Avec le matraquage médiatique mis en œuvre par les industriels du nucléaire et par leurs serviteurs politiques, il est des réalités édifiantes qui passent inaperçues.
C’est le cas de la part du nucléaire dans la production énergétique mondiale dont le caractère dérisoire est systématiquement ignoré par les commentateurs.
Dérisoire car il ne représente que 2 % de la consommation mondiale d’énergie : une part si ridicule que les discours qui nous garantissent le retour à l’âge de pierre en cas de sortie du nucléaire tombent d’eux-mêmes. Cette faible part, comparée au risque immense que cette industrie fait peser sur l’humanité, rend la revendication de sortie rapide du nucléaire totalement légitime.
Quant à la part du nucléaire dans la production de la seule électricité, elle a certes culminé à 17 % dans les années 2000, (ce qui signifie que 83 % de l’électricité mondiale était produite autrement) mais ne cesse de décroître depuis une dizaine d’années et ne représente plus que 13, 4 %.
Ainsi, l’énergie nucléaire est largement devancée dans le monde par les énergies renouvelables. L’hydro-électricité, sans en faire la promotion acritique, représente par exemple 20 % de la production mondiale d’électricité.
LA PART DU NUCLÉAIRE PEUT-ELLE AUGMENTER ?
C’est quasiment impossible et ce pour plusieurs raisons.
La première est que de nombreux réacteurs vont fermer dans les années à venir : plus de la moitié des 435 réacteurs en service dans le monde approchent de leur fin de vie. On estime que d’ici la fin de 2030, plus de 300 réacteurs seront arrêtés pour une puissance cumulée de 260 GW, soit plus de 70 % du parc en activité à ce jour.
D’autre part, le déclin prochain de la production d’uranium pourrait conduire lui aussi à l’arrêt partiel de nombreux réacteurs. En effet, les réserves exploitables connues permettent de faire face à la demande actuelle pendant encore 50 ans maximum si aucun nouveau gisement n’est découvert.
Pourtant, d’innombrables reportages nous annoncent la « renaissance du nucléaire » et la construction de réacteurs partout dans le monde.
L’avenir n’est pas si radieux pour les VRP de l’atome, et après la catastrophe japonaise, cela risque encore de se compliquer.
La Chine, par exemple, avait annoncé 40 nouveaux réacteurs destinés à couvrir royalement 4 % de ses besoins électriques, c’est-à-dire 0, 7 % de sa consommation d’énergie ! (les données sont quasiment identiques pour l’Inde). Or la Chine dispose de l’un des plus gros potentiels de production d’énergies renouvelables de la planète (une récente étude du gouvernement chinois estime que la seule énergie éolienne suffirait à couvrir tous les besoins en électricité du pays). Sous la menace directe de la contamination radioactive, les populations chinoises, qui ces derniers jours se sont ruées sur les comprimés d’iode, vont-elles accepter la mise en chantier de dizaines de réacteurs nucléaires dans les prochaines années ?
Aux USA, où l’atome représente 20 % de l’électricité, soit moins de 4 % de la consommation totale d’énergie, la majorité des 103 réacteurs américains va fermer d’ici 20 ans. L’atome y restera, dans tous les cas de figure, une énergie marginale.
De plus, la crise financière mondiale ne favorise pas les lourds investissements que nécessite la construction de réacteurs nucléaires. D’ores et déjà, l’Afrique du Sud, qui annonçait pas moins de douze nouveaux réacteurs, a fait savoir que son programme était compromis. De même, le programme annoncé en Turquie est stoppé faute d’investisseurs.
Trop dangereux, inutile, ruineux, et de toute façon éphémère, le nucléaire n’est décidément pas une énergie d’avenir. Mais le puissant lobby qui la soutient fait prendre d’immenses risques à l’humanité. Nous ne pouvons donc pas nous contenter d’attendre sa mort naturelle !
EN FRANCE, MALGRÉ TOUT...
Nos dirigeants, de gauche comme de droite, tout à leur dévouement au système et aux intérêts de la classe dominante, continuent de prétendre que l’avenir réside dans le développement et le renouveau de la filière électro-nucléaire.
