Ce thème a intéressé la Centrale Sanitaire Suisse Romande, car il permettait de lier, de façon cohérente, les collaborations sur le terrain et les expériences qui en découlent avec une possibilité d’intervention sur les responsabilités et les ambiguïtés de la politique et des pouvoirs économiques suisses dans la gestion de la santé publique dans le monde [1]. D’où la publication, en 2006 et 2010, de deux livres dont nous reprenons ici les lignes essentielles [2].
Le premier (I) est centré sur les dangers engendrés par l’Accord sur les ADPIC (Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce) de 1994, qui a élargi aux médicaments le régime des brevets, et sur les acteurs (les Organisations Internationales) qui gèrent l’application de cet Accord. On admet actuellement que le régime de protection des brevets, « globalisé » par l’Accord sur les ADPIC, a d’importantes répercussions sur le secteur pharmaceutique. Or, les normes spécifiées dans cet accord ne sont pas appropriées aux pays dans lesquels une lutte est en cours pour satisfaire les besoins de base en matière de santé et de développement. Pour cette raison, dans son rapport de 2002, la Commission britannique des droits de propriété intellectuelle (CIPR) recommande aux pays de veiller à ce que leur régime de protection de la propriété intellectuelle ne porte pas atteinte à leur politique de santé publique (I, 107) [3].
Le second ouvrage (II) a pour ambition d’élargir le propos en considérant les relations –parfois conflictuelles – entre les divers acteurs (organisations internationales et société civile) qui jouent un rôle essentiel dans la problématique de l’accès facilité aux médicaments. Nous avons tenté d’analyser la position de la Suisse face aux conséquences d’une exigence accrue de la protection de la propriété intellectuelle (PI) sur la santé dans les pays en développement (PED).
L’OMC et la protection de la propriété intellectuelle
L’Accord sur les ADPIC fonde la naissance de l’Organisation Mondiale du Commerce. A l’initiative des pays industrialisés, et suite aux pressions exercées par certaines multinationales pharmaceutiques, le régime de protection de la Propriété Intellectuelle s’étend désormais au domaine de la santé et met les médicaments et leurs procédés de fabrication au bénéfice de brevets. Leurs détenteurs sont assurés d’une protection pour une période de 20 ans et des sanctions commerciales sont imposées en cas de violation.
L’accord prévoit certes des dérogations pour les pays les plus pauvres ou les situations exceptionnelles. Mais ces dérogations sont difficiles à obtenir et souvent temporaires, si bien que très rares sont les Etats en difficulté à y avoir recours. L’application de cet accord a donc eu un impact très négatif sur les possibilités, pour les pays pauvres, d’avoir accès aux médicaments essentiels les plus récents. L’utilisation et la production de nombreux médicaments indispensables ont été ainsi soumises à l’autorisation des propriétaires des brevets concernés et au paiement des royalties correspondantes (II, v).
En réponse à ce contrôle toujours plus défavorable pour les PED, un groupe de pays du Sud a proposé l’Agenda pour le développement, dont l’un des objectifs est le renforcement du secteur public de la santé. Entre 2004 et 2009, les projets associés à l’Agenda pour le développement ont été discutés sans fin dans toutes les assemblées générales de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sans arriver à des décisions contraignantes pour les pays membres. On peut penser que la cause principale de ce blocage réside dans la politique d’obstruction systématique développée par les pays industrialisés.
D’abord pré carré de l’OMPI, après la ratification de l’Accord sur les ADPIC, la protection de la propriété intellectuelle (PI) a été rapidement perçue par les pays développés qui voulaient renforcer son contrôle international comme relevant de préoccupations économiques et commerciales, domaines spécifiques de l’OMC. La Convention instituant l’OMPI prévoyait d’ailleurs déjà la nécessité de collaborer avec d’autres organisations internationales. Les domaines de compétence respectifs de l’OMC et de l’OMPI restaient cependant bien distincts : les controverses politiques concernaient l’OMC et son Conseil des ADPIC, qui reconnaissaient l’intérêt d’utiliser les ressources importantes de l’OMPI en ce qui concerne l’aide à la formation et au développement dans les PED.
Ceci dit, progressivement, les accords globaux négociés au sein de l’OMC ont été négligés au profit d’accords bilatéraux ou multilatéraux négociés hors de l’OMC, sous forme d’Accords de Libre Echange (ALE). En ce qui concerne les instances décisionnelles suisses, on a considéré que les négociations de l’OMC piétinaient et on a pris le parti de conclure des accords bilatéraux. Ceux-ci sont plus contraignants (voir ci-dessous) en matière de propriété intellectuelle et les industries pharmaceutiques s’en réjouissent.
