La Haye : Leçons d’un échec
L’échec du sommet de la Haye est d’abord un échec pour la diplomatie européenne
et montre que L’Union européenne (UE) n’a pas de réelle stratégie de lutte contre l’effet de serre depuis Kyoto. Ainsi, l’UE pourra difficilement revenir sur les multiples concessions faites aux Etats-Unis. Profitant du blocage américain, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont proposé une flexibilité maximale avec l’abandon de l’obligation de procéder à des réductions dans les pays industriels eux-mêmes, au détriment du tiers-monde, et le renoncement à toutes sanctions. C’est donc in extremis, sur la quantification des puits de carbone et après avoir céder sur le principe de leur prise en compte, que l’Union européenne a renoncé à un accord qui aurait gravement hypothéqué la possibilité de prendre les mesures nécessaires pour contenir l’effet de serre.
De ce point de vue, il faut relativiser l’échec de la Haye, qui n’est pas " la pire chose
qui pouvait arriver ". Même un accord acceptable lors du sommet n’aurait pas changé en
lui-même l’évolution globale du climat (comme pas miracle...). Pour inverser durablement la tendance, il faudrait une rupture significative dans la façon de concevoir l’activité de la plupart des secteurs industriels et des transports, par une priorité effective à l’efficacité énergétique, ce dont les pays de l’OCDE se refusent bien de discuter. C’est que l’idéologie du « libre marché » ne saurait supporter de voir les Etats s’immiscer dans les choix d’investissements industriels. Il suffit pour s’en convaincre de constater l’importance accordée aux mécanismes de flexibilité et aux permis d’émissions dans les négociations.
Car pour les capitalistes, la profitabilité immédiate en bourse compte avant tout, alors
savoir si la planète sera vivable dans un siècle... Un accord qui limite les échappatoires
aurait pourtant était un point d’appui pour aller plus loin et augmenter les contraintes
externes sur les pays industriels, en rappelant l’objectif final : diminuer de moitié d’ici
50 ans les émissions planétaires de gaz à effet de serre.
Mais il faut s’interroger aussi sur la stratégie du mouvement écologiste dans cette
affaire. Les ONG mobilisées à La Haye n’ont pas réussi à empêcher la mise en échec du
processus de négociation international même si elles ont certainement fait obstacle à la
tentation des gouvernements européens de conclure un accord au rabais. La stratégie de lobbying dans les couloirs des réunions internationales touche donc à ses limites. Elle apparaît inefficace dès lors que des intérêts politiques et économiques majeurs sont en jeux et s’opposent frontalement aux impératifs environnementaux ou sociaux.
Côté politique, en France ou en Allemagne, ce sont des ministres écologistes qui ont
négocié pour le compte de leurs gouvernements et de l’Union européenne. Et il semble
qu’ils n’étaient pas loin d’accepter l’inacceptable. Selon Le Monde du 28 novembre, " M.
Trittin et Mme Voynet ont soutenu [la proposition finale], mais les autres pays l’ont
refusée. " Les partis Verts européens, tenus par leur participation loyale à plusieurs
gouvernements, n’apparaissent plus en mesure de proposer et d’incarner des alternatives de sociétés en rupture avec le libéralisme. Dominique Voynet s’en aperçoit et déclare que, paradoxalement, l’échec de la Haye marque le triomphe du politique sur l’expertise, mais elle n’en tire pas les conséquences : La place est à la construction du rapport de force nécessaire pour imposer les mesures radicales qu’exige le changement climatique.
Comment agir maintenant ? Nous défendons l’idée que les pays de l’UE devraient
ratifier sans attendre le protocole de Kyoto et le mettre en œuvre sans les Etats-Unis si
ceux-ci persistent à vouloir s’isoler sur la scène internationale. Cette politique aurait
d’autant plus la faveur des pays du Sud qu’elle s’accompagnerait d’un engagement fort
pour le « développement propre » et à condition évidement que l’UE renonce à faire
commerce des permis d’émissions, conformément à sa position d’avant Kyoto. Le
prochain sommet de la convention climat, prévu fin mai à Bonn, comme le G7 de Gênes
en juillet devraient être l’occasion de signifier cette exigence.
