Introduction
Ce rapport est conjointement destiné à Attac-France et à Attac-Institutions européennes. Par commodité, mais aussi parce que ma participation aux mobilisations de Séoul a effectivement reflété ces deux dimensions : l’investissement actif d’Attac dans le réseau associatif constitué en France sur la question des « rencontres Asie-Europe » ; et un niveau spécifiquement européen qui s’affirme tant sur le plan politique (l’implication de l’UE en tant que telle et un champ d’action interparlementaire) qu’organisationnel (l’existence d’un réseau associatif européen, la constitution d’un nouveau réseau parlementaire Europe-Asie).
Je vous ai déjà envoyé des rapports durant la préparation d’ASEM-3. Depuis cette rencontre, j’ai écrit deux articles pour le Grain de sable, l’un sur la délégation française et les mobilisations, l’autre sur les initiatives parlementaires. Je ne veux pas me contenter, ici, d’allonger la sauce de ces articles. Il me semble nécessaire d’entrer plus dans le détail des activités et des problèmes afin que ce rapport puisse servir de point de repère pour un suivi ultérieur de ces questions. Il sera donc long. Pour en alléger la lecture (?), je l’ai agrémenté de quelques anecdotes, peut-être significatives (vous apprendrez ainsi pourquoi je me suis prosterné par deux fois devant une tête de cochon hilare). Et j’espère que d’autres qui se sont rendus en Corée du Sud (Christophe Aguiton, Bernard Cassen...) pourront le compléter...
Il y a en fait deux champs de questions à traiter, qui ne se recoupent que partiellement :
– 1. Les mouvements coréens et les liens que nous tissons avec eux : la Corée du Sud est devenu l’un des pays qui « comptent » spécifiquement dans nos activités internationales et ASEM-3 fut une nouvelle occasion de les resserrer.
– 2. Le processus ASEM et l’intervention syndicalo-associative qui l’accompagne. Les sommets ASEM des chefs d’Etat se tiennent alternativement en Asie et en Europe. Le prochain se réunira en 2002 au Danemark. Certains problèmes auxquels nous avons été confrontés à Séoul se manifesteront à nouveau dans la préparation d’ASEM-4, mais d’autres étaient liés à la géopolitique militante du pays hôte. Que nous réserve le Copenhague ? Je n’ai pas le temps de revenir sur toutes ces questions ici. Ce sera l’objet d’une note ultérieure.
I/RAPPEL
1. Le processus intergouvernemental ASEM
Les rencontres Asie-Europe (ASEM) ont débuté en 1996. Les « sommets » se tiennent tous les deux ans, avec les chefs d’Etat ou de gouvernements de l’Union européenne (plus le président de la Commission) et de dix pays d’Asie orientale (le Japon, la Chine, la Corée du Sud et ceux de l’ASEAN - moins la Birmanie). Ne participent pas à ces rencontres, outre la Birmanie, la Corée du Nord, le Cambodge, le Laos et les pays d’Asie du Sud. Entre ces sommets, le « processus ASEM » se déroule avec diverses réunions interministérielles, entre experts, etc.
ASEM-1 s’est tenu à Bangkok en 1996 : ce fut un départ en fanfare alors que chacun chantait le miracle économique asiatique. ASEM-2 s’est réuni à Londres en 1998 : ce fut un non-événement après les crises financières de 1997 en Asie orientale et l’approche de la crise du Kosovo en Europe, qui polarisait l’attention de l’UE.
ASEM-3 vient donc de se tenir en octobre 2000 à Séoul.
2. Le réseau associatif
Depuis l’ouverture du « processus », un réseau associatif s’est constitué pour faire entendre les voix de la « société civile ». Il est très inégalement représenté suivant les pays. Nous connaissons bien certains « piliers » de ce réseau en Europe (le Transnational Institute d’Amsterdam, dont Susan George est une « fellow ») et en Asie (Focus on the Global South de Bangkok, qui est devenu l’un de nos principaux partenaires). Mais aujourd’hui encore, je connais assez mal d’autres éléments actifs du réseau (par exemple la Asienhaus et la Korea Association d’Hambourg, avec Roland Wein, ou One World Action de Grande-Bretagne, avec Andy Rutheford...). Il faudrait vraiment, à l’avenir, trouver le temps de faire mieux connaissance...
Attac n’étant pas encore né (ou tout juste), elle n’a pas participé aux activités associatives lors des sommets de 1996 et 1998. Mais la plupart des organisations fondatrices d’Attac n’étaient pas non plus impliquées dans le réseau associatif concerné. Notre histoire « ASEM » ne commence donc véritablement que fin 1999.
Depuis lors cependant, Attac est devenue l’une des organisations qui a joué un rôle très actif dans la préparation d’ASEM-3, de concert notamment avec le Centre Lebret (qui représente la coordination française dans le Comité d’Organisation international - OIC - avec Sergio Regazzoni ou Sally Rousset) et, dans son champ d’intervention, le CCFD. Mais avec certaines limites : nous n’avons pu investir que des moyens militants réduits et nous nous sommes intégrés à un processus déjà existant, que nous avons tenu à respecter.