Une analyse sérieuse renvoie tous les arguments avancés à des mythes ou des stratégies de marketing :
1- L’indépendance énergétique : il n’y a plus d’uranium en France. La totalité est importée et cause l’exploitation et l’esclavage des populations autochtones du Niger ou du Gabon.
2- La haute technicité française : l’EPR (réacteur nucléaire de troisième génération), présenté comme le fleuron de notre industrie, connaît les pires déboires sur les chantiers de Finlande et de Flamanville. Les retards s’accumulent et alourdissent considérablement la facture d’une technologie déjà hors de prix.
L’EPR a d’ailleurs été recalé par l’émirat d’Abu Dhabi au profit de réacteurs sud-coréens, révélant au passage à l’opinion française que son industrie nucléaire n’était pas la « championne » si souvent vantée.
3- L’électricité bon marché : après avoir prétendu pendant des décennies que le prix de l’électricité nucléaire était très bas, EDF, désormais obligée par la loi d’en vendre une partie à ses concurrents, reconnaît subitement que cette électricité est très chère à produire. Conclusion : la facture électrique des ménages va augmenter comme jamais dans les prochaines années.
4- L’électricité inépuisable : Superphénix qui a coûté plus de 10 milliards d’euros et qui était censé faire du nucléaire une énergie « recyclable » n’a jamais fonctionné, avec des pannes à répétition qui font courir un risque insupportable aux populations. On a fini par le fermer sans qu’il n’ait jamais été capable de produire le moindre kWh.
5- L’irremplaçabilité : des études argumentées, publiées par le Réseau Sortir du nucléaire, prouvent qu’à investissement égal, on sait d’ores et déjà produire ou économiser deux fois plus d’électricité avec la maîtrise de l’énergie et les renouvelables qu’avec le nucléaire.
6- L’impact sur l’effet de serre : avec les milliers de camions et les moyens qu’il faut mettre en œuvre pour extraire, acheminer, transformer le minerai, c’est déjà discutable ! Mais compte tenu de la faible part du nucléaire dans l’énergie mondiale, l’argument tombe à plat.
L’OPPOSITION AU NUCLÉAIRE
Le mouvement antinucléaire est né après la Seconde Guerre mondiale, à la suite des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki. Les considérations écologiques étaient à cette époque secondaires et la contestation centrée sur le nucléaire militaire.
En France, en 1945, Joliot-Curie, membre du PCF et découvreur de la réaction en chaîne conduisant à la fission, est nommé haut commissaire à l’énergie atomique. Il lance en 1950 l’appel de Stockholm qui visait à interdire la bombe nucléaire dans le monde.
En 1958, la première marche d’opposition aux armes nucléaires a lieu en Angleterre contre une usine de fabrication de missiles nucléaires.
Le Mouvement contre l’arme atomique (MCAA) est créé en 1963. Plus de 150 pays (à l’exception de la Chine et de la France) signent le « traité d’interdiction partielle des essais nucléaires » proposant l’arrêt des essais atomiques atmosphériques. Ce mouvement est notamment soutenu par des militants en rupture avec la SFIO et le PCF. Une autre organisation est créée par le PCF, le Mouvement de la paix contre la bombe atomique. Mais celle-ci est destinée à soutenir la politique étrangère de l’URSS et ne remet en cause que les bombes américaines et françaises. Plus généralement, à cette époque, toute la classe politique française fait preuve d’une belle unité scientiste, nationaliste et pro-nucléaire, tandis que se pratiquent de façon discrète des essais nucléaires dans le Sahara et en Polynésie française, loin de la métropole.
Années 1970 : l’opposition au « nucléaire civil »
L’apparition de sensibilités environnementalistes ouvre le débat sur les conséquences de l’utilisation de technologies comme l’énergie nucléaire. Les premières manifestations contre le nucléaire civil ont lieu à Fessenheim (1971), au Bugey, et contre Superphénix à Creys-Malville, sans donner lieu à la création d’un réseau structuré. Le mouvement de contestation se voit contrecarré par le premier choc pétrolier (1973) qui confirme le choix du nucléaire comme outil d’indépendance énergétique. Les projets de construction de centrales envahissent alors tout le territoire.
