Le mouvement a débuté le 17 décembre lorsqu’un jeune chômeur de Sidi Bouzid (centre du pays, à 265 km au sud de Tunis) a tenté de se suicider par immolation suite à la confiscation par la police de ses marchandises. Rapidement, des manifestations de solidarité ont été organisées pour revendiquer le droit à vivre dans la dignité dans une région marquée par un fort taux de chômage, notamment chez les jeunes. A l’appel de plusieurs syndicats, le mouvement s’est rapidement étendu à d’autres villes du centre et du sud du pays, notamment les villes de Ben Guardane, Kairouan, Sousse, Sfax, Jendouba et Gafsa, avant de toucher Tunis où les manifestations se sont succédées à partir du 25 décembre.
Les forces de l’ordre ont tenté de s’opposer aux manifestants avec une extrême violence, procédant à de nombreuses arrestations de syndicalistes, d’étudiants, d’avocats et de journalistes. Le 24 décembre, la police a ouvert le feu à balles réelles sur les manifestants dans la localité de Menzel Bouzaiene (région de Sidi Bouzid), causant la mort de 3 manifestants et de nombreux blessés.
Le gouvernement tunisien a tenté de prévenir la diffusion des informations sur les évènements de Sidi Bouzid en imposant un blocage total de la région pour les journalistes et les défenseurs des droits de l’Homme et en renforçant la censure de l’internet (notamment du site collaboratif « Facebook »). Les éditions des journaux d’opposition Al Mawkef et Tariq Al Jedid datées du 24 décembre ont également été confisquées. Le porte parole du comité de soutien de Sidi Bouzid, M. Ataia Athmouni, a été arrêté le 28 décembre. Accusé de « création d’association de malfaiteurs », il a été libéré le 31 décembre dans l’attente de comparaître devant la justice.
Les journalistes qui cherchaient à couvrir les évènements de Sidi Bouzid ont aussi fait l’objet de menaces, d’agressions et d’arrestations arbitraires, notamment M. Mouldi Zouabi, correspondant de la radio en ligne Kalima arrêté à Sfax le 28 décembre, avant d’être relâché deux jours plus tard. Le militant politique et correspondant du site d’information en ligne Al Badil, M. Ammar Amroussia, arrêté le 29 décembre à Gafsa demeure quant à lui détenu au secret. Il n’a pas été présenté au procureur au terme de sa garde à vue comme l’exige le droit tunisien et le REMDH craint qu’il fasse l’objet d’actes de torture ou de mauvais traitements.
De nombreux avocats ont également été pris pour cible par des agents des forces de l’ordre. Le 28 décembre, suite à leur participation à une réunion de solidarité avec les habitants de Sidi Bouzid, Me Abdelraouf Ayadi et Me Chouki Beladid ont été enlevés par des agents de police en civil, et emmenés dans un lieu inconnu où ils ont été retenus illégalement jusqu’au lendemain. Lors de sa détention, Me Ayadi a été victime de violences. Le 31 décembre, une manifestation de plusieurs centaines d’avocats qui portaient sur leur robe un brassard de solidarité avec les habitants de Sidi Bouzid a été violemment dispersée par les forces de l’ordre devant le palais de justice à Tunis, faisant plusieurs blessés. Des violences similaires ont été perpétrées contre des avocats, parfois dans l’enceinte même du palais de justice, dans les villes de Sidi Bouzid, Monastir, Mahdia, Grombalia, Sousse, Gafsa, Bizerte et à Jendouba, où Me Rabeh Kheraifi a été enlevé, menacé et violemment battu par des policiers en civil.
Le mouvement de Sidi Bouzid fait écho aux manifestations de grande ampleur qu’avaient connu le bassin minier de Gafsa-Redeyef au premier semestre 2008, ainsi que la ville de Ben Guardane (frontière libyenne) en août 2010, et qui avaient alors été violemment réprimés. Il traduit le sentiment d’exaspération d’une part croissante de la population face aux inégalités sociales grandissantes que connait la Tunisie, le rejet des politiques économiques et sociales du régime en place et du recours systématique à la violence pour contrer toute voix dissidente.
Le REMDH condamne fermement la répression du mouvement pacifique de contestation qui se déroule en Tunisie, en particulier l’usage d’armes à feu contre une foule de civils désarmés, les arrestations arbitraires et l’usage répété de la torture, et demande aux autorités tunisiennes :
* de se conformer en toutes circonstances à ses engagements internationaux en matière de droits de l’Homme et de respecter la liberté d’expression et de rassemblement pacifique des citoyens
* la libération immédiate et inconditionnelle de toutes les personnes retenues arbitrairement pour leur participation aux marches pacifiques de protestation
* l’ouverture d’une enquête indépendante sur les circonstances ayant mené au décès de trois manifestants à Menzel Bouzaiene le 28 décembre
* la libération immédiate et inconditionnelle de Ammar Amroussia et l’arrêt des poursuites contre M. Ataia Athmouni
Alors que l’Union Européenne négocie actuellement le rehaussement de ses relations avec la Tunisie par l’octroi du « statut avancé » dans le cadre de la politique de voisinage, le REMDH :
* rappelle que le respect des droits humains constitue un « élément essentiel » de cette relation,
* demande à l’UE de prendre publiquement position sur les graves violations des droits humains intervenues en Tunisie lors de la répression des manifestations de soutien aux habitants de Sidi Bouzid.
Le REMDH demande enfin à la délégation de l’UE à Tunis de mettre en œuvre de façon visible les lignes directrices de l’UE sur les défenseurs des droits de l’Homme (2004) qui prévoient notamment que les mission de l’UE doivent « entretenir des contacts appropriés avec les défenseurs des droits de l’homme, y compris […] en se rendant dans les zones où ils travaillent », et « rendre visite aux défenseurs des droits de l’homme […] assignés à résidence », en rencontrant notamment le conseil de l’ordre du barreau de Tunis et en se rendant à Sidi Bouzid.
Pour plus d’informations, merci de contacter :
Shaimaa Abou Elkhir (anglais, arabe) : +45 32 64 17 00
Henriette Irminger Sonne (anglais, français) : + 45 32 64 17 00