APPEL CONTRE LES SOINS SÉCURITAIRES
Les politiques sociales et sanitaires, les lois récentes et à venir transforment nos représentations : les soins y deviennent un marché concurrentiel et la « folie » y est représentée comme un état forcément dangereux.
Il est douloureux pour nous, et pourtant fondamental dans la période que nous vivons, d’avoir à rappeler que ce qu’on appelle un « fou », est d’abord un homme !
Après la loi « HPST » qui organise la concurrence entre public et privé lucratif pour les missions de service public, vient le « Projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge », qui est l’application attendue du discours du président de la République du 2 décembre 2008.
Ce projet fait du « soin sans consentement » le modèle du soin psychique. Il maintient l’exception française en Europe d’une loi spécifique pour le traitement sous contrainte en psychiatrie, sans qu’un juge intervienne dans l’autorisation de cette privation de liberté. En posant le principe d’un soin sous contrainte imposable tant à l’hôpital qu’au domicile du patient, il y ajoute l’atteinte à la vie privée. Ainsi, les patients, fichés et contraints, se verraient enfermés dans une véritable trappe psychiatrique : considérés à vie comme des malades mentaux potentiellement dangereux.
L’entrée dans le soin est annoncée de fait comme une garde à vue psychiatrique de 72 heures, durant laquelle toute action de traitement contraint serait autorisée. C’est plus encore qu’un régime de liberté surveillée, puisque pouvant autoriser toute intrusion dans l’intimité et le corps du patient.
Nous sommes également opposés à des soins sans consentement en « ambulatoire ». Ce serait la partie immergée d’une psychiatrie sécuritaire, autoritaire et paternaliste. Pour les professionnels comme pour les usagers ce serait accepter que l’obligation de moyens pour l’Etat en vue d’une psychiatrie d’accueil et de soin, soit au contraire celle de l’organisation d’un nouveau « grand renfermement » actualisé. Depuis décembre 2008, l’État a trouvé l’argent pour construire 4 unités pour malades difficiles, pour installer ou rénover des chambres d’isolement et installer la vidéosurveillance ! N’oublions pas qu’une telle disposition entre aussi dans le cadre de la nouvelle gouvernance : cela coûterait moins cheret cela pourrait donner lieu au développement de services à but lucratif.
Au vu de l’application de fichiers dans d’autres domaines (que nous dénonçons), ce projet contient la perspective d’un fichage national généralisé de toute personne bénéficiant de soins spécialisés. Cette disposition adhère à l’amalgame entre « folie » et « dangerosité », amalgame que nous condamnons. Toutes les études sur le sujet en démontrent la fausseté. En insistant sur la figure de l’aliéné, le pouvoir justifie sa politique de la peur et la société de surveillance qu’il met en place. Tel est le véritable sens du « soin sans consentement » prévu dans ce texte
Citoyens, élus, usagers, professionnels, nous devons tenir bon.
Le soin psychique ne concerne pas que des « états aigus », des « troubles du comportement », auxquels la réponse unique serait simplement médicale, médicamenteuse et normalisatrice. Le soin psychique demande des approches complexes, des disponibilités d’accueil, d’écoute, d’accompagnement, d’hospitalité, des pratiques de négociation avec le patient et son entourage, avec des intervenants souvent nombreux, en difficulté, et aux intérêts différents. Cela implique que la « personne présentant des troubles psychiques » soit pensée et vécue comme un corps, une subjectivité singulière, une personne, un individu social, et un sujet de droit. Une telle fondation éthique a pu et peut toujours s’illustrer dans des pratiques concrètes. L’État se doit de les favoriser.
On comprendra alors notre appel pour une mobilisation publique contre un tel projet de « condamnation au soin », et contre le projet politique qu’il promeut. Si une obligation de soin peut s’imposer, elle doit être cadrée de manière à assurer l’articulation du droit à des soins garantissant la préservation de l’intégrité de la personne et de ses droits, et de droits de recours effectifs. La mise en œuvre d’une telle obligation ne peut se dérouler que pour une durée limitée sous le contrôle de la justice dans un lieu de soins spécialisé agréé et assurant des soins 24h / 24. Nous soutenons qu’il est possible pour l’essentiel d’aménager des espaces et des temps d’accueil, de traitement actif de la demande des tiers, de négociation et d’élaboration avec une personne présentant un état psychique pouvant éventuellement conduire à un traitement contraint.
Il faut en finir avec l’exception psychiatrique ; le droit commun doit s’appliquer. Il faut en finir avec le pouvoir du Préfet, qui a toujours signifié loi de police et mesure de sûreté. Il faut une mesure de protection de la personne, qui relève alors de recommandations médicales et d’une obligation de prendre soin pour les services psychiatriques dans le respect de la dignité de la personne et de sa parole, autant que d’une autorisation et d’un contrôle par l’instance d’un juge judiciaire.
