Dans les « notes » sur les débats en cours dans le NPA écrites début août, j’avais (entres autres) posé cinq questions précises visant à cerner plus clairement de quoi nous discutions. Ces questions s’adressaient en particulier aux représentant.e.s du Comité quartier populaire du Vaucluse (QP 84). Les motions et contributions déposées par ces derniers en vue du prochain congrès y répondent en partie, mais en partie seulement.
Dans la récente contribution signée par Hendrik Davi, Nora Benameur, Pierre Jourlin et Abdel Zahiri (DBJK), trois réponses sont apportées, dont deux sont claires et nettes :
Concernant la burqa : ils notent que « la burka est l’emblème d’une vision patriarcale réactionnaire ».
Concernant les talibans : ils notent que « les talibans nos ennemis politiques en Afghanistan » (ainsi, j’imagine, qu’au Pakistan).
Concernant la logique de « l’ennemi principal », la réponse est beaucoup plus ambiguë, au point de ne rien clarifier. En effet, les auteurs affirment ne pas « aller vers logique de l’ennemi principal caricaturale » – ne se démarquant que d’une vision « caricaturale » (qu’ils nous prêtent) et se réclamant en la matière des thèses franchement scandaleuses de Felix Boggio (voir plus loin).
Sur les deux dernières questions que j’avais soulevées dans mes « notes » aoûtiennes – les courants politico-religieux au sein du NPA et le créationnisme –, DBJK ne disent rien dans leur contribution, faute peut-être de place. Mais le projet de motion présentée par le QP 84 montre que des clarifications sont encore bien nécessaires en ces domaines. J’y reviens ci-dessous. Avant cela, il me faut malheureusement répondre une fois encore à des procédés polémiques inacceptables.
Pourquoi des questions comme les talibans ou la burqa se sont-elles posées au sein du NPA ? Pour créer de faux débats et esquiver les vrais, comme le laisse une fois encore entendre Catherine Samary dans un texte récent (25 octobre 2010) : « l’arbre de la burqa cache aujourd’hui la forêt de ces rejets » du voile, du foulard islamique. Pour semer la confusion et favoriser les pires caricatures construites par les classes dominantes, comme l’écrivent maintenant DBJK : « Les classes dominantes construisent l’image d’un ennemi intérieur par coups médiatiques (voile, burka, quick Allal, polygamie, terrorisme) produisant peur d’un côté et discrimination de l’autre. Même si la burka est l’emblème d’une vision patriarcale réactionnaire, ou les talibans nos ennemis politiques en Afghanistan, un parti anticapitaliste a mieux à faire que de favoriser les pires caricatures stigmatisant l’islam et de produire de la confusion (Afghanistan, Burka, voile en France). »
Toute la contribution de DBJK (intégralement reproduite en annexe ci-dessous) est écrite de façon à accréditer cette interprétation des débats au sein du NPA. Or, ce sont les auteurs de cette contribution qui ont eux-mêmes pris l’initiative d’introduire la question des talibans ou de la burqa dans nos débats. Il est bien commode de l’oublier aujourd’hui ! Pour rafraîchir la mémoire défaillante de nos camarades QP84 – et de quelques autres –, je me vois forcé d’y revenir. Une tâche certes désagréable, mais on ne peut être ainsi accusé de jouer des caricatures stigmatisantes et de l’islamophobie sans remettre les pendules à l’heure.
Aux origines de ces polémiques
Taliban. C’est Hendrik Davi (et non pas moi !) qui a introduit la question des talibans dans son texte du 27 février 2010. Parlant (notamment) des talibans, il assénait : « Les choix de ceux qui luttent contre cet impérialisme ne regardent qu’eux, il ne sert à rien de les juger ». Il affirmait même : « une critique moraliste des mouvements de luttes nationales aide mécaniquement la propagande occidentale et américaine ». On comprend que la « critique moraliste » cible celles et ceux qui s’émeuvent du sort fait par les talibans aux femmes. Maintenant, Hendrik Davi « juge » que les talibans sont nos « ennemis politiques ».
Fallait-il se taire devant de telles affirmations ? Et pourquoi a-t-il fallu attendre huit mois cette clarification ?
J’espère que l’on peut dorénavant tourner cette page polémique au sein du NPA et que nous pourrons répondre d’une voix à qui considère les talibans comme une avant-garde du combat anti-impérialiste ; ou encore à la confusion alarmante qui règne sur cette question dans divers milieux de gauche, comme en témoigne cette citation d’une contribution de David Harvey : « On rencontre également des mouvements révolutionnaires et résolument anticapitalistes, mais pas toujours progressistes, dans nombre de régions aux marges du capitalisme. Des espaces ont été ouverts à l’intérieur desquels peut s’épanouir quelque chose de tout à fait différent en termes de rapports sociaux dominants, de style de vie, de capacités productives et de conceptions mentales du monde. Il s’agit aussi bien des talibans, du pouvoir communiste népalais, des zapatistes du Chiapas et des indigènes de Bolivie, que des mouvements maoïstes de l’Inde agraire, et ce, malgré le monde qui les sépare en matière d’objectifs, de stratégie et de tactiques. ».
