Introduction
Depuis la résolution adoptée au XIe congrès mondial en 1979 et intitulée : “La révolution socialiste et la lutte pour la libération des femmes” [1], des modifications importantes sont intervenues dans les formes prises par la radicalisation des femmes.
La résolution de 1979 prenait acte de la renaissance, à une échelle de masse, d’idées et d’organisations féministes. Elle intervenait à la fin d’une période marquée par des mobilisations de grande ampleur sur la question de l’avortement, par l’auto-organisation de franges non négligeables de la population féminine et par des luttes ouvrières où les femmes avaient joué un rôle important.
Rompant avec une tradition d’indifférence ou de méfiance de notre mouvement à l’égard du féminisme, le texte prônait la construction dans tous les pays de mouvements autonomes de femmes, selon des modalités qui restaient à apprécier en fonction des situations locales. Il était toutefois affirmé le caractère stratégique de la construction de tels mouvements, condition indispensable à la remise en cause de l’oppression des femmes et à la réalisation d’un socialisme authentique.
Dés lors force est de constater le recul du “féminisme organisé”, sans pour autant que cela signifie un déclin généralisé de la radicalisation des femmes. Le centre de gravité de cette radicalisation s’est déplacé, ainsi que les canaux par lesquels elle s’exprime. Le défi fondamental auquel sont confrontées les féministes est de trouver les moyens de se lier aux nouvelles générations de femmes qui se radicalisent, afin de construire des mouvements féministes qui préservent les acquis des années passées et qui pourront de nouveau peser sur la scène politique.
Le recul s’explique probablement par deux facteurs qui se sont conjugués. La crise économique a permis une modification des rapports de force d’ensemble en faveur de la bourgeoisie ; les organisations réformistes ont accepté la logique de l’austérité. Dans certains pays les média ont cultivé l’idée que nous serions maintenant dans une époque “post-féministe”, où l’égalité entre les sexes serait déjà réalisée. Dans ce contexte, marqué également dans beaucoup des pays par une relative absence d’activité ouvrière, la faiblesse des mouvements des femmes a signifié que ceux-ci ne pouvaient aller à contre-courant et imposer des revendications anti-capitalistes, alors que l’idée de réaliser une réelle libération des femmes paraissait relever de l’utopie.
Au cours des années 1970, il était possible pour les divers courants du mouvement des femmes de s’unir et d’engager des actions de masse en alliance avec les organisations syndicales et démocratiques au niveau national et international pour gagner et défendre les droits des femmes, tels l’avortement. L’octroi de réformes légales a freiné ce type de mobilisation.
L’analyse que nous faisons de la nature de l’oppression des femmes n’a pas changé. L’impératif de construction d’un mouvement autonome — seul garant que la lutte contre l’oppression soit menée de manière radicale et efficace — n’a nullement disparu. Reste à adapter les modalités tactiques à une conjoncture nouvelle.
I. Les changements dans la situation des femmes et les différentes politiques bourgeoises
Les tendances générales dans la situation sociale des femmes, comme elles avaient été décrites dans la résolution de 1979 restent fondamentalement valables aujourd’hui, mais il faudrait y incorporer des éléments nouveaux :
· Les femmes, de toutes âges et toutes situations familiales, continuent à entrer massivement au monde du travail, bien que leur intégration au salariat passe pour l’essentiel par l’intermédiaire du travail à temps partiel. La discrimination salariale et la ségrégation nette entre des emplois “masculins” et “féminins”, qui se manifeste dans la formation, l’avancement, les conditions du travail, etc., continue et se renforce même.
· Il existe des possibilités techniques accrues pour que les femmes contrôlent leur propre capacité de reproduction, mais dans la majorité des cas celles-ci sont limitées par une législation limitant le droit des femmes à décider.
· Les femmes continuent à être présentes massivement dans l’éducation nationale jusqu’au niveau du baccalauréat et de la première année de faculté. Les écoles mixtes n’ont pas signifié une véritable égalité dans l’éducation. La présence des femmes dans les universités se limite aux facultés des arts et lettres et de toute manière elle diminue nettement aux niveaux supérieurs.
· Le développement d’une législation qui établit des “droits égaux” formels, interdisant par la loi la discrimination, sanctionnant les agressions sexuelles, etc, mais sans prendre des mesures positives pour aider les femmes à surmonter leur situation historiquement désavantagée.
· Le nombre croissant de femmes qui choisissent de vivre seules, avec ou sans enfants, comme en témoigne l’accroissement de demandes de divorces faites par les femmes, de familles monoparentales, de femmes célibataires, etc. Evidemment cette situation n’est pas toujours le résultat du libre choix : dans la mesure où elle l’est effectivement, elle est rendue possible par l’indépendance accrue des femmes sur les plans économique et légal.
· Les femmes noires et immigrées continuent à subir le racisme, ce qui se combine avec et renforce leur oppression en tant que femmes.
· Une plus grande reconnaissance sociale et un rejet des mauvais traitements au sein de la famille et des violences sexuelles faites par les hommes aux femmes
· La participation accrue des femmes dans des sphères de la vie publique jusqu’ici réservées aux hommes ; l’exclusion a été remplacée par l’intégration dans des conditions d’inégalité, dans toutes les sphères de la vie publique et sociale.
· Libéralisation des pratiques et moeurs sexuelles, reconnaissance des femmes en tant qu’êtres ayant le droit à leur sexualité, bien que cela ne s’exprime toujours pas par une égalité sexuelle accrue entre les hommes et les femmes.
Tout cela reflète l’activité politique des organisations féministes et signifie un développement important de la conscience des femmes, de leur autonomie personnelle et confiance en soi ; ainsi qu’une modification des stéréotypes qui avaient été socialement établies pour les hommes aussi bien que pour les femmes. Tous ces éléments ont créé une situation différente de celle de 1979, plus complexe bien que contradictoire.
Cette réalité a été constatée par les défenseurs de l’ordre économique et sociale existant, qui ont été obligés de reformuler leur discours afin que celui-ci paraisse plus adapté à la nouvelle situation. Elle a aussi conduit à une différenciation dans les politiques élaborées, bien qu’il subsiste évidemment un solide accord sur le fond pour préserver l’institution de la famille, laquelle constitue le pilier fondamental de l’oppression, et du maintien des femmes dans la force de travail, sous une forme particulière. Mais la bourgeoisie est loin d’avoir un seul projet clairement défini pour atteindre ses buts.
A. Les modifications dans la famille traditionnelle et les différentes politiques bourgeoises
Les changements indiqués ci-dessus ont introduit des fissures importantes dans le modèle traditionnel de la famille, lequel était défini par le cloisonnement des femmes dans le foyer, s’y consacrant aux tâches ménagères et aux enfants, ainsi que par les rapports de domination qui y existaient.
Parmi ces changements :
– l’augmentation du nombre de couples non-mariés vivant en cohabitation ;
– l’accroissement important du nombre de familles monoparentales ;
– la progression énorme du taux de divorces ;
– l’augmentation du nombre de lesbiennes et homosexuels qui vivent leur sexualité ouvertement et avec fierté ;
– le déclin des naissances, ce qui reflète un changement dans l’attitude des femmes, qui ne veulent plus avoir comme seule préoccupation d’élever leurs enfants ;
– l’augmentation du nombre de plaintes déposées devant les tribunaux pour violences au foyer constitue un indice important du développement de la confiance en soi de la part des femmes et les fissures qui s’opèrent dans les rapports de dépendance affective et sexuelle des femmes à l’égard de leurs maris.
Ce changement dans la conscience des femmes et le rejet par la société des manifestations les plus brutales de l’oppression des femmes a aussi suscité une attention accrue aux problèmes qui existent dans la famille : couverture dans les médias et campagnes sur la question des femmes battues aux années 1970 ; dénonciations récentes des abus corporels et sexuels des enfants au sein de la famille ; problèmes des enfants des parents séparés. Cependant, il n’existe pas d’équipements sociaux (centres pour femmes battues, etc.) en nombre suffisant pour répondre à la demande.