Prenons, par exemple, la question de la déclaration préparée pour le forum de Séoul. Il avait été décidé, avant notre entrée en jeu, que ce serait l’occasion d’une mise à jour du document (« A People’s Vision ») qui avait été rédigé pour ASEM-2 et adopté en 1998. Ce choix n’était pas évident, tant la situation avait évolué en deux ans, mais nous n’avons pas voulu le remettre question. Ceci dit, il n’était pas simple pour Attac de retravailler en détail un texte dont elle ne connaissait pas l’histoire. Faute de pouvoir y consacrer le temps nécessaire, nous nous sommes donc contentés de formuler quelques remarques d’ordre très général, sans nous engager précisément dans sa réécriture.
II/LA DYNAMIQUE EN FRANCE
Le réseau associatif « ASEM » en France est resté assez limité (et de facture « catho ») en 1996-1998. Il était pour l’essentiel composé du Centre Lebret (aujourd’hui membre d’Attac) et du CCFD (et un peu de Frères des Hommes). Je ne connais pas les conditions dans lesquelles l’activité « ASEM » a débuté dans l’Hexagone. Mais on peut noter que l’Asie est chez nous la parente pauvre de la solidarité tiers monde (comparée à l’Afrique, au monde arabe et à l’Amérique latine) et que le niveau européen (la politique de l’UE) ne s’est imposé que récemment aux consciences militantes.
ASEM-3 s’est tenue sous présidence française. Nous avions espéré que cela aurait un effet porteur, mais ce fut plutôt l’inverse : les autorités françaises ont accordé fort peu d’importance à cette échéance (l’habituel provincialisme hexagonal !), une partie des experts régionaux du ministère des Affaires étrangères a été mobilisée par la question des otages de Jolo et, surtout, toute l’attention publique a été focalisée sur la crise de la CIG (Nice).
Pourtant, le réseau militant « ASEM », en France, s’est considérablement élargit en 1999-2000 et a gagné en consistance. Divers facteurs ont joué positivement. L’impact durable de la crise asiatique de 1997. L’intérêt nouveau pour les mouvements sociaux en Corée du Sud (liens syndicaux en particulier avec la KCTU, question des chômeurs, collaboration précocement établie avec Attac...). Une vision militante « globalisée » par la convergence internationale des résistances à la mondialisation libérale... Un espace s’est ainsi ouvert. Je crois qu’il est juste de dire que c’est dans une large mesure l’intégration active d’Attac au réseau « ASEM » français qui a permi de concrétiser ce nouveau potentiel militant en multipliant les points de contact avec des secteurs du mouvement syndical et social.
La visite en Europe, au printemps 2000, d’une délégation asiatique (dont le voyage a été largement financé par la Friedrich Ebert Stiftung d’Allemagne) a permis de mesurer la progression en cours. Malgré la brièveté du séjour français de cette délégation, elle a pu rencontrer la CGT-Renault au niveau national (Renault a pris le contrôle de Samsung Motor en Corée du Sud), la Confédé paysanne, Sud-PTT, Attac, et, à l’occasion d’une rencontre collective, des représentants de la CFDT confédérale, de la FSU et de diverses associations (Frères des Hommes, Femmes et Changement, Rapsode Production, Pénélopes...) souvent tournées vers l’Asie (Info Birmanie, France-Pays du Mékong, ADIL et communauté indonésienne).
Toutes les organisations intéressées ne se sont certes pas rendues à Séoul, en octobre 2000. Parce qu’ASEM-3 a été ici un « non événement » en l’absence d’initiative politique de la présidence française. Parce que l’Asie reste marginale, très rarement prioritaire, du point de vue des organisations françaises. Parce que le calendrier d’activité international de l’automne était surchargé et forçait à faire des choix...
Malgré cela, la délégation française à Séoul a été l’une des plus importantes tant par le nombre que par la composition (avec une participation effective du mouvement social) (ce qui était aussi vrai, notamment, de la délégation thaïlandaise) : Centre Lebret (trois, dont Sally Rousset), CCFD (trois, dont le secrétaire général Jean-Marie Fardeau), Attac (Bernard Cassen en début de conférence et moi-même), AC ! (Jeanne Revel), Sud-PTT/Groupe des dix (Verveine Angeli), Mouvement des sans-papiers (Mamadou Diouck), chercheure (Fauzia Aouididi)..., soit une quinzaine de personnes en tout.
L’activité, à Séoul, de la délégation française a été fort notable. Elle a été sollicitée, en particulier Attac, ce qui confirme l’intérêt porté en Corée du Sud envers notre expérience.
III/LA DIMENSION UE ET INTERPARLEMENTAIRE
Au niveau du Parlement européen, nous nous sommes heurtés à plusieurs difficultés. Tout d’abord, le PE est tenu à l’écart du « processus ASEM », qui fait partie du domaine réservé de la Commission et du Conseil. Il existe officiellement un « processus ASEP » (rencontres parlementaires) qui devrait l’accompagner, mais ASEP n’a jamais pris forme. Ensuite, il y a eu au Parlement une rupture de continuité, avec les élections de 1998, dans le suivi de cette question : pour une part, les députés et fonctionnaires les plus concernés n’ont pas été réélus ou ont changé de fonction. Si bien qu’il a largement fallu recommencer à zéro, sur ce terrain.