David Harvey est considéré comme l’un des principaux représentants de la « géographie marxiste » britannique, spécialiste de l’histoire sociale et exégète du Capital de Marx. Pourtant, une lecture attentive de ce passage laisse pour le moins perplexe, en ce qui concerne les talibans. Qu’est-ce qui permet de prétendre que ces derniers sont « résolument anticapitalistes » ? Que cache l’usage d’un tel euphémisme (« pas toujours progressistes ») ? Quel « épanouissement » de nouveaux « rapports sociaux dominants, de style de vie, de capacités productives et de conceptions mentales du monde » évoque-t-on ? (les femmes apprécieront particulièrement !). Qu’est-ce qui permet de mettre les talibans dans le même sac que les communistes népalais, les zapatistes, les indigènes boliviens ou les maoïstes indiens, par-delà ce qui les sépare ?
Si je me suis attardé sur le texte d’Harvey, c’est que la traduction française de cette intervention au Forum social mondial de 2010 vient d’être reproduite dans la revue Contretemps d’août 2010 (p. 69), qui nous est proche. Mais on peut trouver bien pire dans l’anthologie de la gauche radicale internationale. La « question talibane » n’est pas une curiosité marginale. Quand elle est posée, il faut la traiter – et cela n’a rien d’une « diversion ».
L’ennemi principal. Cette polémique a été réveillée par le même texte d’Hendrik Davi. Il dit aujourd’hui avoir été mal compris, mais il justifiait ce qu’il écrivait alors des talibans par le fait que l’impérialisme occidental devait être « notre principal ennemi » (ce sont ses termes). Comme je le notais dans ma réponse, il y a « plus d’une façon de comprendre ce qu’implique cette notion d’ennemi principal ». Dans le cas qui nous intéresse ici, elle concerne deux problèmes spécifiques :
– Dans certains conflits contemporains, la tentation d’un alignement « campiste » derrière un mouvement politiquement et socialement réactionnaire comme les talibans au nom de la lutte contre « l’ennemi principal », à savoir l’impérialisme occidental. DBJK écartent aujourd’hui cette interprétation.
– Dans le domaine des oppressions, la tentation de cibler exclusivement une « oppression principale » au point de ne plus défendre les victimes d’autres oppressions, voire même de nier leur existence. En l’occurrence, dans nos sociétés, de défendre les victimes de la xénophobie antimusulmane, de l’islamophobie, mais pas les victimes du patriarcat familial ou du conservatisme religieux dans les milieux dits musulmans.
Les tenants des thèses du Comité QP84 affirment évidemment vouloir défendre toutes les victimes, sans « hiérarchisation ». Mais est-ce vraiment le cas ? Si j’en doute encore, c’est que dans leur contribution, DBJK renvoient pour plus amples développements au texte que Felix Boggio avait écrit pour réfuter l’un de mes articles sur la laïcité. Dans ce texte, Boggio remplace la notion « d’ennemi principal » par celle de « maillon faible » de la chaine des oppressions. Mais quand il met en œuvre la « logique » du « maillon faible », il en arrive aux mêmes conclusions qu’avec la « logique » la plus « caricaturale » de « l’ennemi principal » : il fait disparaître à la vue des victimes subissant les oppressions combinées de la xénophobie, du patriarcat familial et du conservatisme religieux (voir, par exemple, ce qu’il ose dire de la condition des femmes soumises aux tribunaux de la charia en Grande-Bretagne).
D’où ma question à DBJK : en quoi la logique du « maillon faible » est-elle véritablement différente de celle de « l’ennemi principal » ?
La burqa. Le summum quant à la réécriture de l’histoire des débats au sein du NPA, concerne la burqa. C’est en effet Ilham Moussaïd et Abdel Zahiri qui l’ont soulevée les premiers.
Ilham en affirmant, alors qu’elle était interviewée en tant que candidate du NPA, qu’elle ne voyait pas de problème avec le voile intégral pour peu qu’il soit porté volontairement : « Êtes-vous choquée par les femmes qui portent la burka ? Non je ne suis pas choquée à partir du moment où c’est un choix personnel. » (Dauphiné Libéré du 19 février 2010.)
