M. Riera : Est-ce nécessaire de refonder la gauche ?
M. Romero : A moyen terme, d’ici quatre ou cinq ans, la carte politique européenne – à gauche de ce que nous appelons par euphémisme la « social-démocratie » – aura changé profondément. La nature et le rythme de ces changements dépendront des luttes sociales induites par la crise capitaliste et des réponses que fourniront les organisations de l’ « espace anticapitaliste », soit la gauche politique et la gauche sociale.
Les courants de la gauche politique devront affronter deux épreuves décisives et leur avenir dépend des réponses qu’elles y apporteront : 1. les politiques unitaires, les convergences et les regroupements d’organisations politiques, mais aussi les expériences communes avec des acteurs sociaux au sein de plateformes, de forums, de coordinations... engagés dans la lutte contre le capitalisme selon leurs propres critères ; 2. la traduction du discours anticapitaliste dans des politiques concrètes qui cherchent à lier les conflits actuels et les objectifs émancipateurs, que l’on désignera provisoirement, à défaut d’un nom largement accepté : « le socialisme du 21e siècle. » (…)
Il n’y a pas de temps à perdre, sans pour autant sombrer dans l’« urgence », qui est généralement très mauvaise pour le débat démocratique. Nous avons en effet besoin d’écoute, de réflexion et de dialogue pour permettre l’approfondissement de la discussion. Nous avons aussi besoin de temps pour comprendre les changements survenus dans le monde, au moins depuis le début de ce siècle. Enfin, nous ne pouvons pas surmonter en quelques mois les désaccords, les rendez-vous manqués et les conflits qui viennent de très loin entre organisations de la « gauche alternative » ; et ceci d’autant plus, qu’en raison de la faiblesse des luttes sociales, la pression à l’unité reste faible. Heureusement, je crois que la dynamique de la crise capitaliste va nous laisser un temps de réaction : on peut s’attendre au développement d’expériences de lutte et de débat qui pourront nous aider à trouver des solutions.
Crois-tu donc nécessaire de refonder la gauche ?
S’il s’agit de créer une nouvelle force politique anticapitaliste, capable de faire converger les secteurs politiques et sociaux qui lui donnent force et crédibilité, l’idée de « refondation » ne me semble pas adéquate. Avant de se battre sur les mots, il vaut mieux bien les choisir.
D’une part, le mot « refondation » me rappelle inévitablement l’expérience italienne de Rifondazione Comunista, incarnée par Fausto Bertinotti : un discours idéologique présenté avec beaucoup de succès comme antagoniste, mouvementiste, qui a succombé à la première opportunité de cooptation par le pouvoir. C’est une expérience négative très importante qui aurait dû être débattue davantage. Ce n’est donc pas un bon précédent.
D’autre part, la « refondation » n’est pas une idée générale, c’est concrètement le nom du projet actuel d’Izquierda Unida (IU). [1] (…)
Il faut suivre attentivement ce processus et maintenir la meilleure communication possible avec tous les membres d’IU intéressés à débattre avec d’autres courants. Mais ce n’est pas la « refondation de la gauche ». (…)
Parlons donc de convergence de forces, au lieu de refondation. La force organisée aujourd’hui majoritaire, c’est IU. Ensuite, Izquierda Anticapitalista (IA) [2], ainsi que des groupes et des plateformes très petits (sans parler des anciens militants qui, pour le moment, ont décidé de rester à la maison). De qui ou de quels courants devrait surgir l’initiative d’un tel processus de convergence ? Les conditions existent-elles maintenant ?
Pour être plus clair, commençons par la fin. « Maintenant », je ne vois pas les conditions d’une telle convergence de forces, auxquelles il faudrait ajouter une composante qui, pour moi, est décisive : la « gauche sociale », c’est-à-dire les militant-e-s des mouvements sociaux qui y mènent une politique anticapitaliste, mais ne s’intéressent pas à construire une organisation politique.
Il y a quatre conditions qui n’existent pas actuellement :
1. Un accord sur une ligne politique consistante, sur une orientation, et non sur une liste de revendications : comment « faire de la politique » dans les principaux conflits sociaux (relations au pouvoir d’Etat, « conflits de genre », crise économique, écologie, bien commun, immigration). (…) Il faut au départ un accord de base en profondeur, pas un « consensus » de convenance.