Dans ces conditions, et compte tenu d’un planning d’activité très chargé, le comité Attac-IE ne pouvait pas faire de Séoul une « priorité n°1 » (comme Nice ou Porto Alegre). Il souhaitait néanmoins être impliqué vu l’importance des enjeux (on peut ici faire un parallèle avec l’échéance de Dakar). Par ailleurs, ASEM-3 comme processus intergouvernemental met plus directement en jeu le terrain parlementaire que des rendez-vous sociaux... d’où un poids particulier des élu(e) s et des groupes parlementaires.
Or, la rupture de continuité déjà mentionnée a ici pris des aspects presque paradoxaux. Dans le passé (ASEM-1 et 2), les groupes PS et Verts étaient plus actifs, alors que la GUE/NGL était passive. Cette fois-ci, Patricia McKenna (verte, Délégation Corée-ANASE) étant pratiquement indisponible, c’est l’inverse qui s’est produit. Plusieurs députées de la GUE/NGL se sont déclaré intéressées par Séoul, même si finalement seule Roseline Vachetta a pu s’y rendre effectivement.
Deux membres d’Attac-IE ont donc participé aux mobilisations de Séoul (Roseline et moi-même). D’autres élus sont venu de Malaisie, Thaïlande, Birmanie (Parlement en exil) et Irlande (la crise politique a interdit à des Philippins de venir). L’articulation du terrain « parlementaire » et des activités « citoyennes » (dans le cadre du Forum de la société civile) a posé plus de problèmes à nos hôtes sud-coréens que nous ne l’avions envisagé, certains d’entre eux ayant du mal à concevoir une présence militante d’élus. Ils craignaient de devoir recevoir les élus avec apparats (bon restaurant, etc.). Quand j’expliquais qu’il ne fallait pas s’en faire, que Roseline est une militante, bien que députée, ils me répondaient « Ah bon, elle a été militante ? » L’anecdote doit être significative, d’anciens militants étant devenus députés et membres du gouvernement ces dernières années en Corée du Sud : la coupure semble radicale entre avant et après...
On avait parfois l’impression que l’arrivée de députés était perçue comme un embarras plus que comme une aide, du moins pour certains membres du comité d’organisation coréen du Forum (d’autres en étaient heureux, fort heureusement). Et qu’ils avaient une vision très institutionnelle de ce que des élus peuvent faire : les députés, ce devait être l’affaire de l’Assemblée nationale, pas du Forum civique. Il y a eu un temps de dialogue épistolaire de sourd entre Bruxelles et Séoul, avant que la situation ne se débloque brusquement... mais avec un rendez-vous pris à l’Assemblée nationale sud-coréenne. Il y a donc eu une participation des élus au Forum alternatif et aux mobilisations militantes. Une prise de contact entre élus progressistes pour initier la constitution d’un réseau de soutien aux mouvements démocratiques et sociaux dans le cadre d’ASEM. Et un petit-déjeuner très protocolaire à l’AN (voir plus loin le détail).
Deux niveaux différents d’intervention dans le champ parlementaire sont en fait apparus :
1. Une exigence démocratique très générale : que les assemblées élues soient impliquées dans la connaissance et l’orientation de négociations entre Etats qui peuvent avoir de lourdes conséquences pour les populations. Les Parlements en tant que tel sont ici concernés. Et les gouvernants ne sont pas pressés de les impliquer. Au PE, par exemple, sans l’action de la GUE/NGL et de la Délégation Corée-ANASE, la question d’ASEM-3 n’aurait même pas été mise à l’ordre du jour d’une session, avant le sommet de Séoul.
Objectivement, le petit-déjeuner à l’AN sud-coréenne se situe sur ce plan-là. Simplement, à l’exception de l’ancien ministre irlandais des Affaires étrangères, la composition de la délégation non-coréenne ne pouvait pas correspondre à cette ambition : disons qu’il est difficile à Roseline de représenter efficacement et durablement le Parlement européen... Je pense qu’il est légitime et important de poser la question démocratique au niveau même des assemblées. Mais, si on veut le faire au PE avant Copenhague, il faut assez rapidement mettre en mouvement plusieurs groupes parlementaires en tant que tel. Et prendre des contacts dans d’autres parlements (nationaux). Ce qui exigerait l’intervention de présidents de groupe : cela ne peut être le fait d’un député « marginal ».
2. Un engagement militant plus marqué : animer un réseau d’élus dans les pays ASEM qui se range aux côtés des mouvements citoyens et sociaux, tout en portant la question démocratique dans les assemblées élues. Ce qui me semble correspondre au champ d’action propre d’Attac-IE (et aussi d’Attac-France).
IV. NOTRE INTERVENTION A SEOUL
Les activités organisées à Séoul à l’occasion d’ASEM-3 ont été relativement éclatées. Entre le Forum alternatif et les autres mobilisations (rallies et manifestations). Et dans le cadre du forum lui-même (certains ateliers, notamment, commençant plusieurs jours à l’avance). L’intervention de la délégation française a été partiellement coordonnée et partiellement décentralisée.
