- I. Un projet toujours à (…)
- 1.1 Quel modèle de production
- 1.2 Démocratie participative
- 1.3 Contrôle ouvrier
- 1.4 Plan Guayana socialiste
- 1.5 Mortelle lutte de classes
- 1.6. De l’État bourgeois à (…)
- 1.7. L’intégration régionale
- 1.8. La Ve internationale
- II. Un contexte particulier –
- 2.1 Une sécheresse historique
- 2.2. Les failles du système
- 2.3. Les problèmes récurrents
- 2.4. La gauche sans solutions
- 2.5. Policiers délinquants
- 2.6. Le paramilitarisme (…)
- 2.7. Le fléau de la corruption
- 2.8. Un modèle économique (…)
- III. Les élections législative
- 3.1. Les primaires au sein (…)
- 3.2. Les batailles partidaires
- 3.3. Calculs électoraux
- 3.4. Quelles perspectives ?
Dans la dernière décennie, le processus de changements sociaux entamé au Venezuela après l’arrivée au pouvoir du président Hugo Chávez a suscité de nombreux espoirs tant en Amérique latine que sur d’autres continents. Le mouvement entamé par le Venezuela a été suivi d’un virage à gauche et d’une nouvelle recomposition régionale sud- américaine. Après onze années passées au pouvoir, et six ans après avoir déclaré le caractère « socialiste » de la révolution bolivarienne, qu’en est-il aujourd’hui du « socialisme du XXIe siècle » au Venezuela ?
I. Un projet toujours à définir
La première question que l’on peut se poser est celle de la définition du projet. Bien qu’ayant apporté des avancées dans de nombreux domaines pour les couches les plus démunies de la population, ainsi qu’en matière de participation populaire, il n’en est pas moins contradictoire sur bien des points. Au-delà des slogans, le projet bolivarien manque cruellement de débats idéologiques et d’une analyse en profondeur des conditions objectives.
Comme le fait remarquer l’historien Steve Ellner, « l’issue favorable de la confrontation du mouvement avec une opposition agressive, mais politiquement vulnérable, a convaincu les chavistes qu’ils pouvaient faire l’économie d’un débat idéologique formel. Les succès politiques semblent finalement empêcher la mise en place de toute évaluation critique des stratégies adoptées (…) Le processus de radicalisation politique au Venezuela a d’abord cherché à répondre aux défis suscités par l’opposition, et non à suivre des considérations idéologiques ou doctrinales » [1]. L’absence d’une direction collective y est probablement pour beaucoup. Peu d’initiatives sont prises, non seulement de la part des hauts dirigeants mais également des trop rares et discrets mouvements sociaux. Si le « Comandante » ne trace pas la ligne, trop peu de visions ou décisions politiques émanent de ceux qui devraient pourtant être les « cadres » de la révolution. On assiste donc à un comportement conformiste, souvent opportuniste, et à une profonde institutionnalisation du processus.
Carte du Venezuela
Pour expliquer cela il faut aller au-delà de la seule analyse politique et se plonger dans les racines de la société vénézuélienne. Historiquement, comme dans de nombreux pays d’Amérique latine et centrale, l’absence d’un État providence a mené au développement d’une société individualiste à l’extrême, où le chacun-pour-soi est la règle et la loi est celle de la jungle. De plus, dans le Venezuela des années 1960 jusqu’à la fin des années 1990, la perte d’identité propre a amené la population à assumer le modèle nord-américain comme l’exemple à suivre, déconnectant en bonne partie le Vénézuélien de sa culture d’origine, plus à même de permettre l’émergence de valeurs communautaires. L’appartenance politique ne tend donc pas ici à être une question de tradition ou de militantisme mais plutôt une opportunité d’obtenir un travail ou une parcelle de pouvoir. « Ne me donne rien, place-moi là où je peux me servir », est une phrase populaire qui est souvent citée en référence à l’époque de la IVe République [2]. Car la faiblesse de l’État n’a pas seulement obligé tout un chacun à s’assurer une place au chaud, elle a aussi permis à beaucoup de « se servir » dans les caisses constamment renflouées par la manne pétrolière.
Tout au long du XXe siècle, le pétrole et son abondance de dollars ont eu un impact sur la culture du pays et sur son modèle de production. En 1984, l’Institut d’études supérieures d’administration (IESA) publiait un ouvrage dans lequel les auteurs affirmaient : « L’abondance d’argent a aussi servi à amortir l’effet des erreurs et à augmenter le nombre d’options possibles, ce qui a certainement contribué au fait qu’il n’était pas important de discuter à fond les erreurs commises ni les options disponibles ». L’argent du pétrole a aussi joué en défaveur de l’industrie et de l’agriculture locale. Les libéralisations des années 1990 ont terminé de consacrer le modèle importateur et la fameuse « agriculture des ports ».
Face à cette culture rentière, enracinée même dans les couches les plus démunies de la population, la révolution bolivarienne n’est jusqu’à présent pas parvenue à imposer son propre imaginaire collectif. L’hégémonie culturelle bourgeoise n’a pour l’instant pas de soucis à se faire, la telenovela (feuilleton sud-américain à l’eau de rose) et le consumérisme à tout-va ont encore de beaux jours devant eux. Là aussi, le manque de définition et de débats idéologiques concrets a amené le gouvernement à naviguer constamment à vue tant dans sa politique culturelle que communicationnelle.
1.1 Quel modèle de production ?
Depuis le siècle dernier, le pétrole a donc été au centre des politiques de développement du pays et n’a pas permis l’émergence d’une industrie ni d’une agriculture diversifiée. Aujourd’hui le gouvernement parle de « semer le pétrole » (l’idée n’est pas neuve, l’expression était déjà utilisée dans les années 1980), en référence à l’investissement de la manne pétrolière pour le développement d’une industrie productive et d’une agriculture qui permettrait de réduire la dépendance aux importations. Cependant le Venezuela doit compter avec une population urbaine dans son immense majorité (voir le point 2.3. sur l’insécurité) et une très faible tradition productive.
À ce propos, le rôle joué historiquement par les grands propriétaires terriens, qui concentraient d’immenses surfaces de terre improductive durant une bonne partie du XXe siècle, n’est évidemment pas à sous-estimer. Selon l’économiste Victor Álvarez, ex-ministre des Entreprises de Base et chercheur au Centre international Miranda (CIM), en 1998, des 30 millions d’hectares que possédait le Venezuela pour la production agricole, seulement 1 400 000 étaient utilisés. Autrement dit, à peine 4,2 % des terres cultivables. Cependant, la politique de redistribution des terres impulsée par le gouvernement bolivarien après 1998 n’a jusqu’à présent pas réussi à inverser la vapeur, bien au contraire. Si entre 1960 et 1971 l’apport du PIB agricole au PIB total était de 6,88 %, ce pourcentage n’a depuis plus jamais été dépassé. Entre 1990 et 1994 il était de 5,28 % et est tombé jusqu’à 3,47 % en 2004 [3].
Cela a évidemment des conséquences non seulement sur l’économie mais aussi sur la dépendance du pays par rapport à l’extérieur, et se traduit par des situations parfois complètement surréalistes : alors que le Venezuela prétend (re)devenir un exportateur de café, le gouvernement se voit dans l’obligation d’importer des grains du Brésil pour alimenter une usine de torréfaction récemment nationalisée. Cette faiblesse sur le plan alimentaire n’est que pain béni pour la bourgeoisie qui contrôle une bonne partie des moyens de production et de distribution des aliments, provoquant ainsi un désapprovisionnement récurrent qui vise à exacerber au maximum la population.
Cependant l’inefficacité gouvernementale joue aussi son rôle dans le retard pris par exemple dans les importations. Le Venezuela étant soumis à un strict contrôle des changes, toutes les importations dépendent en grande partie de l’octroi de devises étrangères par l’administration publique. Or officieusement il est reconnu que cet octroi se fait souvent avec des délais plus longs que prévu.
Parallèlement, on peut s’interroger sur le modèle de production industrielle qu’est en train de promouvoir le gouvernement bolivarien. Développer l’industrie, oui. Mais pour produire quoi ? Jusqu’à présent on assiste à un modèle de développement qui ne se pose absolument pas la question de l’impact écologique et qui n’est pas toujours en accord logique avec les besoins de la population. À titre d’exemple, alors que les principales villes du pays ont cruellement besoin d’un système de transport public efficace et sont étouffées par une circulation chaotique, la révolution bolivarienne signe des accords avec l’Iran pour construire une usine d’assemblage de voitures. Une usine qui en trois ans a assemblé à peine 3 000 unités, alors que sa capacité maximale de production atteint, selon le ministère de Science et Technologie, les 25 000 par an !
