Pourquoi la candidature d’Ilham Moussaid dans le Vaucluse, aux élections régionales de mars 2010, a-t-elle soulevé tant de questions dans le NPA ? C’est parce qu’elle a réellement posé toute une série de problèmes – et bien plus encore que nous ne pouvions le penser au départ. Il faut les discuter et, pour cela, écarter les « explications » qui visent en fait à les escamoter en les dépolitisant ou en niant leur existence. Il en va ainsi de la rengaine selon laquelle nous aurions à faire à une querelle entre « anciens » (les féministes de la génération 68) – connotation négative – et « modernes » (la génération du multiculturalisme) – connotation positive. C’est caricatural, factuellement faux (les générations sont divisées) et cela interdit toute réflexion, pourtant nécessaire et utile, sur la comparaison des périodes (années 1970 et aujourd’hui). Il y a pire encore, comme de diaboliser toute critique de la candidature d’Ilham qui n’exprimerait que l’« islamophobie » ambiante et un racisme plus ou moins caché ; voilà un procédé polémique inacceptable.
On ne peut pas non plus se contenter de répéter mois après mois que les « vécus » sont différents, qu’il faut apprendre à s’écouter et à se comprendre – ce que fait encore Philippe Pignarre dans un récent article sur le NPA comprenant malheureusement plus de clichés sur les « révolutionnaires » que de réponses précises, même « ouvertes », aux problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Tout en reconnaissant que les questions posées sont souvent complexes, qu’il est nécessaire de prendre le temps de les étudier et de tenir compte de la diversité des situations, rappelons que pour s’écouter et se comprendre il faut débattre – il faut accepter qu’il y a des problèmes politiques qui ne se dissolvent pas dans les « vécus » et dire ce que l’on en pense quitte a modifier ses positions en fonction des discussions et de l’expérience. On n’avance pas loin en se contentant d’invoquer la compréhension mutuelle.
Je ne prétends absolument pas offrir une théorie « totalisante » face aux multiples questions aujourd’hui en discussion dans le NPA sur les rapports entre religion, émancipation, féminisme et laïcité (le débat « RELF ») ni rédiger des « thèses ». J’ai abordé certaines de ces questions dans d’autres articles. Je voudrais poursuivre ici ce cheminement en tentant de cerner quelques problèmes pour mieux délimiter ce qui fait débat, puis en cherchant à les replacer dans leur contexte international pour éviter de se noyer dans lesdites « spécificités françaises ». Il s’agit plus d’un enchaînement de réflexions que d’un exposé systématique, au fil duquel je trancherais parfois des choix politiques qui se présentent à nous – d’une façon plus ou moins « fermée » selon les cas.
Plus encore que de coutume, il s’agit d’un texte en chantier, susceptible d’être retravaillé.
Les deux bombes avignonnaises...
Le débat dans le NPA est d’autant plus difficile (et crispé) qu’il est marqué par le traumatisme d’Avignon. Si le traumatisme est si profond, c’est que deux « bombes avignonnaises » ont explosé et pas une seule.
La première bombe est évidemment la présentation sans discussion préalable (au-delà du Vaucluse) d’Ilham, candidate voilée, qui a pris le NPA par surprise, qui a déstabilisé sa campagne électorale et l’a exposé à un feu roulant d’attaques auquel il ne pouvait répondre – le tout à un moment ou nous étions déjà en situation de faiblesse. Certes, il était clair que la question de la religion devait être discutée et qu’elle divisait, mais il était entendu que cela serait fait avec la préparation du prochain congrès, pas à l’occasion des régionales !
Face aux manœuvres gouvernementales tentant de centrer l’attention sur « l’identité nationale », le NPA avait décidé d’axer la campagne sur les questions sociales (ou socialo-écologiques) – en particulier sur celles qui sont du ressort des exécutifs régionaux. La politique, c’est choisir le moment et le terrain d’un combat. De toute évidence les régionales n’étaient ni le moment favorable ni le cadre adéquat pour poser la question de la représentation du NPA par une candidate voilée – sauf pour qui pense que cette question l’emportait sur toute autre considération : alors, l’écho national et même international reçu par Ilham montre que l’occasion était effectivement bonne à saisir.
Les attaques convergentes de droite et de gauche que le NPA a subies à cette occasion étaient bien souvent grossièrement hypocrites et scandaleuses, mais elles touchaient néanmoins parfois juste et il faut comprendre pourquoi.
La seconde bombe. La première « bombe avignonnaise » soulève des questions d’organisation (fonctionnement démocratique…) sur lesquelles je reviendrai brièvement. Mais c’est sur la seconde « bombe » qui explique pourquoi il nous était difficile de répondre au feu roulant des attaques par-delà l’impréparation et des désaccords déjà connus sur la question du voile.
– On nous a reproché de vouloir valoriser le port du foulard islamique, du voile, du signe religieux. Nous disions non, expliquant qu’elle n’était qu’« une candidate parmi 2000 », en quatrième position sur la liste départementale. Mais Ilham et Abdel disaient oui ; s’étant battu pour qu’elle soit tête de liste et la présentant de fait comme telle.
– On nous a reproché, par le biais de cette candidature, de prétendre représenter les « quartiers populaires », privilégiant ainsi une identification religieuse. Nous disions non. Mais Ilham et Abdel Zahiri disaient oui. Récemment encore, Abdel expliquait à Libération qu’il incarnait les « équipes militantes des quartiers populaires » dont le départ du NPA signifierait la mort de notre projet.
– On nous a reproché de manger notre chapeau féministe. Nous disions non. Mais Ilham et Abdel ont donné raison à nos contradicteurs en déclarant que la burqa [1] ne posait aucun problème pour peu qu’elle soit librement portée...