A. L’intervention de la délégation française s’est d’abord opérée au niveau des ateliers :
– Le Centre Lebret a été l’un des principaux organisateurs de l’atelier international « spiritualité et mondialisation » qui a commencé ses travaux avant Séoul et devrait les poursuivre au-delà.
– Le CCFD a donné la priorité aux ateliers « pauvreté » et « développement ».
– AC ! et Sud-PTT ont été spécialement invités par l’atelier « femmes et travail ».
– Attac-France a été l’un des co-organisateur de l’atelier « finances et commerce » avec la KCTU et Focus on the Global South. J’ai présenté dans cet atelier un rapport sur la campagne Tobin et j’ai brièvement résumé ses travaux pour l’assemblée générale.
B. L’association du réseau français au pilotage central du forum associatif s’est faite via la participation du Centre Lebret au Comité d’organisation international (OIC), en la personne de Sergio Regazzoni et, à Séoul en particulier, de Sally Rousset.
Cependant, Attac a aussi été sollicitée de façon diverse pour intervenir plus centralement que via les seuls ateliers.
– Bernard Cassen étant présent à Séoul au début des initiatives (il était venu au titre du « Diplo » pour un forum « officiel » sur le rôle des médias), il est intervenu en tant que président d’Attac comme « discutant » lors de la plénière d’ouverture. Il aussi répondu à de nombreuses demandes d’interview. Mais il a dû, après, retourner en France.
– J’ai été placé en tribune lors de la conférence de presse initiale du forum, où je suis resté silencieux (mon rôle était simplement d’incarner visuellement l’Europe - pauvre Europe !), puis j’ai moi aussi été amené à répondre à de nombreux interviews.
– Attac a été choisie pour porter le salut des délégués internationaux lors du grand rallye unitaire du vendredi 20 octobre dans l’après-midi. Du fait de son « envergure » et, aussi, parce que ce choix était acceptable par toutes les composantes organisant ce rallye (voir plus loin).
– J’ai aussi été amené à participer, sans en être membre, à certaines des réunions du Comité d’organisation international (IOC) pour donner un coup de main. Je me suis même vu investi d’une mission diplomatique imprévue et délicate. La délégation chinoise au Forum a en effet violemment protesté non pas contre la présence de délégués venus de Taïwan, mais contre le fait que Taïwan soit apparu dans la liste des « pays » présents. Une « entité » cela aurait été acceptable, mais un « pays » non. Mais peut-on faire une liste des « entités » présentes au bas d’un document... Je devais trouver les moyens de calmer le jeu. Cependant, comme personne n’a réussi à me mettre en contact avec la délégation chinoise, je n’ai pas eu à tester mon savoir-faire diplomatique.
C. L’intervention dans le champ parlementaire s’est opérée à deux niveaux différents (voir ci-dessus).
– La rencontre « officielle » a eu lieu le mercredi 18 octobre. Imaginez la situation. Lever du jour au Pays du Matin Calme. Petit-déjeuner offert à l’Assemblée nationale. Côté sud-coréen, une belle brochette de députés du parti présidentiel (Parti du Millenium) et du parti majoritaire au Parlement (le Grand Parti national, issu de la dictature) dont la vice-présidente présidait la rencontre. De l’autre, une députée malaisienne du DAP et un autre du parti musulman (opposition, sans pouvoir), un Birman en exil, le Parlement européen dignement incarné par Roseline, moi qui conseil le tout et, pour nous sauver la mise, un ancien ministre irlandais et socialiste des Affaires étrangères (David Andrews). Entre les deux, quelques représentantes d’OGN sud-coréennes.
J’avais essayé d’esquiver l’épreuve, arguant que je n’avais qu’un blue jeans à me mettre et que je ne voulais pas offenser la représentation coréenne. On m’a quand même obligé à y aller ; et le député birman a sauvé ma face. Il est arrivé directement de l’avion, sans pouvoir se changer. Habillé en blue jeans des pieds à la tête (veste comprise) !
L’ex-ministre des Affaires étrangères nous a tout naturellement représentés à cette occasion. En bon professionnel, il a efficacement manœuvré. La présidente de séance (et vice-présidente du parti de la Réaction) voulait que le petit-déjeuner se conclue sans « décision » aucune. Jouant avec habilité celui qui n’avait rien compris, notre ancien ministre a fait formellement adopter une résolution, préparée par les ONG coréennes, soutenant le forum alternatif et appelant tous les parlements de la zone ASEM à ne pas laisser aux seuls gouvernements le processus ASEM, en préparant activement à cette fin le sommet de Copenhague. Un « Convenor Group » a été constitué (et j’imagine vite oublié) pour inciter les parlements d’ASEM à préparer Copenhague, avec un Sud-Coréen, une Malaisienne, l’Irlandais et... Roseline pour le PE.
Comme indiqué plus haut, si nous désirons rebondir sur ce terrain-là, il faudra que des « poids lourds » parlementaires se mobilisent. Sinon, gageons que « l’Appel du 18 octobre », lancé de Séoul aux parlements de la zone ASEM, sombrera dans l’oubli.