Le second en annonçant le 27 janvier 2010 dans un courriel diffusé sur la liste « Quartiers populaires » du NPA… le recrutement prochain de femmes portant la burqa, cet « emblème d’une vision patriarcale réactionnaire » pour reprendre la formule utilisée aujourd’hui par DBJK. Voici en quels termes élégants cette annonce était faite :
« D’ailleurs ça sent la propagande des croisades, comment on devrait s’habiller, dans quel lieu, en quoi doit on croire ou ne pas croire au fait qu’une femme en burqa peut venir au NPA, moi j’en connais une qui va bientôt nous rejoindre (…)
A l’université d’été je vais proposer un atelier sur le NPA moitié marxiste, internationaliste et sincère et moitié marxiste, raciste et sincère. (…)
Il n’y a pas beaucoup de différence entre les laïcard-es, les féminités extrémistes et les fondamentalistes, tous veulent imposer leurs visions des choses, alors nous devons tous les rejeter hors de notre parti sinon on n’avancera jamais et tant pis si on se sépare de camarades qui ont 10, 20, 30 ans de lutte. Faut penser à l’avenir sans états d’âm. »
Pour éviter d’être accusé de tronquer les citations, je place ci-dessous en annexe l’intégralité de ce courriel.
Abdel Zahiri laisse aujourd’hui entendre qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Mais à l’époque, quand la direction du NPA lui a demandé d’expliquer ce qu’il en était, il n’a jamais invoqué l’humour ! C’est bien l’unique raison pour laquelle le Conseil politique national (CPN) s’est vu obligé voter sur cette question – sans cela, il ne serait venu à l’idée de personne de demander un tel vote. Des amis d’Abdel n’ont pas non plus compris son humour, puisqu’ils ont protesté contre « l’interdit » prononcé par le CPN, jugé malvenu, discriminatoire, voire raciste et islamophobe.
La burqa est bien « l’emblème d’une vision patriarcale réactionnaire », à l’exact opposé du combat d’émancipation dans lequel nous sommes engagés : elle sanctionne l’effacement complet de la femme de l’espace public avec la disparition de son visage, ainsi que la séparation ultime des sexes. Mais cela n’était jusqu’alors jamais écrit par les représentants du Comité QP84 où des membres du NPA qui leur sont proches : il s’en tenaient au seul terrain des libertés individuelles sans porter un quelconque jugement politique sur la signification du voile intégral. Je n’en donnerais ici que deux exemples.
Dans une tribune publiée le 22 juillet 2010 dans Tout est à nous, l’hebdomadaire du NPA, Véronique Decker passe en revue la façon dont les hommes ont voulu décider de ce les femmes portaient – mais se contente de dénoncer, en ce qui concerne la burqa, les parlementaires français sans dire un mot des interprètes ultraréactionnaires de l’islam qui sont à l’origine du port du voile intégral !
Catherine Samary pour sa part a pu écrire à foison sur la question du voile, donnant une longue interview, le 25 avril 2010, à l’occasion de la loi antiburqa, sans jamais dire ce qu’elle pense elle-même du voile intégral (elle est contre). Quand elle aborde enfin la question dans son texte du 25 octobre, elle se contente de l’évoquer en passant, dans une parenthèse (« (et non pas au repli hors de la société avec ses propres droits, comme les salafistes et les femmes portant la burqa) ») – qu’en termes mesurés la chose est dite !
Espérons que dorénavant, toutes celles et ceux qui défendent la « sensibilité A Egalité » écrirons sans sombrer dans la litote que le voile intégral « est l’emblème d’une vision patriarcale réactionnaire ».
Autres éléments de (non) réponses
Sur les deux autres questions que j’avais soulevées dans les « notes » d’août dernier, il faut chercher des éléments de réponses dans le projet de motion soutenu par QP84 et les contributions récentes aux débats.