C’est la seconde bombe qui nous a pété à la figure : le cours politique « extrême » affirmé par le « noyau » vauclusien qui a fait surgir des questions beaucoup plus profondes que l’on aurait pu le penser. Ainsi Hendrik Davi a proposé de s’aligner derrière les talibans au nom de l’anti-impérialisme ; Abdel a annoncé qu’il projetait d’intégrer au NPA des femmes portant le voile intégral (notre organisation pouvant alors être représentée par des militantes en burqa) ; l’identité religieuse s’est affirmée lors de meeting où il s’adressait de musulman à musulmans…
Cernons les termes des débats
Non seulement les débats en cours touchent à un large éventail de thèmes, mais chaque thème est discuté à différents « niveaux » de positionnement. Or, les termes du débat ne sont pas les mêmes suivant les cas. Ce que je dis ici apparaît probablement assez obscur, mais je vais illustrer concrètement ce que j’entends par là.
Le propre du « noyau avignonnais » est de défendre des positions « extrêmes » sur plusieurs des questions en débat : la proposition de recruter au NPA des femmes en burqa en est un exemple. D’autres membres de notre organisation, tout en ayant une démarche très « ouverte » à l’égard du foulard islamique, jugent en revanche que nous ne pouvons pas considérer que le voile intégral ne pose pas problème. Il faut donc dans chaque cas cerner les termes de débats qui ne sont pas les mêmes.
Quand je demande que les positionnements en débats soient précisés, par exemple sur la burqa, on me répond parfois que « la question est mal posée ». Mais elle est posée par Abdel et Ilham avant de l’être par moi ! Une fois qu’une telle question est posée dans nos rangs, il faut y répondre. Faire silence sur de tels sujets devient irresponsable et interdit tout effort sérieux de clarification des enjeux politiques.
Je tiens à ce qu’une chose soit ici claire : je ne cherche pas à débusquer la « logique ultime » des positions défendues par les uns ou par les autres. Je sais d’expérience ce que ce procédé polémique peut avoir de désastreux, car nous avions tendance à y recourir dans les années 1970. C’est ce que nous appelions ironiquement (pour nous défaire de cette tentation) le poil de la trompe du mammouth. Une petite divergence apparaît : c’est le poil. Il faut tirer dessus pour faire apparaître la grosse divergence qui se cache derrière la petite : c’est la trompe. Et il faut encore tirer plus, pour faire apparaître l’énorme désaccord que cachent ces divergences : le mammouth. Avec ce type de procédé, on transforme de simples désaccords ponctuels en clivage programmatique...
Mais Abdel-Ilham-Hendrik ont eux-mêmes poussé leur logique à ses frontières. Vu l’importance des questions concernées, on est donc en droit – et on a même le devoir – de revenir sur leurs positions pour demander clarification. Même s’ils sont apparus assez solidaires, tous trois ne sont pas forcément d’accord en tout (par exemple sur les talibans). Peut-être que mes inquiétudes s’avéreront infondées (par exemple sur le créationnisme, je l’espère !). Il suffira alors que réponse soient données aux cinq questions qui suivent pour que l’on sache un peu mieux de quoi l’on discute – et en particulier de quoi l’on ne débat pas.
1. La burqa. Entre le foulard islamique et la burqa il n’y a aucune frontière franche (l’envoilement croissant de la femme passant par toutes les étapes intermédiaires) et il y a un fond commun (l’inscription de la femme dans une division de genre justifiée au nom de la religion). Mais entre le foulard islamique et le voile intégral, avec la disparition du visage, il y a aussi un monde : avec la burqa, la personne dans son individualité est exclue de l’espace public, devenant littéralement invisible. La séparation des sexes devient complète.
Le débat général sur le voile islamique n’est pas le même avec celles et ceux qui reconnaissent que la burqa doit être combattue d’un point de vue humain, féministe et politique ; ou avec celles et ceux qui considèrent que le voile intégral « ne pose pas de problème s’il est porté volontairement ».
2. Les talibans. De même, il y a à la fois des éléments communs et un monde entre, par exemple, le Hezbollah libanais et les talibans afghano-pakistanais. Ce n’est pas la même chose de dynamiter les écoles pour filles ou de construire une université (fût-elle non-mixte) pour étudiantes !
Le débat sur l’islam politique n’est pas le même avec celles et ceux qui reconnaissent la caractère hyper-réactionnaire des talibans ou celles et ceux qui les soutiennent en les considérant une composante acceptable d’une djihad mondiale jugée progressiste, anti-impérialiste (et qui ne rendent vraiment pas service au Hezbollah en l’identifiant aux talibans !).
3. La laïcité. De même, le débat sur la laïcité n’est pas le même avec celles et ceux pour qui elle signifie la séparation entre l’Etat et les églises ou celles et ceux pour qui elle n’exige que la neutralité. La neutralité peut en effet être positive, favorable, comme dans la « laïcité ouverte » de Nicolas Sarkozy qui chante les mérites du prêtre par rapport à l’instituteur : des droits spéciaux et pouvoirs considérables peuvent alors être donnés aux églises pour peu qu’ils soient également reconnus à toutes les religions.
De même, la laïcité a introduit le principe d’égalité non seulement entre toutes les religions, mais entre toutes les convictions. En pratique, la « neutralité » risque de s’intéresser avant tout aux églises et autorités religieuses, interlocuteurs privilégiés – c’est du moins assez évident en ce qui concerne la « laïcité ouverte » de Sarkozy.
4. Parti et courants politico-religieux. La conception de la laïcité peut même avoir des implications dans la nature de notre propre parti. Le débat n’est en effet pas du tout le même s’il porte sur la place ou la visibilité individuelle des croyants dans le NPA ; ou bien s’il porte sur l’existence au sein du NPA de courants politico-religieux (islam politique, chrétiens, juifs ou autres).