Quand le vivant devient brevetable
Dans notre second livre, nous nous sommes intéressés à l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) [4], cette grande inconnue nichée dans le gratte-ciel de l’OMPI, à la place des Nations (Genève). Une réflexion sur le rôle de l’UPOV, de même que sur ses initiatives et ses tensions internes, fait désormais partie des intérêts majeurs de la CSSR : elle s’intéresse aux dangers que les régimes actuels et programmés de défense acharnée des droits de propriété intellectuelle, en particulier leur extension au domaine agricole, présentent pour la santé des populations des pays pauvres et, de façon indirecte, pour l’accès aux médicaments essentiels dans les PED (II, 47).
Ces dangers ne concernent pas seulement le domaine agricole : ils ont acquis une visibilité accrue à cause des polémiques récentes sur la « brevetabilité du vivant », en lien avec les nouvelles « obtentions végétales ». Cette brevetabilité semblait exclue par l’accord sur les ADPIC, mais elle a réussi à se donner une certaine légitimité par un tour de passe-passe sémantique : on a réussi à estomper la différence entre invention (brevetable) et découverte (non brevetable). Le glissement insidieux de la brevetabilité d’une invention à celle d’une découverte, ou d’une « obtention végétale », favorise la piraterie des savoirs traditionnels (par exemple, pour les plantes non répertoriées) (II, 48).
Pourtant, il est clair que l’interprétation de la loi ne relève pas d’un problème sémantique, mais d’un rapport de forces entre les intérêts des populations les plus défavorisées et ceux des grandes puissances industrielles et agricoles (privées et étatiques). Et c’est autour de cette défense acharnée des droits de propriété intellectuelle dans des domaines extrêmement proches de l’alimentation et de la santé publique, que nous avons cherché à identifier les positions et les décisions prises par les pays industrialisés (II, 49).
C’est le processus en acte qui est dangereux : le passage graduel, difficilement contrôlable, ou contrôlé seulement par des acteurs puissants, qui part de définitions assez strictes sur ce qui est brevetable et sur ce qui ne l’est pas, pour amener finalement dans un espace assez flou, où tout – si l’on est assez fort et influent et dispose de laboratoires ultramodernes – peut devenir brevetable grâce à des arguties scientifiques ou juridiques. C’est en cela que nous voyons l’intérêt des mises en garde et des actions de sensibilisation de l’ONG no-patents-on-seeds [pas de brevets sur les semences, NDLR] : l’espace de non brevetabilité est lentement mais progressivement grignoté par les multinationales, puisque les rapports de force jouent toujours en leur faveur (II, 35).
La première Convention de l’UPOV, signée en 1961, est entrée en vigueur en 1968. Révisée en 1978, puis en 1991, cette dernière mouture a soulevé des débats acharnés. Elle permet une réutilisation du matériel de récolte (pour le blé, par exemple), mais elle interdit généralement l’utilisation du matériel de multiplication (pour les légumes, les fruits, les baies). Tout pays signataire de la Convention de 1991 peut statuer que ses paysans gardent le droit, en particulier, de ressemer leur récolte de variétés végétales protégées par un brevet. Ceci n’est peut-être pas important pour les paysans des pays industrialisés (qui utilisent des variétés strictement définies par le marché et des variétés hybrides instables), mais peut être essentiel pour les PED, où de petites exploitations agricoles subissent de fortes pressions en faveur de l’utilisation de variétés protégées par un brevet, alors que pour ces paysans, ressemer une partie de leur récolte est essentiel à leur survie (II, 28-29). Or, dans les traités de libre-échange, il est souvent demandé aux PED d’adhérer à la Convention UPOV de 1991.
Voilà plusieurs raisons pour lesquelles il faut témoigner d’une vigilance accrue par rapport aux activités et initiatives futures de l’UPOV.
Les engagements ambigus de l’OMS
Fondée en 1948, en tant qu’agence spécialisée de l’ONU, l’OMS s’est vu confier la lourde tâche « d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible » [5]. Dans ce sens, lors de l’entrée en vigueur de l’accord sur les ADPIC, son engagement en faveur d’une interprétation souple nous a semblé très positif. Nous nous sommes alors intéressés à la variété des initiatives prises par l’OMS en vue d’un accès facilité aux médicaments essentiels. Dans notre dernier ouvrage, nous avons souhaité rendre compte de l’ambiguïté des engagements récents de cette organisation en tenant compte principalement de l’accès aux médicaments essentiels, mais aussi de la lutte contre les médicaments contrefaits, de la collaboration avec d’autres institutions, et de l’affaiblissement de son poids face à la prolifération d’agences dédiées à la santé publique.