Créationisme – Un parti ouvert à tous les vents idéologiques ? Frappé par une citation pour le moins étonnante d’Abdel Zahiri (« Moi je suis pratiquant, je ne crois pas à Darwin et je pense qu’il y a un dieu. Mais ça ne change rien au combat politique ») dans un article de Stéphane Alliès, j’avais soulevé la question de la science et de son déni par le créationnisme. J’attendais une réponse simple et sans ambiguïté en ce qui concerne cet obscurantisme radical. Je n’ai encore rien vu de spécifique à ce sujet, mais la motion présentée par le Comité QP84 au congrès du NPA me semble ajouter de la confusion à la confusion. Elle affirme en effet : « Nous devons apprendre à nous connaître, à nous respecter et à nous accepter malgré les choix philosophiques ou religieux des un-e-s et des autres. Le NPA doit être ouvert à toutes et tous du moment que les militant-e-s partagent le projet politique défini dans les principes fondateurs. Donc il est contraire à nos valeurs de refuser l’adhésion à un ou une camarade du fait de sa culture, de sa confession ou de sa philosophie. »
Comme s’il n’y avait jamais de liens entre idées et choix politiques, que le NPA était ouvert à tous vents idéologiques pour peu que nos « principes fondateurs » soient respectés… Mais les documents fondateurs n’entrent pas dans les « détails ». Ils ne mentionnent pas, par exemple, l’excision. Est-ce à dire qu’une personne considérant que l’excision est l’expression d’une « culture » – qui plus est d’une culture pratiquée par des femmes, donc féministe ? – a toute sa place dans notre parti… La question n’est pas abstraite : il y a effectivement des « anticapitalistes » qui défendent le « droit » à l’excision au nom de l’authenticité culturelle. Faudrait-il alors des mois de violents conflits internes comme ce fut le cas avec la burqa (durant lesquels, rappelons-le, les critiques du voile intégral ont été accusés de racisme, d’islamophobie et de « paternalisme », de jouer le jeu du gouvernement et de l’extrême droite), pour finalement conclure (unanimement ?) que la burqa n’a pas sa place dans le NPA puisqu’elle « est l’emblème d’une vision patriarcale réactionnaire ».
Peut-on avoir les convictions d’un Témoin de Jehova, d’un salafiste, d’un créationniste et être membre du NPA ? A l’évidence non. Alors que vient faire dans un texte (soumis au vote) que par principe nous ne saurions « refuser l’adhésion à un ou une camarade du fait de sa culture, de sa confession ou de sa philosophie. » Si on la lit au sens littéral, cette phrase énonce une absurdité ; mais si elle est là, c’est bien qu’elle a une fonction. Ce qui nous conduit à la question suivante.
Religion en politique. Favorisons-nous le « point de vue religieux » en politique ? Voire l’expression de courants politico-religieux y compris au sein du NPA ? La « diversité » que le NPA « a tout à gagner à “montrer“ » est-elle bien religieuse comme le laisse à penser la récente tribune de la « sensibilité A Egalité » ? Est-ce une bonne façon de donner la voix aux « quartiers populaires » ?
Cette question est avant tout adressée au Comité QP84. Rappelons en effet que la représentation par la religion était à l’origine du choix d’Ilham Moussaïd comme candidate aux élections régionales de mars. De même, DBJK escamotent les problèmes que peut poser la « religionarisation » de la politique. Hendrik Davi écrit ainsi dans son texte du 12 octobre 2010 : « Comme pour la lutte contre toutes autres oppressions, il est naturel et normal que les musulmans (comme les femmes ou les homosexuels) passent par une phase d’affirmation de leur identité associée à des formes d’auto-organisation. C’est à ce titre aussi que nous devons comprendre des collectifs comme les indigènes de la République ou l’organisation de groupes sur des bases religieuses ».
Hendrik Davi énonce souvent des banalités comme si elles étaient originales pour éviter d’entrer dans le « détail » des réalités politiques. Nous savons tous que la résistance des opprimé.e.s passe par l’auto-affirmation ; il y a des tonnes de littérature à ce sujet. Mais nous savons aussi tous que la trajectoire de courants nés d’une telle auto-organisation n’est pas univoque. Nous savons encore tous que le contexte politique actuel ne favorise pas nécessairement une évolution spontanément progressiste – comme le cas des Indigènes de la République le confirme malheureusement.
Le Mouvement des Indigènes de la République (MIR) a donné naissance au Parti des Indigènes de la République (PIR). Or, il faut être très optimiste pour ne voir dans l’évolution de ce courant qu’une « phase d’affirmation » parfaitement « normale ». Le terme « blanc » est devenu une catégorie politique, à connotation généralement négative (comme dans l’usage de la formule « féminisme blanc »). Les Français « blancs » sont appelés « souchiens » – de « Français de souche » –, un jeu de mot particulièrement méprisant vu ce qu’est la représentation du chien dans un certain héritage culturel musulman (cela équivaut à « sous-porcs »). Sur leur site Internet, une rubrique s’intitule « front blanc » – pour les « blancs » qui soutiennent le combat des « indigènes » qui sont, cela va sans dire, des « non blancs ».
Dans un communiqué daté du 2 septembre 2010, intitulé « La race existe » et censé appeler à une manifestation unitaire antiraciste en défense notamment des Roms !, le PIR déclare que la négation par la gauche de « l’existence des races sociales » ne fera que « précipiter l’inéluctable rupture qui aura lieu entre les couches populaires non blanches et le reste de la société car la race existe ». Je ne saurais dire ce qui relève ici de la provocation imbécile et de la dérive politique, mais, dans le contexte politique présent, l’imbécillité nourrit la dérive. Elle caricature jusqu’à l’impotence la critique du postcolonialisme. Elle désarme face à la politique du « diviser pour régner » des gouvernants. Banalisant un vocabulaire « raciste » (avec ou sans l’adjectif « social »), elle enchante l’extrême droite qui n’en demandait plus tant !