L’été 1977 est marqué par le rassemblement du Larzac (50 000 personnes) et par la manifestation de 60 000 personnes contre Superphénix à Malville qui est sauvagement réprimée, causant des blessés graves et la mort d’un militant : c’est l’éclosion d’un mouvement antinucléaire autonome qui dénonce le nucléaire soutenu par une société policière à la solde du capital.
1979 : premier accident nucléaire majeur à Three Mile Island aux États-Unis avec la fonte du cœur d’un réacteur qui occasionne l’évacuation de 300 000 personnes.
Années 1980 : les déceptions de la gauche au pouvoir
Lorsque la gauche arrive au pouvoir, l’opposition à l’énergie nucléaire s’exprime sur des bases environnementales : pollution des rivières, accidents de réacteurs connus ou potentiels, fuites de produits radioactifs, stockage ou traitement des déchets radioactifs à long terme. Le projet de centrale de Plogoff, à la suite de très fortes mobilisations, est abandonné, mais pas le programme nucléaire français, contrairement aux déclarations électorales antinucléaires du PS. Le mouvement antinucléaire est le premier à s’opposer à la gauche au pouvoir qui cherche à récupérer ses principaux leaders pour le neutraliser. Le parti des Verts est créé en 1984, et de nombreux militants antinucléaires déçus par le comportement du gouvernement le rejoignent.
La catastrophe de Tchernobyl en 1986, deuxième grande catastrophe nucléaire, relance le débat et la lutte. En 1987, Didier Anger, antinucléaire historique des Verts, tente de structurer les luttes locales qui s’opposent aux nouvelles constructions pour faire émerger un « réseau pour un avenir sans nucléaire ». Dans le même temps, deux laboratoires d’analyses indépendants de radioactivité voient le jour : l’Arco et la CRI-RAD.
En 1997, Jospin offre aux Verts, nouvellement intégrés dans le gouvernement, une victoire politique en annoncant l’arrêt du Superphénix, en réalité un véritable gouffre financier ! Voynet donne en 2000 l’autorisation d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure (Meuse) et met en route la recherche de nouveaux sites qui rencontre une opposition farouche des antinucléaires.
Le Réseau Sortir du nucléaire est créé dans la foulée de la fermeture de Superphénix à partir de comités antinucléaires locaux, de collectifs contre l’enfouissement de déchets, de groupes locaux des Verts, d’associations environnementales, d’un groupe libertaire de Toulouse et de la LCR. 873 organisations sont aujourd’hui signataires de la charte du Réseau qui anime et coordonne la lutte et s’oppose à tous les nouveaux projets de l’industrie nucléaire en France comme à l’étranger (EPR, ligne haute tension, Iter...).
En Europe, l’Union mondiale pour la protection de la vie mène depuis 1958 des campagnes contre les centrales nucléaires. L’Autriche, la Suède (1979), la Belgique (1999) ont successivement renoncé à l’énergie nucléaire. En Allemagne (2000), sous l’influence des mouvements antinucléaires, les gouvernements ont décidé d’abandonner la filière progressivement et de ne pas construire de nouvelles centrales. Les transports de matières radioactives sont entourés de manifestations fortement médiatisées et d’un important dispositif policier, notament ceux de l’usine Areva de La Hague vers le centre de stockage de Gorleben.
Le mouvement antinucléaire français s’est principalement construit autour de mobilisations locales, parfois massives, contre la construction des centrales. Une fois la France dotée d’un parc nucléaire conséquent, le mouvement antinucléaire a décru avec le nombre de chantiers de construction. Nous sommes aujourd’hui devant une échéance qui doit nous inciter à œuvrer pour la renaissance d’un mouvement combatif. En effet, de nombreuses centrales vont avoir 30 ans, durée de vie initialement prévue. Mais pour engranger toujours plus de profits, EDF souhaite prolonger de dix ans cette durée de vie. Le dramatique accident de Fukushima nous rappelle que le nucléaire ne sera jamais une industrie comme les autres. Nous devons donc refuser cet allongement de durée de vie et porter haut et fort la contestation contre l’énergie nucléaire en réclamant une sortie rapide de cette énergie mortifère.
Damien Joliton, Claude Kaiser et Catherine Faivre d’Arcier