Plus de 4000 personnes appartenant à 36 khap panchayats se sont rassemblées ce mardi dans l’Haryana, et ont décidé de défier la Constitution Indienne. Leurs revendications ? Faire passer deux amendements, qui interdiraient les « mariages d’amour » non consentis par les parents, mais aussi les unions au sein de la même sous-caste ou gotra, considérés comme incestueuses. Les khap panchayats espèrent ainsi donner un poids légal aux diktats rétrogrades qu’ils imposent à leurs communautés (voir article ci-dessous).
Ils s’élèvent ainsi contre une décision historique de la cour suprême indienne (voir ci-dessous), qui a décidé il y a trois semaines de condamner à mort 5 personnes accusées d’avoir commis un crime d’honneur. Les victimes, Manoj et Babli avaient ainsi été battus à mort, sur ordre de leur khap panchayat, pour s’être mariés au sein de la même gotra ou sous-caste.
Ancrés à leurs traditions, les khap panchayats, s’insurgent contre l’Hindu Marriage Act de 1955, le code qui régit tous les mariages des milieux hindous, sikhs et jain. Ce texte de loi ne bannit pour l’instant que les mariages incestueux au sens propre, pas les mariages inter-gotra. De plus, le Marriage Act autorise les « court marriage », soit une union reconnue par les autorités, sans que le consentement de la communauté ne soit requis.
« Dans l’état actuel, la loi donne un certificat et assure même une protection policière pour un frère et une sœur (des membres de la même gotra, aucun lien de parenté direct, ndlr) qui se marient », déclarait mardi Om Parkash Dhankhad au quotidien The Hindu. Autre argument : les mariages inter-gotra seraient aussi à l’origine du… fémicide. « Nous avons lancé de nombreuses campagnes contre le fémicide… mais un amendement à l’Hindu Marriage Act qui bannirait les mariages inter-gotra serait encore plus efficace », a commenté pour le Times of India Buphinder Singh Hooda, chef du gouvernement de l’Haryana [1].
Du côté des opposants aux khap panchayats, l’agacement est perceptible. Le ministre de l’Intérieur, P. Chidambaram, songe ainsi depuis 2009 à réguler via deux lois distinctes, à la fois le problème des crimes d’honneur et celui des khap panchayats, en sanctionnant sévèrement les premiers et en rendant illégaux les seconds. « Dans quelques cas, si une punition exemplaire est appliquée aux auteurs de ces crimes, cela servira de message » [2]. La peine capitale prononcée contre les meurtriers de Manoj et Babli est en effet très rarement requise par la Justice indienne.
Avec le rassemblement de mardi, l’Haryana voit à nouveau sa réputation entachée par des pratiques d’un autre âge, qu’il s’agisse du foeticide ou des crimes d’honneur. Mais la décision prise par la cour suprême apparaît comme un signe d’espoir, tout comme la fermeté du gouvernement.
Après tout, l’Inde avait déjà par le passé réussi à bannir une autre « tradition » barbare, le sati ou l’immolation par le feu des veuves. Rendu illégal au 19e siècle par les colons britanniques, le sati a définitivement disparu avec le Prevention of Sati Act de 1987, hormis quelques cas très rares.
Françoise Lanby
* Paru sur Aujourd’hui l’Inde, le 15/4/2010 à 17h12 :
http://www.aujourdhuilinde.com/actualites-inde-crimes-d-honneur-les-khap-panchayats-defient-la-constitution-indienne-5172.asp?1=1
Crime d’honneur en Inde : les juges ont décidé de sévir
La Cour d’Assises de Karnal a décidé de se montrer impitoyable envers les responsables de crimes d’honneur. Hier, elle a condamné à mort 5 personnes, membres d’une même famille, accusées d’avoir kidnappé et sauvagement assassiné un couple de jeunes mariés.
Manoj et Babli, les deux jeunes gens avaient en effet provoqué l’ire de leur khap panchayat, le tribunal de village, en s’enfuyant à Chandigarh en mai 2007 pour pouvoir se marier. Or, Manoj et Babli appartenaient tous les deux à la même gotra, c’est-à-dire la « même lignée » ou sous-caste. Un acte impardonnable aux yeux des autorités de leur village.
Les oncles, frères, et cousins de Babli avaient donc kidnappé la jeune femme et son époux, puis les avait battu à mort avant de jeter leurs corps dans un canal. Trois ans plus tard, les juges ont donc décidé de sévir en condamnant à mort les auteurs de cet atroce crime d’honneur, un jugement « réservé aux cas les plus rares » selon la Constitution Indienne.
En agissant ainsi, la Cour d’Assises espère bien mettre fin à certaines pratiques venues d’un autre âge, dans un pays où les crimes d’honneur sont monnaie courante, et où les diktat des villages font trop souvent office de loi.