Il existe plusieurs réponses à cette situation de la part de la bourgeoisie, lesquelles reflètent aussi des particularités nationales :
a) Constante propagande pour l’idéal du couple marié et heureux dans une union permanente, avec une mère de famille responsable de la maison et des deux enfants, ce malgré le fait que la plupart des femmes travaillent. Ceci s’applique tout particulièrement à la famille ouvrière blanche. Le capitalisme s’occupe moins de la défense ou de l’unité des familles noires et immigrées, lesquelles il cassera volontiers au travers de lois sur l’immigration, d’ordres d’expulsion ou de harcèlements policiers.
A signaler également, l’insistance par les bourgeoisies européennes sur les “conséquences dramatiques” de la chute du taux de natalité. La nécessité d’inverser cette tendance” est évoquée pour renforcer l’idée que le rôle des femmes se trouve dans la famille, pour produire des enfants (ceci à l’intention des femmes blanches). En même temps cette campagne prépare le terrain pour des coupes sombres dans les dépenses sociales et pour rejeter la responsabilité — surtout en ce qui concerne la responsabilité pour les personnes âgées — sur la famille, sous prétexte qu’il n’y aura pas à l’avenir assez de travailleurs pour cotiser aux fonds de sécurité sociale.
b) Certains secteurs de la bourgeoisie sont devenus plus flexibles sur des questions telles le statut des enfants nés hors de mariage ou la reconnaissance légale du concubinage. Cette flexibilité a comme but d’incorporer les changements structurels dans le mode de vie des gens dans le système actuel, parce que le capitalisme a besoin que la famille nucléaire continue d’exister et de servir comme modèle général, même si d’autres variantes peuvent être acceptés.
Aucune alternative à ce mode de vie existe à une échelle de masse. Aux indices cités pour démontrer la “crise de la famille,” peuvent être opposés dans une série pays d’autres indices, par exemple l’augmentation du nombre des mariages, la possibilité d’enregistrer des enfants “illégitimes” aux noms des deux parents, l’intégration au norme de certains types d’homosexuels “acceptables” (blancs, masculins et petits-bourgeois), en leur proposant la possibilité de “mariage”, etc.
c) Certains secteurs ouvertement réactionnaires de la bourgeoisie utilise la “crise de la famille” afin d’exiger des mesures de rétablissement de l’ordre moral — en Europe cela inclut souvent l’idée d’un salaire maternel, rongeant les revenus de parents seuls, ainsi que des attaques contre les lesbiennes et les homosexuels. Ces courants sont aujourd’hui très marqués à l’extrême droite de l’éventail politique, même si certains églises se sont mises à l’avant-garde de ce combat, mais ils ont eu quelques succès dans l’Etat britannique et en Allemagne, et ils exercent une influence sur la pensée bourgeoise dominante sur la question de la famille. Aux Etats-Unis, ces courants ont une base de masse plus importante et ont été ouvertement encouragés par certains gouvernements.
Ceux et celles qui ne s’adaptent pas à la famille nucléaire ou au modèle sexuel dominant sont souvent considérés comme marginaux, alors que les femmes qui acceptent les règles du comportement social plus ou moins établies sont vus plus favorablement.
B. Une salarisation massive des femmes selon des modalités liées à leur oppression spécifique
Contrairement aux prédictions les plus pessimistes, la crise économique n’a pas entraîné un renvoi des femmes au foyer. Dans tous les pays européens, le taux d’activité féminin a continué à croître. Même si le taux de chômage des femmes est partout supérieur à celui des hommes, il y a eu, nulle part, une volonté systématique --- comme ce fut le cas aux années 1930 — de remplacer la main d’œuvre féminine par la main d’œuvre masculine.
Les raisons sont évidentes. Outre les réticences des femmes qui auraient beaucoup moins accepté qu’auparavant un renvoi au foyer, ce sont les modifications de l’organisation économique depuis 40 ans qui sont responsables de cette nouvelle attitude des bourgeoisies. Le développement du tertiaire s’est traduit par la création d’un salariat féminin nombreux, faiblement qualifié, mais suffisamment tout de même pour ne pouvoir être remplacé du jour au lendemain par un OS de la métallurgie ou un mineur débauchés.
En outre, la faiblesse des salaires versés aux femmes encourage le patronat à conserver cette main d’œuvre. Cette salarisation continue des femmes a une ampleur différente selon les pays. Mais les formes qu’elle prend restent partout surdéterminées par la situation de domination qui pèse sur les femmes. Le capitalisme moderne se trouve face à une contradiction, car elle dépend du travail des femmes à l’extérieur du foyer, mais aussi du travail féminin “gratuit” au foyer.
Les conditions précaires dans lesquelles les femmes sont intégrées au salariat constitue un tout, qui part de la discrimination dans la formation professionnelle, les conditions d’embauche et les salaires pour finir dans la féminisation de la pauvreté.
Les expressions de cette insertion spécifique des femmes dans le monde du travail sont les suivantes :
a) L’augmentation du travail à temps partiel
C’est dans les pays où le taux d’emploi féminin est le plus élevé que la proportion du temps partiel est la plus importante. Le travail à temps partiel a tendance à être exclusivement féminin : 80 % de tous les travailleurs à temps partiel sont des femmes, et en RFA et au Danemark ce chiffre s’élève à 95 %. La majorité de travailleuses en Grande-Bretagne — le premier pays européen à introduire le travail à temps partiel sur une large échelle — sont à temps partiel. Cette forme d’emploi implique des bas salaires, un statut inférieur, un degré élevé de productivité, des carences en matière d’organisation syndicale et du point de vue des droits liés à la maternité.
Le manque d’équipements sociaux adéquats pour la prise en charge des enfants en deçà de l’âge scolaire constitue le principal facteur poussant les femmes à travailler à temps partiel. Bien que pour elles ce type de travail semble constituer la seule issue, d’autres femmes — surtout jeunes — désirent travailler à plein temps mais ne trouvent pas d’emplois.
Les syndicats en Europe n’ont en général pas répondu aux besoins spécifiques des travailleurs à temps partiel.
b) La ségrégation de l’emploi
L’extension du travail féminin ne s’est pas répercutée sur l’éventail de l’ensemble des emplois et des branches professionnelles. La ségrégation de l’emploi s’est même renforcée avec l’augmentation du taux d’activité des femmes et constitue le principal facteur du maintien de salaires féminins plus bas que le moyen. Les femmes sont majoritairement dans les services plutôt que dans l’industrie. Parmi les ouvrières semi-qualifiées, la plupart occupent des emplois distincts de ceux des hommes, par exemple le câblage et le travail de routine à la chaîne. Et malgré des législations anti-discriminatoires et des changements dans l’éducation, on n’a pas non plus constaté de percée des femmes dans les métiers traditionnellement masculins ni une augmentation significative du nombre de femmes dans les professions supérieures.
c) Les nouvelles technologies
Une révolution silencieuse est en cours, qui s’appuie sur les nouvelles technologies pour structurer et restructurer la division sexuelle hiérarchisée du travail dans les entreprises, en un moment où le mouvement ouvrier est sur la défensive. Ces innovations sont adaptées aux intérêts d’une société capitaliste, impérialiste et patriarcale.
L’introduction des nouvelles technologies n’entraîne pas seulement une diminution d’emplois, elle se traduit également par une détérioration des conditions de travail des femmes. Selon des enquêtes récentes concernant le secteur tertiaire, les femmes n’offrent tout simplement pas les « caractéristiques avantageuses » — qualifications acquises sur le tas, cursus professionnel continu, mobilité géographique — pour bénéficier des occasions qui se présentent au niveau de la gestion ou des postes de direction. Les hommes sont plus souvent incités à suivre les cours de formation afin de se requalifier, alors qu’on retrouve les femmes dans les postes les moins qualifiés (par exemple, traitement des données sur écran plutôt que dans le secteur de la programmation).
d) Flexibilité et réorganisation du travail
Pour rentabiliser au maximum les nouvelles machines, les capitalistes exigent que la main d’œuvre travaille jour et nuit — ce qui les amène à introduire le travail en équipes et pendant le weekend et à tenter de faire abolir l’interdiction du travail de nuit pour les femmes. Un nombre croissant d’entreprises (banques, compagnies d’assurances) proposent aussi d’exploiter le double rôle des femmes en installant des terminaux à domicile.
