Comment les 70 salariés ont-ils vécu la reprise du travail, après deux mois et demi d’occupation ?
Olivier Del Rizzo - D’abord, les salariés ont vécu cette reprise comme une expérience de lutte victorieuse, dans un contexte difficile. Le 21 novembre 2005, lorsque la multinationale américaine Burgess Norton annonçait la fermeture de l’entreprise, beaucoup de salariés, mais aussi nombre d’hommes et de femmes du Pays de Montbéliard, ne donnaient pas cher de notre peau. Tout au long de l’action, la confiance réapparaissait parmi nous, chaque jour avec plus de vigueur, grâce à la mobilisation et à la solidarité.
Et pourtant, sur le Pays de Montbéliard, beaucoup de coups ont été portés à l’emploi industriel. Malgré tout, vous avez lutté et vous y avez cru, comment l’expliques-tu ?
O. Del Rizzo - Dès le moment où la direction a décidé d’annoncer la fermeture, nous nous sommes tous réunis - de l’ouvrier au cadre - et nous avons décidé de refuser une quelconque prime ou un quelconque « plan de sauvegarde de l’emploi ». Notre objectif a été affiché dès le premier jour de la lutte : cette entreprise est viable, il n’y a pas de raison pour qu’elle ferme. Les seules raisons avancées par la direction étaient des raisons de rentabilité financière. À aucun moment, elle n’a pu faire la preuve que l’entreprise n’était pas viable. Pour nous, il était hors de question d’accepter l’inacceptable dans le seul but que les actionnaires de Burgess Norton s’en mettent plein les poches.
Sur le Pays de Montbéliard, beaucoup de sous-traitants automobiles licencient ou prévoient de licencier. Comment se fait-il que, à IP-Marti, vous ayez pu lutter dans l’unité ?
O. Del Rizzo - Les salariés de Marti ont une culture de lutte importante. En 1991, déjà, les dirigeants américains de l’époque ont voulu casser les acquis sociaux. Nous avions lutté 51 jours pour nous opposer à cette stratégie. Puis, en 1997, la même multinationale américaine a décidé de vendre l’entreprise ou de la fermer. Là aussi, une lutte unitaire avec occupation de 27 jours de l’usine nous a permis de les faire reculer. Cette culture de lutte dans l’entreprise fait que les salariés sont très liés. C’est un atout indispensable.
Dans quelle situation vous trouvez-vous désormais ?
O. Del Rizzo - La lutte n’est pas terminée. Pour obtenir une victoire totale, il faut que nous trouvions un repreneur. Mais, actuellement, notre priorité est de récupérer les parts de marché qui n’ont toujours pas été rapatriées sur le site de la production en France. En effet, il manque 21 % du carnet de commande. Il s’agit des pièces destinées au groupe Renault, pièces que les dirigeants de Burgess Norton ont transférées, le 21 novembre, sur leur site de production en Italie.
Que faites-vous pour tenter de remettre la main sur cette part de marché ?
O. Del Rizzo - Depuis plusieurs mois, nous multiplions les initiatives pour interpeller le groupe Renault. Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, avait promis de peser de tout son poids pour que Renault, donneur d’ordre, rapatrie les commandes en France. Mais, à ce jour, rien n’a encore abouti. Pour nous, c’est une situation ubuesque, dans la mesure où l’État détient encore 15 % du capital de Renault, qu’il a une minorité de blocage au conseil d’administration et que, malgré les interventions, rien ne se passe.
Qu’est-ce qui explique ce blocage ?
O. Del Rizzo - Nous pensons qu’il y a une énorme responsabilité politique, de la part du gouvernement et des parlementaires du Pays de Montbéliard qui font partie de la majorité gouvernementale. Ils n’agissent pas avec détermination pour que les commandes reviennent. Néanmoins, la volonté d’obtenir une victoire complète est grande parmi les salariés de l’entreprise.
À ton avis, que faut-il faire pour stopper les délocalisations, qui se multiplient sur le Pays de Montbéliard et, plus généralement, en France ?
O. Del Rizzo - La première chose à faire : que les salariés se mobilisent et luttent contre ces décisions scandaleuses. Mais je pense qu’il faut aller au-delà et, notamment, se placer sur le terrain politique. Il faudrait avoir le courage de prendre des positions politiques pour interdire les délocalisations.
Nous sommes dans une période où le peuple français est en attente d’une véritable alternative au système capitaliste, après la victoire du « non » au référendum du 29 Mai et le recul du gouvernement sur le contrat première embauche.
Il faut construire, dans les luttes - et par la politique -, cette alternative anticapitaliste en France, certes, mais aussi en Europe, de façon à aller vers l’harmonisation des droits sociaux. De mon point de vue, c’est la seule voie qui nous permettra de mettre un terme au mal vivre, à la précarité, à l’exclusion, au chômage, qui touchent l’ensemble des salariés.