Ce projet de loi est un leurre démagogique à l’égard des familles, des voisins, de l’ordre public. Voté, il aurait des conséquences lourdes pour les libertés individuelles, les droits collectifs et le soin psychique. Nous demandons instamment aux parlementaires de repousser un tel projet. Nous invitons professionnels, élus, usagers, citoyens à débattre partout et à faire valoir l’alternative esquissée ici pour répondre à la situation.
* Signez l’appel en ligne ! http://www.maiscestunhomme.org/
PSYCHIATRIE : NON À LA CRIMINALISATION DES MALADES !
Claude Louzoun, Jean-Pierre Martin (psychiatres USP [1]) et Jean Vigne (infirmier Sud Santé sociaux) sont membres du collectif Non à la politique de la peur. Ils analysent le projet de loi sur l’hospitalisation psychiatrique.
Une nouvelle loi est en préparation sur l’hospitalisation psychiatrique ; dans quel contexte intervient-elle ?
Depuis le discours du 2 décembre 2008 du président de la République sur la psychiatrie, le gouvernement avance vers une réforme à visée sécuritaire du soin psychiatrique. Un projet de loi modifiant sur le fond la loi du 27 juin 1990 est en voie de validation. Ce texte complète un processus sécuritaire déjà très avancé.
Mais c’est aussi une « psychiatrie industrielle » qui se dessine, concevant le patient comme un objet de soins « rentables » dans le cadre du plan Hôpital 2007 et de la loi Bachelot.
Pouvez-vous en préciser les principales dispositions ?
Ce texte introduit surtout deux nouveautés : le traitement obligatoire dans la communauté et la possibilité de rétention pour évaluation de 72 heures dans le cadre hospitalier. Il réorganise le soin psychique autour du « soin sans consentement », avec un pouvoir accru du préfet et du directeur d’hôpital. Il confirme le passage des psychiatres sous les fourches caudines des préfets chargés de s’assurer de la compatibilité de la levée des mesures d’internement avec les impératifs d’ordre et de sécurité publics. Le directeur d’hôpital, de son côté, devient omniscient puisqu’en charge de décider des suites à donner en cas de non-observance du soin sans consentement ambulatoire.
Ce projet de loi introduit également des modifications diverses pour les hospitalisations d’office et sur demande d’un tiers [2] et prévoit un régime spécial pour les personnes en cas d’antécédent d’internement en Unités pour malades difficiles [3], ou déclarées pénalement irresponsables à la suite d’actes graves.
Quelle analyse faites-vous de ces mesures ?
Les « soins sans consentement », notamment ceux hors de l’hôpital psychiatrique, font du domicile et des espaces d’hébergement associatifs des lieux de contrôle et de contrainte au nom du soin, et nous placent au cœur d’une société de surveillance et d’une « psychiatrie criminelle » voulue par le chef de l’État. Ajoutons que « soins sans consentement » est une formulation qui consacre une fusion automatique et pourtant discutée et discutable entre traitement et détention ou limitation de liberté.
Il s’inscrit dans la lignée d’une remise en cause d’une psychiatrie portée par l’exigence de la qualité de malade et de sujet de droit du patient psychiatrique dans le cadre de la politique de secteur [4]. Nous dénonçons l’exploitation politique à des fins sécuritaires de la souffrance des malades et de ceux qui en sont parfois aussi les victimes. Nous dénonçons le manque de moyens et la perte de culture de ce soin spécifique, à travers les réformes et autres restrictions budgétaires de ces dernières années, avec pour conséquence la disparition de la politique publique de secteur psychiatrique et l’abandon de nombreux patients à leurs seules ressources ou à celles de leur entourage.
Face au tout sécuritaire, quelle alternative pour la psychiatrie ?
Les mesures de contrainte sanitaire à la personne ne peuvent être fondées sur la dangerosité sociale – pierre angulaire des lois liberticides dites de « tolérance zéro » criminalisant les « fous », les SDF, les jeunes (surtout de banlieue), etc. – mais sur l’état de nécessité clinique.
Toute loi dont le propos relève d’une contrainte, même de soins, doit être une loi de protection de la personne et non une loi de police donnant lieu à une mesure de sûreté sous la houlette du préfet. Le recours à toute privation de liberté nécessite la supervision et l’aval de la justice en matière de protection des citoyens. La législation psychiatrique ne doit plus être une législation d’exception. En aucun cas, la décision, l’application et la gestion d’une telle disposition ne peuvent relever du préfet.
La mobilisation est difficile sur ces questions, comment se dessine-t-elle ?
Face à ce retour d’un « grand renfermement », notre lutte est un enjeu politique de défense des libertés et des services publics dans la perspective d’un mouvement pour une psychiatrie démocratique.
Propos recueillis par Jean-Claude Delavigne
Notes
1. Union syndicale de la psychiatrie.
2. Hospitalisations faites sans le consentement du patient (13 % des hospitalisations) contrairement aux hospitalisations libres.