– Le jeudi 19, « l’équipe parlementaire » a déjeuné ensemble, cette fois à la cantine de l’université accueillant le forum alternatif, avec les quelques sénatrice et député(e) s présents. Il y a accord de principe pour constituer un réseau d’élus progressistes dans la zone ASEM pour appuyer mouvements sociaux et démocratiques. J’ai commencé à établir un embryon de fichier électronique, incluant les « assistant(e) s » qui aident des élus en ce domaine sans généralement en avoir (comme moi) le statut professionnel.
Au départ, nous avons ainsi un point d’entrée dans l’exile birman, en Corée du Sud, Thaïlande, Malaisie, Irlande (si David Andrews maintient son intérêt dans la durée...) et au PE. Il devrait être possible d’accrocher les Philippines (actuellement polarisées par la crise politique interne), le Japon, plusieurs pays européens (dont le Danemark, prochain pays hôte)... Mais tout cela est encore bien fragile. Je suis sollicité pour suivre cette question. Mais tenez compte de ce que Roseline n’est pas spécialement tournée vers l’Asie. Sa présence à Séoul participait d’un engagement plus global vis-à-vis des mouvements de résistance à la mondialisation libérale. Je n’ai pas encore trouvé de député d’Attac-IE prêt à s’investir spécifiquement sur les rapports Europe-Asie (le processus ASEM), au côté des mobilisations.
D. Avant de nous rendre à Séoul, nous n’étions qu’imparfaitement au courant des divergences qui se manifestaient entre mouvements sud-coréens. Par-delà ces conflits, j’ai essayé de participer à toutes les initiatives, dans l’esprit unitaire qui caractérise Attac.
– Nous avons préparé le Forum alternatif (« ASEM 2000 People’s Forum »). C’est ce qui a pris l’essentiel de mon temps.
– Je suis intervenu à un symposium international organisé sur un campus universitaire le jeudi 19 octobre au soir par le PSSP (People’s Solidarity for Social Progress, où l’on trouve des partenaires traditionnels d’Attac), KoPA et le DLP (Democratic Labor Party, un parti politique avec une influence de masse, lancé notamment par une aile de la KCTU). Quelque 300 personnes présentes.
– Dans la foulée, je suis resté avec Roseline (et Sally), ainsi que pas mal d’autres délégués internationaux, à la soirée (mi-meeting, mi-spectacle militant très dynamique) organisée sur le même campus universitaire avant les manifestations du lendemain. Organisé par le mouvement étudiant militant et la KCTU (surtout l’aile radicale du mouvement syndical). Quelque 4.000 personnes présentes, avec notamment d’immenses et magnifiques oriflammes.
– J’aurai souhaité être présent à la manifestation du vendredi 20 au matin, organisée par l’aile « militante » et, en particulier, par KoPA (la coalition contre les accords régionaux de libre-échange avec laquelle Attac collabore souvent sur le plan international). Mais cette manif était interdite et les organisateurs étaient incapables, le jeudi soir, de me donner un rendez-vous précis pour le vendredi matin. J’ai donc pris mon temps en petit-déjeunant à l’hôtel, alors que nos amis se faisaient matraquer (l’un des cadres de la KCTU avec lesquels nous travaillons le plus a eu droit à quelques points de suture sur le crâne). Anecdote sud-coréenne : les manifestants n’ont accepté de quitter les lieux qu’après que leurs camarades ont été libérés de prison... et que la police ait accepté de payer les frais médicaux des blessés (en l’absence de sécurité sociale...).
– Je suis intervenu au principal rassemblement unitaire, le 20 octobre dans l’après-midi, avant de manifester (une manifestation cette-fois pacifique, autorisée... et fermement encadrée d’abord par un cordon de policières puis par la police anti-émeute). En me disant que j’allais devenir schizo : le jeudi matin, je petit-déjeune à l’Assemblée nationale avec le parti de la Réaction ; et le vendredi après-midi, j’apporte un vibrant salut internationaliste au peuple mobilisé (quelque 15.000 manifestants, 20.000 selon la presse et les organisateurs).
– J’ai participé à la visite organisée pour les délégations étrangères de la zone démilitarisée entre le sud et le nord de la Corée, le samedi 21 octobre. Cette visite revêtait une importance symbolique évidente pour nos hôtes coréens, à l’heure du dialogue entre les deux zones. Je crains cependant de n’avoir pas été suffisamment à la hauteur, quand ils m’ont demandé ce que je ressentais : pour eux, ce type de visite porte une très forte charge émotionnelle et, au sortir du stress du forum, je n’avais pas « l’énergie mentale » pour me plonger dans le souvenir des horreurs de la guerre de Corée et l’exprimer avec les mots qu’il fallait...
– Le dimanche 22 au soir, j’ai répondu à une invitation du Taegu Round et de la FKTU (la centrale syndicale modérée). Bien peu de délégués internationaux étaient alors encore à Séoul et nous étions seulement trois étrangers : deux membres de l’aile gauche de l’American Friends Service Committee (lié aux Quakers) résidant au Japon, John Fetter et Karin Lee, et moi-même. Nous avons aussi tissé des liens avec le Taegu Round et la FKTU et c’était une bonne chose que je sois resté jusque-là en Corée. Mais cette invitation a encore contribué à aiguiser mes tendances shizos : ce dîner sous égide syndicale, présidé par Jay Choi de la FKTU (elle est venue aux rencontres de Saint-Denis) s’est tenu au Rotary Club de l’Association des Banquiers. Repas chinois avec 9 services, où l’on doit être rassasié sans avoir besoin de manger du riz.