2. Un accord concret et crédible sur la démocratie interne, qui garantisse l’expression libre des divergences dans la vie commune (pas la coexistence à la sauce « post-moderne » – « je respecte » beaucoup ta pensée, mais je n’y prête pas attention – entre divers points de vue).
3. Une base sociale et une direction animées par des jeunes réfléchis et actifs, sans aucune ambition politique professionnelle, avec une culture « mouvementiste » importante, vaccinés contre les sectarismes.
4. En dernière instance, il faut des « envies », c’est-à-dire des attentes et des volontés de s’engager pour créer du neuf, en croyant que ça peut servir à sortir l’« espace anticapitaliste » des oubliettes où il se trouve depuis la défaite du référendum sur l’OTAN en 1986 [3].
La question des « envies » peut paraître peu « politique », mais elle a joué un rôle moteur essentiel dans les deux projets de convergence les plus intéressants de ces dernières années en Europe, qui ont eu le plus de succès – et aussi le plus de problèmes : le Bloc de gauche (BE) au Portugal et le Nouveau Parti anti-capitaliste (NPA) en France.
Qui devrait en prendre l’initiative ?
De nombreuses personnes qui ne militent ni dans IU ni dans IA verraient avec sympathie un projet unitaire de la gauche politique anticapitaliste. Ils pensent habituellement à un accord électoral qui éviterait la « soupe des sigles » et regrouperait les votes à la gauche du PSOE : une réponse au problème des « électeurs-trices » marqué par le scepticisme et la distance par rapport à un engagement politique majeur. En revanche, je pense que la grande majorité des militant-e-s de IU et IA ne voient pas de perspective concrète de regroupement, même si le thème de la « refondation » conduit à parler de convergence, d’ouverture, et que des militant-e-s y travaillent sérieusement.
En définitive, nous nous trouvons dans une situation de pré-convergence, dont les objectifs centraux consistent à créer les conditions politiques, organisationnelles, morales, etc. de convergences futures, sans se mettre à élaborer ou, pire encore, à présenter des manifestes, des calendriers, etc.
Dans cette pré-convergence, il faut valoriser les expériences qui vont dans une direction unitaire et se montrer très critiques envers celles qui vont en sens contraire. Par exemple, le travail commun – de l’ « espace anticapitaliste » et de personnes qui n’en font pas partie – contre la présidence espagnole de l’UE, va dans la bonne direction : il crée un climat de confiance, des habitudes de débat et de recherche d’accords sur des problèmes concrets, des relations entre le « social » et le « politique ».
Je ne crois pas, en ce moment, à l’utilité de « grandes initiatives » (rencontres solennelles, manifestes, appels de « personnalités »). Par contre, il est nécessaire de prendre des initiatives plus modestes qui aident à connaître les enjeux et à en débattre, qui créent un intérêt mutuel, qui poussent à tenir compte des opinions différentes au moment d’élaborer les siennes, non pas pour se différencier par rapport à elles, mais pour rechercher des points communs, etc.
Il y a quelques jours, lors de l’hommage rendu à Daniel Bensaïd (à la Mutualité de Paris), le philosophe Alain Badiou – qui a eu des débats de fonds, parfois très âpres, avec Daniel – disait qu’il le considérait comme un « compagnon lointain ». Il l’a dit cordialement, sans oublier les désaccords, mais en plaçant au premier rang le respect et l’intérêt pour « l’autre ». Je verrais bien, pour commencer, s’établir de tels rapports entre les différents courants de l’« espace anticapitaliste ».
Un aspect auquel on ne prête guère attention, mais qui me paraît un élément-clé : les membres des diverses organisations ne se voient pas comme des camarades. Dans certaines de ces organisations, on ne peut même pas parler de camaraderie. Les rivalités, les familles, les envies, les vendettas prédominent...
C’est un phénomène très général, qui touche aussi bien les organisations et les mouvements sociaux que des gens de tous âges et de toutes conditions. Il provoque des dégâts et induit une sélection négative parmi les personnes qui veulent s’organiser en rendant difficile l’entrée de ceux-celles qui cherchent simplement, dans la situation actuelle, à mieux s’engager dans l’action collective, mais qui ne supportent pas les bringues internes ; par contre, ça favorise l’entrée de ceux-celles qui, de manière incompréhensible, se complaisent dans une vie de conspiration perpétuelle.