Les arguments utilisés pour tenter de convaincre les travailleuses d’accepter la flexibilité du travail ne sont pas les mêmes que pour les hommes. Aux unes, on met l’accent sur la possibilité de combiner “leurs” responsabilités familiales avec un emploi salarié. Aux autres, on propose surtout un temps de loisir plus étendu.
Toutes les attaques que nous venons d’énumérer vont dans le sens de l’introduction des emplois, horaires, salaires et structures d’emplois flexibles. La classe dominante s’efforce de créer une ligne de démarcation entre une petite minorité de travailleurs qualifiés — en général des hommes de la nationalité dominante — et une couche marginale croissante de travailleurs (composée de femmes, d’une partie de la jeunesse, des immigrés et des hommes non qualifiés), sans qualification, ne disposant pas d’un emploi permanent et sans couverture sociale. Pour ce faire le patronat a besoin de conforter la division sexuelle du travail dans l’entreprise au moment même où il réorganise la production pour atteindre ces objectifs.
e) Le chômage et la sécurité sociale
Depuis 1974 la baisse de la croissance économique et la montée du chômage se sont avérées plus fortes qu’à aucun moment depuis la Deuxième Guerre mondiale. Dans presque tous les pays le chômage féminin est supérieur au chômage masculin — en Autriche, en Grèce et au Portugal il est deux fois plus élevé . (Bien sûr, les statistique officielles du chômage cache l’ampleur véritable du chômage féminin, car beaucoup de femmes renoncent à s’inscrire dans les agences de l’emploi).
Aucun Etat capitaliste reconnaît jamais les femmes comme travailleurs à titre d’égalité avec les hommes. Nous pouvons donner comme exemple la série de mesures adoptées récemment dans plusieurs pays européens et qui vont dans le sens d’une exclusion de plus en plus grande des femmes de la protection sociale, alors que les femmes mariés sans emploi n’y ont jamais eu le droit. Les nouvelles restrictions des allocations chômage accordent la priorité aux chefs de famille (qui sont en général des hommes). De telles mesures renforcent l’illusion que la place des femmes est au foyer et que le travail des femmes ne fournit qu’un “supplément” aux revenus familiaux. Ce faisant, elles nient le droit des femmes à l’indépendance économique.
C. Les attaques contre le droit à l’avortement et la liberté de disposer de son corps
a) Les Etats-Unis ont été sur la première ligne des attaques contre le droit à l’avortement, avec la tentative récente de renverser le jugement de Roe versus Wade de 1973, lequel a accordé aux femmes un droit constitutionnel à l’avortement. Cette attaque juridique frontale se combine à une mobilisation fanatique à la base des secteurs extrémistes de la “Majorité morale” et des églises évangéliques, qui consiste en incendie de cliniques, harcèlement des femmes qui essaient d’y pénétrer, etc. Il semble pourtant que le Parti républicain va atténuer sa position dure contre l’avortement qui — contrairement aux prévisions — s’avère lui coûter des voix.
L’offensive contre le droit à l’avortement s’est aussi développée de manière moins directe au travers des tentatives de limiter la portée de la législation actuelle : en réduisant la limite de temps ou en limitant le droit des femmes à décider elles-mêmes, en accordant des droits plus étendus aux parents, aux maris ou amants, en exigeant l’autorisation parentale pour les mineures, etc. Ces tentatives suscitent une réaction massive de rejet, exprimée dans des mobilisations. Dans certains pays (Belgique, Etat espagnol) nous avons vu des grandes mobilisations visant à étendre la portée de la législation existante.
Une autre ligne d’attaque est constituée par les restrictions sévères affectant les ressources disponibles dans le domaine de la santé, lesquelles ont eu des conséquences négatives sur l’accès à l’avortement.
Les soi-disant mouvements pro-vie, qu’on devrait plutôt appeler “pro-foetus”, sont en train d’orchestrer une campagne internationale avec des moyens et des ressources économiques considérables, à quoi il faut ajouter le soutien de secteurs de l’establishment politique, juridique et médicale. Ils essaient de modifier dans leur sens un climat social que l’action du mouvement féministe a rendu favorable à l’avortement. Ces forces tiennent un discours tendant à criminaliser et à culpabiliser les femmes, se servant des média, de l’école, etc., avec une rhétorique et une propagande particulièrement agressives.
Cependant, l’avortement comme droit n’est jamais sûr sous le capitalisme, tant il rentre fortement en conflit avec le rôle de subordination qui est attribué aux femmes dans notre société. En fait, tous les changements légaux dans ce domaine se sont refusé à considérer l’avortement comme un droit des femmes — ils présentent au contraire la législation en la matière comme un “mal nécessaire” du monde moderne. Nous ne sommes certainement pas près de voir la fin de ce type d’attaques. Mais dans le même temps, la bourgeoisie sait qu’elle doit compter avec la capacité de résistance des femmes face à toute remise en cause de ce droit, aussi limité soit-elle. Car la très grande majorité des femmes considèrent maintenant qu’il s’agit d’un élément fondamental dans la bataille pour leur indépendance.
Il y a aussi eu une série d’attaques contre d’autres aspects du droit des femmes à disposer de leur propre corps, autour des questions des mères porteuses, des nouvelles techniques de reproduction et d’insémination artificielle.
b) La réponse des gouvernements bourgeois à l’épidémie du SIDA a consisté en une vague d’hostilité dirigée tout particulièrement contre la communauté homosexuelle masculine, avec des exigences relatives au recensement et à la ségrégation de victimes réelles ou potentielles. Alors que les statistiques américaines montrent que seulement 8 % des malades du SIDA sont des femmes, à New York cette maladie est la principale cause de mort parmi les femmes entre 15 et 50 ans. L’extension du SIDA au-delà de la communauté homosexuelle a contraint la plupart des gouvernements occidentaux à prendre cette maladie plus au sérieux. Cela s’est traduit par quelques campagnes d’éducation sur les relations sexuelles “sans risque” dans les média ou dans les écoles. Toutefois, la droite s’appuie sur ce thème pour s’en prendre à la liberté sexuelle en général. Il a aussi été utilisé pour renforcer l’idéologie raciste.
D. Les coupures dans les dépenses publiques
Un des symptômes de la crise économique est la tendance de la bourgeoisie à effectuer des coupes sombres dans les coûts de reproduction de la force du travail. Les services sociaux coûtent plus chers que le travail ménager effectué gratuitement par les femmes.
L’Etat vise à faire reporter le poids de ces services sur la famille individuelle. Les attaques contre le droit au congé maternité, contre les crèches et les maternelles, les services médicaux et les services communautaires contribuent non seulement à augmenter le taux de chômage féminin, dans la mesure où il s’agit de secteurs à main d’œuvre essentiellement féminine, mais également à accroître le travail gratuit et l’oppression des femmes à la maison.
E. Les femmes dans les institutions politiques bourgeoises
a) les droits légaux
Au cours des années 1970 la plupart des gouvernements, de droite comme de gauche, ont introduit — sous la pression des mobilisations des femmes — une série de réformes légales fondamentales concernant les droits des femmes, bien que la tentative des féministes américaines pour consacrer l’égalité des droits dans la constitution fût mise en échec après une dure bataille. Toutefois, les lois ainsi obtenues se sont avérées peu efficaces pour introduire un changement réel. L’approfondissement de la crise économique fait que les gouvernements sont encore moins désireux qu’avant d’assumer eux-mêmes les coûts supplémentaires que l’application de ces lois impliquerait ou de les imposer aux employeurs. Mais en tout état de cause, ces lois ont eu un effet important en ce qu’elles ont accru les aspirations des femmes ainsi que leur détermination à se battre.
b) Les femmes en tant qu’électrices
Le changement de position sociale des femmes est allé de pair avec un changement dans le type de soutien qu’elles apportent aux partis politiques existants. Avant la Deuxième Guerre mondiale le schéma général était qu’un plus grand nombre de femmes que d’hommes votait pour les partis de droite. On constate maintenant une inversion de ce point de vue.