Ce serait faire de la laïcité au sein du parti une triste farce que d’avoir dans le NPA des courants politico-religieux !
5. Science et religion. La dernière question que je veux soulever ici est pour moi la plus surprenante, concernant le rapport entre science et religion. Je ne pensais vraiment pas avoir à l’aborder. Il me semble cependant que des propos prêtés à Abdel méritent d’être clarifiés. Selon Stéphane Alliès, dont l’écoute est sympathique, il aurait ainsi affirmé lors d’un débat à la dernière université de la LCR : « Moi je suis pratiquant, je ne crois pas à Darwin et je pense qu’il y a un dieu. Mais ça ne change rien au combat politique ». Dans le contexte politique actuel marqué par tant de remises en question, on se demande s’il s’agit de propos hasardeux ou d’une déclaration de foi créationniste, idéologie obscurantiste s’il en est, et qui change beaucoup de choses au combat politique !
Rappelons quand même qu’aucun dieu ne peut contredire Darwin, seuls d’autres scientifiques le pourraient. L’évolution du vivant est un fait dont la réalité est scientifiquement attestée, ce n’est pas une « opinion » en laquelle « on croit » ou pas. Il y a bien des débats légitimes sur la ou les sciences, mais ces débats changent de nature face aux prétentions créationnistes.
Je ne veux pas tirer de conclusion à partir d’une citation en bas d’un article. Qu’Abdel écarte toute interprétation créationniste de l’histoire du vivant et la question sera close.
Sur ces cinq questions, je pense qu’il faut des réponses politiques tranchées : on combat la burqa (même si ce n’est pas par la loi), on ne soutient pas les talibans (même si l’on combat l’occupation impérialiste), la laïcité implique la séparation des églises et de l’Etat et c’est une condition (nécessaire si pas suffisante) d’une citoyenneté commune, il n’y a pas place dans le NPA pour des courants politico-religieux (même si les croyants sont bienvenus), la connaissance scientifique n’est pas une croyance et le créationnisme est un obscurantisme.
D’accord ou pas d’accord ?
Je sais que certains craignent qu’en ciblant des positions « extrêmes » on évite le débat général – par exemple que l’on se contente de rejeter la burqa et que l’on ne réfléchisse plus au sens du voile islamique « ordinaire ». A l’opposé, d’autres craignent qu’en exigeant une réponse à ces questions précises, on ne fasse apparaître les divisions de fond entre eux, « défenseurs du voile ». Je ne pense cependant pas que les questions ci-dessus soient des « diversions » ou soient « mal posées » (prétexte généralement invoqué par qui ne veut pas y répondre) – rappelons qu’elles sont posées par Ilham, Abdel ou Hendrik Davi entre autres. Elles méritent réponse ; il en va pour moi de la clarté des débats. Je ne vois pas comment on peut avancer dans la discussion sans savoir ce qu’il en est à ce sujet.
Quelques mots de plus sur…
Si le débat est si difficile au sein du NPA, c’est aussi parce qu’il touche à des domaines où il y a peu de tradition de réflexion collective dans l’extrême gauche en France (religion) ou parce que ce travail de réflexion collective, bien réel, s’est perdu (féminisme). Or, ces domaines ne sont pas moins importants que la « question sociale » ou la politique à la gauche de la gauche.
… le féminisme…
Il y a eu un travail considérable effectué sur la question du féminisme par des militantes (et quelques militants) de la LCR – un travail commencé dans les années 1970 et qui s’est poursuivi depuis. Cet apport est très peu reconnu dans le monde académique – ce qui ne surprendra personne – mais aussi, ce qui est plus irritant, dans nos propres milieux (victime en cela de l’idéologie dominante qui occulte toujours l’apport des mouvements révolutionnaires).
Rappelons donc que le féminisme ne se réduit pas à une simple somme de combats particuliers, égalitaires (à salaire égal…), au droit à l’avortement, à une libre sexualité, à la liberté d’être… Le combat féministe dont nous héritons s’attaque à la division de genre au sein de nos sociétés, question plus vaste et plus systématique. Quant au courant « féministe de lutte de classe » (dont la LCR était partie prenante), il lie le combat contre la domination patriarcale au combat anticapitaliste.
J’enfonce une porte ouverte ? J’aimerai en être certain. Tout d’abord, la « sensibilité » aux enjeux féministes est très émoussée dans nos rangs : ce champ de connaissance et de lutte est peu présent dans les publications et les débats du NPA (et avant lui de la LCR « tardive »). En dehors des dossiers annuels du 8 mars et du combat sur les centres IVG, le traitement de ces questions est bien indigent. Il fallait hier ajouter l’adjectif « féministe » au mot anticapitaliste ; c’est aujourd’hui beaucoup plus vrai des adjectifs « antiracistes » et « écologistes » (qui ont évidemment aussi ma faveur). Rares sont ceux qui remarquent à quel point l’absence récurrente du mot « féministe » est problématique.
Revenons sur l’exemple du voile islamique. Combien d’articles polémiques en parlent comme s’il s’agissait d’un simple vêtement ou un ornement, comme un string ou un piercing ? Mais le voile islamique – qui cache au minimum les cheveux – n’est pas une simple pièce de vêtement comme le châle – qui lui laisse voir les cheveux et se retire librement ; c’est une obligation religieuse (précisons : aux yeux des seuls théologiens conservateurs).
Si mon inquiétude était infondée, nous devrions être tous et toutes d’accord pour dire que ce voile (et autres signes similaires dans d’autres religions) renvoie au fond à une vision patriarcale de la place des genres dans la société. Or, au nom du fait que les motivations individuelles des femmes concernées par le port du voile sont variées, certains ne veulent pas le reconnaître franchement.