Je crois qu’il faut rationaliser l’engagement militant. C’est l’une des conditions d’une vie collective saine dans les organisations de gauche. La politique révolutionnaire doit être une passion, mais pas la seule. Il manque des militant-e-s avec un engagement sérieux mais ouvert, sans obsession pour les sigles, intéressés et motivés par de nombreux autres aspects de la vie en dehors de la politique. Des gens ordinaires, qui ne sont pas des héros, ne croient pas l’être et ne veulent pas être considérés comme tels.
Théoriquement, les organisations de gauche se fondent sur la solidarité, mais pratiquement, la compétition entre groupes, fractions, affinités – quel que soit leur nom – est fréquemment si forte qu’on en arrive à considérer comme « ennemi principal » le camarade le plus proche avec qui on a des désaccords [4]
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Je voudrais croire qu’un programme ou une ligne politique qui s’identifie clairement avec des objectifs émancipateurs suffise pour s’affranchir de ces travers, mais ce n’est pas vrai. Nous prétendons rejeter les valeurs dominantes de la société capitaliste, le principe de la compétition en premier lieu, mais ce n’est pas suffisant. (…)
A mon avis, l’espace anticapitaliste doit faire sa « révolution culturelle » et fonder les relations militantes sur une fraternité laïque – composée de gens divers, qui discutent, ont des conflits, tentent de les résoudre par eux-mêmes, démocratiquement, sans recours à des adhésions inconditionnelles ou à des dirigeants charismatiques –, non seulement à l’intérieur de chaque organisation, mais aussi dans les activités communes : campagnes, plateformes, rencontres.
Comment le faire, à partir de la réalité existante ?
(…) Il est difficile de bien connaître « ce-qui-existe-réellement » dans la pensée et l’action critiques, parce qu’elles sont très éparpillées et que les canaux de communication entre elles font dramatiquement défaut. (…). Les « bonnes réponses » devraient s’élaborer dans des cadres militants collectifs, en relation directe avec ce qui bouge « en bas » : sur cette base, on peut prendre des initiatives qui permettent d’apprendre par l’expérience, en analysant les bons et mauvais fonctionnements. Dans une situation politique aussi plate, aussi bloquée, aussi triste que celle que nous vivons depuis bien longtemps, seule la pratique sociale peut ouvrir et faire apparaître des brèches. Entretemps, nous marchons à tâtons.
Une perspective renvoyée aux calendes grecques...
Non, je vais donner quelques idées sur les difficultés et les problèmes. Nous parlons beaucoup de mécanismes pour analyser et tenter de résoudre la crise de « la gauche alternative » : « refondation », « convergence »... Mais nous parlons beaucoup moins de la question fondamentale : quel devrait être l’objectif politique qui articule l’espace anticapitaliste à moyen terme ? A mon avis, ce devrait être la destabilisation du système politique à gauche par la mobilisation sociale.
C’est l’unique voie qui permette de susciter l’espoir de changements importants dans les domaines sociaux et politiques qui retiennent l’attention des gens : le chômage, la politique économique et fiscale, la privatisation des services publics existants et l’absence de services publics essentiels (particulièrement dans les « soins » au sens large), le changement climatique, la corruption de l’administration publique, le pouvoir absolu des juges, etc. Ces attentes sont la clé de contact de l’action sociale. Car tout le monde sait par expérience ce que l’on peut attendre de la « gouvernance » existante : dans le meilleur des cas, une lente dégradation. (…)
Cette déstabilisation doit inclure un changement radical à gauche. Avec la carte actuelle – le PSOE majoritaire, IU exerçant une pression faible et subalterne, les CC.OO [5] et l’UGT [6] auto-limitées au « dialogue social » –, il n’y a aucune possibilité d’opposer des politiques de résistance efficaces à une offensive capitaliste en règle, sans parler de politiques anticapitalistes. On le voit aujourd’hui avec l’acceptation de la diminution des cotisations patronales à la sécurité sociale par le gouvernement et avec la résignation des grands syndicats à la « réforme du travail ».
Les politiques qui se basent sur l’« unité » PSOE-IU-CC.OO-UGT se soumettent à la « gouvernance » existante et finissent par la légitimer. Il est clair qu’une politique anticapitaliste ne peut se réaliser qu’avec un appui social très majoritaire. Mais nous avons besoin aujourd’hui d’une force sociale et politique qui se différencie de la « gauche majoritaire », qui assume un haut degré de conflictualité avec elle et soit capable de le traduire en termes compréhensibles pour les gens qui se considèrent « de gauche ». La « gauche alternative » ne doit pas se réfugier dans la marginalité, mais être radicale dans la politique concrète.