L’OMS s’est dotée d’une commission ad hoc, la commission sur les droits de propriété intellectuelle, l’innovation et la santé publique (CIPIH), dont le but était de présenter une analyse des effets du régime de propriété intellectuelle sur l’accès aux médicaments essentiels et du rôle potentiel de l’innovation dans le développement de nouveaux médicaments pour traiter les maladies spécifiques des PED. Dans son rapport final, la commission a jugé que « toutes les firmes pharmaceutiques devraient adopter des politiques de prix transparentes et cohérentes et s’efforcer de réduire les prix de manière plus systématique pour les pays en développement […] ».
Et pourtant, durant la brève vie de la CIPIH – remplacée par une structure permanente –, l’intense production de documents ne s’est jamais soldée par l’adoption de mesures concrètes. Nous regrettons également que l’OMS ait abandonné les programmes parallèles destinés à une utilisation plus rationnelle des médicaments. Elle semble aussi avoir délaissé le domaine des maladies orphelines [dont on ne sait soigner que les symptomes, NDLR], traditionnellement négligées en raison des coûts élevés de la recherche et aux maigres perspectives de profits qu’elles supposent pour l’industrie pharmaceutique. Il ne s’agit pourtant pas de maladies bénignes, très rares ou difficilement traitables, mais de maladies graves, qui touchent des millions d’individus dans les PED et qui pourraient être traitées si des médicaments adéquats étaient étudiés (II, 63). Face à l’activisme de plusieurs ONG et aux millions investis par Drugs for Neglected Diseases initiatives (DNDi – un partenariat public/privé qui a abouti à des résultats concrets, dont une association thérapeutique contre le paludisme libre de brevet), l’OMS s’est maintenue dans une position plutôt marginale dans un domaine où elle pourrait jouer un rôle pionnier (II, 71-75).
Pour mener sa lutte contre les contrefaçons de médicaments et produits médicaux, l’OMS a convoqué une réunion à Rome, où il a été décidé de créer une coalition globale : l’International Medical Products Anti-Conterfeiting Taskforce (IMPACT). Il n’a été fait aucune distinction entre le danger réel des médicaments clairement contrefaits et la lutte contre des produits non autorisés (éventuellement génériques), mal étiquetés, moins élégamment confectionnés que les originaux. Les exigences et les pressions venant des organisations de défense des droits de propriété intellectuelle ont fini par créer un climat de soupçons envers IMPACT (II, 65). Faute de consensus sur la définition de la contrefaçon, cette question nécessite la vigilance des ONG afin d’empêcher que l’OMS ne s’engage dans la protection de la propriété intellectuelle sous couvert de la protection de la santé publique.
Depuis plusieurs années, l’OMS fait face à une série de critiques de la part de milieux sensibles à la santé publique. D’un côté, celles-ci soulignent l’échec de l’OMS dans l’amélioration de l’état de santé de nombreuses populations pauvres [6], de l’autre, elles dénoncent ses collusions avec l’économie privée, plus particulièrement avec l’industrie pharmaceutique, thème largement abordé par la presse suite à ses recommandations par rapport à la grippe A.
Par ailleurs, l’OMS devrait jouer un rôle de premier plan et occuper une fonction pionnière pour la promotion de la santé publique au niveau international, mais elle fait face à la montée d’autres pouvoirs (institutions transnationales et fondations privées) qui gagnent un espace grandissant parmi les décideurs et pèsent souvent plus lourd qu’elle. Selon Global Health Watch [7], « l’influence croissante de l’économie néolibérale et les attaques au multilatéralisme pilotées par les Etats-Unis ont créé un contexte difficile pour le travail de l’OMS. Cette organisation, privée de ressources et quelquefois mal guidée, n’est pas capable de trouver une réponse efficace ». La prolifération d’organisations dédiées à la santé a certes apporté des fonds additionnels à la lutte contre certaines des maladies les plus graves, répandues dans le monde, mais elle a enlevé à l’OMS son rôle central dans la définition et la réalisation d’une politique cohérente, intégrée et globale de santé publique.
Traités bilatéraux et normes de l’OMC
Lors de la création de l’OMC en 1995, l’accord sur les ADPIC était considéré comme la base du droit international des brevets. Bien que très controversé, cet accord avait retrouvé une certaine crédibilité après la Déclaration de Doha de 2001, qui renvoyait le balancier du côté de la santé des populations (II, 79). Or, bien que l’attention médiatique soit concentrée sur les organisations multilatérales, comme l’OMC et les grands sommets internationaux comme celui de Doha, les limites du régime international des brevets sont maintenant repoussées par la voie plus discrète, mais non moins efficace, des accords bilatéraux.