Pour les mêmes raisons, bien des discours sur le voile en restent à la question des libertés individuelles sans la relier aux enjeux collectifs. Dans ces conditions, l’antiracisme et le multiculturalisme se retournent facilement contre le féminisme, contre les droits des femmes. C’est le cas dans bien des travaux qui visent à intégrer le multiculturalisme dans le droit. Ce qui me frappe ici c’est que ce risque pourtant si évident n’est pas perçu par toutes et tous dans nos rangs – ou est occulté au nom du « politiquement correct ».
… le féminisme, les talibans et la burqa
Sur ce dernier encore, les positions « extrêmes » n’épuisent pas le débat mais l’éclairent d’une lumière crue.
Il n’y a rien de particulièrement révolutionnaire à chercher l’alliance avec des talibans. Les services secrets pakistanais font partie de leurs intimes et Washington tente périodiquement l’aventure. Mais tout accord avec les talibans se fait et se fera en piétinant les droits des femmes (et bien d’autres droits humains). Il est inquiétant de voir à quel point cela est facilement passé à perte et profits par des progressistes au nom d’un anti-impérialisme largement imaginaire.
Certains ne voient dans le rejet de la burqa que l’expression de « l’islamophobie ». Ce qui me choque pourtant, c’est qu’un progressiste ne soit pas choqué par la burqa ! Comment peut-on banaliser l’effacement complet de la femme ? Ou même le valoriser, en le présentant comme un acte d’affirmation anti-impérialiste ? Ou encore comment peut-on écrire de longs articles sur la burqa sans jamais dire ce que l’on en pense ?
Pour certaines musulmanes, le port du voile intégral est en effet un libre choix, notamment pour les converties qui le décident contre les souhaits de leur famille. Mais la burqa renvoie à une interprétation particulièrement réactionnaire de l’islam. Nous n’aurions rien à dire à ce sujet ? Le « libre choix » n’efface pas les enjeux politiques et sociaux. Margaret Thatcher est devenue Premier Ministre (devrait-on dire Première Ministre ?) britannique de par son libre choix – et on l’a combattue. Des femmes rejoignent le Front national de leur libre choix – et on combat ce mouvement néofasciste. Au nom de quoi devrions-nous renoncer à combattre le salafisme et les divers courants de l’extrême droite religieuse de toutes religions parce que des femmes épousent de leur « libre choix » ces interprétations réactionnaires ?
Je suis aussi très frappé de voir comment la question de la burqa est souvent abordée comme s’il ne s’agissait que de simples choix individuels. Il est pourtant évident que nous parlons ici de familles avec des maris très barbus et des enfants ; de l’évolution de milieux sociaux ; du développement de courants politico-religieux… Quelle vision du monde et quelle vision de la place des genres dans la société va être donné aux enfants concernés ? Nous n’avons vraiment rien à dire à ce sujet ? Peut-on s’en tenir au seul plan des libertés individuelles et se taire sur tous les autres enjeux ?
Il est assez étonnant de voir des militant.e.s d’extrême gauche, souvent formés au marxisme, cesser toute mise en contexte social quand on aborde le terrain de la religion et des églises.
On peut et on doit être contre les lois antiburqa présentées en France, en Belgique, etc. Le racisme et la xénophobie sont à nouveau des instruments redoutables aux mains des gouvernants qui peuvent conduire jusqu’à des pogromes avec l’aggravation prévisible de la crise sociale. Il n’est pas question au nom du féminisme ou de la laïcité de rallier Sarkozy et s’allier avec l’extrême droite, comme le font certains à gauche (mais personne du NPA !). Il n’est pas plus acceptable de s’allier avec les fondamentalistes religieux au nom de l’antiracisme.
… la logique de l’ennemi principal…
On en revient toujours à cette question : la logique infernale de l’ennemi principal. Notre ennemi principal étant l’impérialisme, on devrait soutenir les talibans qui combattent les Américains, même s’ils massacrent d’autres musulmans et civils au nom du blasphème… Notre ennemi principal étant le racisme « postcolonial », on devrait soutenir la réaction religieuse, fut-elle elle aussi raciste et xénophobe… Notre ennemi principal étant le capitalisme, on dénoncera (à raison) la marchandisation publicitaire du corps des femmes, mais on devrait se taire sur la montée des conservatismes religieux, en oubliant que lesdits courants religieux ne sont pas anticapitalistes…
Cette logique de l’ennemi principal conduit immanquablement à choisir les « bonnes » victimes et à abandonner les autres. On ne combat pas ainsi la politique du « diviser pour régner », on ne construit pas ainsi une perspective émancipatrice pour tous les opprimé.e.s.
Faut-il être « simpliste » ?
Il faut des réponses claires aux questions soulevées par le débat dans le NPA. Mais il serait néanmoins dangereux de « théoriser » trop rapidement la théorie et même de « théoriser la politique » sans prendre du recul par rapport au contexte très « tendu » dans lequel ce débat à commencé. En réaction au traumatisme vauclusien, le risque d’un raidissement « simpliste » existe. Mieux vaut s’en prémunir.
Une fois les questions en débat délimitées, je pense que nous avons besoin de travailler de façon ouverte aux problèmes de fond qui nous sont posés, car il n’y a eu que très peu de réflexion collective à ce sujet durant la dernière période. Comme des échanges de courriels entre « laïcs et féministes » ont fait l’éloge d’un positionnement « simpliste » (je place les guillemets d’usage), je vais commencer par les prendre à contre-pied. En vous priant de m’excuser d’une certaine connotation générationnelle...
Une théorie simpliste de la théorie ?
Je suis un mécréant, né athée qui n’a jamais ressenti de questionnement mystique. Je suis parfaitement heureux de redevenir un jour poussière. Le religieux m’est très étranger. Mais je n’en suis pas moins bien obligé de reconnaître que le religieux est un phénomène complexe aux multiples facettes : religion (doctrines, obligations et interdits), églises (hiérarchies et pouvoirs), cultures et croyances, aspirations et ressorts psychologiques...
