléaire civil.
Rue89 : Comment est né l’accord entre l’OMS et l’AIEA de 1959, dit WHA 12-40 ?
Michel Fernex : En 1956, l’OMS a posé la question suivante à des généticiens :
« Quels sont les effets génétiques des radiations chez l’homme, puisque l’industrie nucléaire se développe et que des radiations vont toucher de plus en plus d’humains ? »
Le groupe de travail comportait un prix Nobel de génétique et d’autres grands noms. Les conclusions du rapport étaient que cette industrie va accroître le rayonnement et, de ce fait, augmenter aussi les mutations dans la population. Et elles seront nuisibles pour l’individu et pour ses descendants.
Cet avertissement a beaucoup inquiété l’ONU, qui a créé l’Agence internationale de l’énergie atomique en 1957, soit seulement un an plus tard. L’AIEA a, selon ses statuts, comme objet principal :
« D’accélérer et d’accroitre la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier. »
Traduction : c’est une agence de promotion du nucléaire commercial.
Les choses se sont gâtées lorsque l’AIEA a conclu avec toutes les agences subalternes des accords. L’existence de ces derniers est normale, mais l’accord avec l’OMS a des particularités.
L’une d’entre elles est d’exiger la confidentialité dans certains domaines, sans préciser lesquels. Ce qui est tout à fait contraire à la Constitution de l’OMS. Car l’opinion publique ne doit pas subir de secret sous prétexte que le nucléaire est dangereux.
Un autre point de l’accord indique que les deux agences doivent être d’accord pour tout projet qui concerne un intérêt commun. Illustration au moment de Tchernobyl. (Ecouter le son)
Vous voyez des ressemblances entre le comportement de l’OMS lors de la catastrophe de Tchernobyl et aujourd’hui avec Fukushima ?
J’y vois une même absence, une étrange absence. Pour fournir des chiffres, il faut faire des travaux et l’OMS n’en a pas fait. L’OMS ne peut que répéter les chiffres que lui donne l’AIEA.
Actuellement, si vous allez au Japon et que vous cherchez l’OMS, vous ne la trouverez pas. Ils ne sont pas là. L’AIEA est là depuis le départ. C’est l’effacement total de l’OMS face à un nouvel accident nucléaire.
Et ils vous diront qu’il y a eu 40, 50, 5 000 ou 500 000 malades. Cela dépendra des chiffres que fournira l’AIEA.
Vous voulez dire que l’on « décide » d’un nombre de morts ou de malades ?
C’est ce qui s’est passé pour Tchernobyl… Je suis allé au forum de l’OMS en 2004 à Genève, un représentant de l’AIEA présidait le forum pendant trois jours.
Dans son introduction, il nous a expliqué que nous allions décider s’il y a eu plutôt 400 000 ou 40 décès dus à Tchernobyl. Et nous avons, au bout de trois jours, fini à 38 décès. Comment ? Je vais vous montrer comment on supprime un sujet…
Les scientifiques ont exclu la pédiatrie du débat, car une pédiatre interrogée à brûle-pourpoint n’a su que répondre. (Ecouter le son)
Votre expérience de terrain, auprès des enfants en Biélorussie, dément l’affirmation de l’OMS selon laquelle les radiations se dispersent très vite dans l’atmosphère. Expliquez-nous ce que vous avez trouvé.
De génération en génération, on trouve de plus en plus de mutations génétiques. On a constaté dans des zones contaminées de l’apathie, des leucémies, des malformations cardiaques, des cas de vieillissement prématuré, mais aussi une augmentation du diabète de type 1, sans facteur héréditaire et ce de plus en plus tôt, chez des enfants toujours plus jeunes, parfois même chez les nourrissons. Et mille autres choses encore…
Les radionucléides stockés dans le sol contaminent les aliments, surtout les arbres. Or, les gens prennent librement du bois dans les forêts. Ce bois chauffe la maison et alimente le poêle de la cuisine. La pièce la plus chargée en radioactivité est donc souvent la cuisine. On place ensuite les cendres dans un seau et elles servent d’engrais. La contamination du potager est donc entretenue et peut-être même amplifiée.
Ces phénomènes ne s’atténuent pas avec le temps, bien au contraire.
Par Andrada Noaghiu, journaliste