Bernard Teissier
Regain nucléaire ?
" Le pouvoir aux
actionnaires... publics ! "
Voila en résumé le sens de la
décision annoncée le 30 novembre
par Laurent Fabius, à l’occasion
d’un colloque sur " la place de
l’Etat ", par laquelle le
gouvernement avalise le plan de
restructuration de l’industrie
nucléaire proposé par Anne
Lauvergeon, présidente de la
Cogema, et Pascal Colombani,
administrateur général du CEA.
Ce schéma prévoit la création d’une
holding, provisoirement baptisée
Topco, structure financière détenue
à 78% par l’Etat, via le CEA, qui
contrôlera l’ensemble des activités
exercées jusqu’ici par le CEA -
Indutrie, la Cogema et Framatome
et dorénavant réorganisées en deux
pôles, un pôle nucléaire et un pôle
« nouvelles technologies » considéré
comme plus porteur et rentable
dans la conjoncture actuelle, même
s’il ne pèse que 25% d’un chiffre
d’affaire global estimé à
65 milliards de francs.
Ainsi, FCI, la branche connectique de
Framatome, est complètement
séparée des activités nucléaires
pour être prochainement introduite
en Bourse. Ce qui n’empêchera pas
l’ensemble d’être géré en
« Business Units » - comprendre
selon des critères de profitabilité
maximale - au détriment des
50 000 salariés... et de la sécurité !
Ce plan veut ainsi concilier credo
libéral et maintien de la tutelle
d’Etat. La réaffirmation d’un
actionnariat majoritairement public
est une nécessité pour une filière
dont la restructuration vise à
conforter la stratégie nucléaire du
pays en permettant à l’industrie
d’affronter une phase difficile de
son histoire.
Les carnets de commandes de nouveaux réacteurs
pour la prochaine décennie sont
désespérément vides, ou presque,
dans un contexte ou la
libéralisation des marchés de
l’énergie exerce une pression
considérable sur les coûts. Cette exception majeure aux
dogmes libéraux confirme la place à part
qu’a toujours occupé l’industrie nucléaire
française dans l’appareil d’Etat. (Gaz de
France n’en bénéficie pas,
Fabius s’étant prononcé au cours du même colloque
pour sa transformation en société
anonyme, ultime étape avant la
privatisation). Industrie à la fois militaire
et civile, les grandes décisions échappent
à tout contrôle, comme le confirme encore
le refus du ministère de la Défense de
confier à la nouvelle autorité de sûreté
(IRSN) la tutelle des installations
militaires. Faisant fi du débat
parlementaire promis aux verts en 1997,
le gouvernement est donc une fois de
plus passé outre le minimum
démocratique pour arrêter en catimini son
principal choix de mandature en matière
de politique énergétique.
Bernard Teissier
Les Verts : le bilan désastreux d’une orientation politique
Les dirigeants du courant majoritaire des verts s’accrochent coûte que coûte à la
gauche plurielle et à la participation gouvernementale. Le bilan écologique du
gouvernement Jospin est pourtant calamiteux. L’affirmation selon laquelle les
Verts pèsent sur les choix en étant présents au gouvernement subit pont par point
un cuisant échec. Par contre la dérive politique entraînée par cette participation est
de plus en plus patente non seulement sur les questions sociales mais aussi sur les
enjeux écologiques.
Sur la question de l’énergie et du climat, la déroute est totale. La mise en place
laborieuse de l’écotaxe à la française - TGAP, taxe générale sur les activités
polluantes - a fait naufrage à la première tempête politique. Réduite en pièces
étape par étape (les suites du conflit routier puis la discussion budgétaire) elle vient
d’être rabougrie à presque rien par le Conseil Constitutionnel. Rappelons de plus
que son produit sert à financer l’allègement de cotisations patronales dans le cadre
de réduction du temps de travail. Sur la question du nucléaire, l’arrêt de
Superphénix a servi de symbole pratique pour dissimuler les grandes manœuvres
nucléaires orchestrées par le gouvernement Jospin. 2000 a ainsi été une année clé
de concentration du nucléaire français. Cette réorganisation prépare une vaste
offensive de relégitimation dont les premiers signent pointent.
