Introduction
Quelques remarques après l’intervention de Samy Joshua sur le débat à ses origines et celle de Michael Löwy sur la Théologie de la libération.
Nous sommes dans des contextes économiques, sociaux et politiques radicalement différents aujourd’hui.
1) depuis la fin du XIXe siècle, la lutte des femmes en faveur de leur émancipation a fait un bond qualitatif sur le plan international dans les années 1960-1970 qui ne permet plus, aux mouvements progressistes, en Europe du moins, d’ignorer cette question, au moins au niveau des principes.
2) Sur le plan économique et politique, on assiste depuis plus de vingt ans à une révolution conservatrice et néolibérale sans précédent, contexte très différent de l’environnement dans lequel a émergé un mouvement comme celui de la Théologie de la libération.
3) La génération militante qui a émergé avant et après 1968, baignait, en France, dans un environnement consensuel sur la question de la laïcité qui unifiait la gauche, syndicale et politique depuis la Seconde guerre mondiale. Le changement de contexte international et l’émergence en France, avec une nouvelle force, de l’Islam comme seconde religion oblige l’ensemble du mouvement social à se reposer la question de la laïcité dans des termes nouveaux qui sont source d’interrogations et de divisions.
En 2003-2004, la LCR comme les autres composante de la gauche et de l’extrême gauche a été interpellée par la question du foulard islamique à l’école. La position majoritaire : ni voile, ni loi, a été fortement contestée par une minorité de l’organisation. Depuis, sans être abordée frontalement la question de la laïcité a continué de progresser souterrainement. Pour le NPA, c’est de l’intérieur que la question a été reposée brutalement à travers la candidature d’une militante voilée. Aujourd’hui, on ne peut plus repousser le débat mais je ne traiterai pas ici de la place et du rôle éventuel de militant.e.s affichant leurs appartenances religieuses au sein du NPA mais plutôt de nos activités au sein de la société.
Je vais essayer ici de réfléchir sur l’articulation entre la séparation de l’Etat et des religions, le respect de la liberté de cultes, l’égalité entre toutes les religions, l’athéïsme, l’agnoticisme etc. avec le respect de l’égalité entre les femmes et les hommes et entre tous les citoyens. Il y a 4 parties dans mon intervention.
I) Double offensive réactionnaire sur le plan international
(cf. le « 4-page » du Regroupement « féminisme et laïcité » (NPA) (RFL) qui n’avait pas encore été distribué au début de l’Université d’été). [1]
1) Offensive néolibérale, guerres impérialistes et racisme.
2) Montée de tous les fondamentalismes religieux sur le plan international.
Voir en plus des éléments analysés dans le « 4-page » : remise en cause du principe même de la séparation des Eglises et de l’Etat ; persécution des minorités religieuses diverses, réactualisation du crime de blasphème etc.
J’ai également signalé
* la pression sur les institutions exercée par des courants islamiques en vue de mettre sur pied des tribunaux communautaires pour gérer les conflits familiaux en conformité avec la charia. Cf. l’exemple en Ontario (Canada) 1991-2005 (cf. J. Baubérot 2008 : Une laïcité interculturelle, p. 37-39).
* les violences exercées contre les femmes qui ne se soumettent pas aux prescriptions religieuses (cf. Iran, Afghanistan, Pakistan, etc.) et mises en cause du droit à l’avortement dans de nombreux pays par des courants chrétiens de diverses obédiences : aux USA, en Italie, Espagne etc., et Nicaragua.
3) Volonté d’instrumentaliser la lutte des féministes ou des gays et lesbiennes pour légitimer les guerres impérialistes ou les campagnes racistes.
II) En France et en Europe
1) En France, parallèlement aux attaques contre les acquis sociaux, attaques racistes contre les musulmans et les roms ; Loi contre le voile intégral dans l’espace public...
En Suisse referendum contre les minarets, printemps 2010...
2) D’un autre côté
Certains secteurs des institutions publiques sont tentées de reprendre à leur compte des argumentations inspirées par des préoccupations religieuses.
Ex. 1 : le tribunal de Lille annulant le 1er avril 2008 un mariage célébré en 2006, en raison du mensonge de la mariée qui avait caché à son futur époux une liaison antérieure.
Les « deux » époux avaient demandé cette annulation au nom de l’art. 180 du code civil qui prévoit cette possibilité « en cas d’erreur sur la personne ou les qualités essentielles de la personne ». Y compris certaines musulmanes protestent contre « cette discrimination religieuse et sexiste » ; cf. Dounia Bouzar, Libé. du 3 juin 2008.
Après l’émotion suscitée par ce jugement dans les mileux laïques et féministes, et appel du parquet, la cour d’appel de Douai a cassé l’annulation le 17 novembre 2008 : « L’absence de virginité n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale ». Suite possible pour les époux : appel en cour de cassation ou… divorce (Le Monde du 19 nov. 2008).
3) Remise en cause de la laïcité par Sarkozy de manière encore plus ouverte que par Mitterrand ou Chirac.
* Le prêtre « supérieur » à l’instit. Discours de Latran, décembre 2007.
* Le 13 septembre 2008, Benoît XVI en visite ; Sarkozy valorise les « racines chrétiennes de la France ».
Sarkozy multiplie les déclarations :« L’homme qui croit est un homme qui espère » ; il parle de « laïcité positive ».