Quand la question d’accepter des chrétiens dans l’organisation s’est pour la première fois posée à ma génération (au début des années 1970 ?) – discussion en CC – j’étais réticent à cette « perte de cohérence idéologique ». Mais les années 1970-80 ont été des décennies riche en réflexion : de l« ’histoire ouverte » à la critique de la notion de progrès, du féminisme à l’écologie, de la pédagogie à la psychiatrie... Le retour sur Marx et la religion s’est inscrit dans ce bouillonnement d’ensemble. Les textes de Michael Löwy en particulier ont reflété cette ré-appropriation et réactualisation de Marx, à partir notamment du passage si souvent cité de Marx sur « l’opium » et le « soupir ».
Les textes de Michael ont été écrits à une période où nous devions répondre politiquement à la question du « soupir », confrontés que nous étions au développement de mouvements radicaux identifiés à la théologie de la libération. Ils portent la marque de cette période. Mais sur le fond, ils vont bien au-delà de la conjoncture. Il ne faudrait pas aujourd’hui régresser en deçà des avancées de l’époque en en revenant à des analyses « monoplan » du religieux comme phénomène social. (On peut trouver les textes de Michael dans la rubrique « Marxisme et religion » d’ESSF).
Une théorie simpliste, n’est-ce pas cela : monoplan ? On tire un fil unique en partant, par exemple, du caractère réactionnaire de la doctrine et de l’appareil religieux. Cela donne un argumentaire d’une cohérence redoutable... mais très facile à contourner en repartant d’un autre angle d’attaque. C’est ce que j’appelle une ligne Maginot : impressionnante, mais incapable de couvrir tous les flancs – je préfère la guerre populaire, sa capacité d’analyse concrète et sa mobilité.
Une théorie simpliste du positionnement politique ?
La fonction d’une théorie « simpliste » est évidemment d’introduire une position politique générale « simpliste ». Là encore, il faut faire attention. On peut avoir à conclure de façon très tranchée (voir ci-dessus). Mais la démarche politique générale doit être exprimée de façon à pouvoir répondre à des situations différentes en n’érigeant surtout pas en principe une réponse spécifique. Sinon on construit à nouveau une ligne Maginot.
On ne devrait jamais intégrer un prêtre à une organisation révolutionnaire – même quand il s’engage dans la lutte armée sous direction d’un parti communiste (le cas que je connais bien des Chrétiens pour la libération nationale aux Philippines) ? On ne devrait jamais présenter (par exemple à une élection locale) une femme portant le foulard islamique – même quand elle est la dirigeante reconnue d’une lutte sociale importante et qu’elle est présentée à ce titre ?
Face aux questions soulevées par la candidature d’Ilham avec toutes ses ambiguïtés, je comprend qu’il y ait un besoin de clarté, que des membres du NPA veuillent se prémunir à l’avenir contre les mauvaises surprises. Mais il vaut mieux le faire en clarifiant au fond les questions qui nous sont posées plutôt qu’en excluant à l’avance (« jamais ») que des cas de figure bien différents du Vaucluse ne se présentent.
Se confronter à la complexité, mais sans angélisme
Je pense donc que nous avons besoin d’échanges collectifs plus approfondis et de temps pour théoriser sans simplifier à outrance. Mais sans pour autant sombrer dans l’angélisme ni refuser de répondre, au nom de la complexité du réel, à des questions politiques précises qui nous sont posées.
Les religions dont nous parlons sont toutes des idéologies dominantes, patriarcales, qui doivent à ce titre être passées au crible de la critique. Les obligations et les interdits religieux sont des instruments de pouvoir entre les mains des chefs d’église. On peut être catholique, divorcer et se moquer de la prétention du pape à l’infaillibilité. On peut être musulmane, avoir les cheveux au vent et se moquer de l’inculture d’imam prétentieux. Ce qui est étrange, c’est de voir des athées plus royalistes que le roi qui laissent entendre que la musulmane « authentique » se doit d’être voilée. C’est de voir des militants révolutionnaires sacraliser une interprétation réactionnaire des devoirs religieux.
… Parti et société…
Ainsi, certains dans le NPA ont laissé entendre que l’on ne pouvait pas combattre la loi antiburqa dans la société et en ériger une dans le parti. J’avoue que c’est l’un des arguments les plus… bizarres que j’ai entendu de toute ma vie militante !
Le parti n’est pas la société. Il y a des tas de chose que l’on a le droit d’être ou de faire dans la société (comme d’avoir des opinions d’extrême droite), mais pas dans notre parti ! On est dans une société, mais on choisi d’être dans une organisation et cela fait toute la différence. Il y a beaucoup de droits que nous défendrons bec et ongle dans la société – y compris le droit à l’existence des églises – mais qui n’ont pas d’équivalent dans une organisation politique.
Soit dit en passant, ce qui affaiblit le combat contre les lois antiburqas, c’est bien de dire que pour être contre la loi il faut être pour la burqa !
La discussion indispensable que nous n’aurons probablement pas
Le degré « d’ouverture » d’un parti dépend notamment de sa taille (en milliers et en centaines de milliers, ce n’est pas la même chose) et de sa solidité sociale, politique ou programmatique.
On a lancé le NPA en prenant des risques assumés pour laisser une chance au neuf. On l’a lancé dans un moment de pêche, de dynamisme social. On aurait eu besoin d’une bonne année au moins pour consolider la nouvelle organisation, créer des solidarités, constituer des directions représentatives et efficaces, etc. Nous n’avons pas eu cette chance. La situation s’est retournée deux-trois mois après la fondation du NPA et on s’est retrouvé en plein ressac, sous une tension très forte entre la révolte nourrie par la crise et l’absence de réponse significative à la crise (je parle ici d’une tension ressentie dans la société, bien au-delà de nous). C’est le genre de situation très difficile où il n’y a tout simplement, à notre échelle, pas de réponse « parfaite » : il faut gérer des contradictions.