Sur la question du climat et de la lutte contre l’effet de serre, la ministre verte, après avoir accepté le principe des marchés de droits à polluer, a été à deux doigts de signer un accord catastrophique lors de la Conférence de la Haye. Du point de vue national, le plan présenté en décembre 2000 est un catalogue de mesures sans envergure en
décalage complet avec l’acuité de la menace. Pourtant, une des conditions posée
par les Verts pour ne pas partir du gouvernement après le conflit routier de
septembre 2000 était que Voynet soit à même de présenter un plan ambitieux de
lutte contre l’effet de serre. En trois mois le plan s’est réduit à une peau de chagrin,
mais Voynet et Hascoët sont toujours là.
Sur la question des transports, le bilan là aussi est amer. Pour faire passer la pilule
de la construction du troisième aéroport en région parisienne, Jospin a concédé aux
Verts l’abandon de la construction d’un tronçon d’autoroute. Cependant,
contrairement aux effets d’annonce sur le développement du ferroutage, la priorité
financière reste la route. Les investissements importants nécessaires à un véritable
développement du fret ferroviaire n’ont pas été budgétés.
D’autres sujets clés sont au point mort, comme la mise en place du programme
Natura 2000. Et ne parlons pas de la loi sur la chasse.
L’attitude de Voynet lors du naufrage de l’Erika, et plus symptomatiquement
encore, lors de la négociation climat de novembre 2000 à La Haye montre une
forte dérive politique. La raison d’Etat délave singulièrement les objectifs
écologistes. La démission en Allemagne de la ministre verte de la Santé,
« tombée » sur un sujet où elle aurait dû être exemplaire, la crise de la vache folle,
indique clairement que cette évolution n’est pas isolée. Quant à Mamère , il ne
semble prôner la sortie du gouvernement que de manière purement tactique - elle
doit se faire avant les présidentielles mais... après les municipales - dans une
perspective de campagne interne.
Il est grand temps que les luttes écologistes reprennent sans attendre les
hypothétiques décisions gouvernementales et sans croire que le lobbying permet
de suppléer la mobilisation de rue. La gauche plurielle n’est ni sociale ni
écologique.
Laurent Menghini
En Bref...
– Ecologie et Socialisme. Le projet de résolution pour le XVe congrès de la
IVe Intenationale vient de paraître dans Inprecor décembre 2000 / janvier 2001,
n°453/454.
– Logo. Particulièrement jalouse du logotype de la Commission nationale des
homosexualités, la CNE est preneuse de toutes propositions pour un logo qui
assure visuellement l’identité écologique de la LCR (et de la commission).
AGENDA
Montpellier ? Y aller trois fois
plutôt qu’une !
Entre le 8 et le 16 février, des militants de
la Confédération Paysanne, dont José
Bové, seront jugés à trois reprises par des
tribunaux montpelliérains. Les militant
qui avaient détruit en juin 1999, en
compagnie de paysans indiens, les
installations du CIRAD (Centre de
Coopération Internationale en Recherche
Agronomique pour le Développement)
pour protester contre les recherches sur le
riz transgénique ouvriront le bal au
Tribunal de Grande Instance. Suivront, le
15 février, huit militants jugés en appel
pour avoir retenu à la Préfecture de Rodez
des conseillers du Ministère de
l’Agriculture pour protester contre la
réforme de la PAC. Enfin, apothéose les
15 et 16 avec le jugement en appel du
démontage du Mac Do de Millau.
Plusieurs dizaines de milliers de
manifestants sont attendus pour dénoncer
la criminalisation de l’action syndicale
que révèle ces trois procès.
Nicolas Chevassus-au-Louis
Mardi 20 février, 19 H :
réunion de la commission nationale
écologie
à la Brèche - 27, rue Taine, Paris 12e -
M° Daumesnil