Une semaine plus tard, le 10 septembre, le PIR a publié la déclaration de constitution, en son sein, du Cercle de Réflexion, Islam, Libération et Anticolonialisme (CRILA). L’islam constitue la référence politique de ce regroupement, imprimant un discours entièrement religieux (« nous ne craignons que Dieu », « nous considérons comme un devoir religieux l’implication active dans les affaires du monde ») au point que la notion « d’opprimé » perd tout contenu de classe en faveur de l’unité culturelle des croyants. La déclaration affirme ainsi : « nous rejetons fermement toute division entre les Musulmans. ». Bourgeois et prolétaires unis pour peu qu’ils soient de la même confession et de la même culture « opprimée »...

L’esthétique illustre la vision politique, comme en témoigne cette affiche du PIR où seuls les initiés y verront un « remake » d’une affiche coloniale. Comment reconstruire ainsi une identité de classe collective ?
Tout courant de gauche qui se réclamerait d’une identité « opprimée » ou « musulmane » n’est pas nécessairement condamné à la même dérive que le MIR/PIR. Mais cette dérive montre que les inquiétudes manifestées par nombre d’entre nous lors de la création du MIR n’étaient pas infondées. Surtout, par rapport au débat qui nous concerne aujourd’hui au sein du NPA, ce qui fait problème, c’est que le Comité populaire QP84 (et d’autres qui s’en sentent proches) se refuse à reconnaître la gravité des évolutions en cours et du discours politique tenu par le PIR, en engageant une bataille contre ces positions.
Rassembler
DBJK est le Comité QP84 affirment vouloir rassembler opprimés et exploités. Mais la politique du PIR le permet-elle ?
Par ailleurs, à quoi rimes, au sein du NPA, de polémiquer comme si notre organisation – ou une partie d’entre-elle – ignorait la gravité des attaques antimusulmanes ? Le Regroupement « féminisme et laïcité », pointé du doigt par les amis du QP84, introduisait son 4-page daté du 24 août dernier en ces termes : « Le renforcement, en Europe, de courants xénophobes, de nationalismes identitaires et de mesures discriminatoires est à prendre très au sérieux. Avec l’aggravation prévisible de la crise sociale, il peut conduire à des pogromes où les populations dites musulmanes (mais aussi les « Roms »), désignées comme boucs émissaires, seront les premières visées. ». Comment être plus alarmiste ? Cela n’empêche pas Catherine Samary de soulever la question à l’adresse de F&L : peut-on mener « lutte contre les oppressions croisées… qui oublie l’islamophobie ? », comme si elle ignorait la réponse.
Marie Geaugey et John Mullen dans leur contribution au BI pré-congrès jugent que le « combat contre l’islamophobie » n’est pas mené, ou fort peu. Ils présentent une liste d’actes islamophobes – mais ne disent mot des autres actes racistes ou xénophobes. Ils ne mentionnent pas les roms (chrétiens il est vrai). Ils dénoncent les croix gammées sur les mosquées mais pas sur les synagogues, les tombes musulmanes profanées mais pas les tombes juives. Ils s’inquiètent du peu de place accordée dans la presse du NPA dans le domaine de « l’islamophobie » – alors qu’elle est bien plus importante que celle accordée au racisme « ordinaire » à l’encontre des noirs (et des arabes !) ou à l’oppression « ordinaire » de femmes soumises au patriarcat familial et au conservatisme religieux.
Dire que la mécanique qui mène aux pogromes est enclenchée, comme je l’ai moi-même écrit, c’est n’est pas ignorer ou sous-estimer le danger qui menace les populations dites musulmanes (et qui peut en menacer d’autres aussi, comme les roms). Mais on ne construit pas l’unité des exploités et des opprimés en ne dénonçant qu’une seule oppression (serait-ce l’application de la logique du « maillon faible des oppressions » chère à Felix Boggion et DBJK ?).
Je sais fort bien que bon nombre de membres du NPA qui se réclament de la « sensibilité A Egalité » (dont Catherine Samary, même s’il m’est arrivé de « l’épingler » à plusieurs reprises dans cette contribution) ne se reconnaissent pas dans des positions aussi réductrices que celles que j’évoque ici et qu’il y a avec eux d’autres discussions, plus riches ou plus au fond, à poursuivre. J’y reviendrai ultérieurement. Mais des textes comme ceux de DBJK ou M. Geaugey et J. Mullen, ainsi que des formules polémiques répétées de Catherine, créent un « bruit de fond », une petite musique selon laquelle une aile du NPA serait, au nom du féminisme et de la laïcité, aveugle à la montée de la xénophobie antimusulmane. C’est faux et cela ne facilite pas le débat.