Mon problème n’est, pas de réécrire l’histoire (fallait-il lancer le NPA comme on l’a fait ? Pouvait-on faire autrement ?). Ce qui est fait est fait, pour le meilleur et pour le pire. Mais maintenant nous pouvons mesurer les risques encourus. Il faudrait une réflexion ouverte sur les questions « organisationnelles » comme l’absence totale de structure sympathisante et l’entrée directe dans le parti, la liberté et responsabilité des comités, l’armature programmatique (le NPA n’est pas défini marxiste, même si beaucoup le sont), le fonctionnement des directions « sans appareil » politique de permanents, etc.
Il serait bon de faire une conférence nationale conçue comme un échange d’expériences de construction – les problèmes de construction ne se rabattant pas du tout à la seule question de l’orientation politique (elle-même ramenée à la question de la gauche de la gauche).
Une telle réflexion pour être efficace ne devrait pas être corsetée par les « courants » pré-existants, précisément parce que l’on essaie de penser le neuf et que les courants sont constitués sur l’ancien. Sinon, elle sera étriquée. Mais les « courants » n’aiment pas les mondes (de réflexion) dont ils ne sont pas les créateurs. Ils tendent à centrer les débats autour des seules questions qui font leur unité, les autres les divisant, et qui les aident à se perpétuer. Or, bien des grosses questions auxquelles nous sommes confrontées, parmi les plus difficiles, ne font pas partie du « fonds de commerce » des sensibilités établies. Elles dérangent... D’où mon pessimisme relatif sur la place qui va réellement être accordée dans la préparation du congrès aux débats « RELF »...
Le droit de tendance est un élément essentiel de la démocratie interne à un parti. Mais il y a une façon de fonctionner qui prédomine qui me paraît dangereuse, héritée pour une part de la LCR mais encore accentuée semble-t-il dans le NPA : quand un débat s’amorce, les courants et regroupements discutent en interne, chacun chez soi, puis croisent le fer dans le parti. Je trouve que c’est déposséder les structures collectives de l’organisation d’une bonne partie de la « réflexion primaire » (au sens de première, qui fonde) et transformer en otage des courants les militant(e)s qui n’en sont pas membres actifs.
Quel rapport avec les sujets abordés ici ? C’est que la réponse à un certain nombre de questions qui nous sont posées dépend du succès ou de l’échec d’un processus de consolidation du NPA et de la clarification apportée ou pas sur le féminisme, la laïcité, etc. C’est pour cela qu’un certain nombre de réponses concrètes, comme la l’accueil de militantes portant le foulard, dépendent pour une part des réponses qui seront données à des questions préalables (consolidation et clarté programatique...). Plus on peut être confiant en notre solidité, plus on peut s’ouvrir, et moins...
Il faut aussi répondre à la question : comment peut-on être à la fois féministe, laïque et antiraciste ? Le point de départ n’a pour moi rien de mystérieux. Il faut commencer par prendre en compte le faisceau d’oppressions dont sont victimes les femmes. Si on le fait, par exemple dans le cas des musulmanes (ou des femmes issues de l’immigration arabes et identifiées à des musulmanes même quand elle ne le sont pas) vivant en France dans les « quartiers populaires », les figures du féminisme, de la laïcité et de l’antiracisme (ou de l’anticapitalisme) émergent conjointement de l’analyse. Il faut travailler le point de jonction des oppressions diverses. Après, bien entendu, la combinaison politique de ces dimensions à chaque échéance spécifique peut être difficile... La politique est rarement simple.
On se heurte chez certains dans le NPA à un véritable déni de réalité, quand ils ne veulent voir que la très réelle montée de la xénophobie et de l’instrumentalisation de la « question musulmane », par les gouvernants et l’extrême droite. Ils ne veulent tout simplement pas admettre qu’il y a aussi oppression de genre dans les milieux familiaux ou sociaux et pression des conformismes religieux et des extrêmes droites intégristes, en France et en Europe – et pas seulement dans les milieux dits musulmans !
Il est indispensable de dépasser cet autisme volontaire. Je pense que c’est un des premiers verrous à faire sauter pour montrer la vacuité de l’opposition faite entre féminisme (« à l’ancienne ») et antiracisme (« moderne »).
Comme je l’ai dit, je crains que ces champs de préoccupation soient marginalisés dans les débats pour le congrès du NPA. Ce qui pourrait se solder par des départs de militantes ou militants.
Comme la question des « démissions » est apparue de façon récurrente, je voudrais seulement dire que je ne prends pas le combat engagé à la fois pour le NPA et dans le NPA à la légère. On n’est pas dans la même situation que le début des années 1970s, quand il y avait pléthore de nouvelles organisations révolutionnaires. Si l’une d’entre elles disparaissait, d’autres continuaient. Je pense que la tentative de construire du neuf ET du radical (au sens politique réel) dans laquelle nous sommes engagés en France est assez unique (c’est pourquoi elle est aléatoire). Il y a de même très peu de pays où elle est engagée.
Si nous échouons avec le NPA, le relais ne sera pas pris par une autre force politique (même si chacun d’entre nous peut continuer à militer utilement) et les organisations qui sont engagées dans d’autres pays sur les mêmes objectifs (reconstituer un mouvement social et politique anticapitaliste) seront plus isolées encore.
Les enjeux nous dépassent de beaucoup.
J’ai un article en tête que j’intitulerai « éloge de la persévérance ». Je l’écrirais peut-être un jour si j’en ai le temps...