Il y avait un invité sud-coréen de marque, le révérend Soh Kyung-suk, considéré comme l’un des fondateurs du mouvement des ONG. Les deux Américains pensent que l’un des buts des animateurs du Taegu Round et de la FKTU était de nous mettre face à face, pour voir ce qui sortirait de cette rencontre inopinée. Le Coréen a en effet tenu un discours qui m’a évoqué celui des intellectuels français considérant rétrograde la grève générale de novembre-décembre 1995. Il s’est plaint de l’archaïsme syndical et de l’incapacité du président Kim Dae-jung à pousser plus avant les réformes libérales et l’ajustement structurel, pour se débarrasser des Chaebols.
Si notre interlocuteur pensait qu’Attac ne s’intéressait qu’à la taxe Tobin, il a dû être surpris. J’ai brandi le drapeau de la défense des services publics en France, souligné le rôle du mouvement syndical dans notre association, et soutenu de fait la ligne « ni dictature des Chaebols ni dictature du FMI ». Les deux Américains se sont joints à moi.
Le Taegu Round a aussi invité Bernard Cassen à participer à une conférence, en novembre dernier je crois.
– De retour à Paris, j’ai encore rencontré, avec Sally, dans les locaux d’Espace Marx, une délégation sud-coréenne venue participer à une conférence universitaire, à Saint-Denis. Pilotée par Gilbert Achkar et Pierre Cours-Salies, elle était accompagnée de Coréens de Paris (étudiants, enseignants...), soit une quinzaine de personnes en tout. Elle était composée en majorité d’universitaires militants appartenant à l’aile radicale du mouvement (voir plus loin), et de membres d’ONG.
Le responsable de la délégation a présenté un premier bilan des mobilisations organisées à l’occasion d’ASEM-3. Un bilan très critique du côté sud-coréen et, disons, un peu suspicieux quant au rôle joué par Attac à Séoul : n’avons-nous pas été trop opportunistes en « couvrant », lors du forum, l’initiative d’ONG qui visent à déployer des politiques néolibérales ? Après avoir été attaqué sur ma droite par le révérend Soh, lors du dîner organisé par le Taegu Round, j’étais maintenant attaqué sur ma gauche. J’ai essayé de répondre de mon mieux, mais je crois que je n’ai qu’à moitié convaincu.
E. Il y a eu d’autres rencontres ou réunions plus ou moins informelles, dont je ne mentionne ici que certaines.
– Je suis intervenu dans l’atelier « environnement ». Les organisateurs sud-coréens de cet atelier cherchaient en effet quelqu’un pour présenter la critique de l’énergie nucléaire et l’état de la question vu d’Europe, avant la conférence de La Haye. J’ai été sollicité, compte tenu de mes engagements en France en ce domaine et de ma participation à la commission Environnement au Parlement européen. J’ai accepté, en précisant que je ne le faisais pas au nom d’Attac (dont ce n’est pas le terrain d’action et dont les composantes sont divisées sur le sujet...). J’ai d’ailleurs expliqué la nature de ces divisions dans ma présentation (elle est écrite et je peux la communiquer).
– J’ai été invité à la cérémonie d’ouverture du local de l’organisation « Power of the Working Class » (PWC), avant de discuter avec sa direction. Au milieu d’un petit autel couvert de victuailles trônait une tête de cochon coupée. Chacun à notre tour, alors qu’un chanteur battait le tambour, nous avons dû nous déchausser, nous agenouiller, nous prosterner par deux fois devant l’autel, faire quelques gestes mystérieux avec un verre d’alcool, en boire une gorgée... et mettre un billet de banque ou un chèque dans le groin du cochon. J’ai sorti un billet vert (10.000 wons), ce que le maître de cérémonie a relevé d’une voix claironnante (c’était ma plus grosse coupure). Comme quoi la tradition (paysanne) a une base matérielle sonnante et trébuchante. Et tant pis si c’est du marxisme vulgaire que de la dire. Une tête de vache ou de cheval aurait eu encore plus de poids dans la cérémonie... Mais faute de place, la tête de cochon (symbole de prospérité) faisait bien l’affaire. Et le groin est vraiment commode pour glisser billets et chèques. A bon entendeur...
J’avais écrit, dans une étude sur la révolution chinoise, que quand le marxisme pénétrait en profondeur une société de lignée culturelle non-occidental, il en serait nécessairement transformé. Je ne pensais pas alors que cette évidente vérité m’amènerait à me prosterner par deux fois devant une tête de cochon hilare, qui plus est dans les locaux d’une organisation au profil prolétarien si purement affirmé. Les voies de la révolution...
– J’avais rendez-vous avec le DLP (Démocratique Labour Party). Mais c’était samedi soir, après la visite de la zone démilitarisée. Il a fallu annuler cette rencontre, car les embouteillages ont trop retardé notre retour sur Séoul (Roseline avait eu l’occasion de les rencontrer).