Pierre Rousset
Références
Felix Boggio, « Retour sur les oppressions croisées », Tout est à nous la revue n°13, octobre 2010. Disponible sur ESSF in « Débat « laïcité » : La laïcité est-elle un enjeu actuel ? Deux contributions », 17 octobre 2010, ESSF (article 18799).
François Coustal, « Débat « féminisme » : La burqa, un vêtement comme les autres ? », Hebdo Tout est à nous (TEAN) n°66 du 29/07/10. Disponible sur ESSF (article 18272).
Hendrik Davi, « Penser l’alternative politique pour une sortie du capitalisme », 12 octobre 2010, ESSF (article 18974).
— « Surmonter deux débats pour la gauche anticapitaliste », 27 février 2010, publié par Vacarmes. Parties concernées par ce débat reproduites dans Pierre Rousset, « Internationaliste ! – Faut-il au nom de l’internationalisme se ranger derrières les talibans ? », ESSF (article 16832).
Hendrik Davi, Nora Benameur, Pierre Jourlin, Abdel Zahiri, « Combattre racisme et discrimination » in Bulletin préparatoire au congrès 2010 du NPA n°2, fascicule 3, partie (novembre 2010), 15 novembre 2010 (reproduit en annexe ci-dessus).
Véronique Decker, « Débat « féminisme » : La burqa, un vêtement comme les autres ? », Hebdo Tout est à nous (TEAN) n°65 du 22/07/10. Disponible sur ESSF (article 18272).
Marie Geaugey et John Mullen, « Le NPA doit combattre activement l’islamophobie ! » in Bulletin préparatoire au congrès 2010 du NPA n°2, fascicule 3, (novembre 2010), 15 novembre 2010. Disponible sur ESSF in Débat « Féminisme, religion, laïcité » dans le NPA : 17 contributions (article 19125).
David Harvey, « S’organiser pour la transition anticapitaliste », Contretemps n°7 (nouvelle série), août 2010.
Ilham Moussaïd, interview au Dauphiné Libéré du 19 février 2010.
NPA : « motions présentée au débat de congrès sur « laïcité, religion, féminisme, antiracisme », Bulletin préparatoire au congrès n° 1 (quatrième partie), septembre 2010. Disponible sur ESSF (article 18766) : NPA : motions présentée au débat de congrès sur « laïcité, religion, féminisme, antiracisme ».
— NPA (exécutif du Vaucluse, 5 comités), Abdel Zahiri, « Retour sur la candidature d’Ilham Moussaïd et la crise dans le NPA du Vaucluse », ESSF (article 18617).
PIR, « La race existe ! ». Communiqué du 2 septembre 2010. Disponible sur ESSF (article 18486).
PIR/Crila, « Pour un Islam de justice et de libération ». Déclaration du 10 septembre 2010. Disponible sur ESSF (article 18507).
Pierre Rousset, « La laïcité, un enjeu très actuel » in Bulletin préparatoire au congrès 2010 du NPA n°2, fascicule 3, partie (novembre 2010), 15 novembre 2010 (reproduit en annexe ci-dessus).
— « Ne pas prendre ses désirs pour la réalité » in « Débat « laïcité » : La laïcité est-elle un enjeu actuel ? Deux contributions », 17 octobre 2010, ESSF (article 18799).
— « Notes sur le débat « religion, émancipation, féminisme et laïcité » dans le NPA », 10 août 2010, ESSF (article 18215).
— « ’Resist the ban but oppose the burka too’ », interview par Farooq Suhleria, Viewpoint online n° 12, 6 août 2010. Disponible sur ESSF (article 18185).
— « Débat « laicité » : Laïcité et solidarités à l’heure de la crise capitaliste », 4 juillet 2010, ESSF (article 17921).
— « Ne jamais abandonner les Rayhana, Sadia, Hina, Fatima… », 25 avril 2010 (ESSF, article 17100).
— et Pierre Yves Salingue, « Débat laïcité : Une obsession française ? – Deux points de vue », 7 avril 2010, ESSF (article 16961).
— « Internationaliste ! – Faut-il au nom de l’internationalisme se ranger derrières les talibans ? », 22 mars 2010, ESSF (article 16832).
— « French Left sees veil ban as counterproductive », interview par Amjad Mahmood, Dawn, 3 février, 2010. Disponible sur ESSF, article 16389.
Catherine Samary, « On ne peut réellement développer les solidarités croisées sans lutter à la fois contre l’islamophobie et contre les intégrismes » (25 octobre 2010) in « Débat « religion, émancipation » : deux contributions », ESSF (article 18975).