Par ailleurs, le modèle de développement basé sur le pétrole n’est à aucun moment remis en cause. Il est évident qu’on ne peut demander au Venezuela d’abandonner l’exploitation de sa principale ressource d’un jour à l’autre. Cependant, après onze ans passés au gouvernement, les chiffres démontrent que malgré le discours officiel de « diversification de l’économie », celle-ci reste une utopie. Les sommets jamais atteints par les cours du brut ces dernières années auraient pu permettre un large investissement dans différents secteurs, dont celui des énergies renouvelables, où le Venezuela aurait pu développer une technologie de pointe et se profiler comme un leader sur le continent. Cependant il semble que la commodité a été plus forte que l’audace. La révolution bolivarienne n’a ni réussi à proposer un nouveau modèle de développement axé sur des valeurs plus humaines et durables, ni entamé la transition vers une économie dite « socialiste » (voir point 2.4). Comme le déclarait récemment l’économiste Victor Álvarez à la presse, « détruire l’économie capitaliste sans avoir créé la socialiste, c’est le raccourci parfait pour rester enfermés dans le cercle vicieux de récession, désapprovisionnement, spéculation, inflation et chômage. Les travailleurs qui ont une famille à nourrir préfèreront être salariés dans une entreprise capitaliste plutôt que de finir chômeurs inscrits sur une liste d’attente à l’entrée des entreprises publiques ».
1.2 Démocratie participative et contrôle ouvrier, où en est-on ?
Dès ses débuts, la révolution bolivarienne a fait voler en éclat le vieux système de bipartisme par lequel sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens s’étaient partagé le pouvoir pendant près de 40 ans. Le gouvernement, qui dans un premier temps n’avait pas en main toutes les structures de l’État, a alors lancé une série de programmes parallèles aux institutions classiques pour lutter contre la pauvreté, alphabétiser ou encore offrir des soins de santé à une majorité de la population jusque-là exclue du système. Plus que de simples mesures assistancialistes, ces « missions sociales » (lancées peu après le coup d’État d’avril 2002) constituent le germe de la participation. En diagnostiquant eux-même les besoins de leur communauté (soit-elle urbaine, rurale ou indigène), les habitants commencent à prendre en main la résolution de leurs problèmes [4].
En avril 2006, à l’initiative de l’Exécutif, le Parlement approuve la loi des conseils communaux qui y sont définis comme des « instances de participation, d’articulation et d’intégration entre les différentes organisations communautaires, groupes sociaux et les citoyens et citoyennes ». Ils doivent permettre « au peuple organisé d’exercer directement la gestion des politiques publiques et des projets orientés à répondre aux nécessités et aspirations des communautés par la construction d’une société équitable et de justice sociale ». Et cela dans des domaines aussi variés que le sport, la culture, l’éducation, la santé, l’aide aux personnes à bas revenu, les infrastructures, le transport, etc.
Pour Oscar Negrin, militant de quartier et membre de la « Junta Parroquial » [5] depuis 2006, il ne fait aucun doute que les conseils communaux sont des organisations qui consolident le pouvoir populaire. « Nous venons d’une histoire durant laquelle la participation à toujours été réprimée, aujourd’hui les gens ont acquis un haut niveau d’organisation et de participation, notamment à travers les Comités de terres urbaines, la gestion de l’eau potable, les organisations paysannes, les médias alternatifs, etc. ». Le sociologue Edgardo Lander, professeur à l’Université centrale du Venezuela, confirme cette analyse historique : « Le Venezuela a une tradition limitée d’organisations sociales autonomes. Jusqu’en 1958 c’était une société qui n’avait pratiquement pas d’expérience démocratique même dans son acception libérale. Ensuite la mainmise des partis sur la vie politique a été très forte. Les partis dominants, Action Démocratique et COPEI, ont été les vecteurs de la répartition des ressources de l’État, ce qui leur a permis de contrôler et de soumettre la majorité des organisations de la société vénézuélienne » [6].
Mais si les Conseils communaux permettent de pratiquer la démocratie locale et d’impliquer la population dans la gestion des communautés, ils restent cependant très dépendants de l’Exécutif national en ce qui concerne leur financement et l’exécution de leurs projets. Ils ne disposent pas de la souveraineté absolue qui leur permettrait de décider à 100 % du budget local, comme c’est le cas par exemple du budget participatif de Porto Alegre au Brésil [7]. D’après Oscar Negrin, l’échec de la réforme de la Constitution proposée en 2007 (rejetée par référendum par 51 % des votants) a représenté un frein dans l’approfondissement de cette démocratie participative. « Si nous avions réussi à approuver la réforme nous aurions pu ancrer plus profondément le pouvoir populaire et disposer de financements plus importants pour atteindre nos objectifs à court terme ».
La défaite de 2007 a constitué le premier revers électoral du chavisme au niveau national depuis son arrivée au pouvoir. Cela a aussi été la première alarme d’un certain mécontentement au sein de la population. Car face aux désirs d’émancipation de celle-ci, les élus locaux voient parfois ces organes de participation comme un danger pour leur mainmise politique. Par ailleurs, dépendants financièrement et légalement de l’État, les conseils communaux, si leurs attributions ne sont pas élargies, sont condamnés à se limiter à pallier les carences et l’inefficacité des maires et gouverneurs. Pour Roland Denis, militant de base et vice-ministre de la Planification et du Développement entre 2002 et 2003, cela va même plus loin. La politique participative, bien que toujours présente, est de plus en plus contrecarrée par ce qu’il définit comme « la machine bureaucratique, oligarchique et économique ». Il estime que « la forte capacité financière de l’État ces dernières années lui a donné énormément de pouvoir pour coopter le travail militant » [8].
Oscar Negrin confirme lui aussi l’impression d’un certain épuisement chez une partie de la population face aux pratiques clientélistes : « La corruption continue d’être l’un de nos principaux ennemis et cela a déçu certaines personnes ». Cependant il rappelle que chaque processus passe par différentes étapes, « certains conseils communaux avancent à grande vitesse et en sont déjà à la construction de communes [9], d’autres s’embourbent dans des problèmes internes de leadership par exemple ». Oscar estime que les structures classiques de pouvoir local sont vouées à disparaître, y compris la « Junta Parroquial » dont il fait partie. Mais il est conscient que tous les élus locaux ne sont pas prêts à renoncer à leurs prérogatives et rappelle le dicton qui dit : « Si tu veux connaître une personne, donnes-lui du pouvoir ».
1.3 Contrôle ouvrier
Mais la démocratie participative ne se limite pas aux seuls conseils communaux et missions sociales. Depuis quelques années le gouvernement bolivarien impulse l’idée d’un contrôle des travailleurs sur la gestion des entreprises publiques et récupérées. Cette promotion du contrôle ouvrier et de la cogestion est l’un des aspects les plus audacieux du processus. Elle atteint son apogée en 2005 lorsque le président Chávez appela publiquement à l’occupation des entreprises abandonnées : « Entreprise fermée, entreprise occupée », déclarait-il, alors que le ministère du Travail soutenait l’organisation, la même année, de la première rencontre latino-américaine d’entreprises récupérées. Mais l’euphorie ne mena pas à la conformation d’un solide mouvement des travailleurs et des entreprises récupérées. De plus, la cogestion entre l’État et les coopératives des travailleurs succombe souvent sous le poids de la bureaucratie qui impose ses propres pions sur l’échiquier.
Certaines expériences continuent sur la voie du contrôle ouvrier, entre avancées et reculs. C’est notamment le cas de l’entreprise de papier Invepal et de la fabrique de valves pour l’industrie pétrolière Inveval. Cette dernière fonctionne actuellement avec un Conseil d’usine constitué par 51 % des travailleurs. Cependant sa production reste modeste (500 valves de différents tonnelage produites depuis 2005). Cela est notamment dû au fait que l’entreprise qui leur fournit les matières premières en amont reste aux mains des capitalistes et ne leur permet pas d’acquérir les matières premières nécessaires à la fabrication des valves.