En ce qui concerne plus particulièrement les médicaments, l’une des missions de l’Accord sur les ADPIC était de mettre en place le système des brevets dans le cadre d’une reconnaissance internationale de la propriété intellectuelle. Mais une nouvelle série d’accords de libre-échange (ALE), négociés en dehors de l’OMC, imposent des niveaux encore plus élevés de protection des droits de propriété intellectuelle sous forme de mesures qu’on appelle ADPIC-plus. Elles incluent le prolongement, au-delà de vingt ans, de la durée de vie des brevets, l’interdiction d’utiliser les résultats des recherches cliniques sur l’efficacité et l’innocuité des médicaments protégés lors de la production de génériques, la commercialisation de produits génériques pendant un certain laps de temps et, dans certains cas, des limitations aux motifs pouvant justifier l’accord de licences obligatoires (II, 80) [8].
Si les accords de libre-échange sont légalement compatibles avec la Déclaration de Doha sur la santé publique, ils contreviennent à son esprit. La Déclaration Doha a été clairement adoptée en vue de préserver des flexibilités pour les PED. Parmi les moyens de pression économiques utilisés pour faire accepter les réformes ADPIC-plus, les pays riches utilisent les accords commerciaux bilatéraux (II, 86). Ces accords de libre-échange se négocient généralement dans la plus stricte confidentialité : les textes sont tenus secrets jusqu’au moment où ils sont acceptés. Les parlements ne sont pas consultés et l’opinion publique est tenue à l’écart. En général, seuls les ministres du commerce, des finances et des affaires étrangères sont invités à participer à leur élaboration.
Les pressions économiques et politiques exercées par les industries et les gouvernements des pays riches et qui entravent le droit des PED à faire valoir les flexibilités prévues par l’ADPIC s’exercent ainsi surtout lors de négociations bilatérales, régionales et sous-régionales, en constante augmentation depuis l’échec des négociations au sein de l’OMC. On a vu, par exemple, ces nouvelles normes ADPIC-plus en œuvre dans l’ALE conclu par les États-Unis avec l’Australie, qui stipule que « chaque nouvelle utilisation ou méthode nouvelle d’utilisation d’un produit connu requiert l’accès à un brevet ». Les accords des Etats-Unis avec le Maroc et Bahreïn vont encore un pas plus loin, puisqu’ils précisent que la brevetabilité de nouvelles utilisations de produits connus inclut ceux qu’on « utilise pour le traitement d’humains ou d’animaux » (II, 85).
Comme une règle adoptée dans un traité est généralement maintenue dans les suivants, on peut bien imaginer que les États-Unis vont utiliser les accords avec l’Australie, le Maroc et Bahreïn pour convaincre les pays andins de changer leurs lois afin de permettre la brevetabilité d’une utilisation nouvelle de médicaments déjà connus. Autre exemple : le traité DR-CAFTA, qui lie des pays d’Amérique centrale et l’Union européenne, qui a vu le Guatemala modifier sa législation dans ce sens après sa mise en place (II, 85).
La Suisse face et les droits de propriété intellectuelle
Nous avons essayé de faire une analyse critique des cohérences (et incohérences) des prises de position du gouvernement suisse au regard des objectifs qu’il s’est fixé dans le domaine de la politique extérieure en matière de santé. Ces objectifs figurent dans un document publié en 2008, intitulé Politique extérieure suisse en matière de santé ; Convention d’objectifs pour la politique extérieure en matière de santé [9]. Voici sa ligne directrice : la Suisse, qui compte une importante industrie pharmaceutique et possède une longue tradition humanitaire, a intérêt aussi bien à protéger de manière adéquate la propriété intellectuelle, qu’à faciliter l’accès des pays les plus pauvres aux médicaments vitaux (le document affirme que le secteur privé prend toujours plus conscience de sa responsabilité sociale à l’échelle mondiale dans le secteur de la santé, ce qui offre de nouvelles possibilités de coopération) (II, 110).
Mettre sur le même plan les droits de la protection intellectuelle et un droit humain tel que le droit à la santé pour tous, n’est-ce pas là une contradiction ? Et que penser de l’inertie du gouvernement suisse face à la série interminable de recours présentés par Novartis contre des décisions de la justice indienne qui, dans le cadre strict de l’Accord et de la législation indienne sur la protection intellectuelle, a refusé d’accorder un brevet pour un médicament anticancéreux (le Glivec) qui ne présentait pas d’avantage sensible sur le médicament déjà produit comme générique. A notre connaissance, aucune déclaration officielle du gouvernement suisse critiquant cet acharnement de Novartis n’a été rendue publique à ce jour (II, 110-111).