Une série de partis de droite comme de gauche ont mis en avant toutes sortes de tactiques pour remporter les suffrages féminins. Cela a pris différentes formes, y compris des arguments d’un pseudo-féminisme radical (« re -valori sation de la maternité », la réconciliation entre la vie de famille et le travail), la mise en place des ministères des droits des femmes, la féminisation de leur image, etc.
c) Les femmes dans les institutions politiques bourgeoises
La très faible représentation des femmes dans les assemblées législatives et dans les gouvernements a conduit à une revendication de plus en plus forte quant à la nécessité de réformes. Certains partis bourgeois y ont répondu par des tactiques visant à augmenter la représentation des femmes, mais il faut souligner combien cela a eu peu d’effet jusqu’ici. On a constaté une légère augmentation, atteignant 20 % - 28 % dans les pays scandinaves et aux Pays-Bas, mais ne dépassant pas 10 % ou 12 % dans les autres pays impérialistes d’Europe.
II. Les stratégies réformistes vis-à-vis des femmes
Les directions réformistes sont prises dans la contradiction entre le maintien de leurs rapports traditionnels avec la base des organisations ouvrières de masse, et par conséquent avec les femmes en leur sein qui commencent à exprimer des aspirations spécifiques, et leur logique globale qui consiste à “gérer la crise capitaliste”. Nous assistons à une progression des idées réformistes parmi certains secteurs du mouvement des femmes.
Le discours réformiste varie de pays à pays. Le cadre général est plutôt marqué par une attitude favorable à l’égalité des droits, mais sans la volonté d’entreprendre l’action positive nécessaire pour que cette égalité devienne réelle. Dans certains pays l’argument est que “l’essentiel est gagné". Ailleurs, là où on applique un vernis plus spécifiquement féministe au discours réformiste, on entend des arguments pour que les bas salaires féminins soient augmentés au moyen d’une politique de revenus. De plus en plus, les dirigeants réformistes, qu’ils soient au pouvoir ou non, sont poussés vers la droite — vers l’acceptation de la crise capitaliste et le refus de se battre contre les inégalités fondamentales que connaissent les femmes dans le travail et dans la société. Dans la mesure où le mouvement ouvrier se limite aux préoccupations étroites, économistes des secteurs industriels traditionnels de la classe ouvrière, les partis de la classe dirigeante aura quelques succès en attirant des couches de femmes sous leurs bannières soi-disant “féministes”.
a) Les directions syndicales
En soi, les orientations adoptées formellement par de nombreux syndicats depuis 20 ans apparaissent comme relativement progressistes. Mais les structures spécifiques mises en place au milieu des années 1970 dans les unions locales ou les entreprises (commissions, responsables ou secrétariats femmes) n’ont pas reçu de soutien réel de la part des directions et la véritable bataille est souvent pour une application intégrale de ces politiques. Leurs conséquences et leurs réalisations ont donc été limitées, bien que pas négligeable, sur des terrains tels l’égalité salariale, l’harcèlement sexuels et la garde des enfants.
A de nombreuses occasions, la politique des directions syndicales a été de tourner le dos aux revendications des femmes, les passant sous silence ou même s’y opposant, aggravant de la sorte les éléments de conflit entre les hommes et les femmes de la classe ouvrière. Cette attitude contribue à donner une justification aux rapports de domination qui existent entre les hommes et les femmes au sein de la classe ouvrière, rendant plus difficile la convergence avec le mouvement féministe. Les syndicats français ne se sont pas mobilisés activement en opposition à la flexibilité et le temps partiel, et la disparition du mensuel femmes de la CGT, “Antoinette”, consacre la volonté de cette confédération d’arrêter tout travail spécifique en direction des femmes. En Belgique nous avons vu les travailleuses des Galeries Anspacht à Bruxelles ainsi que celles de l’usine sidérurgique de Bekaert-Cockerill près de Liège condamnées à se battre seules contre l’introduction du travail à temps partiel et les suppressions d’emplois. En Italie, les syndicats de la FIAT ne se sont pas opposés à l’introduction du travail de nuit pour les femmes.
b) Les directions des partis réformistes
En 1979 nous avons noté que la social-démocratie et le stalinisme (surtout ce dernier) avaient été lents à réagir face à la montée du nouveau mouvement féministe , et que leurs réponses étaient influencées par deux facteurs essentiels : i) leur respect de la famille ; et ii) le besoin de maintenir et renforcer leur influence sur le mouvement ouvrier.
Depuis 1979 l’interaction entre les luttes des femmes et celles du mouvement ouvrier a exigé des réponses plus affinées. En tant qu’électrices, en tant que syndicalistes et en tant que militantes politiques, les femmes représente une réalité politique importante et ces partis sont obligés d’en tenir compte. La plupart des partis ont adopté et développé des politiques appuyant formellement l’égalité hommes- femmes, dans certains cas incluant les femmes noires et immigrées, ainsi que des lesbiennes, bien que les politiques qui en ont découlé sont restées inégales et partielles. Dans certains pays, les directions traditionnelles ont même manifesté leur volonté d’intégrer les principales porte-parole du mouvement féministe comme chercheuses, journalistes, conseillères, députés et hauts fonctionnaires dans les ministères féminins ou les commissions dans les municipalités. Ils ont rencontré de l’écho auprès de nombreuses femmes qui — comme le reste de la gauche — avaient attendu en vain la révolution socialiste et féministe et qui aspiraient à voir les choses changer dans l’immédiat.
i) Les partis socialistes
La plupart des partis socialistes ont adopté des mesures spécifiques, aussi superficielles soient-elles, pour tenter de gagner des électrices, en augmentant notamment le nombre de leurs candidates aux élections parlementaires. Les courants de gauche au sein de ces partis ont parfois su se saisir de cette opportunité pour faire passer des mesures progressistes.
Les gouvernements sociaux-démocrates en particulier ont essayé d’intégrer des féministes au travail des institutions, favorisant ainsi l’émergence d’un féminisme modéré et orienté simplement vers l’obtention de réformes mineures, effectuant des changements qui apparaissent comme le résultat naturel de l’évolution d’une société démocratique, tendant à faire disparaître le rôle et la combativité des femmes pour obtenir ces changements. Les acquis sont pourtant réels et peuvent être utilisés comme levier sur la social-démocratie.
La création de ministères ou organismes des droits des femmes est le produit des pressions exercées afin que soit donnée au niveau des institutions une réponse à la pression sociale des femmes. Les expériences françaises et espagnoles montrent toutefois qu’en dépit des beaux discours sur l’égalité, les ministères des Femmes acceptent dans la pratique la division traditionnelle des tâches et ne garantissent en rien que les intérêts des femmes seront réellement défendus, surtout dans le cadre de l’application de politiques d’austérité. Leur manque de pouvoirs exécutifs et leur respect pour les orientations officielles fixent des limites claires à leur action, mais leur existence même peut s’avérer positive dans la mesure où elle permet de toucher de larges couches de femmes. La contradiction entre les prises de position officielles et la pratique peut être source de débats et de différenciations parmi les femmes de ces partis, dont certaines sont prêtes à s’engager dans des actions unitaires.
ii) Les partis communistes
Les bouleversements en cours en Europe de l’Est et le discrédit qui frappe les régimes staliniens ont eu comme conséquence de provoquer des crises dans la plupart des PC. Cependant, nous ne devrions pas nous attendre à des changements majeurs en ce qui concerne les orientations et la pratique des PC à l’égard des femmes.