1.4 Plan Guayana socialiste 2009-2019
Par ailleurs, les entreprises de la région de Guayana sont aujourd’hui plongées dans le Plan Guayana socialiste 2009-2019 qui prétend réorganiser tout le secteur de la sidérurgie avec la participation active des travailleurs. Le lancement de ce plan se doit à la lutte victorieuse des ouvriers de la Sidérurgie de l’Orénoque Sidor [10] qui ont arraché la nationalisation de leur usine en mai 2008, après 15 mois de lutte contre le groupe argentin Techint.
Actuellement les travailleurs participent à des groupes de travail dans chacune des branches de la production, afin de se former au « contrôle social » de l’entreprise. Et la question à déterminer est peut-être encore celle-là : qu’entend-t-on par contrôle ouvrier ? Un simple « droit de regard » sur la gestion de l’entreprise ou une avancée en direction de l’autogestion véritable ? Aujourd’hui, à deux ans de la nationalisation de Sidor, pour José Meléndez, dirigeant syndical dans l’entreprise et militant de Marea Socialista, la réponse est claire : « le principal acquis de la nationalisation est la mise en marche du contrôle ouvrier. Sidor doit se convertir en une entreprise socialiste dans laquelle tout doit être dirigé par les travailleurs ».
Face à cela, Stalin Pérez Borges, lui aussi militant syndical et dirigeant de Marea Socialista, résume bien la situation actuelle de la classe ouvrière vénézuélienne : « prise entre les contradictions que génère le fait d’avoir un gouvernement qui permet, d’un côté, d’importants bénéfices sociaux et conquêtes politiques, qui affronte les patrons et l’impérialisme ; mais qui par ailleurs devient un frein à l’avancée vers le socialisme, même lorsque qu’il en parle énormément et que beaucoup de choses sont faites en son nom ».
1.5 Mortelle lutte de classes
Parallèlement, les assassinats ciblés de dirigeants syndicaux se sont multipliés de manière inquiétante ces dernières années au Venezuela et principalement dans l’État d’Aragua, situé à une centaine de kilomètres de la capitale. D’après le site web d’information alternative Aporrea.org, « ces dernières années, le sicariat a coûté la vie à sept dirigeants ouvriers, y compris Richard Gallardo, dirigeant de l’Union nationale des Travailleurs (Unete), sans que jusqu’à présent les autorités n’aient avancé dans les investigations de ces crimes ». Le 25 avril dernier, le syndicaliste Jerry Díaz, membre de la direction du syndicat de l’entreprise MANPA-Higiénicos (qui fabrique du papier hygiénique), a été criblé de balles en face de chez lui à Maracay (capitale de l’État d’Aragua). Les victimes sont presque toujours des cadres syndicaux avec une claire vision de classe et de rupture avec la bourgeoisie. Ce fut également le cas de Tomás Rangel, assassiné le 7 janvier 2010 dans l’État de Barinas, où il occupait le poste de coordinateur régional de l’Unete.
« Ils s’attaquent aux plus actifs de la classe ouvrière, y compris à certains qui ont pris leurs distances par rapport au gouvernement. La classe dominante, que ce soit celle du capitalisme d’État ou privé, attaque au niveau paysan, populaire et syndical », dénonce Roland Denis. Il regrette également le silence des médias appartenant à l’État : « Il est triste de voir comment les médias publics se concentrent sur les petites bagarres électorales actuelles, sur les primaires de la droite, et ne rendent même pas hommage à ces véritables militants. Cela démontre une froideur et un cynisme terribles, et cela prouve qu’ils ne sont rien d’autre qu’une caste intéressée à se maintenir au gouvernement. Ces travailleurs sont des gens qui ont soutenu le gouvernement et ils n’ont même pas droit à un salut d’honneur ».
Dans le même ordre d’idées, l’Union nationale des Travailleurs, lors de son Congrès extraordinaire réalisé le 24 avril 2010, a de manière unanime décidé d’« exiger des autorités nationales et régionales une réponse immédiate sur les auteurs matériels et intellectuels de l’assassinat de Tomás Rangel et des autres camarades assassinés ». Par ailleurs, les campagnes ne sont pas épargnées. Les organisations paysannes dénoncent près de 220 paysans assassinés depuis 2001 (date d’entrée en vigueur de la Loi des Terres) par les hommes de main des grands propriétaires terriens. Là aussi, le manque de réponse des autorités et de la justice interpelle.
1.6. De l’État bourgeois à l’État Twitter
Le 28 avril dernier, Hugo Chávez annonçait l’ouverture de son compte Twitter, afin de partager en direct les événements qui rythment son agenda présidentiel. Aussitôt les compteurs se sont affolés, et le nombre d’affiliés au compte @chavezcandanga a rapidement battu des records, comptant jusqu’à 23 000 nouveaux membres par jour. On aurait pu se contenter de noter le changement radical de position de Chávez vis-à-vis de ce genre de réseaux sociaux (on se souvient de ses diatribes contre Twitter, l’an passé lors des élections iraniennes), tout en ne donnant à tout ceci qu’un caractère anecdotique. Sauf que, le 7 mai, un nouveau pas a été franchi. Chávez annonçait, en effet, la création de la mission Chávez Candanga visant à prendre en compte toutes les demandes que peuvent formuler ses affiliés.
Environ deux cents fonctionnaires ont donc été mobilisés pour répondre quotidiennement aux requêtes des Vénézuéliens faites à travers Twitter et du blog www.chavez.org.ve récemment créé. Bien évidemment, une telle décision conduit à une question : Quid de l’appareil d’État ? Quid des nombreuses institutions qui sont censées justement répondre à ce genre de requête ? Il semblerait que Chávez ait fait le deuil de réformer en profondeur l’État pour tenter de le rendre plus efficace.
À de nombreuses reprises nous avons salué l’impact extrêmement positif des missions de santé et d’éducation, tout en soulignant que ces mesures étaient avant tout des mesures d’urgence visant à répondre au plus vite aux nécessités vitales des Vénézuéliens et devaient permettre à l’État de prendre le temps de réformer en profondeur les services publics de santé et d’éducation. Or, l’état des hôpitaux publics, démontre que cette bulle d’oxygène offerte par les missions n’a pas été utilisée pour rénover le service public (voir encart sur la santé).
Aujourd’hui le choix d’un dialogue direct entre Chávez et la population au travers de Twitter semble démontrer qu’une réforme en profondeur de l’appareil d’État n’est toujours pas à l’ordre du jour.
De plus, même si cela est compréhensible, il est préoccupant de constater que la plupart des messages reçus par Chávez sont des requêtes individuelles visant à résoudre des problèmes personnels. Cela démontre le peu de confiance qu’ont les Vénézuéliens dans les capacités d’action de l’État. La réponse de Chávez ne peut pas se résumer à engager une partie de l’administration pour répondre aux demandes limitées à 140 caractères de ceux qui ont accès à Internet ou à un Blackberry. La recherche de la solution au problème particulier semble en tout cas rentrer en contradiction avec l’idée révolutionnaire de transformation sociale qui est de trouver des solutions pour toute la population.
1.7. L’intégration régionale et la Ve Internationale
S’il est un domaine dans lequel la politique de la révolution bolivarienne a modifié les rapports de force, c’est sans aucun doute celui de l’intégration régionale. L’une des grandes victoires de cette décennie a été la défaite de la Zléa (Zone de libre échange des Amériques, Alca en espagnol) impulsée par Washington et défaite lors du Sommet de Mar del Plata en Argentine, en 2005. « Nous sommes venus à Mar del Plata pour enterrer la Zléa », avait alors déclaré le président Hugo Chávez face à plus de 50 000 personnes, lors d’une rencontre avec les mouvements sociaux.
Comme alternative, les gouvernements cubains et vénézuéliens avaient lancé la même année l’Alba (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique — Traité de commerce des peuples). Cette dernière consiste en une organisation internationale basée sur la solidarité et la complémentarité entre les peuples. Elle avait commencé avec un échange entre pétrole vénézuélien contre médecins et assistance médicale cubaine. Aujourd’hui l’Alba compte huit pays membres [11] et a diversifié ses accords. Le coup d’État perpétré en juin 2009 contre le président Manuel Zelaya au Honduras (qui, élu sur les listes du Parti libéral, avait opéré un virage à gauche et avait fait adhérer son pays à l’Alba), était en bonne partie dû à son rapprochement avec les pays critiques des politiques de Washington regroupés au sein de l’Alliance bolivarienne.