* Accords avec le Vatican pour la délivrance des diplômes de l’enseignement supérieur par des écoles privées religieuses.
* Subvention aux écoles privées.
III) Conclusion :
Loin d’être un combat d’arrière garde, le combat pour la laïcité (dénigré par certain.e.s militant.e.s au prétexte que les grandes lois laïques ont été promulguées par des gouvernements bourgeois compromis dans une politique coloniale agressive) est un combat d’une grande actualité , qui trouve un écho dans de nombreux pays :
En Pologne, de jeunes polonais ont créé un collectif pour revendiquer un Etat laïque ; au Maroc, des jeunes revendiquent eux aussi, au risque de la répression le droit de ne pas pratique le ramadan, etc. Ce n’est pas étonnant. La laïcité est le seul moyen d’instaurer un espace de citoyenneté qui respecte l’égalité entre tous et toutes.
Rappelons les principes de base de la laïcité en France : Liberté de conscience et de pratiquer sa religion ; séparation des Eglises de l’Etat, ce qui implique l’interdiction de financer les activités des religions ; en France cela s’est traduit également par l’absence de symboles religieux sur les bâtiments publics et le devoir de réserve imposé aux fonctionnaires (cf. plus bas).
Pour nous, ce combat s’inscrit en complément de nos autres combats anticapitaliste, antiraciste, féministe, etc. Il ne peut être question de hiérarchiser les oppressions. Nous devons tisser des solidarités croisées pour unifier l’ensemble des exploités et opprimés des deux sexes et autres et nécessite chaque nous réfléchissions aux implications concrètes de nos choix (cf. le « 4-page »).
IV) Propositions de campagnes à mener unitairement de manière offensive pour sortir pour de cette position de repli défensif face à la droite et l’extrême droite ou aux courants islamiques les plus actifs (liste non limitative), dans le but de faire adopter le principe de laïcité par une large partie de la jeunesse qui subit les discriminations de toutes sortes.
– Relancer la lutte pour le droit de vote et la liberté de circulation pour les personnes étrangères.
– Soutenir activement les campagnes internationales contre les violences exercées en France et sur le plan international par les personnes qui ne se conforment pas aux interdits religieux (femmes, homos. etc.) Ex. le soutien à Sakineh.
– S’opposer aux lois racistes qui portent atteinte à la liberté de pratiquer sa religion ; ex. la loi sur le voile intégral dans l’espace public, ce qui ne doit pas se traduire par une autocensure sur l’analyse de la « burqa » comme forme d’apartheid sexuel.
– Défendre le droit des musulmans à prier dans des mosquées et donc celui d’en construire.
– Militer pour intégrer dans le calendrier scolaire et férié au moins « la » fête la plus importante pour les musulmans et les juifs.
– Remise en cause du statut de l’Alsace-Moselle.
Mais il peut y avoir des limites à l’exercice des libertés religieuses. Celles qui nous intéressent particulièrement sont celles qui peuvent porter atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes. Au Canada : il existe un article 28 de la Charte canadienne des droits des droits et libertés qui explicite ainsi le principe d’égalité : « Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes ». Cet article est souvent cité par les militant.e.s laiques et féministes qui veulent exercer leur vigilance concernant les droits des femmes. Il faut savoir qu’au Canada et surtout récemment au Québec, il y a un débat tout aussi passionné qui divise actuellement la gauche radicale et les féministes sur la manière d’appliquer ce qui s’appelle là-bas le principe des « accommodements raisonnables ». Une commission a été mise sur pied en février 2007 pour réfléchir sur cette question (la commission Bouchard-Taylor du nom des deux co-présidents) qui a rendu public son rapport le 22 mai 2008. Mais le débat, passionné, a rebondi sur la question des « accommodements raisonnables » dans la fonction publique.
VI) les questions qui fâchent
Si nous ne voulons pas que certaines questions soient tranchées par la bande ou par des coups de force locaux, nous devrons prendre le soin, à un moment ou un autre, de prendre le temps de débattre de plusieurs questions :
1) Après le vote de la loi votée par la droite et le PS en 2004 sur les signes religieux à l’école, quelle est notre position aujourd’hui ? En ce qui me concerne, je reste convaincue par la position majoritaire développée par la LCR à l’époque : ni loi, ni voile.
2) Peut-on afficher ses appartenances religieuses quand on est fonctionnaire ? D’ores et déjà des militant.e.s du NPA sont favorables à la levée du droit de réserve imposé aux fonctionnaires, en ce qui me concerne je suis contre.
3) Que pensons-nous de la possibilité de réserver un créneau horaire pour les femmes, dans les piscines municipales ? Plusieurs cas ont déjà donné lieu à polémiques. En ce qui me concerne, je suis pour la mixité totale des services publics mais ne peut-il y avoir quelques exceptions ? Je n’ai pas d’avis tranché sur la question. Là encore il s’agit de savoir si ces « aménagements » sont susceptibles d’offrir à des femmes dans certaines municipalités de faire un pas supplémentaire en dehors de leur foyer ou au contraire d’amorcer un pas vers l’apartheid sexuel.
Toutes ces questions ne pourront être tranchées par le congrès mais il faudra bien s’y confronter en prenant le temps d’une discussion approfondie.
Josette Trat