Ces partis continueront, soit de nier la nécessité d’organisations et luttes autonomes des femmes, soit de promouvoir une version droitière (qui peut être parfois très sophistiquée) de la politique sexuelle, défendant par exemple la nécessité d’une “politique des revenus féministe” qui consisterait à augmenter les salaires des femmes au dépens de ceux des hommes. Pourtant, au fur et à mesure que leur crise produise des ruptures dans les PC et des vagues de départs nous pouvons espérer une remise en cause des orientations traditionnelles et une plus grande disponibilité de la part de certains secteurs à s’engager dans des actions féministes unitaires.
En conclusion, nous pouvons dire que l’impact du mouvement de libération des femmes, ses conséquences durables pour la prise de conscience et les perspectives politiques, l’ont rendu impossible poque les organisations de masse n’y réagissent pas, de manière aussi inadéquate qui soit, ouvrant la voie à des plus grandes possibilités d’actions communes avec les femmes de ces organisations.
III. Radicalisation, auto-organisation et mouvement autonome de libération des femmes
La naissance du mouvement de libération des femmes fut l’expression de profonds changements structurels dans la vie de la masse des femmes. Le mouvement féministe a réussi à démontrer le caractère social de la situation des femmes et à donner une expression à la révolte des femmes en tant que sexe. Malgré les changements qui sont intervenus dès lors, la vie des femmes continue à être marquée par la discrimination, la subordination et l’oppression. Tous ces éléments signifient que la base matérielle de l’activité et de la radicalisation des femmes est maintenue.
De nombreuses idées émanant du mouvement ont été assimilées par une large majorité dans la société. Au début des années 1980, le mouvement a connu un déclin et un processus de désintégration, parfois comme conséquence d’une intégration au travail des institutions et/ou des services sociaux, ou bien la dispersion des forces dans des différents types d’organisations sectorielles. Dans beaucoup de cas des organisations de femmes se maintiennent, bien que dispersées et tournées vers des actions concrètes ou ponctuelles. Aujourd’hui, à l’exception de l’Etat espagnol, il n’existe pas de structures de coordination de groupes femmes au niveau national, ce qui implique un élément de faiblesse du mouvement, une sectoralisation des luttes et des revendications. Cependant, il y a eu une résistance active maintenue des femmes aux attaques concrètes entamées contre leurs droits et l’apparition de nouvelles organisations formées autour de thèmes spécifiques, ou bien des initiatives de coordination temporaire, ce qui autorise l’optimisme quant à l’avenir.
L’investissement plus important des femmes aux luttes de type divers, dans les syndicats, les partis politiques et d’autres mouvements est un aspect de la situation actuelle et bien que cet investissement ne se soit pas toujours traduit par un renforcement organisationnel du mouvement, il a le potentiel pour conduire à un tel renforcement, ainsi que pour favoriser une expression politique de la conscience de l’oppression sexuelle.
Dans de nombreux pays, nous avons assisté à une convergence plus importante entre les luttes menées par les femmes autour de leurs problèmes en tant que sexe et ceux de du mouvement ouvrier dans son ensemble ; les organisations du mouvement ouvrier représentent pour beaucoup de femmes un point de référence pour la solution de leurs problèmes. En tant que composante active relativement nouvelle du mouvement ouvrier, les femmes peuvent souvent faire preuve d’une combativité supérieur à celle du mouvement ouvrier en général, remettant en cause les politiques de collaboration de classe de la bureaucratie. L’investissement des féministes dans les organisations de masse du mouvement ouvrier vise à transformer ces dernières pour qu’elles reflètent les besoins des femmes et pour permettre aux femmes de devenir une composante permanente de ces organisations.
A. Les femmes salariées
Dans plusieurs pays d’Europe du Nord, les femmes ont rejoint les syndicats en nombre important alors qu’elles entraient sur le marché du travail dans la dernière période. Dans certains cas, ce processus a même contribué à empêcher une chute dramatique des effectifs syndicaux analogue à celle qu’on avait connue aux années 1930. En Scandinavie, le taux de syndicalisation des femmes atteint 50 %, et en Grande-Bretagne, en Italie et en Belgique il est de 30% - 33%. En France, compte tenu du faible taux de syndicalisation globale (5% dans le privé, 10% - 12% dans le public), le taux des femmes syndiquées est très faible et quasiment nul dans certaines branches.
a) Les femmes syndicalistes
La participation active des femmes travailleuses a joué un rôle clef dans une série de luttes ouvrières. En Allemagne de l’Ouest les ouvrières de la sidérurgie ont été aux premiers rangs de la bataille des 35 heures. Elles ont repris à leur compte la revendication de la journée de 7 heures, formulée pour la première fois par les femmes de la social-démocratie suédoise en 1972.
La grève dans le Service national de santé (NHS) en 1982 en Grande-Bretagne fut marquée par la participation de couches importantes de travailleuses et a rencontré un large écho auprès d’autres travailleurs, tels les mineurs, les pompiers et les enseignants
Au Danemark, les femmes du syndicat non-mixte des travailleuses non qualifiées (KAD) ont joué un rôle exemplaire dans la grève quasi-générale qui a eu lieu à Pâques 1985 suite à la rupture des négociations entre les patrons et la principale confédération syndicale. Le syndicat des femmes prit l’initiative dans la mise en place d’un comité de grève intersyndical dans une des zones industrielles, et ce fut dans ce secteur que la grève a tenu le plus longtemps. Les femmes ont réussi à obliger la bureaucratie syndicale à débloquer des fonds pour la grève.
Les femmes travailleuses se battent aussi sur leurs propres revendications. Par exemple en 1984 un groupe de travailleuses des Asturies (Etat espagnol) a exigé d’être embauché dans les mines, là où les hommes de leurs communautés avaient toujours travaillé. Avec l’appui du secrétariat femmes des CC.OO., elles exigeaient haut et fort à être embauchées dans les mines où les hommes de leurs familles travaillent depuis toujours. Contre les média et contre l’UGT qui dénonçait cette revendication et n’hésitait même pas d’appuyer des tentatives d’intimidation et de division des femmes, celles-ci ont gagné et un groupe d’entre elles a fini par être embauché pour le travail en surface, obtenant le soutien de leurs collègues de travail.
A un niveau plus généralisé, nous avons vu à la fin des années 1980 une vague de luttes dans des métiers à majorité féminine – surtout les infirmières – qui a touché la plupart des pays d4europe occidentale et d’Amérique du Nord. Ces luttes ont porté tout une génération de femmes au devant de la scène social. Entre autres, les infirmières revendiquaient la reconnaissance de leurs qualifications professionnelles – soulignant l’inégalité entre leur situation et celle des techniciens masculins, et refusant le statut de servantes des médecins – allant donc plus loin que la simple revendication du droit des femmes à travailler. En plus – surtout en France – elles ont développé des structures d’auto-organisation de haut en bas.
b) Luttes de solidarité.
Deux exemples de la participation des femmes aux luttes en solidarité avec des grévistes :
* Les femmes des sidérurgistes espagnols qui ont mis en place une coordination des femmes pour organiser la solidarité à l’échelle nationale, contre la décision du gouvernement de Gonzalez de fermer les hauts-fourneaux de Sagunto, dont toute l’économie de la ville dépendait. Elles ont souvent adopté des positions d’avant-garde, plus radicales et plus riches d’initiatives que celles des sidérurgistes menacés de la perte de leurs emplois.
* Né de l’affrontement entre le Syndicat national des mineurs (NUM) et le gouvernement conservateur en 1984-85, le mouvement des Femmes contre les fermetures des puits (WAPC), organisé à l’échelle nationale, consistait en un réseau autonome de groupes femmes basés dans les communautés minières. Ces groupes ont dû se battre pour le droit de disposer de leur leurs propres comptes en banque, d’être représentés dans les réunions des sections du NUM et de participer aux piquets de grèves aux côtés des hommes. Beaucoup des membres des groupes étaient des femmes de mineurs qui participaient à une activité politique pour la première fois : leur détermination contribua pourtant à la durée de la lutte et à lui gagner un soutien d’une telle ampleur contre Thatcher, de même qu’à établir des liens avec d’autres mouvements tels que la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND), les femmes de Greenham, des groupes de noirs et d’immigrés, de lesbiennes et d’homosexuels et les campagnes internationales.