– Le lundi 24 octobre, enfin, j’ai rencontré la KCTU (à savoir, Park Ha-soon et Yoon youngmo), puis le PSSP (avec notamment Lee Changguen et Lee Jong-hoi). Comme souvent durant mon séjour, mes interlocuteurs coréens m’ont véritablement soumis à la question, et je n’ai pas eu le temps de les faire parler sur la situation en Corée (notamment dans le mouvement syndical), ce qui est dommage.
Une anecdote quand même, qui doit être significative des rapports entre générations militantes, en Corée. Peut-être parce qu’il m’avait vu débarquer du métro, avec sac-à-dos et valise ou bout du bras, Yoon Youngmo m’a sorti « Vous avez de la chance, en France, d’avoir des gens de ta génération (soixantehuitarde) qui soient encore des militants. Ici, ils veulent tous des positions ». Il semble y avoir une cassure entre générations. Voilà par ailleurs une remarque qui ne m’a pas rajeuni, mais la culture coréenne respecte l’âge, ce que je commence à goûter : il est arrivé que l’on se lève dans le métro pour me céder une place assise... Et quand dans un meeting, je disais qu’à l’époque du soulèvement de Kwanju (1980) j’étais membre d’un petit comité de solidarité Corée (ce qui est vrai), j’étais sûr de mon effet sur les jeunes générations.
– Lundi soir, j’ai encore dîné avec les Coréens qui étaient venus à la conférence de Genève, dont l’un des dirigeants de la KCTU, Yoo Duk-san je crois.
– J’aurai voulu rencontrer un certain nombre d’ONG ou d’associations (femmes, démocratiques, environnementales...), mais il m’aurait fallu pour cela deux jours de plus (je suis reparti le mardi 24).
V. LES TENSIONS ENTRE MOUVEMENTS SUD-COREENS
Dans le cours de la préparation du forum, nous avons perçu l’existence de tensions entre les différentes composantes de la mobilisation en Corée du Sud. Mais ce n’est qu’en arrivant à Séoul que nous avons progressivement pris conscience de leur ampleur.
Ces divergences portaient notamment sur la caractérisation du processus officiel ASEM, sur le principe même des subventions gouvernementales demandées pour le financement du forum, ou sur les formes des manifestations de rue (« confrontationnistes » ou « pacifiques »). De telles tensions s’expriment aujourd’hui dans bien des mobilisations internationales, mais elles s’inscrivent en Corée dans un contexte particulier.
Disons qu’une décennie après la fin de la dictature, divers courants politiques sont encore en voie de constitution (libéraux, social-démocratie, gauche radicale...) qui n’avaient pas pu auparavant prendre forme ou s’organiser. Quant à la KCTU, il lui a fallu s’adapter à la non-clandestinité, puis à la légalité. Par ailleurs, après l’élection à la présidence de Kim Dae-jung, l’ancien opposant démocrate bourgeois aujourd’hui prix Nobel de la Paix, le mouvement syndical a eu bien des difficultés à ajuster les rythmes et les modalités d’une action d’ampleur, alors qu’un président auréolé du combat contre la dictature engageait des réformes libérales.
C’est une situation favorable à la montée des suspicions. L’aile radicale du mouvement accuse ainsi les fondateurs des nouvelles ONG de préparer la constitution d’un courant politique bourgeois-libéral. Je dois dire que les propos tenus par le révérend Soh Kyung-suk, lors du dîner organisé par le Taegu Round, donnent quelque crédit à cette suspicion. Autre exemple, le PSPD (People’s Solidarity for Participatory Democracy) a joué un rôle important dans la préparation du forum alternatif. Mais cette association se donne aussi comme objectif prioritaire l’organisation et la défense des petits actionnaires, au sein des Chaebols - ce qui n’est pas une priorité très... prolétarienne.
L’aile radicale du mouvement juge aussi que la direction de la KCTU n’a pas su ou voulu s’opposer comme il l’aurait fallu aux politiques néolibérales de la présidence (j’ai quand même l’impression que les directions syndicales ont essayé, mais l’organisation d’une lutte de grande ampleur n’était pas si simple que cela). Enfin, elle pense que le DLP (Democratic Labour Party), malgré son discours radical et la présence en son sein d’une aile gauche, vise en fait à occuper la place d’une social-démocratie encore inexistante.
C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre les divergences concernant les mobilisations du vendredi 20. Si l’aile radicale tenait tant à ce que la manifestation affirme sa volonté d’aller vers le lieu où se réunissait le sommet ASEM-3 et accepte pour se faire une confrontation « symbolique » (mais très réelle) avec la police, c’était pour affirmer le caractère « sans compromis » du combat engagé (d’où la fonction politique de la manifestation du matin : afficher sa détermination). L’aile modérée tenait absolument à respecter les accords avec les autorités pour afficher leur caractère « responsable » et leur volonté de « dialogue », alors que les médias avaient mené campagne sur le thème « les casseurs de Seattle et Prague arrivent en masse à Séoul ». La presse a même publié une photo des malheureux participants à l’atelier « spiritualité et mondialisation » en les pressentant comme des agitateurs de rue professionnels. Je dois dire qu’ils n’en avaient pas la tête (ni, pour beaucoup d’entre eux, l’âge)...