Pierre Rousset
Plan d’une introduction sur les évolutions internationales en résonnence avec le débat RELF
Présenté le 11 juin 2010 à une réunion parisienne du regroupement féminisme et laïcité.
Attention : un sujet bien plus vaste que mes connaissances et ma capacité d’assimilation. Un objectif limité : tenter de faire apparaître quelques tendances et problèmes.
I. Deux évolutions contrastées mais non (nécessairement) contradictoires
1. La plus apparente : réaction (justifiée au fond) face à la montée de l’extrême droite antimusulmane, à la violence sioniste, à la « guerre en permanence de Bush », etc.
Un très gros danger nourri par la combinaison des effets de la mondialisation capitaliste (dépérissement de la démocratie bourgeoise, dissolution des espaces de citoyenneté…) et le crise socio-économique en cours.
Horizon possible : pogromes…
2. Un courant sous-jacent : réaction (justifiée au fond) face à la montée générale des droites religieuses, à la nouvelle relativisation des droits des femmes parmi les droits humains, aux attaques croissantes contre la laïcité dans ses fondements… (Voir notamment l’article que j’ai écrit à ce sujet.)
Notons par exemple les réactions contre la commission des droits de l’Homme de l’ONU (affaire du blasphème), la reprise des débats sur l’Islam politique, la dénonciation du rôle des églises chrétiennes sur l’avortement, l’écho international de la chasse aux femmes vivant seules en Algérie, le débat sur les tribunaux communautaires en Grande-Bretagne…
Les débats prennent une visibilité et une tournure impensable il y a encore peu. Voir par exemple sur la position d’Amnesty International sur la « jihad défensive »…
3. Combinés ou opposés ? L’important est de combiner ces deux réactions – mais nombreux sont ceux qui veulent les opposer. La combinaison : une tâche.
II. Des fils renoués
Cadre de départ : Le fil perdu des débats des années 1980-90… La marginalisation des féministes « classiques » et « classiste »…
Difficulté : Dépolitisation en profondeur sur ces questions. Prédominance des discours politico-émotionnels. Comparer les efforts (prétentions ?) du texte « fondateur » de Chris Harman (SWP britannique) de 1994 et l’absence de textes comparables de sa « descendance politique » (les guillemets sont là pour indiquer qu’il ne s’agit pas de formules « rigoureuses »). Ou le texte plus récent (2005) de Dréano sur le « Paysage islamique français » et l’absence d’efforts comparables d’analyse dans nos propres milieux militants.
Ces textes sont avec d’autres dans la rubrique « Islam politique » d’ESSF en français ou anglais.
Un texte comme celui de Harman est je crois très critiquable (analyse du FIS, etc.). Mais au moins, il y a suffisamment de matière pour qu’il puisse être critiqué…
Le lien renoué ? Peut-être en cours. Voir par exemple la reprise de la diffusion de textes sur l’expérience en Grande-Bretagne des Southall Black Sisters et des Women Against Fundamentalism…
III. Dans notre réseau inter
Un sentiment de « la France assiégée ». Une mauvaise réputation inter qui remonte au débat de 2004 sur l’école (difficile à comprendre outre Hexagone). Mais évolutions plus complexes qu’il ne paraît…
C’est par exemple solidaritéS, en Suisse, qui a republié le texte de Samir Amin contre l’Islam politique (que l’on trouvera dans la rubrique d’ESSF déjà mentionnée).
De même, l’article de Peter Drucker autour de l’affaire Ramadan à Rotterdam, très antixénophobe, contient un chapitre pour dire que dans les milieux populaires immigrés « musulmans » les islamistes ne sont pas nos correspondants, mais notre concurrence (ou celle de nos alliés).
Je ne pense pas trahir son argumentation en résumant : dans nos sociétés en général, une course de vitesse est engagée entre l’extrême droite xénophobe et une gauche radicale solidaire. Dans les milieux « musulmans », une course de vitesse est engagée entre islamistes radicaux et gauche radicale.
Notons aussi que le communiqué de la LCR belge contre la loi antiburqa est écrit assez prudemment (même si j’aurais aimé un point de vue affirmé sur la burqa elle-même).
On ne connaît des écrits de nos organisations sœurs que peut de chose, surtout quand leur langue est rarement comprise (néerlandais) et que l’on dépend de rares traductions. Les situations nationales varient, notamment dans le poids de l’extrême droite antimusulmane et l’ampleur de la pression xénophobe (ou d’ailleurs du poids l’extrême droite intégristes de diverses religions dans les milieux dits « immigrés »).
Autant le débat sur l’ « ennemi principal » est simple – c’est une logique qui conduit droit à l’impasse –, autant la question du « danger principal » est plus concrètement politique. Les Néerlandais sont sous une pression terrible. Mais au fond, l’extrême droite « antimusulmane » et l’extrême droite islamiste sont des étoiles jumelles qui se nourrissent l’une l’autre.
Au-delà, il y a des problèmes de fond qui surgissent dans nos propres milieux, en Europe, comme en France. Un texte mis en ligne sur le site de nos camarades en Grande-Bretagne parle du port de la burqa comme l’équivalent du mouvement de la « fierté noire » d’antan… Au détour de certains textes (Belgique), la laïcité est présentée comme « neutralité » vis-à-vis des religions – or la « neutralité » peut être « positive » et reconnaître les mêmes droits spéciaux aux églises de toutes les religions au-dessus (et donc contre) bon nombre de droits humains (femmes, homosexuels, etc.). Rappel : est-on pour étendre la loi sur le blasphème à toutes les religions (ce qui fut la position du SWP-UK) ou pour l’abolition de cette loi là où elle existe (notre position).