— « ’The burka ban is liberticide’ », interview par Adnan Farooq, Viewpoint online n° 6, 25 avril 2010. Disponible sur ESSF (article 18184).
Abdel Zahiri, courriel du 27 janvier 2010 diffusé sur la liste nationale « Quartiers populaires » du NPA (reproduit en annexe ci-dessus).
— in Stéphane Alliès, « Comment le NPA veut s’implanter en banlieue », paru le jeudi 27 août 2009 sur www.mediapart.fr. Disponible sur ESSF (article 14851)
ANNEXES
Combattre racisme et discrimination
Hendrik Davi, Nora Benameur, Pierre Jourlin, Abdel Zahiri
La plus grande menace dans notre combat est la division de la classe ouvrière. A de nombreux moments clés de l’histoire, la lutte contre les discriminations et le racisme a été centrale : contre l’antisémitisme en Europe ou pour l’émancipation des noirs en Amérique. Rarement, les organisations du mouvement ouvrier ont été à la pointe de ces luttes. Toujours, ces luttes ont été des portes d’entrée en politique toutes aussi importantes que les luttes économiques.
Depuis 2001, le nouvel agenda impérialiste (justification des guerres en Irak et en Afghanistan pour le contrôle de l’or noir) associé aux relents colonialistes a produit une nouvelle forme de racisme : l’islamophobie. Nombreux sont ceux qui nient la spécificité de l’islamophobie. Cet aveuglement est comparable à ceux qui ont nié la spécificité de l’antisémitisme qui a pourtant durablement structuré l’idéologie de la droite en unifiant une partie du peuple derrière le fascisme. Il est possible que l’islamophobie joue un rôle analogue à l’antisémitisme. L’extrême droite européenne l’a bien compris.
D’autre part, la religion comme tout appareil idéologique(1) (école ou syndicat) est traversée de contradictions et est un terrain de luttes entre les classes. De ce fait, la religion, même révélée, n’est qu’une perpétuelle réinterprétation qui produit un questionnement toujours sans fin chez le croyant. Elle n’est donc pas en soi contradictoire avec une politique émancipatrice.
Nous devons considérer les débats concernant l’islam à partir de ces trois prémices. Les classes dominantes construisent l’image d’un ennemi intérieur par coups médiatiques (voile, burka, quick Allal, polygamie, terrorisme) produisant peur d’un côté et discrimination de l’autre. Même si la burka est l’emblème d’une vision patriarcale réactionnaire, ou les Talibans nos ennemis politiques en Afghanistan, un parti anticapitaliste a mieux à faire que de favoriser les pires caricatures stigmatisant l’islam et de produire de la confusion (Afghanistan, Burka, voile en France). Rejeter le discours raciste dominant, ce n’est aller vers une « logique de l’ennemi principal caricaturale » (2) mais chercher à dévoiler comment il dédouane l’homme blanc de son sexisme et la France de son impérialisme.
La forme islamophobe que prend le racisme et la discrimination des enfants d’immigrés fait que la religion musulmane sera une des portes d’entrée en politique de ces populations. Nous devons nous en féliciter plus que le craindre et c’est dans la lutte commune que la prise de conscience des oppressions croisées (classe, sexisme et racisme) se fera (3)
Dans le climat islamophobe, le CPN aurait dû démocratiquement débattre(4) et valider qu’aux régionales des candidates musulmanes, voilées ou non, impliquées dans les luttes puissent être présentées en position éligibles. Notre implantation dans les QP dépendra de la façon dont nous trancherons ce débat en discriminant négativement ou non les militants en fonction de leur pratique religieuse.
Notes
(1) http://www.mediapart.fr/club/blog/hendrik-davi/070210/ideologie-et-appareil-ideologique-d-etat-aie
(2)Voir réponse à Pierre Rousset de Félix dans TEAN http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article18799
(3) Voir les interventions d’ilham et de carole lors du meeting http://www.mediapart.fr/club/blog/hendrik%20davi
(4) Comme nous lui en avons fait la demande en octobre 2009
Courriel du 27 janvier 2010
Abdel Zahiri
De : ajcrev ajcrev
Date : Wed, 27 Jan 2010 08:41:05 +0000
À : qp liste natinal
Objet : [quartierspop
c’est fou mais plus on débat plus je ressent une opposition a nos statuts et
textes fondateurs.
je croyais qu’on voulait abattre le capitalisme et offrir une alternative a
tous hors ceux que certains offrent, c’est une guerre de religion, car le
marxisme est une religion pour beaucoup
d’ailleurs ca sent la propagande des croisades, comment on devrait s’habiller,
dans quelle lieu, en quoi doit ton croire ou ne pas croire
au faites une femme en burqua peut venir au npa, moi j’en connait une qui va
bientot nous rejoindre,
a l’université d’ete je vais proposer un atelier sur le npa moitié marxiste,
internationaliste et sincere et moitié marxiste, raciste et sincere.
