Contre l’esprit de clocher
Pierre-Yves Salingue
« Je suis œcuménique par nature…Je vais toujours à l’église. J’ai beaucoup d’amis qui sont des pères. La semaine passée, je suis allée quatre fois à la messe. Mon expérience religieuse est avec le camarade qui est là-haut dans les cieux »
Voilà une femme qui ne saurait être porte paroles du NPA : aller 4 fois à la messe en une semaine, fréquenter des « corbeaux » (autres « oiseaux de mort » ?) et le dire dans un entretien avec la presse, n’est-ce pas « encourager une forme de prosélytisme religieux » ? Prétendrait-elle que les croyances religieuses sont compatibles avec les principes d’un parti qui lutte contre toutes les formes d’aliénation ?
Cette femme, c’est Heloïsa Helena. Quand elle a tenu ces propos elle venait d’être exclue du PT pour avoir défendu les résolutions du congrès du PT contre les réformes proposées par le gouvernement Lula.
Depuis, Heloïsa Helena a été la candidate du PSOL pour les élections présidentielles de 2006, recueillant 7 millions de voix.
Aujourd’hui elle est présidente et porte-parole du PSOL, élue à l’unanimité lors du dernier congrès.
Photos de manifestations. Au premier rang, des femmes. Beaucoup portent le foulard, « symbole et manifestation de l’oppression des femmes ».
Ce n’est certainement pas un parti anticapitaliste et révolutionnaire qui pourrait « porter politiquement un tel message d’insulte directe à toutes les femmes qui luttent contre les oppressions patriarcales et religieuses » ?
Et pourtant ce n’est pas une manif d’intégristes. Les drapeaux sont rouges et les slogans sont contre la dictature, contre la durée du travail, pour exiger les droits sociaux des femmes travailleuses etc. Un commentaire évoque la nécessité de la lutte contre le fondamentalisme religieux ET contre l’Impérialisme.
Ce sont nos camarades du LPP, au Pakistan. Leur déclaration du 1er Mai 2009 affirme que la religion est une question privée et que les travailleurs doivent s’organiser suivant des lignes de classe.
Message du NPA : « Nous saluons le courage avec lequel vous défendez les droits démocratiques de toutes et tous –y compris des minorités religieuses– ; avec lequel vous luttez contre les traditions patriarcales ; avec lequel vous défendez une alternative séculière dans un pays déchiré par les fondamentalismes »
Alors comment expliquer que ce qui est ici une insulte au féminisme est là-bas partie intégrante de la lutte contre le patriarcat ?
Ces deux exemples pour introduire une question :
Nous nous inscrivons dans une perspective internationaliste.
Qui sait si une éventuelle porte-parole d’une internationale dont serait membre le NPA n’afficherait pas des convictions religieuses et si des partis ne trouveraient pas normal de pouvoir être représentés par des femmes portant le foulard ?
La dénonciation des religions sera-t-elle dans les bases programmatiques d’une nouvelle internationale qui viserait vraiment à être « l’expression organisée et militante des opprimés » ?
Qui va dire à Chavez qu’il doit abandonner ses fréquentes références à Dieu, à Heloïsa qu’elle doit se cacher pour aller à la messe et au LPP qu’il ne doit plus autoriser les femmes voilées en tête de manifestation ?
Qui va dire aux millions de femmes arabes, pakistanaises, afghanes, latino-américaines, africaines… qu’elles doivent laisser Dieu derrière elles et adopter, telle une autre vérité révélée, la philosophie matérialiste et qu’à défaut elles ne sauraient représenter le parti ?
Si l’affirmation « l’émancipation des travailleurs sera… » reste notre boussole, alors il est clair qu’aucune révolution n’est envisageable sans la participation massive de travailleurs « religieux » et d’autres non religieux. Notre parti devra veiller à ce que ceci ne fasse obstacle ni à l’unité nécessaire des exploités dans la lutte ni à l’égale expression des talents dans son action et dans sa construction.
Mais je vais finir sur une note optimiste, en adepte convaincu des bienfaits du matérialisme marxiste.
La religion n’est pas l’élément le plus important de la conscience et la pratique sociale est plus importante que la conscience.
Il en est de la religion comme pour d’autres superstitions, fausses croyances ou erreurs politiques : elles ont des racines matérielles et sociales.
Quand notre parti sera plus implanté dans des secteurs tels que le nettoyage, la restauration collective, la métallurgie ou le bâtiment, nous ne vivrons plus comme « une difficulté politique » le fait qu’une « femme voilée nous rejoint et porte un discours en adhésion avec nos principes » !
Nous accueillerons ces prolétaires, femmes et hommes, croyants et athées avec un grand sourire, en leur disant : ici c’est ton parti, tu as le droit d’y parler et d’agir. Ensemble dans le combat pour l’auto-émancipation, nous serons plus forts pour défaire l’exploitation et l’oppression.
Et moi, l’athée, je dirai au croyant : quand nous aurons vaincu ensemble, nous verrons bien si l’hypothèse de Dieu t’est toujours indispensable.
* Contribution publiée dans premier fascicule du Bulletin électronique de discussion intitulé « religion, émancipation, laïcité, féminisme » préparatoire à la réunion du Comité politique national (CPN) du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) des 28 et 28 mars 2010.
