Dans l’esprit de celle-ci, nous avons voulu donner la parole aux principaux concer né·e·s. John (prénom d’emprunt) est employé dans une grande surface à Genève. Syndiqué à UNIA depuis peu, il prend part à la campagne. En plus de péjorer les conditions de travail des employé·e·s du secteur de la vente, cette loi fait mine d’offrir une prétendue liberté au nom de la société de consommation. Qu’en pense-t-il ? Interview.
Giulia Willig et Thibaut Lorin –Comment décrirais-tu tes conditions de travail ?
John – Elles sont globalement assez bon nes. Je ne rencontre pas de souci particulier au sein de l’équipe où je travaille. Le seul problème qui peut surgir est celui du remplacement d’un éventuel collègue malade. N’ayant pas de remplaçant-e-s prévus, la charge de travail supplémentaire est reportée sur la main d’œuvre présente. On est forcés d’accepter une certaine « flexibilité » dans ces moments. Le personnel étudiant est soi-disant là pour y pallier, mais en réalité il est impossible de les appeler pour un remplacement de dernière minute…
Concernant la pression que l’on subit au travail, et qui ne fera qu’empirer avec cette loi, c’est moins à mon employeur que j’en veux et plus au système dans lequel nous sommes. Notre société de consommation exige que les produits soient toujours disponibles et avec la meilleure apparence possible. Par exemple, on veut que le·la client·e ait des masses de fruits et légumes impeccables dès le matin ; l’employeur fait pression sur nous pour que ce soit le cas. Nous devons donc travailler dès l’aube afin que cette exigence soit satisfaite. Mais ensuite, ce même employeur nous reprochera les éventuels déchets le lendemain ! C’est l’une des contradictions d’un système où tout est basé sur la consommation. Je pense que l’éducation devrait contribuer à y remédier…
A ton avis, quel impact aura l’ouverture prolongée des magasins sur ce système de consommation ?
Les magasins sont déjà ouverts plus de 60 heures par semaine. A-t-on vraiment besoin des soirées et des dimanches pour se faire encore plus tenter par la consommation ? Pas la majorité des consommateurs·trices en tous cas !
Il faut penser aux conséquences que cela aura pour les personnes concernées. En prolongeant les heures d’ouverture jusqu’à 20 heures, le personnel travaillera jusqu’à 20 h 30, et ne sera pas chez lui avant 21 h. Non seulement cela signifie qu’il est en train de travailler pendant que sa famille mange, par exemple, mais aussi qu’il aura à peine une dizaine d’heures de repos avant de devoir être à nouveau – si possible en forme – à 7 h 30 au rayon des fruits et légumes.
Quant aux dimanches, c’est encore un moyen de tenter de nous faire consommer au lieu de profiter de notre temps libre pour d’autres activités. On pourrait en profiter pour aller faire du ski ou autre chose ! Mais non, on préfère aller faire du shopping à Balexert… Les gens sont pris pour des moutons auxquels on demande encore de dire merci pour cette prétendue liberté !
Comment considères-tu tes droits syndicaux sur ton lieu de travail ?
Je m’en sors plutôt bien, je suis syndiqué et je ne m’en cache pas auprès de mes collègues ni de ma hiérarchie. Je peux diffuser des tracts sans problème, par exemple. Tant que je fais mon travail comme il faut, les patrons ne peuvent rien me reprocher. J’ai même obtenu un congé syndical payé pour aller à Berne avec UNIA pour une manif. Mais ma situation n’est pas forcément représentative de tous les lieux de vente… Et il ne faut pas oublier que nous sommes tous des maillons d’une chaîne, y compris les gérant·e·s ou les di rec teu rs·trices.
Quelles conséquences cette nouvelle loi va-t-elle avoir sur tes conditions de travail ?
Il n’y aura aucune répercussion directe sur nos salaires, seuls les horaires changeront. Les heures effectuées en plus le soir ou les dimanches seront compensées par des heures de congé à d’autres moments. Mais concrètement, la surcharge de travail sera reportée sur le personnel déjà présent, au moins pour la première année. En plus, comme il n’y aura vraisemblablement pas d’augmentation des profits, cela justifiera qu’on n’aura aucune augmentation salariale ni de nouvelles personnes engagées. Avec tout ça, on nous « offre » encore d’aller dépenser notre argent le dimanche, comme pour devenir un peu plus pauvres. Voilà comment le système nous remercie en temps de crise.
Quels sont donc pour toi les enjeux de cette loi ?
On nous fait croire que cette loi permettra aux grandes surfaces telles que Coop ou Migros de concurrencer les commerces français, ouverts le dimanche par exemple. Or, si les gens traversent la frontière c’est évidemment avant tout pour les prix, pas pour les horaires ! On nous fait croire qu’on fera rester les client·e·s en Suisse en rallongeant nos horaires, alors que c’est des facteurs économiques comme le niveau des salaires, les taux de change, etc. relevant d’un système économique mondialisé qui déterminent si les gens passent la frontière ou non pour faire leurs courses. Cela ne dépend pas de l’adoption ou non d’une telle loi !
Interview réalisée par
Giulia Willig et Thibaut Lorin