* Paru sur Aujourd’hui l’Inde, le 31/3/2010 à 12h22 :
http://www.aujourdhuilinde.com/informations-inde-crime-d-honneur-en-inde-les-juges-ont-decide-de-sevir-5056.asp?1=1
Dans l’Haryana, les khaps panchayats dictent leurs propres lois
Dans certains villages de cet Etat du nord de l’Inde, les « conseils de castes » detiennent le pleins pouvoirs et assument le rôle de gardiens de l’ordre moral. Lynchages, meurtres, exils forcés, interdictions arbitraires, tout est bon pour préserver l’honneur de la communauté.
Régulièrement estampillée « plus grande démocratie du monde », l’Inde connait plus d’une zone de non-droit. Le 23 juillet dernier, un homme de 21 ans s’est fait lynché par plusieurs centaines d’habitants du village de Singwhal dans l’Haryana, alors qu’il y venait chercher sa femme. Leur mariage avait été déclaré « incestueux » par le conseil du village de la mariée, le couple appartenant à une même gotra ou « sous-caste ».
Deux semaines plus tard, dans une autre localité du même Etat, un homme de 22 ans et son amie de 16 ans ont été retrouvés pendus à un arbre par une même corde. Le conseil du village s’opposait à l’union du couple, qui avait tenté de s’enfuir.
Ces incidents tragiques sont tristement récurrents dans l’Haryana (nord), où les « khap panchayats » ou conseils de castes, régissent encore la société rurale, appliquant des règles archaïques et misogynes avec brutalité.
« Ce type de comportement est inhérent aux hautes castes en milieu rural, en particulier les Jats. Aujourd’hui, on le retrouve surtout dans l’Haryana. Dans d’autres Etats du nord de l’Inde comme l’Uttar Pradesh, l’identité de caste et de clan n’est plus aussi forte qu’avant », explique Surinder Jodhka, professeur à l’université de Jawaharlal Nehru à New Delhi et spécialiste de la société rurale indienne.
Les khaps sont apparus en Inde du nord il y a plus d’un millénaire. Il désignaient à l’origine un territoire regroupant 84 villages de la même caste et possédant parfois même sa propre armée.
Mais depuis quelques années, les conseils ou « panchayats » de ces khaps imposent des diktats rétrogrades et brutaux qui impliquent souvent le meurtre de personnes ayant déshonoré la communauté. D’après le magazine Tehelka, les khaps panchayats ont passé quatre décrets d’exécution par semaine lors des six derniers mois.
Outre les chasses aux couples « illégitimes » (appartenant à une même gotra), les khaps panchayat de l’Haryana sont réputés pour leur vues patriarcales. En 2004, le khap de Tevatia a déclaré que les familles ayant moins de deux fils n’aurait pas le droit de faire appel aux membres du conseil pour le règlement de disputes. Ceci dans un Etat où la proportion de femmes est la plus faible du pays et ou le trafic de mariées est répandu.
« Ce regain des khaps en Inde est lié à la peur de la modernisation et de l’émancipation des femmes », analyse Surinder S Jodhka. « Ils essaient d’entretenir un mode de vie étroit basé sur la parenté. Cette renaissance du système de khaps arrive a un moment de crise, d’érosion de la domination du mâle dans la société indienne », poursuit-il.
Imperméable à la modernité et à l’évolution des mœurs, les khaps panchayats indiens sont souvent comparés aux talibans afghans et pakistanais, imposant parfois des interdictions et des lois similaires. Six ans après un décret des talibans interdisant le cricket dans les pays musulmans, un khap de l’Haryana a par exemple décidé d’interdire le sport favori des Indiens dans les 28 villages de sa « juridiction ».
D’autres khaps ont également interdit la musique et les DJs lors de marriages, rapporte Tehelka. Plus grave, les viols collectifs sont parfois utilisés comme « punition » lorsqu’un membre d’une famille en a déshonoré une autre en ayant une liaison amoureuse interdite.
Surinder S Jodhka hésite cependant à comparer les membres des khaps aux islamistes qui ont imposé leur version impitoyable de la Sharia dans la vallée de Swat. « Les Talibans ont des ambitions de pouvoir, de conquête alors que les khaps se renferment sur eux-mêmes », explique-t-il ajoutant que « contrairement aux diverses associations basées sur la caste qui construisent des écoles ou des universités en Inde , ils ne font rien de productif pour leur communauté ».
Les khap panchayats continuent cependant à jouir d’une certaine impunité, notamment grâce à la solidarité de castes qui persiste en Hayrana et leur capacité à influencer les électeurs. Après le lynchage de Singwhal, le Premier ministre de l’Haryana a refusé d’intervenir, affirmant que c’était « une affaire sociétale et que c’était à la société de trancher ».
Surinder Jodhka prédit cependant l’extinction rapide de ces communautés d’un autre temps, dans une Inde qui évolue à grand pas : « Ils ont quaisment disparu dans certains Etats comme le Pendjab à cause de mobilité des gens. Ils sont voués à disparaitre d’ici 10 ou15 ans ».
Antoine Corta
* Paru sur Aujourd’hui l’Inde, le 25/8/2009 à 19h18 :
http://www.aujourdhuilinde.com/actualites-inde-dans-l-haryana-les-khaps-panchayats-dictent-leurs-propres-lois-3924.asp?1=1