En plus de l’Alba, le Venezuela a également impulsé d’autres initiatives unitaires au niveau continental comme par exemple l’Unasur (Union des Nations sud-américaines) ou encore le Conseil de Défense de cette dernière. La Banque du Sud et la Banque de l’Alba sont également des initiatives en marche qui prétendent être une alternative au système financier hégémonique. Malheureusement elles restent pour l’instant de simples projets, parfois faute d’accord entre leurs membres.
Au niveau mondial, le Venezuela se caractérise par le maintien d’une ligne diplomatique en claire opposition à Washington et à ses prétentions hégémoniques. Caracas entretient donc des relations étroites et privilégiées avec la Chine, la Russie, l’Iran, la Biélorussie et a ouvert ces dernières années de nombreuses ambassades sur le continent africain. C’est également le seul pays à avoir expulsé l’ambassadeur d’Israël après l’attaque meurtrière de Tsahal contre Gaza l’année dernière (la Bolivie l’a suivi quelques semaines plus tard). De ce point de vue, on peut donc saluer la ligne anti-impérialiste de la diplomatie vénézuélienne.
1.8. La Ve internationale
Lors d’une rencontre internationale de partis de gauche tenue à Caracas en novembre 2009, Hugo Chávez a lancé un appel pour une Ve Internationale Socialiste qui, selon lui, devrait rassembler des partis de gauche et des mouvements sociaux. L’annonce a immédiatement suscité un grand intérêt parmi la gauche radicale au niveau mondial et une seconde rencontre devait avoir lieu à Caracas en avril 2010. Le 5 avril, à la surprise générale, le vice-ministre de Culture annonçait la tenue de la réunion constituante de la Ve Internationale à Caracas pour la semaine suivante, dans le cadre des festivités du bicentenaire de l’Indépendance du Venezuela, d’après une information diffusée par l’agence de presse officielle [12]. En réalité, cette réunion n’a finalement pas eu lieu. Le manque de communication, de coordination et de suivi à la proposition lancée par Hugo Chávez en novembre dernier démontre une fois de plus la difficulté à se projeter sur le long terme et à aller au-delà des effets d’annonce. De plus, on peut s’interroger sur les chances d’aboutissement d’une Internationale impulsée par un gouvernement dont les intérêts politiques, économiques et diplomatiques pourraient entrer en contradiction avec la dynamique même de celle-ci.
Néanmoins la IVe Internationale a le devoir de s’inscrire dans cette dynamique. Sur la base de la déclaration faite par François Sabado [13] au nom du bureau exécutif, il est important que les militants s’impliquent, autant que possible, dans la construction de la Ve Internationale, sans préjugés mais en réaffirmant nos positions anti-impérialistes, anticapitalistes et écosocialistes. Une implication nécessaire pour faire triompher une Ve Internationale qui se doit d’être indépendante de quelque gouvernement que ce soit.
Sébastien Brulez et Fernando Esteban
II. Un contexte particulier – Sécheresse, électricité, délinquance, corruption
2.1 Une sécheresse historique
Ces derniers mois, le Venezuela a été confronté à une des plus importantes sécheresses de son histoire, conséquence du phénomène El Niño. Pour l’année 2009, la pluviométrie indique une baisse de 30 % à 60 % en fonction des régions, selon l’Institut national de météorologie et d’hydrologie (Inameh). Cette carence de pluies a notamment affecté le fleuve Caroni, qui a vu le niveau d’eau de ses affluents diminuer de 80 %. Dans l’État de Bolivar (sud du pays), où se concentre une grande partie des centrales hydroélectriques, le niveau de l’eau du barrage du Río Gurí a baissé de plus de neuf mètres. Partout dans le pays la sécheresse s’est doublée d’une forte augmentation des températures. À Caracas, le thermomètre a flirté durant plusieurs semaines avec les 40 degrés, au lieu des 27-28 degrés habituels.
Une telle sécheresse a bien évidemment un impact dramatique. En premier lieu au niveau de l’écosystème local, fortement perturbé. Mais les répercussions pour les Vénézuéliens sont aussi extrêmement importantes. Le gouvernement a dû décider des rationnements d’eau et des rationnements d’électricité, vu la baisse notable de la production hydroélectrique. Tout ceci n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes et générer un mécontentement important au sein de la population.
Pour faire face à la pénurie d’eau, le gouvernement a décidé une vaste campagne visant à la fois au rationnement et à la conscientisation afin de diminuer les gaspillages. Selon Alejandro Hitcher, ministre de l’Environnement, ces mesures ont permis, dans le seul cas de Caracas, une diminution de 30 % de la consommation d’eau, soit l’équivalent de 70 millions de mètres cube [14]. Ces mesures n’ont toutefois pas suffit à limiter l’effondrement de la production agricole. La production de lait et de viande a diminué de 40 %, celle de tournesol de 30 %. Du coup, les prix flambent. Ceux de certains fruits et légumes comme la tomate, la goyave, la pastèque, ont augmenté de plus de 50 %. L’Assemblée nationale s’est ainsi vue contrainte à prendre un certain nombre de mesures afin de limiter les conséquences sur la production agricole, en prévision d’une prolongation de la sécheresse.
2.2. Les failles du système électrique national
Dans un pays qui dépend à plus de 70 % de la production d’énergie hydroélectrique, la sécheresse a aussi un impact énorme sur l’alimentation du réseau. Dans un décret présidentiel, Hugo Chávez a du déclarer le Venezuela en « urgence électrique » [15]. La pénurie d’eau intervient dans un contexte où la consommation hydroélectrique a augmenté annuellement de 7 % ces dernières années. De plus, l’an passé la Colombie a diminué ses ventes d’électricité au Venezuela de 140 000 mégawatts, car elle-même est touchée par la sécheresse.
Concrètement, le décret « urgence électrique » vise à diminuer la consommation électrique. Les administrations publiques ferment leurs portes l’après-midi, les entreprises privées sont invitées à diminuer leur consommation de 20 % (arrêt des systèmes de climatisation, des escaliers mécaniques…), les centres commerciaux (gros consommateurs d’énergie) ouvrent plus tard et ferment plus tôt, toutes les villes (sauf Caracas, où le fiasco provoqué par le rationnement avait coûté son poste au ministre de l’Énergie électrique, Angel Rodríguez) subissent des coupures volontaires d’électricité de plusieurs heures… Par ailleurs des efforts ont été réalisés pour tenter d’incorporer de nouveaux systèmes de production électrique. L’objectif ? Tenter de limiter les répercussions de la baisse continuelle du barrage du Río Gurí, responsable à lui seul de 73 % de la production électrique nationale ! Le gouvernement vénézuélien s’est fixé comme objectif de se doter d’un appareil de production thermoélectrique capable de produire 5 900 mégawatts pour la fin 2010. Néanmoins de nombreuses interrogations se font jour sur la capacité du gouvernement à remplir cet objectif. Selon l’Agence bolivarienne de l’information (ABN), seuls 605 mégawatts nouveaux ont été ajoutés à la fin du mois de février 2010. Selon certains experts, le barrage du Río Gurí, aura besoin de deux ans minimum pour retrouver son niveau antérieur. Pendant ce temps, les nombreuses coupures électriques, souvent imprévues, alimentent le mécontentement général. Si Caracas est épargné par les coupures électriques, celles-ci font déjà partie intégrante du quotidien de la population vivant dans l’ouest du pays. Non seulement elle doit faire face aux coupures pendant les heures de pointe, mais l’approvisionnement irrégulier signifie également que de nombreux appareils et machines finissent par subir des dommages, souvent irréparables... Cette situation apparaît à beaucoup d’autant plus intolérable que de nombreux experts soulignent que la sécheresse n’est pas seule responsable des failles électriques, mais que le manque de planification influe pour beaucoup sur la crise énergétique que traverse le pays. Certains sont même extrêmement alarmistes. Pour Pedro Rondón, syndicaliste de Sidor, si la consommation électrique ne diminue pas de 1 600 mégawatts très rapidement, on pourrait assister à un effondrement du système électrique national.
Jusqu’à présent, le ministère de l’Énergie et des Mines a lancé un plan d’urgence pour réparer les installations hydroélectriques endommagées dans la région andine. Mais si aucune mesure n’est prise rapidement, les Vénézuéliens pourraient connaître, dans les deux ans, des rationnements dus à un manque de production et non plus aux seuls problèmes actuels de transmission. La compagnie nationale d’électricité (Cadafe) a averti qu’il faudrait un investissement d’environ sept milliards de dollars au cours des cinq prochaines années pour éviter le risque de pannes électriques de grande ampleur, et un investissement de vingt milliards de dollars dans les dix prochaines années.
