La décision du Conseil constitutionnel de reconnaître l’interdiction du mariage homosexuel conforme à la Constitution et de renvoyer au législateur la responsabilité de décider d’un éventuel changement de la loi, a été qualifiée par Corinne Cestino et Sophie Hasslauer, le couple de femmes qui est à l’origine de la saisine, de position « ultra minoritaire », qui émane d’une « élite très rétrograde, au discours dépassé ». Les deux femmes ont été soutenues par une partie de la classe politique et du milieu associatif.
Corinne Cestino et Sophie Hasslauer : l’institutionnalisation de l’homophobie
« C’est scandaleux. Depuis le plus jeune âge, on nous apprend la tolérance, mais on se rend compte aujourd’hui que les plus hautes instances de l’Etat institutionnalisent l’homophobie », a déclaré Sophie Hasslauer, qui vit dans la Marne avec sa compagne, Corinne Cestino, et leurs quatre enfants. « On n’a plus à faire face à une homophobie rampante et déguisée », a-t-elle ajouté, estimant que cette décision « tendrait à prouver que l’homophobie est presque normalisée, légalisée, constitutionnalisée ».
« Maintenant la balle est dans le camp des politiques, et nous, nous allons continuer à envisager des démarches juridiques pour obtenir gain de cause. Notre combat ne s’arrête évidemment pas aujourd’hui », a assuré sa compagne, Corinne Cestino.
Jack Lang, député PS : « la loi française est en retard sur ces questions »
« Il appartient à la classe politique française de faire preuve enfin d’un véritable courage intellectuel », a exhorté l’ancien ministre Jack Lang. Dans un communiqué diffusé vendredi, le député PS estime « navrant de constater que, sur les questions de l’homoparentalité et du mariage entre les personnes de même sexe, la loi française soit à ce point en retard par comparaison avec des pays comme l’Espagne, le Portugal, le Mexique et les pays du nord de l’Europe ».
Le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Jean-Marc Ayrault, a annoncé, vendredi, que son groupe inscrirait « avant l’été » à l’Assemblée nationale sa proposition de loi. « Sauf à inventer le gouvernement des juges, le Conseil constitutionnel ne pouvait pas prendre une autre décision. Il dit le droit, ce n’est pas lui qui fait la loi », a commenté M. Ayrault dans un communiqué. « Le mariage homosexuel est un choix politique qui doit se faire au grand jour au Parlement, devant les Français », a ajouté le député et maire de Nantes.
Le Parti communiste français : « le Conseil constitutionnel à contre-courant »
« Cette décision très regrettable entérine une inégalité devant la loi et ignore l’opinion favorable au mariage gay d’une majorité de Français, puisque 58 % se disent favorables au mariage homosexuel », réagit le Parti communiste dans un communiqué.
« La France conserve ainsi son bonnet d’âne en ce qui concerne l’accès au droit de se marier pour les personnes de même sexe, alors même que de nombreux pays en Europe ont remédié depuis longtemps à cette inégalité de droits », poursuit le communiqué. « Le droit au mariage pour tous les couples, porté à l’Assemblée nationale par les députés communistes, devra être inscrit dans la loi par une majorité parlementaire de gauche », conclut le PC.
Pour les Jeunes Communistes, « le Conseil constitutionnel botte en touche. Bottons le cul de l’homophobie d’Etat »
« En s’acharnant à maintenir cette discrimination dans la loi, le gouvernement, les parlementaires et le Conseil constitutionnel, font œuvre criminelle. Ils rendent infernale la vie des couples et des familles », se sont indignés les Jeunes Communistes dans un communiqué.
Le Parti radical de gauche demande « l’égalité des droits entre hétérosexuels et homosexuels »
« Au-delà des aspects juridiques de la vie familiale, c’est à une reconnaissance de la société que les couples homosexuels ont le droit de prétendre. Oui, les mots sont importants, car le jour où l’union d’un couple homosexuel portera l’appellation de mariage, un pas énorme contre toutes les formes d’homophobie et de discrimination sur l’orientation sexuelle aura été réalisé », a dit le PRG dans un communiqué.
L’association Act Up-Paris : « Un acharnement homophobe »
« S’il est désolant de voir le Conseil constitutionnel entériner une discrimination de fait qui perdure depuis bien trop longtemps, il est grand temps qu’enfin ce sujet fasse l’objet d’un véritable débat de société, à l’instar de celui mené en 1999 à propos du PACS. Que les masques tombent », exhorte Act Up, une association issue de la communauté homosexuelle qui défend les populations touchées par le sida.
« Que l’exécutif et le législatif prennent enfin conscience de l’importance de ces questions et de l’abject retard français : les réticences homophobes à nous donner nos droits violent des principes de liberté fondamentale et d’égalité de traitement ; elles constituent une atteinte au droit de chacune à avoir une vie privée et familiale », poursuit l’association dans un communiqué.
L’interassociative lesbienne, gaie, bi et trans (Inter-LGBT) : « L’infériorisation des personnes homosexuelles »
« L’interdiction du mariage entre personnes de même sexe reste, quoi qu’en disent les ’sages’, contraire au principe d’égalité entre les couples et revient à inférioriser, de fait, les personnes homosexuelles », a estimé l’Inter-LGBT dans un communiqué.