De même, alors que la Convention cite en exemple d’une politique suisse cohérente et durable l’amélioration de l’accès des pays en développement à des médicaments de base à des prix abordables, comment doit-on interpréter la prise de position de la Suisse vis à vis du gouvernement thaïlandais qui a octroyé des licences obligatoires (cf. note 18) sur des médicaments brevetés par Roche, Novartis et Sanofi-Aventis ? Dans un aide mémoire datant de février 2008, Berne exprime sa préoccupation par rapport à l’utilisation systématique de licences obligatoires : elle serait susceptible de vider de sa substance un système de protection effective des brevets qui serait, à long terme, dans l’intérêt de la santé publique. Dans ce document, il est demandé au gouvernement thaïlandais de négocier avec les entreprises concernées de manière à trouver une solution permettant de fournir aux patients thaïlandais des médicaments originaux (et non des génériques !) à des prix accessibles (II, 117).
La Suisse a établi des accords de libre-échange avec de nombreux pays (24 en janvier 2011) (II, 139). Dans l’accord signé avec le Vietnam, notamment, elle exige l’adhésion à la Convention UPOV de 1991. Or, il est intéressant de noter que la Suisse, qui a signé cette convention en mars 1991, ne l’a ratifiée qu’en août 2008. Donc, avec une certaine réticence (des raisons claires pour cela, n’ont jamais été données) !
En tant que pays industrialisé avec une puissante industrie pharmaceutique, la Suisse a tout intérêt à adopter des positions rigides sur la protection des brevets à l’échelle internationale. Ainsi, selon les autorités suisses, seule une protection solide, insérée dans un cadre international rigoureux, permet de justifier des coûts de recherche énormes dans plusieurs secteurs dédiés notamment aux sciences de la vie (II, 114). Or, il est intéressant de noter ici, que cette argumentation, généralement avancée pour justifier le renforcement de la propriété intellectuelle, a été récemment mise en doute par un groupe d’experts internationaux en biotechnologie, innovation et propriété intellectuelle. Par conséquent, la Suisse devra peut-être trouver d’autres arguments que la promotion de la recherche et de l’innovation pour justifier sa surenchère en matière de droit de la propriété intellectelle (II, 115).
La question de l’accès aux médicaments dans les PED ne semble pas être très présente dans les débats politiques suisses (II, 115-116). Ainsi, depuis 2001 (Déclaration de Doha), nous n’avons trouvé qu’un très petit nombre d’interventions de parlementaires portant sur l’accès facilité aux médicaments pour les pays en développement. Ce manque d’intérêt politique avait déjà été déploré par MSF en 2003, qui avait alors demandé à nos autorités de se doter d’une réelle politique en la matière (II, 116). La Convention de 2008, citée précédemment ne répond pas véritablement à cette demande. Nous estimons pour le moins que la Suisse pratique une politique extérieure en matière de santé qui manque de cohérence, dans la mesure où les engagements en faveur du développement fondent comme neige au soleil devant la logique des intérêts industriels et commerciaux (II, 118).
Conclusion
Dans ces deux publications, la Centrale sanitaire suisse romande (CSSR) a voulu montrer comment, depuis la ratification de l’Accord sur les ADPIC, les problèmes de l’accès aux médicaments ont navigué de l’OMC vers l’OMPI, puis de l’OMPI vers l’OMS, et progressivement, en dehors de tout cadre multilatéral, au gré de relations commerciales à la carte entre pays (ou groupes de pays) (II, 150). Dans ces relations, une exigence accrue de protection de la propriété intellectuelle est souvent requise.
Nous avons pu constater que le fonctionnement des diverses organisations internationales, dont la discrète mais puissante UPOV, impliquées dans ces régulations n’est pas toujours intelligible.
En dehors des traités internationaux, des droits de propriété intellectuelle et de tout ce qui est discuté et décidé par le haut, l’accès aux médicaments est aussi indissociable de la complexité sociale et politique (comme, par exemple, des dangers liés à la privatisation des services de santé). En d’autres termes, si nous avons principalement traité ce problème en suivant une approche institutionnelle, nous sommes conscients que le sort de l’accès aux médicaments se joue à de multiples niveaux de l’échiquier social, politique et économique (II, 115).
Comission information de la CSSR