Ce mouvement s’inscrivait certes dans un contexte un peu particulier : rôle d’avant-garde joué par le syndicat des mineurs, longueur et intensité de la lutte, nature relativement homogène des communautés minières. Mais au-delà de cette spécificité, il faut souligner qu’il constituait un fantastique exemple du pouvoir politique des femmes de la classe ouvrière lorsqu’elles rentrent en action, et qu’il servit d’exemple à d’autres femmes en Grande-Bretagne et ailleurs.
B. Le travail féministe dans les syndicats et la féminisation de ces derniers
a) Sous la pression organisée des femmes et pour garder ou gagner des adhérentes, de nombreux syndicats ont été obligés de faire des concessions mineures sur la question de la représentation des femmes dans les instances, ou d’élargir leurs débats pour y inclure des questions telles que le salaire minimum garanti, le droit à l’avortement, le harcèlement sexuel sur les lieux de travail, la présentation des femmes dans les média, les revendications spécifiques des femmes noires ou lesbiennes, etc.
Mais la présence et l’investissement plus importants des femmes dans les luttes et l’action syndicale n’ont pas toujours conduit au renforcement de leur niveau d’organisation en tant que femmes au sein des syndicats. Très souvent les tentatives d’avancer dans ce sens se sont butées sur l’attitude négative de la bureaucratie syndicale et ont parfois dû s’affronter à la méfiance de la majorité des adhérents. Dans d’autres cas, comme dans l’Etat espagnol, les femmes ont réussi à maintenir des structures spécifiques, bien qu’étant confrontées à des problèmes dans l’action concrète. Des commissions et des programmes pour l’égalité des droits existent dans beaucoup de syndicats importants, mais cela ne remplace pas l’engagement en faveur de l’action positive.
Dans certains pays, la méfiance des femmes à l’égard des organisations syndicales est telle qu’elles ont créé des structures d’auto-organisation à l’extérieur des syndicats. L’exemple le plus marquant fut celui de la coordination des infirmières en France au cours de la grève de l’hiver 1988.
b) Les femmes se rendent compte que pour que leurs luttes soient appuyées et que se développe l’action sur leurs besoins en tant que femmes, la représentation des femmes doit augmenter à tous les niveaux des syndicats.
Il y a plusieurs raisons qui expliquent la sous-représentation des femmes dans le mouvement ouvrier :
* une des conséquences de la division sexuelle du travail est que les femmes se trouvent dans les secteurs les moins syndiqués ;
* l’histoire du mouvement ouvrier et le sexisme des directions traditionnelles ;
* le pourcentage important des femmes dans le secteur “informel” dans certains pays.
En Grande-Bretagne, le syndicat NUPE, qui organise les employés communaux et les travailleurs de la santé, a mené une campagne réussie à la fin des années 1970 pour encourager les femmes — qui constituaient une majorité des adhérents du syndicat —à devenir des shop stewards (déléguées d’atelier). En RFA, les femmes des syndicats du Livre et du textile ont revendiqué des quotas dans les instances syndicales proportionnellement au pourcentage des femmes dans le syndicat. En Italie, les hommes qui dirigent la CGIL critiquent eux-mêmes la présence limité des femmes dans la direction, parce qu’ils sont inquiétés par le faible niveau d’activité syndicale, voire la désaffection des femmes.
C. La mobilisation des femmes dans les mouvements sociaux
L’un des aspects marquants de la radicalisation des femmes au cours de la dernière décennie est leur participation massive aux mouvements sociaux — mouvements écologistes, mouvements pacifistes, comités de solidarité avec les mouvements de libération nationale ou d’aide au Tiers-monde.
Cela s’est illustrée de manière particulièrement frappante avec le mouvement des femmes pour la paix qui développait dans de nombreux pays européens et qui est né de la lutte anti-missiles. Les femmes ont étés attirées par ce mouvement à la fois sur la question générale du désarmement et en raison des liens entre militarisme et patriarcat — liens mis en évidence par les coalitions féministes de l’Etat espagnol et de Grande-Bretagne. Les formes d’organisation adoptées par ce mouvement consistaient en réseaux de groupes femmes pacifistes, en initiatives d’actions de masse, et en coordinations internationales — toutes inspirées du mouvement de libération des femmes. C’est dans ce cadre que de nombreuses femmes, et particulièrement de jeunes femmes, ont eu leur premier contact avec les idées féministes. Ce sont souvent les femmes qui ont été à la tête des actions de masse les plus dynamiques, comme à Greenham Common.
a) Les femmes noires et les femmes immigrées
Les femmes noires et immigrées ont souvent joué un rôle de premier plan dans les luttes anti-racistes, remettant en cause leur oppression spécifique, mettant l’accent sur le harcèlement sexuel et les discriminations qu’elles subissent en matière de logement, d’emploi, de santé et d’éducation, soulevant la question des lois sur l’immigration, ainsi que celle des images spécifiquement racistes sur leur corps des femmes et la violence s’exprimant à leur égard. Elles se sont prises également aux idées racistes concernant le viol et la violence des hommes noirs et immigrés.
Elles ont abordé le problème de l’oppression spécifique qu’elles subissent à cause du système familiale et de la culture de leurs propres communautés. Elles ont lancé des campagnes contre la circoncision et l’infibulation des femmes. Les femmes noires et immigrés ont mis l’accent sur les thèmes anti-impérialistes, en les posant devant l’ensemble du mouvement des femmes.
Là où l’organisation des femmes noires est la plus avancée, par exemple aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, elles ont largement remis en cause certaines positions des féministes blanches — par exemple en abordant le problème du contrôle de son propre corps sous l’angle où il touche les femmes noires et immigrées, celui de l’avortement et de la stérilisation forcés. Cela s’inscrit dans le contexte des discours xénophobes d’un Le Pen en France ou de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, exprimant leur peur de se voir “débordés” par la fertilité “alarmante” des femmes noires et immigrées. Elles ont remis en cause l’idée qu’il peut y avoir un consensus entre femmes, soulignant qu’elles ne peuvent pas mettre le critère de sexe avant ceux de race et de classe.
b) Les jeunes femmes
L’idée qu’il existe une égalité entre hommes et femmes et qu’elles ne sont pas opprimées en fonction de leur sexe est beaucoup plus ancré chez les jeunes femmes d’aujourd’hui, et parler du mouvement de libération des femmes leur semble “archaïque”. Cependant, elles peuvent être attirées par un mouvement capable de développer les thèmes “traditionnels” du féminisme : la contraception, la sexualité, les violences, qui permettent une radicalisation rapide des jeunes femmes qui peuvent ensuite mettre en place des structures spécifiques pour mener une action féministe dans les quartiers et les établissements scolaires.
Lors des récentes mobilisations étudiantes, les jeunes femmes ont joué un rôle plus actif, comme dans les mouvements pacifistes, anti-racistes ou Verts. En France, des jeunes filles beurs ont incontestablement joué un rôle d’avant-garde dans les mobilisations anti-racistes. Cette activité politique leur permet de prendre conscience de leur statut d’opprimées dans la société, dans la famille et sur le marché du travail. La contradiction entre leur sentiment d’être égales et la réalité lorsqu’elles trouvent que leur mouvement est dominé par des hommes peut les amener à réagir vivement et commencer à s’organiser entre femmes.
Dans un pays comme l’Etat espagnol les mobilisations de la jeunesse ont fait naître des groupes de jeunes femmes dont le combat est focalisé tout particulièrement sur des questions telles que la sexualité, la violence, l’éducation, etc.