La Grande Intox a nourri quelques rêves (et cauchemars) d’un Seattle coréen, qui me semble avoir été totalement illusoire, vu la situation à Séoul.
Les tensions ont été suffisamment aiguës pour qu’une partie des « radicaux » se retirent du forum alternatif et ne participent pas aux travaux des commissions. Ils ont ainsi perdu l’occasion de rencontrer les délégations étrangères, souvent plutôt radicales, ce qui est dommage. Mais je crois que pour beaucoup de Coréens, la dimension internationale du forum a été oubliée et que tout a été jugé sous le prisme des conflits locaux. Ce qui explique probablement en partie la difficulté de certains à comprendre ce que nous avons fait à Séoul. Vous vous rappelez peut-être que j’avais dû préparer une interview, pour la revue du PSSP, sur Attac (France) dont les questions nous donnaient en quelque sorte l’occasion de répondre au sentiment que nous étions par trop modérés...
Ceci dit, au sein de l’aile radicale, le contraste est assez net, sur ces questions, entre les éléments les plus « internationalisés » et les autres. Les premiers comprennent évidemment plus facilement dans quelle dynamique nous nous situons. Cette question de l’internationalisation de l’expérience est certainement très importante en Corée du Sud, isolée linguistiquement, géographiquement et, longtemps, politiquement (sous la dictature). Au sein de la KCTU, par exemple, très rares sont les cadres qui comprennent l’anglais. Après la chute de la dictature, quelques ONG ont ainsi eu le monopole des liens avec le monde (et donc de l’interprétation des dynamiques en cours). Cela change aujourd’hui et l’effritement des monopoles ne se fait jamais sans douleur. Notons quand même qu’un très grand nombre d’ouvrages sont rapidement traduits en coréen et que ce point de vue, la Corée du Sud est beaucoup mieux lotie que la France.
Au lendemain des mobilisations du 20 octobre, une partie de l’aile radicale jugeait qu’elle avait échoué, la manifestation du matin étant restée confinée et l’après-midi affrontement ayant été refusé (y compris par la direction de la KCTU, qui a été soumise au feu des critiques de sa base). Et une partie de l’aile modérée a jugé qu’elle était perdante, car la tonalité politique de cette journée était clairement anti-néolibéralisme et anti-ASEM, au grand dam des dialoguistes néolibéraux. Justice distributive.
Tout ce que je viens de dire ci-dessus doit évidemment être relativisé. D’abord, je connais mal le pays, j’ai souvent des intuitions plus que du savoir. Ensuite, les clivages politiques semblent durcis au sein de la vieille génération, mais la capacité de collaboration apparaît plus grande au sein des jeunes générations, alors que la situation politique évolue rapidement. Le positionnement futur de bien des organisations n’est probablement pas joué aujourd’hui.
Enfin, la KCTU est présente dans presque toutes les initiatives et sert de pôle rassembleur (et contesté). Malgré les tensions, tout le monde s’est retrouvé à l’occasion du grand rassemblement du vendredi 20 octobre dans l’après-midi. Une déclaration commune a été adoptée et lue du podium, qui est de tonalité plus radicale que la réécriture du document des ONG préparée au forum alternatif (je n’ai pas très bien suivi le processus de réécriture de ce document, qui ne reflète qu’imparfaitement les discussions dans les ateliers du forum, qui ont souvent été très riches).
C’est ainsi qu’un accord s’est fait pour qu’Attac intervienne au rassemblement du vendredi 20 (avec la coalition coréenne femmes, la KCTU et des groupes d’artistes). Les « sociaux » et « radicaux » ont laissé aux « ONG », organisatrices du forum, le choix de l’intervenant étranger... à la condition qu’il représente un mouvement social et non une ONG ou un institut. Les intéressés avaient simplement oublié de me prévenir : je suis arrivé sur les lieux du rassemblement avec le sentiment du devoir déjà accompli, les jumelles au coup (nous étions dans un parc et j’espérais voir quelques oiseaux extrême-asiatiques) quand on m’a dit : « tu causes dans dix minutes ». Ce fut un salut porté contre la recolonisation économique du monde. « Ni dictature des chaebols ni dictature du FMI. Solidarité à jamais ».
VI. DES RESPONSABILITES NOUVELLES, COMME TOUJOURS
Je reviendrais ultérieurement sur les questions concernant l’action du réseau militant « ASEM », que l’on retrouvera à l’occasion de la préparation du sommet de Copenhague (définition du forum social, positionnement vis-à-vis d’un processus intergouvernemental, contenu du document « A People’s Vision », etc.).
Disons simplement en guise de conclusion provisoire, que notre activité nous crée des responsabilités nouvelles et suscite comme souvent des attentes auxquelles il n’est pas toujours facile de répondre :
– La Corée du Sud était déjà l’un des pays d’Asie avec lesquels nous tissions des liens particulièrement dynamiques (voir aussi la Thaïlande) ; c’est encore plus vrai aujourd’hui.
– Nous sommes maintenant engagés dans le suivi du « processus ASEM ». Il faudra commencer rapidement à préparer le sommet du Danemark. Et voir dans quelle mesure le réseau des Attac d’Europe devrait collectivement s’en préoccuper.
On y reviendra.
Amitiés,
Pierre Rousset