Les camarades du Bloc de gauche (Portugal) affirment que leur objectif est « la destruction de la carte politique traditionnel du pays ». Cela me paraît une excellente formulation d’un objectif général pour la gauche anticapitaliste européenne. Au Portugal, ils ont les moyens de faire une politique concrète avec cette idée. Il est clair que nous en sommes encore loin, ici. Mais au moins faut-il savoir où nous voulons aller, quel est l’horizon de notre travail.
Mettre cul-par-dessus tête le système de partis dominant ?
On peut le formuler ainsi. Je pense qu’il faut briser ce verrou pour rendre possible une politique anticapitaliste.
Mais pour avoir une idée des obstacles à affronter, les objectifs ne suffisent pas, il est vital de connaître le point de départ. Il est marqué par la désagrégation de ce que j’appelle l’« espace anticapitaliste ». Il faut donc le raccommoder, et pour cela, il me semble que les priorités à moyen terme tournent autour de la « connection » (le débat respectueux, l’intérêt et la connaissance des idées et des propositions des différents courants, l’absence de tabous...) et de l’« articulation » (l’organisation d’actions communes), en cherchant des points de rencontre – pas nécessairement d’accord – entre les différentes organisations et mouvements. N’est-il pas très important de se rencontrer, précisément lorsque des désaccords s’expriment ? De telles rencontres permettraient de débattre des thèmes les plus divers : questions théoriques, expériences internationales, questions plus proches de la situation espagnole.
Pour le moment, il existe pas mal d’expériences positives d’articulation consensuelles, c’est-à-dire limitées aux thèmes qui ne font pas débat, ou qui évitent les thèmes de réel ou potentiel désaccord : par exemple, l’organisation de la campagne alternative sur la présidence espagnole de l’UE. Il y a aussi des expériences de débats entre porte-paroles d’organisations politiques et sociales, par exemple au Forum social de Madrid (fin janvier 2010) ; mais je crois que ça n’a pas bien marché, surtout en raison d’un poids excessif du débat entre IU et IA autour de thèmes qui apparaissent comme le produit exclusif de rivalités mutuelles.
Néanmoins, comme tu l’as déjà dit, les conditions d’une convergence significative n’existent pas.
Il reste beaucoup à faire. Les questions d’articulation dépendent des organisations. Il ne faut pas perdre les acquis, mais peut-être peut-on prendre des initiatives plus risquées : par exemple, une campagne commune sur un thème chaud de l’actualité politique espagnole, qui propose une alternative radicale à la politique gouvernementale. Ou peut-être une initiative électorale, mais ce serait sans doute beaucoup plus compliqué et conflictuel.
Quant aux questions d’interconnection, il me semble qu’il ne faut pas les laisser aux mains des porte-paroles et des dirigeants des organisations impliquées, bien que ceux-ci aient sans doute un rôle important et – à long terme – décisif à jouer. La discussion peut être plus flexible et plus ouverte entre personnes qui n’ont pas de fonctions représentatives, et ne sont pas obligées de traduire leurs opinions dans des décisions collectives. Je ne pense pas à la terrible figure des « indépendants » - un de mes amis les nomme « les casques bleus » de la politique – qui se donnent un rôle d’arbitres, planant au-dessus des conflits que vivent le commun des mortels. Je pense à des gens qui – organisés ou non – s’impliquent dans les problèmes et les défis de la « gauche alternative » et veulent contribuer à les résoudre en exprimant librement leurs opinions.
Je crois qu’il serait très positif de créer dans l’espace anticapitaliste une sorte d’agenda ouvert de thèmes politiques débattus, sur lesquels on ouvrirait la discussion, avec des contributions et des répliques sérieuses, respectueuses sur la forme et claires sur le fond. La presse militante pourrait – et nous pourrions – jouer un rôle important dans ce sens. (…)
Pour terminer, as-tu encore quelque chose à dire ?
A l’époque de la clandestinité, il fallait d’abord se garder de la police. Maintenant, sans perdre celle-ci de vue, je crois qu’il faut fixer notre attention sur les pouvoirs judiciaire et médiatique. Il me semble que la gauche anticapitaliste n’est pas suffisamment consciente de ces enjeux.
