Arrêté en avril 2007 pour avoir dénoncé la pollution du lac Taihu, dans le Jiangsu, l’écologiste chinois Wu Lihong a choisi de témoigner sur ses conditions de détention dans la prison de Dingshan, à Yishing, dans la province du Jiangsu.
Les conditions de détention
Il est extrêmement difficile pour de moi de me remettre de ma détention, surtout psychologiquement. Pendant trois ans, j’ai été confiné dans une pièce sans fenêtre de seulement 20 m2, où il était strictement interdit de me parler. Si des prisonniers osaient me parler, ils étaient punis de dix claques dans le visage et une déduction de point, ce qui équivaut à un délai supplémentaire de trois jours à compter de la date de sortie d’origine. Je n’étais pas autorisé à me déplacer là où d’autres prisonniers le pouvaient.
Deux caméras étaient installées sur le mur, j’étais donc surveillé de près par cinq ou six prisonniers. Ces « gardiens » étaient principalement des anciens chefs corrompus du Bureau de sécurité publique, ou du système judiciaire. Certains d’entre eux, qui avaient pu lire mon verdict, étaient d’ailleurs convaincus que ces comptes-rendus écrits étaient fabriqués de toute pièce.
En prison, j’ai été placé sous la procédure dite de yanguan (« contrôle disciplinaire »). Je n’aurais pas dû être affecté à cette prison de ma localité, puisque j’y avais été en détention provisoire, mais ils ont quand même décidé de m’y garder, afin de pouvoir me contrôler. Ils disaient que c’était approuvé par le gouvernement.
En prison, on m’a dit de me comporter de telle manière que je puisse être libéré un an et demi plus tôt. Mais en réalité cela ne s’est pas produit, puisque je n’ai pas cédé à leurs demandes en admettant toutes mes fautes et en baissant la tête. J’avais été condamné à trois ans de prison, et je n’ai obtenu aucune remise de peine jusqu’à la fin. Cependant, presque tous mes codétenus ont obtenu des remises plus ou moins importantes. Je suis le seul cas particulier, apparemment.
Le « contrôle disciplinaire » (yanguan)
J’ai été placé sous la procédure de yanguan (« contrôle disciplinaire »), qui est illégale, du 12 novembre 2007 à fin mars 2010. Voici les divers choses que l’on vous impose :
– Courir en cercles sous le soleil jusqu’à l’usure. Lorsque vous êtes à bout, deux personnes vous soutiennent et vous forcent à continuer.
– Manger tous ses repas en moins d’une minute et demie. Les bols placés à même le sol, on doit crier « 1, 2, 3 », puis approcher. Vous êtes autorisés à manger autant que vous pouvez en une minute et demie. Tout en mangeant, vous êtes parfois obligés de chanter. Ainsi, tous ceux placés sous « contrôle disciplinaire » sont voués à mourir de faim.
– Pour aller aux toilettes ou boire de l’eau, il faut le faire savoir et obtenir la permission de le faire.
– Il est interdit de lire des livres ou des journaux. Vous n’êtes pas autorisés à avoir un stylo ou un papier avec vous à tout moment.
La violence verbale est permanente. Les matons me disaient : « Ce n’est pas nous qui allons te faire du mal. Mais on peut demander à n’importe quel détenu de le faire ». Ils récompenseront ensuite ce même détenu avec une remise de peine. Dans mon cas, ils ont demandé à un prisonnier particulier de me frapper, un jeune criminel violent du Nord-Est de la Chine. Il a par la suite obtenu une libération conditionnelle, ce qui est encore contraire à la loi, dans laquelle un criminel violent ne peut jamais obtenir de libération conditionnelle, encore moins sans permission du lieu où il a été jugé, c’est-à-dire dans son cas, le Nord-Est de la Chine.
Les relations sociales restreintes
Le 5 ou 6 novembre 2007, le personnel pénitentiaire a proposé de négocier avec les membres de ma famille pour une libération conditionnelle, en contrepartie d’un versement d’argent. Ma famille a refusé. Plus tard, ils ont senti que mon cas était beaucoup plus compliqué, ils n’ont jamais plus fait ce genre de proposition. Concernant les autres détenus, d’après ce que j’ai entendu, la plupart des familles versent dans les 20 000 à 30 000 yuans (2 000 à 3 000 euros) pour obtenir une remise de peine.
Il y avait environ 5 000 prisonniers là où j’étais détenu, et aucun d’entre eux n’était censé échanger ne serait-ce qu’une phrase avec moi. Comme je le disais, deux caméras étaient installées pour me surveiller.
Contrairement à d’autres détenus je n’ai pas eu droit à des visites d’amis ou de camarades de classe entre 2007 et 2010. Je n’ai pas été autorisé à passer d’appels téléphoniques. Cependant, juste avant la date de sortie on m’a accordé un appel, donc j’ai finalement pu le faire une fois.
Les visites des membres de ma famille se déroulaient ainsi :
1) Deux employés doivent enregistrer notre conversation, par écrit et sur cassette.
2) La discussion doit se dérouler seulement en mandarin – aucun dialecte n’est autorisé !
3) En hiver 2008 (peut-être lors de la Fête du Printemps), alors qu’il neigeait beaucoup, ma famille s’est rendue à la prison pour me rendre visite. Ma femme a seulement eu le temps de me dire une phrase (moi, une ou deux), puis le téléphone a été coupé. C’est tout. Ainsi, la visite de trente minutes a duré seulement une ou deux minutes. En réalité ce scénario se produisait très souvent.
La souffrance physique
J’ai été plus chanceux que certains, qui ont dû subir des coups de matraques électriques (un coup au moins, parfois quatre), des gaz irritant ou le « banc du tigre ». Si un membre du personnel pénitentiaire nous parle, nous devons nous accroupir, en flagrante violation avec les lois de la RPC. Il n’y a aucune dignité du prisonnier.
La confession forcée
Lors de ma détention par le Bureau de la sécurité publique en avril 2007 [après son arrestation, NDLR], j’ai été emmené dans une pièce spécialement conçue pour la torture et les soi-disants aveux. C’est une chambre avec des parois en caoutchouc pour empêcher que le détenu se suicide.
J’y ai été menacé avec les arguments suivants : « On va simplement mettre quelques kilos d’héroïne à ton domicile, et tu seras condamné » ; « On a des injections spéciales. Tu meurs, et le diagnostic est celui d’une hémorragie cérébrale. Tu veux essayer ? »
Autres détails de la condamnation forcée :
1) des gardes-à-vue de 12 heures
2) j’ai été menacé avec des aiguilles
3) j’ai été fouetté avec des bâtons souples (la chemise était couverte de sang, mais chaque fois que je voulais la montrer au tribunal, on me l’a refusé)
4) j’ai été brûlé aux mains par des cigarettes allumées
5) j’ai reçu des coups de pieds au ventre…
Le procès
Quand j’ai voulu protester, on m’a dit que tout ce que le Bureau de la sécurité publique avait fait était licite. Ils peuvent faire appel à de faux témoins, et avoir de fausses preuves autant qu’ils veulent. La Cour a tenu un procès à huis clos : deux cent places étaient disponibles mais mes parents ont été interdits de séance. Le procès a duré jusqu’à 21 heures. On s’était « occupé » de mon micro et celui de mon avocat durant tout le procès : ils étaient coupés.
Nous avons exigé la présence du procureur pour un contre-interrogatoire, mais personne ne s’est présenté.
Propos recueillis par Brice Pedroletti (traduction : Marine Campagne)