Alors que de nouveaux barrages sont actuellement en construction et qu’il est prévu d’en construire d’autres, la solution à long terme semble plus dans le développement de l’énergie thermique, à la fois en construisant de nouvelles centrales et en réparant celles existantes. Le Venezuela a aussi récemment signé un accord avec la Russie pour développer le nucléaire civil sur le long terme. Si quelques parcs éoliens sont actuellement en construction, comme dans la péninsule de Paraguaná [16], l’option dominante semble bien être celle d’un modèle de développement classique bien éloigné de toute préoccupation environnementale.
En 1999, le parlement a adopté une loi sur les services électriques encourageant l’investissement privé dans la production d’électricité. L’objectif de cette loi était de permettre la libre concurrence dans la production électrique tout en conservant dans le domaine public, la distribution et la transmission. Aujourd’hui, la mauvaise maintenance dans le système de distribution fait qu’il existe de nombreux points noirs qui agissent comme des goulots d’étranglement, alors que les compagnies électriques privées continuent de s’enrichir.
De leur côté, les travailleurs du secteur électrique revendiquent depuis plusieurs mois leur participation aux prises de décisions. Ils dénoncent, par ailleurs, à la fois une gestion du modèle de production électrique qui continue à être d’inspiration libérale où, aux erreurs d’appréciation de la IVe République, se sont ajoutées les erreurs de la Ve, et un manque de rationnement cohérent de la consommation électrique qui pourrait éviter un certain nombre de gaspillages [17].
De fait, si le gouvernement vénézuélien ne prend pas rapidement les mesures adéquates en écoutant notamment les nombreuses voix qui s’élèvent du côté des travailleurs du secteur électrique, il y a fort à parier que l’addition se paye lors des prochaines élections.
2.3. Les problèmes récurrents de l’insécurité et de la corruption
Un autre thème, qui va sans aucun doute peser sur la décision des électeurs lors des prochaines législatives, est celui de l’insécurité. Celle-ci frappe indistinctement et affecte surtout les couches populaires qui sont les plus exposées au crime et à la délinquance. Si les médias et la droite utilisent, comme en Europe, le sujet à des fins électorales, le problème n’en est pas moins réel et de taille. Dans la dernière décennie Caracas s’est hissée au rang des villes les plus dangereuses du continent et le nombre d’homicides au Venezuela est passé de près de 6 000 à plus de 13 000 par an [18]. Entre 1999 et 2008, près de 22 000 personnes sont tombées sous les balles de la délinquance, rien qu’à Caracas (2 millions d’habitants selon l’Institut national de Statistiques). Au niveau national, un document du Corps d’investigations scientifiques, pénales et criminelles (CICPC), divulgué l’année dernière dans la presse, avance le chiffre de 101 141 homicides en dix ans (pour une population totale de 28 millions d’habitants en 2008).
Selon le rapport 2007 des Nations Unies sur l’état des villes dans le monde, l’augmentation de la violence est un phénomène global et est surtout notoire dans les pays en voie de développement qui connaissent une forte croissance urbaine. Avec une population concentrée à 93 % dans les villes, le Venezuela dépasse largement la moyenne régionale qui tourne autour de 79 %. A titre d’exemple, au Brésil, depuis les années 1970, le taux d’homicides a triplé à Rio de Janeiro et quadruplé à São Paulo. A Caracas, en vingt ans il a été pratiquement multiplié par dix. L’Organisation panaméricaine de la Santé (OPS) signale qu’entre 1980 et 2002, le taux d’homicides au Brésil est passé de 11,4 à 28,4 pour 100 000 habitants. Le Venezuela a, lui, effectué un bond de 19,4 à 50,9 entre 1998 et 2003. A contrario, le Salvador et la Colombie, jusqu’ici les plus violents du continent, ont amorcé une baisse de cette mortalité (respectivement de 62,5 à 54,9 et de 64 à 38).
2.4. La gauche sans solutions ?
Alors que Hugo Chávez dirige le pays depuis plus de onze ans maintenant, l’opposition n’hésite pas à faire le parallèle entre l’augmentation de la violence et la gestion du président. « Dites “non” à l’insécurité, votez “non” ! », était l’un des slogans utilisés pendant la campagne du référendum constitutionnel remporté en février 2009 par le camp bolivarien. Et il est fort à parier que la campagne des législatives sera de nouveau fortement axée sur le sujet. Il faut dire que déjà en novembre 2008, les élections régionales avaient laissé apparaître un certain mécontentement dans les zones les plus peuplées. Sur les sept États perdus lors de ce scrutin, quatre figurent parmi les plus violents du pays (le district de Caracas et les États de Carabobo, Zulia et Miranda).
Selon le criminologue Andrés Antillano, la délinquance pose un réel problème aux gouvernements progressistes d’Amérique latine : « Il n’y a pas de discours de gauche consistant sur le sujet. L’agenda de l’insécurité est un agenda colonisé par la droite, dans la plupart des pays ». Professeur à l’Institut des sciences pénales de l’Université centrale du Venezuela (UCV), M. Antillano considère que les progressistes se limitent à concevoir le problème sous forme de mythes. « Le premier est le mythe de la négation : il n’y a pas d’insécurité, c’est une invention des médias, c’est une façon de criminaliser le peuple, etc. Cela a été la position de ce gouvernement durant une certaine époque ». Un autre mythe est celui qu’il qualifie de « fonctionnalisme de gauche » et qui revient à penser que « simplement » en améliorant les conditions de vie et l’inclusion sociale, on peut faire baisser les chiffres de l’insécurité. « La réalité du Venezuela démontre que cela n’est pas vrai, qu’il n’y a pas de relation mécanique. Il y a en plus un effet paradoxal, car non seulement les politiques d’inclusion sociale n’entraînent pas une diminution de l’insécurité, mais en plus l’insécurité elle-même augmente l’exclusion sociale », commente-t-il.
Au Venezuela, le taux de chômage est passé de 10,2 % en 1995 à 7,5 % en 2009. La pauvreté est quant à elle passée de 49,4 % de la population en 1999 à 27,6 % en 2008. Mais le segment de la population le plus touché par la violence demeure le secteur le plus marginalisé par rapport au reste de la société : les hommes jeunes, habitants de localités socio-économiquement déprimées des grands centres urbains du pays.
2.5. Policiers délinquants
Mais si le nombre d’homicides a effectivement augmenté ces dernières années, l’insécurité apparaît comme un problème structurel puisant aussi ses racines dans les politiques publiques des décennies passées. En particulier au niveau des forces de l’ordre régulièrement accusées d’inefficacité, voire de complicité. Dans les barrios, les policiers ne sont pas vraiment perçus comme la solution au problème, mais plutôt comme des auteurs potentiels de graves délits, tels qu’enlèvements, extorsions, vols ou trafics de drogue. « Les flics ici revendent la drogue qu’ils confisquent aux trafiquants, ou leur font payer une ”vacuna” (rançon) pour fermer les yeux. Certains agents vont même jusqu’à louer leur arme aux délinquants », témoigne Francisco Pérez, militant alternatif et habitant du quartier populaire de La Vega, à Caracas.
Selon le ministre de l’Intérieur et Justice, Tareck El Aissami, 20 % des délits commis dans le pays sont perpétrés par ces mêmes fonctionnaires. Il faut dire que la multiplicité des corps de police ne facilite pas la tâche ni le contrôle sur les effectifs. Au Venezuela il existe 25 polices départementales et 67 municipales. A cela viennent s’ajouter le CICPC, les autorités de transport et circulation (qui ne portent pas d’arme), ainsi que la Garde nationale et les forces armées. Et il aura fallu attendre 2001 pour que soit approuvé le décret de « coordination de sécurité citoyenne », qui a pour tâche de relier entre eux les différents organismes de maintien de l’ordre. Un second pas, en avril 2006, a été la création d’une Commission nationale de réforme policière (Conarepol) qui a fait le même constat qu’une précédente commission en 1991 : le Venezuela paie « l’inexistence d’une politique nationale en matière de police, la carence de mécanismes de coordination policière, la superposition de fonctions entre les différents corps de sécurité », etc.