L’insoumission à un système injuste est un droit démocratique, même si c’est illégal : plus elle sera forte, plus grande sera la répression judiciaire. Bien qu’il n’y ait pas encore de grands conflits sociaux, des preuves de cette menace apparaissent déjà contre les immigrant-e-s, les moyens de communication dissidents, les centres sociaux occupés, les cliniques qui effectuent des avortements, les actions de désobéissance civile, les manifestations ou les grèves considérées comme « sauvages », etc.
Face à cette offensive, il faut créer et développer des recours, des dispositifs de défense. Les mouvements d’insoumis dans les années 1980 sont une bonne référence. Les expériences internationales sont aussi utiles. On a diffusé récemment un article excellent de Angel Ferrero sur la rébellion citoyenne contre la « poll tax » au Royaume-Uni [7]. Une lecture à recommander, non pour mémoire, mais pour préparer l’avenir [en espagnol sur : www.sinpermiso.info].
D’autre part, malgré l’existence de nombreux – et parfois très bons – moyens de communication alternatifs, la gauche continue à dépendre, pour s’informer et pour informer, des médias conventionnels, à l’exception très spécifique de la gauche abertzale (indépendentiste basque). Le coût politique de ce manque d’autonomie me paraît très élevé : il n’est pas nécessaire de donner des exemples, parce que nous en consommons chaque jour une bonne ration ; l’apparition de Público a amélioré le panorama, mais seulement grâce à quelques signatures et sur certains thèmes.
L’« espace anticapitaliste » ne pourra pas se développer sans une autonomie de l’information par rapport aux médias conventionnels, c’est-à-dire sans compter sur des médias alternatifs utilisés quotidiennement comme source d’information ou, au moins, comme « source d’appoint » contrastant avec la (dés)information pratiquée par les médias conventionnels.
Nous avons un problème d’offre, mais aussi un problème de demande.
Je commencerai par la demande : seule une partie très réduite de la « gauche alternative » s’informe via la presse alternative. Ce n’est pas facile à faire : ça demande du temps et il faut savoir se mouvoir dans l’avalanche des pages web, acheter ou s’abonner aux publications imprimées qui n’ont pas les moyens, ni la périodicité suffisante pour faire de la contre-information sur l’actualité immédiate, etc. Mais, peut-être parce que c’est considéré comme un objectif inatteignable, il ne me semble pas que l’on ressente assez la nécessité de compter sur une presse propre, de bonne qualité et capable d’influencer l’opinion face à l’establishment médiatique ; de plus, la diffusion atteinte par nos médias est bien inférieure à l’effort nécessaire pour les réaliser, comme à la qualité que nous réussissons à leur donner.
Mais il y a aussi un problème d’offre : il manque un média, ou quelques médias, avec une orientation clairement critique, avec une information crédible, qui s’intéresse à tout ce qui se rebelle contre le système et qui puisse se connecter avec la pluralité des expressions de cette rébellion. Quel pourrait être le meilleur support ? Ce n’est pas évident : je pense à la télévision par Internet, mais c’est seulement une idée. Par contre, deux choses sont claires : 1. ce média devrait être porté par des journalistes jeunes ; 2. il devrait se baser sur la coopération entre diverses organisations sociales et politiques et sur l’engagement de leurs membres à le soutenir. Dans l’ensemble, ils pourraient être des milliers à alimenter économiquement un tel projet, ce qui serait un support suffisant. Pour travailler à la convergence de la gauche, ce serait un outil splendide et irremplaçable.
Quelque chose à ajouter ?
Un dernier point. Je ne sais pas si en critiquant l’« urgence » et en posant des objectifs de convergence à moyen terme, je donne l’impression que ces problèmes vont se résoudre d’eux-mêmes. Si tel est le cas, je veux dire clairement que ce n’est pas mon opinion. Construire une référence politique large de la gauche anticapitaliste me paraît une tâche d’une grande actualité, mais cette référence devrait être la conclusion d’un processus de convergence entre différentes composantes de l’espace anticapitaliste, dont les progrès peuvent se concrétiser dans la pratique d’aujourd’hui. Je crois beaucoup dans une telle possibilité et j’espère que l’organisation politique dont je suis membre, Izquierda Anticapitalista, contribue à les réaliser. Le débat ne porte pas sur l’objectif, mais sur les moyens d’y parvenir.
Miguel Romero