j’ai beaucoup eu de discutions avec le fsqp, ou des militants associatif et
presque tous m’on mis en garde du npa en disant que c’etait un parti
islamophobe qui fait semblant d’etre humaniste, etc....et bien une parti de ceux
qu’ils disent est vrai.
il y a des camarades qui proposent un projet au monde et d’autres qui portent un
projet qui obligent le monde
pour ma part je n’accepterai pas un genre de ni loi, ni voile ou ni burqua, ni
loi. faut arrêter de jouer les hypocrites, ou nous sommes a la hauteur de
l’enjeux mondiale ou le npa est mort.
Et en plus si les réticent-es connaissaient un peu plus le sujet et ils elles
comprendraient qu’avoir des ilham, des nadia sur des listes etait le meilleur
vecteur d’hemancipation, mais de quelle emancipation parle t-on, celle de chaque
femme ou celle qu’on choisit pour elle.
il n’y a pas beaucoup de difference entre les laicard-es, les feminites
extremistes et les fondamentalistes, tous veulent imposer leurs vision des
choses, alors nous devons tous les rejeter hors de notre parti sinon on
n’avancera jamais et tant pi si on se separe de camarades qui ont 10, 20, 30 ans
de lutte. faut penser a l’avenir sans etat-d’ames.
abdel d’avignon
La laïcité, un enjeu politique très actuel
Pierre Rousset
La motion du Comité populaire d’Avignon (84) publiée dans le premier BI de congrès ne dit pas un mot de la laïcité, qui est portant l’un des thèmes majeurs du débat. Elle comprend aussi cette curieuse affirmation selon laquelle il serait « contraire à nos valeurs de refuser l’adhésion » à quelqu’un « du fait de sa culture, de sa confession ou de sa philosophie » - comme s’il n’y avait pas de croyances et de philosophie réactionnaires, comme s’il était politiquement neutre d’être Témoin de Jehova, salafiste ou créationniste - et donc qu’il ne faudrait pas s’inquiéter de la montée de ces obscurantismes ?
Pour d’autres, tenants des « amendements » ACDFN, la motion AGI publiée dans ce même bulletin présenterait une vision « unilatéralement pessimiste » des dynamiques aujourd’hui à l’œuvre dans le monde, ignorant les résistances à la montée des intégrismes. Là n’est pourtant pas le problème. Des résistances, il y en a de multiples et même des victoires : l’une des principales mesures de la révolution népalaise (2006) a été d’introduire la laïcité en rompant avec l’Etat hindouiste.
Ces résistances ne font que confirmer que la laïcité est un terrain de combat actuel, central. Mais comment ne pas reconnaître qu’il se mène dans des conditions difficiles, différentes de celles des années 1970 ? Ce sont rarement les éléments progressistes des églises qui sont à l’offensive ! Dans le sous-continent indien, le cas du Népal fait exception. En Inde, le BJP hindouiste mène la charge pour confessionnaliser l’Etat. Un Etat que les dictatures militaires ont islamisé au Pakistan. L’extrême droite bouddhiste veut « cingaliser » le Sri Lanka. Dans le monde musulman, la montée des courants de type salafistes se fait lourdement sentir. Dans le monde chrétien, les églises les plus réactionnaires sont à l’offensive, en particulier contre le droit à l’avortement (Brésil, Nicaragua, Espagne, Italie, Pologne…). Les évangélistes renforcent leur enracinement en Afrique en faisant des homosexuels des boucs émissaires (Nigeria, Uganda, Zimbabwe…).
Dans tous les cas, il s’agit de renforcer l’emprise du religieux - et plus précisément d’une interprétation réactionnaire du religieux - sur la société, les rapports sociaux (dont de genre), les lois et l’Etat ; le récent voyage du Pape en Espagne vient spectaculairement de l’illustrer. Pourquoi chercher à minimiser un tel enjeu, pourtant majeur ?
Les débats dans le NPA montrent que certaines et certains portent un regard distant, voire méfiant, sur notre combat laïque sous prétexte qu’il pourrait camoufler racisme ou islamophobie. Rien ne serait pourtant plus dangereux que d’abandonner à l’extrême droite (Riposte laïque en France) ce drapeau ! La stigmatisation croissante des musulmans en Europe s’accompagne en réalité d’attaques répétées contre la laïcité, comme vient de le faire Angela Merkel qui en appelle à l’histoire chrétienne de l’Allemagne pour mieux désigner les Turques comme boucs émissaires de la crise.
Le lien entre combats laïques, féministes et antiracistes n’est pas artificiel, mais nécessaire.