3. Unités d’enfermement renforcé, ultra sécurisées (il en existe aujourd’hui cinq en France et bientôt neuf).
4. Cette politique vise à soigner la personne sans la couper de son environnement. L’hôpital n’étant plus qu’un recours le plus bref possible, dans les moments de crise.
* Paru dans Hebdo TEAN 52 (22/04/10).
PSYCHIATRIE : UNE NOUVELLE LOI SÉCURITAIRE.
COMMUNIQUÉ DU NPA
Un projet de loi s’apprête à réformer les modalités de soins en psychiatrie.
Il s’inscrit dans les politiques sécuritaires de N. Sarkozy et du gouvernement traitant par la répression toute forme de « déviance ».
Les principales dispositions en sont l’instauration d’une garde à vue psychiatrique de 72 heures lors de l’admission de certains patients à l’Hôpital et la possibilité de soins sous contrainte à domicile, assurés grâce à un bracelet électronique.
Cette loi renforce le pouvoir administratif des préfets et des directeurs d’hôpitaux au détriment de l’avis des professionnels de santé.
Elle complète l’évolution vers une psychiatrie visant avant tout à maintenir « l’ordre public » au détriment de la reconnaissance du malade comme personne en souffrance.
Elle accompagne la destruction par manque de moyens du service public de psychiatrie assurant gratuitement, dans et hors l’hôpital, la prévention le suivi et le soin des personnes souffrant de troubles psychiques.
Elle vient renforcer, s’appuyant sur des faits divers rares mais ultra médiatisés, les vieilles peur du « fou dangereux » qu’il faudrait d’abord enfermer.
Le NPA s’associe à l’opposition des professionnels de la psychiatrie (syndicats de psychiatres et de personnels, collectifs…) et sera partie prenante de leurs actions, comme de celle des travailleurs sociaux, des professionnels de la justice, des enseignants contre les politiques de la peur.
Le 29 avril 2010.
« POUSSEUR DU MÉTRO » EXPLOITATION SÉCURITAIRE D’UN NOUVEAU DRAME
Le 2 avril, à la station Gare-de-Lyon, un jeune homme a violemment projeté contre une rame de RER un voyageur qui est décédé peu après. Ce « pousseur du métro » a été arrêté quelques heures plus tard. Sa mère a révélé qu’il souffrait de « troubles psychiatriques lourds [...] détectés en août 2005, qu’il avait fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, dont certains de plusieurs mois », et qu’il avait interrompu son traitement depuis janvier. Elle s’est plainte d’avoir sans succès « tiré la sonnette d’alarme » tant auprès des services de soins que de la police sans avoir été écoutée. Sans se prononcer en l’absence d’éléments précis sur cette situation, rappelons que les professionnels de la psychiatrie tirent eux aussi la sonnette d’alarme sur l’insuffisance dramatique de moyens dont souffre la psychiatrie publique. La première conséquence est l’affaiblissement (faute de personnels) des politiques de prévention et de suivi des patients dans la durée : fermetures ou regroupement des centres médico-psychologiques (CMP) publics et gratuits, dans les quartiers.
Ils ne cessent de protester aussi contre la saturation permanente (faute de places) des services de psychiatrie qui contraint souvent à des sorties précipitées de l’hôpital, avec un suivi des soins tout à fait insuffisant.
Ce n’est pourtant pas dans l’amélioration des politiques de soins, mais dans l’aggravation des politiques sécuritaires et répressives que le pouvoir cherche des réponses.
L’émotion soulevée par ce nouveau drame est l’occasion d’une campagne médiatique et politique supplémentaire sur la dangerosité des « malades mentaux » et plus particulièrement des « schizophrènes » susceptibles de « passages à l’acte » imprévisibles.
Alors qu’il n’y a pas plus de personnes commettant des actes criminels que dans le reste de la population, la peur du « malade mental » est utilisée pour justifier le durcissement de la législation sur la psychiatrie actuellement en préparation.
Un texte sur l’hospitalisation psychiatrique va être débattu en conseil des ministres et au Parlement. L’ordre public y est prioritaire sur le soin, en particulier à travers deux mesures : l’instauration d’une « garde à vue » psychiatrique de 72 heures lors de l’admission de tout patient hospitalisé sans son consentement ; la mise en place d’une rétention psychiatrique à domicile (avec bracelet de surveillance électronique). L’autorité administrative (le préfet) voit son rôle renforcé au détriment de celui des professionnels du soin.
Après la loi sur la « rétention de sûreté » qui permet de prolonger indéfiniment l’enfermement d’une personne jugée dangereuse, une fois sa peine purgée, ce nouveau texte renforce la législation d’exception s’appliquant aux personnes atteintes de troubles psychiatriques, et les discriminations dont elles sont l’objet, quand il s’agirait au contraire de les réintégrer dans le droit commun s’appliquant à tout être humain.
Jean-Claude Delavigne
* Paru dans Hebdo TEAN 51 (15/04/10).