En mars 2009, le gouvernement a annoncé l’activation de « sept fronts contre la violence », avec la création d’un Conseil national de prévention et de sécurité citoyenne, intégré par plusieurs ministères. Figurent aussi au menu la création d’un Système intégré de polices, ainsi que d’une nouvelle Police nationale actuellement en projet-pilote dans quelques secteurs populaires de Caracas et qui est censée travailler main dans la main avec les conseils communaux et les communautés organisées. Par ailleurs, une Université nationale expérimentale de la Sécurité vient d’être créée récemment afin d’améliorer le niveau de formation des fonctionnaires. A plus long terme, l’ambition est de réformer les polices départementales et municipales. Un sujet délicat dans ce pays si polarisé, où l’opposition s’accroche à quelques bastions locaux. Plusieurs lois sont également en cours d’élaboration à l’Assemblée nationale. C’est le cas de l’amélioration du statut social et professionnel du policier et du durcissement des peines pour port d’armes.
2.6. Le paramilitarisme s’installe
En plus de la délinquance « classique », certaines régions du pays et certains quartiers populaires de la capitale voient s’installer une violence infiniment plus sournoise : celle due aux groupes paramilitaires. Inspirés du « modèle » colombien, ces groupes sont liés au trafic de drogue et d’essence dans les États frontaliers et sur la côte, mais ils ont aussi des objectifs politiques qui visent à déstabiliser le processus bolivarien. Ils s’implantent au sein de la population et, en l’absence d’un État capable de faire respecter l’ordre, gagnent la sympathie des habitants en contrôlant les quartiers et en prêtant d’importantes sommes d’argent.
Dans l’État de Sucre, sur la côte nord orientale, la présence de ces groupes est connue de la population. Ils intimident les pêcheurs et pratiquent des actes de piraterie. En plus de provoquer un grand sentiment d’impuissance et d’insécurité, ils dissuadent les habitants de pratiquer la pêche artisanale et accentuent de cette manière le désapprovisionnement. Certains pêcheurs, surtout chez les plus jeunes, finissent par se « reconvertir » en ramasseurs de paquets parachutés en pleine mer et destinés à être écoulés par d’autres voies. Ils en tirent ainsi deux avantages non négligeables : ils sont à la fois à l’abri des agressions et touchent en plus une récompense qui dépasse largement leur salaire de simple pêcheur. C’est le premier pas vers la dangereuse intégration du paramilitarisme à la société par l’établissement d’une économie mafieuse dont une partie de la population finit aussi par bénéficier. Face à cela, les moyens déployés par l’État frisent le ridicule : quelques agents mal entraînés et bien souvent mouillés dans le trafic, et à peine quelques barques bien insuffisantes pour couvrir la zone.
Les groupes paramilitaires qui sévissent dans les États frontaliers ont établi des contacts avec des groupes de la capitale. La présence des Aguilas Negras [19] a été rapportée dans certains quartiers. Des activistes communautaires sont parfois tués dans des circonstances étranges, pris « entre deux feux » de bandes rivales. Et les assassinats ciblés effectués par des sicarios (tueurs à gage) font parfois preuve d’une violence et d’une puissance de feu peu communes. Dans le quartier populaire du 23 de Enero ce phénomène a aussi été identifié. « Ici chaque groupe de la communauté, chaque collectif apporte son travail social, son travail politique, afin d’empêcher la délinquance et le trafic de drogue de s’installer dans le quartier. Il y a d’ailleurs eu des affrontements et des camarades ont été assassinés par les narcotrafiquants », explique Juan Contreras, membre de la Coordinadora Simón Bolívar (CSB), un regroupement d’associations et de collectifs du quartier. Mais Contreras ne manque pas d’identifier l’origine historique et politique de ce fléau : « Ici nous menons une lutte de longue date contre la drogue et la délinquance. Dès la fin des années 1970, l’État a commencé à mener une “guerre sale” et à inonder le quartier de drogue afin de venir à bout des luttes sociales qui réclamaient la transformation de la société ».
Jusqu’à présent l’État vénézuélien semblait prêter peu d’attention à ce phénomène inquiétant. Cependant, en mai dernier, Hugo Chávez a finalement ordonné la création d’un « commando unifié » afin de garantir la sécurité maritime dans l’État de Sucre. La Colombie voisine devrait servir comme avertissement d’un exemple à ne pas suivre. Et les arrestations déjà survenues de groupes paramilitaires armés jusqu’aux dents devraient faire réfléchir le gouvernement aux conséquences désastreuses que pourrait avoir ce fléau à long terme sur le processus bolivarien et sur la société vénézuélienne dans son ensemble.
2.7. Le fléau de la corruption
Un autre fléau qui affecte la crédibilité de la gestion bolivarienne est celui de la corruption. Malgré le discours officiel de lutte contre toute forme de corruption, force est de constater que la justice n’agit pas de la même manière quand il s’agit d’opposants ou de fonctionnaires chavistes. Un exemple parlant est celui de l’ex-ministre de la Défense, Raúl Isaías Baduel, qui n’a jamais été inquiété lorsqu’il exerçait ses fonctions au sein du gouvernement bolivarien. Mais une fois ses distances prises avec le chavisme (en novembre 2007 précisément, lors de la campagne pour la réforme de la Constitution à laquelle il s’opposait), il s’est vu accuser d’actes de corruption datant de l’époque où il était ministre. Il a finalement été condamné à 8 années de prison pour le détournement de près de 4 millions de dollars durant sa gestion. D’autres cas de personnes de moindre calibre dans l’appareil d’État (gouverneurs et députés principalement), ont été marqués par la même logique : aucun ennui tant qu’ils étaient considérés comme bolivariens, mais une fois leur veste retournée on voit alors apparaître les « linges sales ».
Par ailleurs, un scandale a éclaté en mai dernier après la découverte de plus de 2 000 containers contenant de la nourriture périmée dans différents ports du pays [20]. Importés par l’entreprise publique PDVAL — filiale de la pétrolière PDVSA [21] — les containers étaient « oubliés » dans les ports afin de bénéficier aux entrepôts et entreprises privées. Suite à cette affaire, plusieurs membres de l’ancienne direction de PDVAL ont été arrêtés.
L’ex vice-président de la République, José Vicente Rangel, a salué les mesures prises par la justice dans l’affaire des containers mais les a jugées insuffisantes. « Il faut approfondir le sujet, car ce qui est en train de se passer est révélateur de l’absence de contrôles, de l’inefficacité et de l’incapacité mélangée à la corruption », a-t-il déclaré lors de son programme télévisé du dimanche 13 juin. Selon Rangel, journaliste de profession, « l’expérience est dure et indique que nous devons être plus vigilants à l’intérieur même du processus révolutionnaire si nous voulons faire face aux menaces provenant des ennemis externes » (22).
2.8. Un modèle économique qui se cherche
En ce qui concerne l’économie, le pays ne cesse de connaître une inflation galopante. Selon les chiffres officiels de la Banque Centrale du Venezuela, si l’on prend comme indicateur l’Indice national des prix à la consommation (INPC), on s’aperçoit que durant les onze ans de processus bolivarien, l’inflation cumulée a été de 747 %. Bien sûr, il convient de rappeler que durant les 11 années antérieures à Chávez, elle était de 8 250 %, soit onze fois plus élevée.
Pour le président de l’Institut national de Statistiques (INE), le taux d’inflation du Venezuela est en grande partie dû à la spéculation croissante qui existe dans un certains nombre de secteurs de la production. Par exemple, dans la grande distribution alimentaire, chaque intermédiaire contribue à l’augmentation des prix de telle manière qu’il existe une différence de 30 % entre le prix fixé par le producteur et le prix payé par le consommateur.
Pour le vice-président de la Commission des Finances du Parlement, le député Simon Escalona, « les entreprises privées utilisent l’inflation comme une arme politique, en mettant de côté des produits afin d’alimenter la pénurie et ainsi générer une hausse des prix dans le seul but de déstabiliser le gouvernement et d’affecter les indicateurs économiques ». L’économiste et militant du PSUV, Jesús Farías, a examiné ce phénomène. Pour lui, « la spéculation privée est la principale cause de l’inflation, et ne pourra être combattue que par un accroissement de la production initié par le gouvernement et une attaque systématique des monopoles par la création de milliers d’entreprises, publiques et privées, avec une vision socialiste ».
