Les livres de Stieg Larsson et les films qui en ont été tirés continuent de hanter l’Europe. En 2008, « L’homme qui n’aimait pas les femmes » a été le livre le plus vendu dans les pays de l’UE, tandis que Larsson était le second auteur le plus vendu dans le monde. Quarante pays, dont le Vietnam et la Thaïlande, ont acquis les droits de ses livres et Hollywood produira sa propre version de sa trilogie.
[…] Auteur de la fameuse trilogie Millenium – trois volumes récemment adaptés au cinéma –, Stieg Larsson est mort d’une défaillance cardiaque avant la confirmation du succès de son œuvre populaire. Pourtant, celui-ci a été terni par des accusations et des conflits personnels dramatiques, au grand désarroi de ceux qui poursuivent ses autres combats, contre le racisme, le nazisme et l’oppression des femmes.
Une héroïne féminine
Larsson est né en 1954, à Umeå, une ville du nord de la Suède. A l’âge de vingt ans, il travaillait déjà comme journaliste indépendant. Collégien, il avait entamé des recherches sur le racisme et l’extrémisme de droite, qu’il poursuivra sa vie durant. On se souviendra de lui comme de l’un des meilleurs experts du racisme organisé et du nazisme en Suède et ailleurs : en 1995, il participait à la création de la fondation suédoise antiraciste Expo et de son magasine du même nom.
Sa trilogie et les films qui en sont inspirés portent la marque de son affiliation politique. Ce n’est pas un hasard si son « héro », Lisbeth Salander, est « une femme qui hait les hommes qui haïssent les femmes » (selon la présentation de l’un de ses films). Est-ce la une raison de son énorme popularité ? Il a été établi qu’un tiers de la population suédoise ou plus possède au moins un livre de Larsson. Le public attendait-il une intrigue décoiffante, porteuse d’un message humain ? Cette hypothèse est convaincante.
Hors du mariage, pas de salut !
Cependant, les événements qui ont suivi sa mort soudaine, en 2004, […] ne se limitent pas à sa notoriété internationale. Dans le combat méprisable pour l’argent découlant de Millenium, Eva Gabrielsson, sa compagne et collègue depuis trente ans, est en passe de perdre non seulement le bénéfice financier mais aussi les droits de cette œuvre en faveur des plus proches parents de l’auteur, son père et son frère.
En tant que pourfendeur très bien informé de l’extrême droite suédoise qui n’avait pas sa langue dans sa poche, Larsson avait été la cible de violences et de harcèlement. Afin de rendre plus difficile le rapprochement entre sa compagne et lui-même, le couple avait décidé de ne pas se marier. En tant que concubine « seulement », Eva Gabrielsson a ainsi peu de droits légaux sur son héritage, en dépit du fait qu’elle a été associée à la création et à la publication de sa trilogie.
Selon elle, Larsson avait conçu cette œuvre, notamment comme moyen de financer la sécurité matérielle du couple. « Il s’agissait de se faire plaisir avec ces livres, de divertir le public et de gagner de l’argent pour réduire notre travail professionnel et commencer à faire quelque chose qui nous plaise ensemble. Il y avait si longtemps que […] nous n’avions pas pu nous montrer en public ensemble », dit-elle dans une interview de 2007.
Quand la gauche radicale refuse des millions…
Le testament de Larsson trouvé par Eva Gabrielsson, quelques années après sa mort, a créé la surprise dans la lutte autour de son héritage. Lorsqu’il était jeune, il avait été membre de la section nord du Parti socialiste suédois (alors l’Association des travailleurs communistes – KAF, Quatrième internationale). Il avait été un rédacteur régulier de son hebdomadaire Internationalen. En 1977, il déclarait par testament, qu’en cas de décès, il léguait tous son argent à cette section de son parti : « Quelle que soit la somme que je possède, je veux que cet argent aille au KAF ».
Eva Gabrielsson avoue sa surprise lorsqu’elle a découvert ce testament. « Mais c’était Stieg tout craché. Il est resté le même durant toute sa vie, n’oubliant jamais ses valeurs », a-t-elle témoigné dans une interview.
Tandis que les médias suédois faisaient la Une sur ce testament et que les spéculations concernant sa validité faisaient rage, le Parti socialiste d’Umeå, la ville d’origine de Larsson, a pris la décision de rejeter les millions générés par son œuvre, qu’il justifie politiquement et sur la base de principes. Dans un commentaire sur le système d’héritage suédois, selon lequel les couples non mariés – dont les couples de même sexe, alors exclus des lois suédoises sur le mariage – n’avaient aucun droit sur l’héritage de leur conjoint, le Parti socialiste déclarait : « Les couples devraient pouvoir vivre ensemble par choix sans être exposés à l’insécurité et à la perte de leurs droits ».
Poursuivre les combats de Larsson
Cette déclaration ajoutait : « La meilleure façon de rendre hommage à la mémoire de Stieg Larsson est de poursuivre son combat contre le racisme, contre l’extrême droite et pour une société qui respecte des valeurs et des droits égaux pour toutes et tous ».
Ceci dit, la lutte pour l’héritage de Larsson n’est pas finie. Eva Gabrielsson dispose d’un large soutien du public en tant que partenaire légitime du travail de son compagnon. […]
Mais tandis que conflits et accusations entourent Stieg Larsson, […] l’un de ses livres relativement peu connus, publié en 2000, sur la protection des journalistes exposés à des menaces, est sur le point d’être mis à jour et réimprimé.
Larsson a sans doute connu un succès dont il n’aurait jamais pu rêver. Mais ironie de l’histoire, il le doit à ses livres grand public et non à son travail acharné pour la démocratie et l’égalité. Cependant, ses collègues, camarades et amis se souviennent et témoignent de la valeur de son œuvre plus sérieuse. Ses lecteurs-trices en perçoivent certainement aussi quelques traces, tandis qu’elles/ils se laissent profondément divertir par ses romans.
Linn Hjort