Il importe d’expliquer que la solution à cette oppression réside dans la lutte collective, et non dans la lutte individuelle ou la poursuite d’une carrière. Une telle lutte doit associer les jeunes femmes qui se trouvent à l’extérieur du système éducatif, les chômeuses, celles pour qui la seule solution semble résider dans la recherche d’un homme comme gagne-pain.
c) Les lesbiennes
Le morcellement du mouvement des femmes a été largement reflété dans les mouvements des lesbiennes. Il n’ y a qu’à cela quelques exceptions, et aussi quelques pays où le mouvement des lesbiennes ne fait que commencer à se développer et s’organiser.
Le morcellement du mouvement des femmes a souvent été accompagné de divergences importantes sur des questions concernant le lesbianisme et la sexualité. L’incapacité des courants féministes socialistes à répondre de façon adéquate aux questions et aux revendications soulevées par les lesbiennes a contribué à l’hégémonie relative des idées féministes radicales dans les mouvements des lesbiennes.
La faiblesse du mouvement féministe est aussi un facteur majeur dans la dépoliticisation des communautés lesbiennes. Bien que les lesbiennes restent en général beaucoup plus politiques et radicales que leurs équivalents homosexuels masculins, la fin des années 1980 a vu l’apparition des deux côtés de l’Atlantique des manifestations diverses d’une préoccupation croissante avec le style plutôt qu’avec la libération des femmes.
D’un autre côté, la campagne en Grande-Bretagne contre la Section 28 a suscité la manifestation la plus importante pour les droits des lesbiennes et des homosexuels jamais vue en Europe, et elle était une des campagnes la plus dynamique contre le gouvernement Thatcher de ces dernières années. Cette campagne était remarquable non seulement par le fait d’être dirigée par des lesbiennes mais aussi par le soutien qu’elle a mobilisé dans le mouvement ouvrier et sur le plan international.
D. Les partis de gauche
La présence des femmes dans les partis de gauche non-révolutionnaires s’est renforcée, par une combinaison de la radicalisation des femmes de la base traditionnelle de ces partis – c’est-à-dire la hausse de leurs aspirations en tant que femmes sous l’influence du mouvement des femmes – et de l’entrée dans ces partis de certaines couches de féministes qui avaient été organisées auparavant dans le mouvement des femmes. Ces dernières étaient à la recherche d’une alternative apparemment plus « efficace » que le mouvement des femmes, une fois terminée la période de grandes luttes de front unique. Des nouvelles formations politiques (par exemple les Verts) peuvent aussi exercer une attirance pour des femmes qui sont à la recherche d’une alternative politique globale mais qui rejettent les partis traditionnels qui ont souvent une image très « masculine ».
a) Les partis ouvriers traditionnels
Les femmes se sont organisées à la base dans par exemple le Parti travailliste britannique, le SPD allemand et la social-démocratie norvégienne, afin de se battre pour des orientations qui correspondent à leurs besoins en tant que femmes et pour avoir une représentation plus importante des femmes dans les instances. Nous avons déjà souligné les possibilités ouvertes pour l’action commune par la contradiction entre cette bataille et l’attitude des directions. Les structures femmes dans ces partis adoptent parfois sur des questions politiques générales des positions plus radicales que celles des partis eux-mêmes.
b) Les Verts allemands
Dans ce parti il existe des regroupements autonomes de femmes et les instances de direction sont élues sur une base paritaire du point de vue du sexe. Les orateurs dans les réunions sont désignés de manière à ce que les femmes disposent d’un temps de parole égal à celui des hommes. La direction de la fraction parlementaire des Verts, entièrement composée de femmes a causé un immense émoi en dénonçant publiquement des militants de leur parti, accusés de harcèlement sexuel. Toutefois, la prise en compte de questions de politique sexuelle ne permet pas d’éviter le débat sur une stratégie politique, et souvent les femmes adoptent des positions politiques divergentes concernant le choix des priorités dans la lutte, ou la politique d’alliances que devraient adopter les Verts.
E. Le mouvement féministe
Les thèmes féministes traditionnels resurgissent de temps en temps comme axes de nouvelles mobilisations, parfois comme réponse aux attaques contre les droits déjà acquis, parfois exprimés par des revendications concrètes visant à élargir ces droits.
Par exemple, en 1982, sous le gouvernement de gauche, le mouvement féministe en France est parvenu par sa mobilisation à imposer le remboursement de l’avortement par la sécurité sociale. En 1985, des femmes des quatre coins de l’Etat espagnol décidèrent de défier collectivement la loi restrictive du gouvernement sur l’avortement. Cette campagne a stimulé une reprise d’activités parmi les femmes sur toute une série d’autres questions concernant leur oppression et elle a renforcé la coordination nationale dominée par l’extrême gauche. En RFA deux mille femmes se sont réunies pour discuter des nouvelles technologies reproductives et en novembre 1989, 120 femmes de toute l’Europe sont venues participer au Forum socialiste féministe en Suède. La Journée internationale des femmes peut fournir l’occasion de mobiliser tous les courants du mouvement dans des initiatives unitaires.
Des exemples divers témoignent à la force du mouvement autonome des femmes lorsqu’il est à même de prendre des initiatives sur des thèmes susceptibles de rallier de larges couches des femmes et d’entraîner derrière lui une partie des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier. L’auto-organisation des femmes au sein du mouvement ouvrier est un mécanisme clef pour peser dans le sens de l’interaction politique nécessaire entre les mouvements des femmes pour leur libération et les organisations de la classe ouvrière.
Les changements intervenus dans la situation des femmes ont suscité une différenciation politique dans le mouvement. Cette différenciation s’est manifestée sur le terrain de la théorie. Parmi les thèmes théoriques nouveaux certains — liés aux questions de race, de classe, de l’impérialisme et de la sexualité — illustrent les situations différentes que vivent les femmes. Les attitudes et rapports différents des féministes à l’égard de l’Etat et ses institutions ont également suscité certains débats. D’autres surgissent avec l’apparition de problèmes nouveaux (tels par exemple les nouvelles technologies reproductives), ou autour des thèmes tels que la violence sexuelle.
Le développement de la lutte contre la violence sexuelle faites aux femmes par des hommes touche à un des aspects les plus vulnérables de la domination masculine. Nous situons l’origine de cette violence dans l’oppression des femmes et exigent qu’elle soit considérée comme un crime social, soulignant surtout l’importance de l’auto-organisation et le respect pour elles-mêmes de la part des femmes. Une autre analyse a été développée, qui définit la violence sexuelle comme origine de l’oppression des femmes et qui élabore une série de revendications parmi lesquelles : un mouvement contre la pornographie, la censure, un renforcement de la police et l’allongement des peines de prison.
Le développement de courants alternatifs fondamentalistes ("retour à la nature”), (qui considèrent toute forme d’ industrialisation comme entièrement négative) a eu un fort impact sur la pensée féministe. Les possibles implications des nouvelles technologies reproductives ont servi à alimenter ces débats. Ces tendances “naturalistes”, profondément anti-scientifiques, exige une réponse sérieuse de notre part.
Ces points de vue reposent sur l’idée que l’oppression des femmes est le produit de différences biologiques, qui trouvent leur reflet dans la sphère culturelle, et non le résultat de l’organisation économique et sociale. Une telle analyse implique un recul par rapport à la perspective de départ du féminisme moderne, pour qui la fémininité et la masculinité étaient un produit social, pouvant donc être modifié. Ce qui est proposé en l’occurrence, c’est la création d’un “espace des femmes” dans le cadre de la société capitaliste actuelle.
Le processus de différenciation a donné lieu à divers courants, parmi lesquels on peut identifier :
* Les féministes radicales qui, sur la base de leur analyse de l’existence de classes sexuelles, définissent la lutte entre les sexes comme seul élément dans la lutte pour la libération des femmes.
* Les divers courants du féminisme bourgeois, dont la stratégie se caractérise essentiellement par la recherche d’acquis pour une petite minorité de femmes privilégiées au travers d’alliances avec la classe dominante et les partis bourgeois.