Sur la base de l’analyse des données officielles de la Banque Centrale du Venezuela (BCV) et de l’INE, Víctor Álvarez, ancien ministre des Industries de base et chercheur au Centre international Miranda (CIM) fait valoir que, en dépit des critiques anticapitalistes du gouvernement bolivarien, après onze ans de révolution, le poids de l’économie capitaliste, loin d’avoir diminué, a augmenté.
Ainsi le poids du secteur privé dans l’économie nationale est passé de 64,7 % en 1998 à 71 % en 2008. Et même si la Banque centrale dans son dernier rapport annuel indique que « la participation du secteur public dans le PIB est passé en 2009 à 30,3 % contre 29 % l’année précédente », ce chiffre est encore inférieur au poids du secteur public en 1998 qui était de 35,3 %.
Ces données montrent que, entre 1998 et 2009, l’économie vénézuélienne est devenue plus capitaliste, ce qui entre en totale contradiction avec les objectifs établis par le gouvernement bolivarien pour construire un nouveau modèle socialiste de production.
Pourtant, le Venezuela est sans aucun doute en train de gagner la bataille contre la pauvreté et l’exclusion sociale. La grande réussite indéniable du gouvernement bolivarien, poursuit Álvarez, est la réduction significative du taux de chômage et du pourcentage de personnes en état de pauvreté et d’extrême pauvreté. Le chômage est tombé à seulement 7 % en décembre 2009, alors qu’il atteignait les 20,3 % en février 2003. Le pourcentage de personnes pauvres a diminué, passant de 62,1 % en 2003 à 25 % en 2008. De même, le pourcentage de personnes dans la pauvreté extrême est passé de 29 % en 2003 à moins de 10 % à la fin de 2009 [22].
En fait, les investissements dans les programmes sociaux, par le biais des missions, a permis de compenser une répartition régressive des revenus dans le secteur privé de l’économie, où la part que s’accapare le capital a augmenté au détriment de la part des travailleurs. En 1998, les travailleurs recevaient 39,7 % de la valeur créée, contre 36,2 % pour les revenus du Capital. Dix ans plus tard, la part des travailleurs est tombée à 32,8 % tandis que celle des capitalistes est passée à 48,8 %.
Sébastien Brulez et Fernando Esteban
III. Les élections législatives du 26 septembre
Le 26 septembre 2010, les Vénézuéliens sont appelés aux urnes pour désigner les députés qui siégeront à la nouvelle Assemblée nationale.
Il est bon de rappeler que lors des élections législatives précédentes, en 2005, l’opposition avait boycotté le scrutin en retirant ses candidats, prétextant le « manque de fiabilité » de la Commission nationale électorale (CNE). La coalition chaviste de l’époque (MVR, PPT, PCV, Podemos, MEP et autres petits partis) avait donc remporté 100 % des sièges. Ce n’est qu’en 2007, lors de la campagne pour la réforme de la Constitution, que Podemos décida de se ranger du côté de l’opposition.
Le contexte actuel est radicalement différent. D’abord parce que, depuis lors, le PSUV (Parti socialiste uni du Venezuela) a fait son entrée sur la scène politique. Ensuite, parce que cette fois l’opposition a su tirer le bilan négatif de sa politique absentéiste et compte bien jouer les trouble-fêtes. De fait, alors qu’elle se caractérise par son incapacité à s’unir et une absence totale de programme politique alternatif, son positionnement critique systématique, pourrait cette fois, lui assurer de gagner des députés, au vu des difficultés actuelles que traverse le processus.
3.1. Les primaires au sein du PSUV
De son côté le PSUV a enclenché un large processus électoral visant à désigner l’ensemble de ses candidats. Le 2 mai 2010, plus de 2,5 millions d’adhérents se sont déplacés aux urnes pour ces primaires, soit un taux de participation de 38 %. Un tel niveau de participation peu sembler peu élevé mais cela n’est pourtant pas si mal au vu de plusieurs éléments. D’abord parce qu’une machine aussi lourde que le PSUV a démontré son efficacité. Ce sont 3527 candidats qui se sont affrontés lors de ces primaires pour 110 postes. 3820 bureaux de vote ont été mis en place dans les 87 circonscriptions électorales du pays [23]. Ensuite, parce qu’il est de notoriété publique qu’une bonne partie des personnes affiliées au PSUV le sont dans le but de pouvoir en soutirer quelques avantages. Ces personnes-là ne participent pas à la vie politique et démocratique du parti. Enfin, parce que traditionnellement, les élections législatives battent des records d’abstention (entre 25 % et 30 % de participation). Voir des primaires obtenir près de 10 points au-dessus du taux de participation habituel des élections est donc, de ce point de vue, un bon résultat.
En ce qui concerne l’élection des candidats, on peut observer trois tendances. La première est la consolidation d’une certaine ligne « officialiste ». Les quelques grands leaders du PSUV qui se sont présentés, membres de la direction nationale, sont passés sans encombre, comme c’est le cas d’Aristóbulo Istúriz, vice-président du PSUV ou de Freddy Bernal, ancien maire de Caracas. La seconde est un fort renouvellement des candidatures. Seuls 22 députés sortants ont été reconduits et pourront ainsi à nouveau être candidats. Enfin, il est à noter une poussée notoire de la jeunesse. Les jeunes du PSUV raflent dix candidatures, ce qui représentera forcément un souffle nouveau, même si ces jeunes ont bénéficié de tout le poids de l’appareil et ne sont pas forcément issus des courants les plus radicaux du PSUV. Car le signal le plus fort est sans conteste celui-ci : la bureaucratie a su se renouveler. De nouvelles têtes seront envoyées à l’Assemblée pour défendre la ligne officielle du PSUV, alors que pendant ce temps, les courants minoritaires radicaux (tel Marea Socialista) ont été incapables de s’unir et se retrouvent ainsi sans candidat. Pire encore, les scores obtenus les relèguent aux marges du PSUV. Seul Juan Contreras, militant historique du quartier populaire (barrio) de Caracas, 23 de Enero, échappe à la déroute et parvient à arracher un poste de suppléant.
Il faut toutefois souligner que 52 candidats n’ont pas été élus par les militants du PSUV, mais directement désignés par Hugo Chávez, le 25 mai dernier. On retrouve sans surprise dans cette liste les fidèles du « Comandante », chefs de file de la boli-bourgeoisie [24], comme Cilia Flores, Présidente de l’Assemblée nationale, Tania Díaz, ministre de la Communication, Héctor Navarro, ministre de l’Éducation, et surtout Diosdado Cabello [25], ministre des Infrastructures.
3.2. Les batailles partidaires de l’opposition
Le processus de désignation des candidats de l’opposition tranche radicalement avec celui choisi par le PSUV. Comme toujours, les intérêts divergents de chacun des principaux partis d’opposition (Primero Justicia, Un Nuevo Tiempo, Acción Democratica, COPEI) rendent difficile, voire impossible, quelque accord unitaire que ce soit. Néanmoins, une tentative unitaire a conduit l’opposition à organiser, le dimanche 25 avril, des primaires, mais avec beaucoup moins de succès et d’ampleur que le PSUV. Seulement 380 000 électeurs se sont déplacés pour choisir 22 candidats dans 15 circonscriptions sur un total de 87 que compte le pays. Ces 22 candidats ont été sélectionnés parmi les 78 qui ont eu à payer environ 3 000 dollars pour avoir le droit de se présenter. Quand au reste des candidats de l’opposition, ils ont été choisis ultérieurement par « consensus » ou « sondages ».
Par ailleurs, cette même opposition, qui il y a quelques mois soutenait les étudiants de l’Université centrale du Venezuela (UCV) protestant contre la Loi organique de l’Éducation (LOE), a refusé aux dirigeants étudiants la possibilité d’être candidats à l’Assemblée. Cela n’a d’ailleurs pas été sans provoquer quelques remous, ce dont ont profité, de manière bien légitime, les jeunes du PSUV en soulignant l’importante place qui leur a été faite au sein des primaires et en dénonçant la manipulation des jeunes par les partis d’opposition. Plus globalement, au vu du gigantisme des primaires du PSUV, les primaires de l’opposition ont fait bien pâle figure.