Côté optimiste, j’ai l’impression que depuis quelque temps, une réflexion au fond repart dans plusieurs pays sur ces questions (de l’antiracisme à l’antisexisme).
IV. NPA et questions inter
On m’a demandé de rajouter ce point, qui n’était pas prévu. Quelques mots.
La ligne de marche : combiner et ne pas opposer antiracisme, antisexisme et laïcité… Dans la dimension française et dans son lien à l’internationalisme.
Important : l’Iran. Du point de vue des questions en débat ici, le positionnement du NPA sur la crise iranienne, non « campiste », a été très important.
Afghanistan-Pakistan : on se retrouve sur la même orientation que le LPP pakistanais ou RAWA (femmes afghanes). Contre l’occupation de l’OTAN et contre les talibans. Bien entendu, le retrait des troupes françaises à une importance particulière pour nous…
Palestine. Plus compliqué. On ne va pas faire des manifs sur Gaza des manifs « laïque » en exigeant que les musulman.e.s de France soient invisibles. On ne peut pas se permettre non plus de manifester avec des fascistes et antisémites… Par exemple, des fascistes islamistes turques qui chassent les Kurdes… ou une aile de l’extrême droite antisémite (au sens juif) française…
Une difficulté : les organisations infréquentables semblent opérer au sein de coalitions qui comprennent bien des organisations fréquentables… Pour mesurer le problème qui nous est posé, il nous faut une bonne information…
Dans cette situation, la précision de nos propres mots d’ordre est essentielle. On ne peut pas se permettre l’ambiguïté : « chacun l’interprète comme il veut »… Un bon mot d’ordre ne s’interprète pas librement sur des sujet hyper-sensibles. Par exemple « de Kaboul à Ramallah, Intifada ! » sera compris par qui sait où est Kaboul comme une identification-soutien des Palestiniens et talibans (ce qui n’est pas rendre service aux Palestiniens). Autre exemple, « Israël Casses-toi » sera compris par beaucoup comme « Les juifs à la mer », quelle que soit l’intention de l’auteur du mot d’ordre.
Conclusion
On peut nourrir le débat français d’exemples internationaux.
C’est possible, car des réflexions au fond, des débats et des combats politiques sont en cours sur ces thèmes « RELF ».
C’est utile, car cela brise une vision trop franco-française de ces débats – ou l’idée saugrenue comme quoi ces débats n’auraient lieu qu’en France.
C’est nécessaire, car cela concerne l’un des terrains de l’internationalisme et non des moindres – de la défenses des femmes et des homosexuels face à la charia et la théocratie, jusqu’à la défense des fondements même de la laïcité (voir l’Inde assiégée par l’extrême droite hindouhiste).
Pierre Rousset
Références bibliographiques
Tous les articles référés sont disponibles sur ESSF. Le numéro d’un article permet de le retrouver aisément
Gilbert Achcar, Onze thèses sur la résurgence actuelle de l’intégrisme islamique (article 3324)
Karima Bennoune, Response to Peter Danchin’s “Suspect Symbols: Value Pluralism as a Theory of Religious Freedom in International Law (article 17437)
Hendrik Davi, in Pierre Rousset, Internationaliste ! – Faut-il au nom de l’internationalisme se ranger derrières les talibans ? (article 16832)
Bernard Dréano, Regard sur le « P.I.F ». Notes sur l’islam politique en France (article 17858)
Peter Drucker, Islamophobia: for a radical left response (article 17524)
Chris Harman
The prophet and the proletariat – I – Introduction and general chapters (article 17518)
The prophet and the proletariat – II – Study cases and Conclusions (article 17521)
Marieme Hélie-Lucas, Islam, musulmans, intégristes : Pourquoi la rigueur dans l’utilisation des concepts devient un élément crucial de la lutte contre l’intégrisme musulman en Europe (article 15813)
LCR (Belgique), Belgique : une loi raciste, sexiste et liberticide sur l’interdiction du Niqab et de la Burqa dans l’espace public ! (article 17304)
Philippe Pignarre, Le NPA, autopsie d’une déception (article 18216)
Radical Socialists, Banning the Veil: Rights of Women, Security or Anti-Islamic Racism and Communalism? (article 17500)
Pierre Rousset
— ’Resist the ban but oppose the burka too’ (article 18185]
— Débat « laicité » : Laïcité et solidarités à l’heure de la crise capitaliste (article 17921)
— Ne jamais abandonner les Rayhana, Sadia, Hina, Fatima… (article 17100)
— Débat laïcité : Une obsession française ? – Deux points de vue (article 16961)
— Internationaliste ! – Faut-il au nom de l’internationalisme se ranger derrières les talibans ? (article 16832)
Gita Sahgal, UK: different legal systems for different categories of citizens – The Millions and the Foolish Few (article 17830)
Josette Trat
— Ordre moral et différentialisme au centre des modèles religieux catholiques et musulmans (article 4104)
— A la recherche de l’ennemi principal (article 4153)
Abdel Zahiri
— in Stéphane Alliès, Comment le NPA veut s’implanter en banlieue (article 14851)
— in Lilian Alemagna, Besancenot en lutte mineure (article 17264)
Thèmes
Créationnisme
— Créationnisme (rubrique 839)
Islam politique :
_ en français : Islam politique, islamisme (rubrique 949)
_ en anglais : Political Islam, Islamism (Religion, churches, secularism) (rubrique 311)
Marxisme et religion. Des textes centrés sur cette question sont rassemblé dans la rubrique Marxisme et religion (rubrique 907)
Southall Black Sisters
_ Southall Black Sisters (GB) (mot clé 6587)
Le débat « RELF. L’ensemble des textes disponibles sur ESSF et concernant le débat « religion, émancipation, féminisme et laïcité » sur recensés sous le mot clé : DébatRELF (mot clé 6425)