* Les féministes réformistes qui soit ne prennent pas en compte les éléments qui déterminent la condition des femmes en tant que sexe soit les considèrent comme produit de l’idéologie dominante, ou les réduisent à leurs aspects purement économiques. Elles ont comme perspective la réforme de l’Etat, situant donc la lutte pour la libération des femmes dans le contexte d’un processus de réformes et de la “démocratisation” de la société.
* Les féministes socialistes pour qui les luttes des femmes sont plus directement liées à celles du mouvement ouvrier.
* Les féministes marxistes révolutionnaires – y compris nous-mêmes - : nous nous efforçons d’intégrer dans notre théorie, nos analyses et notre pratique politique les différentes contradictions (sexe, classe, race) qui déterminent l’existence des femmes dans la société, situant la lutte des femmes dans le cadre d’une perspective révolutionnaire et reconnaissant l’importance d’une alliance avec le mouvement ouvrier dans son ensemble.
Il faut souligner que les frontières entre ces différents courants sont relativement floues et que souvent on ne peut pas appliquer ces catégories de manière rigide. D’ailleurs, nos rapports avec ces courants peuvent varier : sur certaines questions nous avons une pratique de front unique avec les féministes radicales. Parallèlement, les idées féministes radicales ont un impact plus fort sur les femmes lorsque le mouvement ouvrier s’avère incapable de répondre à leurs aspirations.
IV. L’orientation des marxistes-révolutionnaires
Face à ceux qui nient l’oppression spécifique des femmes, qui la situent sur le terrain culturel, qui la considère comme produit de la biologie, ou qui pensent qu’il est possible de supprimer la domination, la subordination et l’oppression des femmes dans le cadre de la société actuelle, nous affirmons l’existence d’une base matérielle et sociale à l’oppression sexuelle, ainsi que la nécessité pour les femmes de se constituer en sujet social, avec leur propre expression politique. Le mouvement féministe rend possible la réaffirmation de l’identité des femmes, individuelle aussi bien que collective, et ce mouvement est le seul capable de donner une expression politique aux femmes en tant que sexe.
La prise de conscience féministe est un processus complexe qui prend des formes très différenciées : sur la base des contradictions générées par la participation à la production sociale ou dans la sphère publique ; sur la base d’une pratique politique dans d’autres mouvements qui rend possible une réflexion et une compréhension plus approfondies de la spécificité de la situation des femmes et des conditions nécessaires pour qu’elles s’investissent dans le combat féministe ; sur la base d’un processus d’auto-affirmation dans la recherche de leur individualité. Tous ces chemins peuvent amener les femmes à se battre pour leur autonomie économique, affective et sexuelle. Mais cette prise de conscience souvent individuelle ne deviendra force collective que si elle se transforme en conscience collective, en désir de changer son propre vécu et celui d’autres femmes.
Le travail femmes n’est pas simplement un secteur en soi mais un facteur qui doit influencer tous les autres aspects de notre activité et l’ensemble de notre organisation. Chaque section doit définir les couches de femmes au sein desquelles elle va mener un travail continu. C’est indispensable pour être en mesure de prendre des initiatives politiques afin de défendre et d’élargir les droits des femmes.
Partant de leurs aspirations et des mouvements de radicalisation auxquels elles participent, nous faisons tout notre possible pour assurer que les femmes prennent conscience de leurs problèmes spécifiques, nous impulsons leur auto-organisation en défense de leurs intérêts spécifiques et c’est ainsi que nous renforçons le mouvement autonome des femmes.
Chaque fois que possible, nous prenons des initiatives sur le lieu de travail et dans les syndicats pour défendre et élargir les droits des femmes. Nous mettons systématiquement en évidence le lien entre les responsabilités domestiques des femmes et leur statut dans la force de travail. Nous soutenons le droit des femmes à l’auto-organisation et leur droit à être représentées au sein du mouvement ouvrier.
A. Les axes centraux de notre travail
Nous intervenons en défense des droits des femmes, à commencer par ceux des plus exploitées — les femmes noires et immigrées, les jeunes femmes et celles des nationalités opprimées.
Nous mettons plus particulièrement l’accent sur :
* La lutte pour le droit de la femme à disposer de son corps, participant aux campagnes contre tout retour en arrière dans la législation concernant l’avortement et la contraception ; et pour la libéralisation de la législation dans les pays où l’avortement n’est pas encore un droit.
* L’intervention sur les thèmes des violences faites aux femmes (viol, femmes battues, contre toute sorte de harcèlement sexuel sur les lieux de travail ou dans les syndicats...) par des campagnes de sensibilisation ou en participant à des structures du mouvement des femmes ou des mouvements sociaux qui s’occupent de ces questions. Notre objectif est l’introduction de lois défendant les droits des femmes et qui définissent la violence contre les femmes comme un crime.
* La lutte pour la réduction de la journée de travail sans perte de salaire. Cette lutte conduit les femmes à se battre contre le chômage et la flexibilité et répond aux revendications des femmes exigeant des loisirs et du temps pour satisfaire leurs besoins personnels.
* L’égalité des salaires entre les hommes et les femmes, et la reconnaissance des qualifications acquises par les femmes. Nous faisons le lien entre les revendications salariales et les thèmes du droit au travail et de l’indépendance économique des femmes, y compris par l’obtention d’ un salaire national minimum garanti.
* Le refus de toutes les formes de précarisation de l’emploi. Même si nous comprenons que certaines femmes puissent choisir de travailler à temps partiel, nous mettons l’accent sur les dangers (faibles salaires, marginalisation, déqualification) de cette formule et nous nous battons résolument contre l’imposition aux femmes du travail à temps partiel. Nous encourageons la lutte collective contre la super-exploitation que constituent l’intérim, le travail à domicile, et les “petits boulots” précaires et pour le plein droit des salariés à temps partiel aux congés, à la sécurité de l’emploi et à se syndiquer.
* L’éducation, la formation et les programmes de requalification qui facilitent l’acquisition par les femmes des qualifications nécessaires pour remettre en cause les filières d’emploi traditionnelles. Pour l’action affirmative, qui peut nous amener à exiger des quotas pour l’emploi et la formation.
* La revendication de l’abolition de toutes les mesures discriminatoires visant à limiter les droits des femmes à la protection sociale.
* La participation à des campagnes pour l’extension maximale des services sociaux (crèches, garderies, etc). Nous poursuivons aussi une propagande pour le partage des tâches ménagères.
* L’opposition à toute les mesures discriminatoires à l’égard des lesbiennes et la défense du droit des femmes à définir et à vivre librement leur sexualité.
B. Notre participation à la construction d’un mouvement autonome des femmes
Tout ce qui précède montre le caractère décisif de l’existence d’un mouvement féministe indépendant, capable d’impulser des luttes sur toutes les questions concernant la vie quotidienne des femmes, c’est-à-dire contre leur oppression spécifique, particulièrement dans la famille.
C’est la conditions nécessaire pour défendre jusqu’au bout les intérêts particuliers des femmes et pour transformer les syndicats en instruments révolutionnaires. Ce but ne peut être atteint que par une remise en cause radicale des divisions traditionnelles au sein de la classe ouvrière, à commencer par la division sexuelle du travail.
Les contours d’un tel mouvement autonome des femmes varieront de pays en pays, en fonction de l’histoire et des luttes en cours. Mais le besoin d’une continuité — c’est-à-dire la transmission des acquis théoriques, des débats stratégiques, de l’expérience de luttes antérieures — fait que l’existence d’un tel mouvement est une question centrale. Faute de quoi — on peut le constater dans nos propres rangs et en particulier dans nos organisations de jeunesse — on assistera à des recul très inquiétants par rapport aux acquis programmatiques du XIe congrès mondial.
La ligne de marche n’est pas simplement déterminée par la situation politique d’ensemble. Nous ne renonçons pas à contribuer activement à la construction des syndicats et à la constitution de courants lutte de classe en leur sein sous prétexte que les perspectives politiques sont difficiles. Nous n’abandonnons pas non plus notre engagement total à la construction d’un mouvement autonome des femmes où nous défendons notre orientation et où nous nous battons pour être une composante de sa direction.