De fait l’opposition semble être tiraillée entre deux stratégies totalement différentes pour combattre le processus bolivarien. Il y a d’une part une vieille opposition, revancharde et aveuglée de haine, qui assume totalement le coup d’État raté du 11 avril 2002 et qui souhaite se débarrasser de Chávez par tous les moyens sans attendre 2012, date de la fin du mandat présidentiel. Pour mieux la définir, on pourrait lui trouver un certain nombre de similitudes avec la droite chilienne qui avait renversé Allende en 1973. Cette opposition semble aujourd’hui déboussolée après ses échecs répétés en 2002 (tentative de coup d’Etat), 2003 (tentative de blocus économique des grandes entreprises pour asphyxier l’économie et ainsi obliger Chávez à démissionner) et 2004 (perte du référendum révocatoire). Elle est aujourd’hui clairement en perte de vitesse et a du mal à mobiliser ses troupes.
Mais il existe une autre opposition, plus moderne, prête à jouer le jeu démocratique, qui est aussi beaucoup plus dangereuse. Cette droite, dont le leader est Julio Borges (Primero Justicia), est à la fois traditionnaliste, ultralibérale et développe certaines thématiques qui n’ont rien à envier à l’extrême droite européenne. Elle a clairement pris ses distances avec les partisans de la déstabilisation permanente, même s’il est clair qu’en cas de nouveau coup d’État elle se rangerait sans états d’âme du côté des putschistes. Mais cette image qu’elle cultive d’une droite « plus raisonnable » fait qu’elle se révèle du coup plus dangereuse, car elle peut paraître comme une alternative pour une partie d’un électorat qui se cherche.
3.3. Calculs électoraux
Toutefois les hésitations démontrées et les erreurs commises durant la gestion de la crise électrique et la pénurie d’eau, plus une incapacité notoire à régler les problèmes récurrents du pays (corruption, insécurité, inflation), font craindre à nombre de chavistes, si ce n’est la perte de la majorité à l’Assemblée, au moins une perte conséquente de députés. Et la direction du PSUV n’est pas loin de partager cette analyse. Aussi, une réforme électorale a été concoctée afin d’éviter quelques surprises désagréables. L’élection à l’Assemblée Nationale se déroule de la manière suivante : 60 % des sièges sont distribués de manière nominale, 40 % à la proportionnelle. Un des points de la réforme indique que la liste qui obtient plus de 50 % recevra 75% des sièges réservés au scrutin proportionnel. Or, si aujourd’hui l’opposition est loin d’être ridicule dans les grandes villes du pays, le PSUV écrase toute concurrence dans l’ensemble des États ruraux. Et si seulement 15 % des Vénézuéliens vivent à la campagne, il y a depuis longtemps une surreprésentation à l’Assemblée des États ruraux, puisqu’ils sont représentés par environ 30 % des députés. De quoi laisser penser au PSUV qu’il pourrait atteindre les 50 % et ainsi rafler les trois-quarts des 40 % de sièges réservés au scrutin proportionnel.
L’autre changement, annoncé le 19 janvier 2010 par Tibisay Lucena, Présidente du Conseil national électoral, est un savant redécoupage des circonscriptions. Celui-ci vise clairement à favoriser le PSUV. Dans l’État de Miranda par exemple, le transfert de la parroquia [26] Leoncio Martinez (acquise à l’opposition) de la circonscription n° 3 à la circonscription n° 2, devrait permettre une victoire facile du PSUV dans cette même circonscription n° 3 [27].
Une telle « popotte » électorale devrait normalement éviter une défaite du PSUV lors des prochaines élections, ce qui permettra de renforcer un certain discours officialiste mais qui cache difficilement une réalité toute autre. A savoir un lent divorce, chaque jour plus marqué, entre le PSUV et une partie de la population, hier gagnée au processus et aujourd’hui totalement désorientée. Si le processus ne prend pas rapidement les mesures nécessaires pour répondre aux inquiétudes de ces Vénézuéliens, il y a fort à parier que, très prochainement, l’incompétence de l’opposition et les cuisines électorales ne suffiront plus pour assurer des succès faciles.
Et de fait si l’opposition se révèle incapable de construire et présenter un programme politique alternatif crédible, elle sait mettre le doigt là où ça fait mal. A ses thèmes favoris, comme l’inflation galopante ou l’insécurité, elle a ajouté le manque d’efficacité et de planification des mesures visant à diminuer l’impact de la sécheresse, ainsi que le manque de vision à long terme concernant la production électrique nationale.
Quand on sait le peu de mobilisation des chavistes pour les élections où Chávez n’est pas directement candidat (en général moins de 30 % de participation), on peut craindre des mauvaises surprises face à une opposition qui peut compter de manière constante sur 4 millions d’électeurs. De fait, un récent sondage publié par le quotidien Ultimas Noticias, montre que trois Vénézuéliens sur quatre ne savent pas quelles sont les attributions exactes d’un député. Aller voter pour quelqu’un sans savoir à quoi il va réellement servir, dans un contexte de malaise global dû aux problèmes récurrents dans la gestion locale et nationale, laisse présager de nombreuses défections dans les rangs des électeurs chavistes.
3.4. Quelles perspectives ?
Comme souvent, les réformes proposées par le gouvernement bolivarien ne cessent de surprendre. Aux réformes aux claires avancées sociales, qui semblent être un pas de plus dans la construction du Socialisme du XXIe siècle, peut succéder une série d’attitudes et de décisions qui ont de quoi déstabiliser et qui nous permettent de douter de la cohérence dans la ligne politique établie.
Comment ne pas applaudir devant la prise de contrôle ouvrier à Ciudad Guayana ? Comment ne pas approuver, par exemple, la Loi des Terres urbaines qui vise à donner un titre de propriété à toutes les personnes qui se sont installées durant des années de manière illégales et anarchiques dans les Barrios ? Ou bien encore la Loi contre les jouets de guerre, interdisant la fabrication, la vente ou la location des jouets et jeux vidéo de guerre ?
Comment ne pas soutenir la Loi organique d’Éducation, instaurant l’enseignement obligatoire, gratuit et garantissant la justice sociale, l’équité, la tolérance, le respect des valeurs multiculturelles, interculturelles ? Une loi qui s’inscrit dans le cadre de la laïcité. Les collèges religieux pouvant continuer à fonctionner, mais les cours d’éducation religieuse n’étant plus désormais intégrés dans les cursus de l’enseignement général mais sont optionnels. Une loi s’inspirant des principes de Bolivar, de souveraineté et d’indépendance nationale, de justice sociale, d’égalité entre les hommes, d’épanouissement des individus…
Autant d’actes concrets qui ne peuvent nous faire douter de l’intérêt de l’expérience bolivarienne et de l’exemple qu’elle peut représenter de par le monde, dans un contexte où l’on ne cesse de nous faire croire qu’il n’existe qu’un seul modèle viable.
Néanmoins, de sérieuses réserves se font jour. Comment accepter l’appui à peine voilé de la bureaucratie chaviste aux patrons de Mitsubishi dans leur tentative d‘écraser la lutte initiée par les travailleurs il y a plus d’un an ? [28] Comment justifier le silence de la Justice dans les cas d’assassinats de paysans ou de travailleurs par les intérêts privés ? Comment justifier l’expulsion du militant basque internationaliste Walter Wendelin [29], alors que les autorités espagnoles n’avaient pas demandé son extradition ? Comment comprendre le fait que le secteur privé soit devenu plus important dans l’économie nationale durant les dix dernières années ? Comment accepter la corruption toujours plus grande au sein d’une bureaucratie chaviste devenue boli-bourgeoisie, qui au fil des ans à mis la main sur la majorité des postes clés de l’État et entretient des relations parfois très étroites, voire incestueuses, avec les intérêts du capital privé ?
Après onze années de pouvoir, on peut supposer que le processus a su construire un certain nombre de fondamentaux. Il est donc plus que temps que ce processus s’accélère, sous peine de se trouver paralysé. Une accélération dans la prise de contrôle ouvrier, dans la participation populaire. Une accélération dans la lutte contre la corruption et la bureaucratie. Une accélération dans la prise de contrôle des banques et de l’appareil productif. L’unique moyen de stopper l’inflation est de relancer l’économie nationale. Et si le secteur privé joue contre le gouvernement, il revient à l’État de se donner les moyens de produire et de faire produire. L’unique moyen d’obtenir ce saut qualitatif du processus, c’est d’enfin avoir une planification cohérente, concertée et ambitieuse afin que le chemin vers le socialisme du XXIe siècle ne se convertisse pas en une chimère de plus.
Sébastien Brulez et Fernando Esteban