Ouvert sous le signe de la solidarité active avec les révolutions tunisienne et égyptienne, le Forum social mondial de Dakar s’est symboliquement terminé le jour même de la chute de Moubarak.
Ce serait forcer le trait et embabouiner nos lecteurs et lectrices que de faire du mouvement altermondialiste la cause de l’ébranlement des dictatures en Afrique du Nord. Il n’empêche que la tenue de onze forums l’an passé dans le Maghreb, dont un en Egypte, sur l’environnement et la santé, a certainement laissé des traces et redoublé la volonté d’agir de ses participant-e-s.
Soupçonné — non sans raison — de s’embourgeoiser et de devenir la vitrine d’organisations non gouvernementales (ONG) plus soucieuses de leur pérennité que de lutte anticapitaliste, le Forum social mondial a donné, à Dakar, des signes plus rassurants. Non que les débats entre réformistes, réformateurs et révolutionnaires (pour reprendre la formule de Gustave Massiah, membre du conseil international du Forum) y aient cessé. Mais le Forum a démontré être en prise directe avec son environnement politique et social régional et non pas une culture sous serre exotique.
La manifestation d’ouverture a représenté l’une des plus grandes marches à Dakar, à tel point que l’un de ses organisateurs n’hésita pas à la comparer à celle qui avait accueilli De Gaule au même endroit il y a cinquante ans et qui alluma la mèche des indépendances africaines. La présence de nombreuses caravanes venues de la région et du reste de l’Afrique a assuré ainsi une présence massive des Africains et des Africaines. Exemple de cette représentativité, les thèmes traités, comme l’accaparement des terres ou des matières premières, ou encore les nouvelles formes de colonisation, correspondaient parfaitement à ce que vit le continent.
L’inscription du Forum social dans la réalité peut aussi se lire à un autre niveau, celui de la participation de ses membres au combat pour la justice climatique et sociale, un thème popularisé après la naissance du mouvement « alter ». Or toutes les organisations qui composent la coalition Climate justice now sont membres du Forum social, qui se trouve ainsi en phase avec ces grandes mobilisations.
Autre élément positif : l’engagement pris par rapport à un certain nombre d’échéances internationales. Président d’Attac Tunisie, Fathi Chamkhi a ainsi proposé que la date du 20 mars 2011 devienne celle d’une journée internationale de solidarité avec les luttes des peuples arabes. Pourquoi le 20 mars ? Pour deux raisons : d’une part, c’est l’anniversaire de la réunion de l’Assemblée constituante tunisienne en 1956, que Chamkhi qualifie de « rendez-vous manqué avec l’indépendance », à ne pas répéter justement. Et d’autre part, c’est la date anniversaire, en 2003 cette fois, de l’invasion impérialiste de l’Irak. A nous de donner chair et sang à cette proposition de journée de solidarité avec les peuples arabes.
D’autres échéances ont aussi été fixées pour riposter aux plans des dirigeants des pays les plus riches, réunis sous l’auguste présidence du grand ami des autocrates arabes, Nicolas Sarkozy. La première de ces réunions aura lieu les 26 et 27 mai à Deauville et rassemblera le G8 ; la seconde se déroulera les 3 et 4 novembre à Cannes et regroupera le G20. L’Assemblée des mouvements sociaux du Forum a ainsi appelé à se mobiliser « massivement à l’occasion des réunions des G8 et G20 pour dire non à ces politiques qui nous traitent comme des marchandises ! » Comme en écho, la coalition G8-G20 qui organise les manifestations en France explique : « Nous refusons de laisser aux puissants le droit d’imposer leurs solutions à des crises qu’ils ont engendrées. Nous voulons montrer que des voies alternatives existent, pour l’accès de tous aux droits humains fondamentaux, pour un partage plus juste des richesses, pour des modes de production et de consommation qui préservent la planète et pour une démocratisation des instances de décisions internationales ». Présente aussi à Dakar, la coalition a pu y faire connaître un slogan promis à un bel avenir, au moins jusqu’en novembre : « g8-g20 : les peuples, pas la finance. Yes, we Cannes ! » Nous le ferons nôtre.
Daniel Süri