« Ainsi, le Conseil constitutionnel se contente de rappeler que le législateur peut déroger au principe d’égalité entre les citoyens pour des motifs d’intérêt général. La définition du droit à ’mener une vie familiale normale’ ne serait-elle pas la même entre un couple hétérosexuel et un couple de même sexe ? » interpelle l’association.
Noël Mamère, député Europe Ecologie-Les Verts : « Une décision intéressante »
Le député et maire de Bègles, qui avait célébré le premier mariage homosexuel, annulé en 2007, s’est félicité que le Conseil constitutionnel « ne ferme pas la porte à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe », soulignant que la décision « renvoie à un débat législatif ».
Christine Boutin, présidente du Parti chrétien-démocrate (PCD), salue « cette décision qui respecte notre tradition juridico-politique »
« Ceux qui ont pu penser qu’ils obtiendraient satisfaction par la multiplication de petites procédures trouvent aujourd’hui une réponse : en France, le droit n’est pas l’objet de tel ou tel lobby », a salué la présidente du PRG. « Le droit au mariage pour les couples homosexuels ne serait que la première étape avant l’adoption. Et, tout comme la définition du mariage, le débat sur l’extension du ’droit à l’enfant’ est trop important pour relever d’un ’groupe de sages’ ou d’une jurisprudence », a souligné l’ancienne ministre.
Le FN totalement opposé au mariage homosexuel
La présidente du Front national, Marine Le Pen, a exprimé vendredi matin son opposition « totale » au mariage homosexuel. « C’est le Conseil constitutionnel qui décide, c’est pas le peuple français, c’est insensé », a déclaré la nouvelle patronne du parti d’extrême droite sur le plateau de la chaîne LCP.
Le Conseil constitutionnel a déclaré un peu plus tard l’interdiction du mariage homosexuel conforme à la Constitution, renvoyant au législateur la responsabilité de décider d’un éventuel changement dans la législation.
« Je suis totalement contre le mariage homosexuel et d’ailleurs, je pense que les homosexuels ne le réclament pas », a poursuivi Marine Le Pen. « Je pense que les associations soi-disant représentatives ne sont pas représentatives (des homosexuels) et l’immense majorité des homosexuels réclament non pas le droit à la différence mais le droit à l’indifférence », a-t-elle ajouté. Elle a estimé que le pacs « est super, surtout pour les non-homosexuels puisque 95 % de ceux qui se pacsent ne sont pas homosexuels et 5 % seulement le sont ».
DÉCEPTION
La décision a déçu les militants des droits des homosexuels. « Le Conseil constitutionnel vient de rater une occasion historique de mettre un terme à une discrimination devenue intolérable pour plus de 3 millions de personnes gays et lesbiennes en France », a réagi dans un communiqué Me Caroline Mécary, représentant SOS Homophobie et l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL).
Pour Me Emmanuel Ludot, l’avocat des deux jeunes femmes à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel, il espère que la campagne présidentielle fera bouger les choses sur cette question. « Le Conseil constitutionnel rappelle avec précision quels sont ses pouvoirs, qui sont en fait très limités, et dit que l’interdiction du mariage homosexuel ne peut être levée que par des politiques, c’est-à-dire par le Parlement », a déclaré Me Ludot vendredi. « Il faudrait éviter que cette décision, on ne la traîne comme un boulet pendant des années, alors que les autres pays avancent à grands pas », a-t-il ajouté.
* LEMONDE.FR avec AFP | 28.01.11 | 10h36 • Mis à jour le 28.01.11 | 14h39.
Mariage homosexuel : le Conseil constitutionnel ne veut pas se « substituer » au législateur
Le mariage homosexuel est une question qui relève du législateur, et non du Conseil constitutionnel : tel est le sens de l’arrêt rendu, vendredi 28 janvier, par les Sages de la rue de Montpensier. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par deux femmes qui souhaitaient se marier, le Conseil a estimé que la Constitution n’imposait pas d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe mais qu’elle ne l’interdisait pas non plus. « Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur », souligne l’arrêt.
Le Conseil avait été saisi par deux femmes qui avaient vainement tenté de s’unir à Reims. Elles remettaient en cause deux articles du code civil qu’elles jugeaient non conformes à la Constitution. Le premier est issu du code civil des Français promulgué en 1804 par Napoléon : l’officier d’état-civil, proclame-t-il, doit constater que les parties veulent se prendre pour « mari et femme ». Le second trouve son origine dans un décret du 16 Ventôse an XI réformé en 2006 : reprenant une disposition héritée du droit canon, il fixe l’âge minimum des noces en utilisant l’expression « l’homme et la femme ».
Pour Corinne C. et Sophie H, ces articles qui interdisent de facto le mariage aux couples de même sexe sont contraires au « droit de mener une vie familiale normale » garanti par le préambule de la Constitution de 1946. Cette objection a été écartée par le Conseil constitutionnel. « Ces articles ne font pas obstacle à la liberté des couples de même sexe de vivre en concubinage ou de bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité, souligne-t-il dans son arrêt. Le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe. »
Les deux femmes estimaient en outre que ces articles violaient le principe d’égalité inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Là encore, le Conseil constitutionnel écarte leur argumentation. « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général », affirme l’arrêt. Les différences de situation entre les couples hétérosexuels et homosexuels peuvent donc, selon les Sages, justifier des différences de traitement.
Anne Chemin
* pour Le Monde.fr | 28.01.11 | 10h00 • Mis à jour le 28.01.11 | 12h11.