Ne pas faire l’autruche
Pierre Rousset
A lire Pierre-Yves Salingue, le débat qui nous agite sur la laïcité, le religieux et la représentation d’un parti luttant pour l’émancipation relèverait d’une particularité française. Il suffirait que nous abandonnions « l’esprit de clocher » et que nous nous mettions à l’unisson de ce que font nos camarades dans les autres pays pour que tout baigne, pour que se calme cette tempête dans notre verre d’eau tricolore.
Sa contribution est écrite sous une forme proprement angélique, qui ne manque pas d’étonner de la part d’un militant qui a bien assez d’expérience pour savoir que les choses ne sont pas si simples ; et que problèmes il y a.
Pour étayer sa thèse de « l’exception française », P.-Y. Salingue renvoie à deux exemples : le Brésil et le Pakistan. Deux exemples qui pourtant invalident son argumentaire.
Au Brésil. P.-Y. Salingue commence par souligner à quel point Heloísa Helena, figure de proue de la contestation à gauche du gouvernement Lula, est religieuse. Il enfonce le clou : qu’une Heloísa soit porte-parole du PSOL (« parti frère » du NPA) ne pose aucun problème au Brésil, pourquoi faudrait-il qu’il en soit différemment en France ?
Par honnêteté, Salingue aurait dû en dire un peu plus. Car, malgré toutes ses qualités politiques, les convictions religieuses d’ Heloísa ont bel et bien fini par poser problèmes, et pas des moindres.
A son congrès de fondation, le PSOL a adopté une résolution favorable au droit à l’avortement, poursuivant un combat difficile au Brésil. Pour sa part, Heloísa est contre l’avortement, c’est son choix et son droit ; mais en tant que porte-parole du PSOL, elle ne devait pas opposer ses convictions religieuses personnelles au positionnement politique collectif de l’organisation. Pourtant, après le congrès, elle a commencé à participer à des campagnes contre ce droit avec, entre autres, des secteurs de la droite de l’Eglise catholique. Cette question a rebondi au deuxième congrès du PSOL, sans être résolue.
Comprenons l’importance de l’affaire. Nous parlons bien du droit à l’interruption volontaire de grossesse ; ce droit sans lequel un très grand nombre de femmes doivent avorter dans les pires conditions sanitaires, sociales et psychologiques. D’un droit humain fondamental et d’un droit essentiel des femmes. D’un droit dont la négation pèse particulièrement lourd sur les pauvres. C’est à ce droit que s’oppose la criminalisation de l’avortement. Cela n’a rien d’un détail, d’une question secondaire !
D’autres cadres politiques du PSOL qui partagent les convictions religieuses d’Heloísa, comme Plínio Sampaio, un dirigeant de la gauche catholique, n’ont pas adopté le même comportement, car ils sont clairement pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ils ne veulent pas que la position des catholiques soit imposée à toutes et tous par la loi. Le contrat entre l’organisation et ses porte-parole peut donc être respecté, par delà les croyances ou l’absence de croyance des uns et des autres. Mais cela exige un positionnement très ferme sur la laïcité, la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cela ne va pas de soi, et c’est ce que cache l’angélisme de Pierre-Yves Salingue.
Au Pakistan. J’ai l’impression que P.-Y. Salingue, en regardant les photos de manifestations au Pakistan, confond le châle, une pièce vestimentaire qui peut se porter sur la tête ou rabattue sur les épaules, et le foulard islamique, le voile. Mais il y a évidemment des femmes voilées dans les manifestations du Labor Party Pakistan et quelques-unes des déléguées au récent congrès du LPP, auquel j’ai assisté, portaient un foulard islamique, même si elles étaient fort peu nombreuses à le faire.
J’ai relu plusieurs fois le reste du texte de Salingue consacré au Pakistan sans comprendre en quoi ce dont il parle serait jugé en France comme « une insulte au féminisme ». La religion, question privée ; l’organisation des travailleurs selon des lignes de classe ; la lutte conjointe contre le fondamentalisme et l’impérialisme ; la défense des droits démocratiques et des minorités opprimées (en l’occurrence souvent des chrétiens) ; le combat contre les traditions patriarcales et pour une alternative « séculière » (laïque)… Parfait !
Mais soulignons ce qui me paraît essentiel, en ce qui concerne la question en discussion ici. Le LPP et les forces progressistes pakistanaises combattent l’islamisation de la société, qui signifie notamment son « envoilement » – ou du moins l’envoilement des femmes. C’est la résistance à cette islamisation qui mérite d’être valorisée au nom des droits démocratiques en général et plus particulièrement, dans le cadre d’un combat multiforme contre l’oppression des femmes. Ce n’est pas pour rien que dans le compte rendu d’une récente mobilisation paysanne, Farooq Tariq salue la présence de « plus de 2000 femmes sans voile ou burqa, côte à côte avec les autres » manifestants, hommes. De la même façon, j’avais été frappé, en 2006, par la façon dont bien des femmes libéraient leur tête quand elles pénétraient dans l’enceinte protectrice du Forum social mondial de Karachi. Ou comment, lors d’un grand meeting du Forum des pêcheurs pakistanais (PFF), des villageoises avaient occupé la tribune, rabattu leurs châles, commencé à danser et invité les hommes et les délégués étrangers à les rejoindre… Le LPP accueille en son sein des femmes voilées, mais préfère être représenté par des cadres qui incarnent ce combat démocratique contre l’islamisation forcée du pays.
La laïcité, un enjeu international. Tous les pays ont leurs spécificités politiques et culturelles et la France n’échappe évidemment pas à la règle. Il n’y a pas un modèle standard de laïcité qui puisse être appliqué dans le monde entier. Mais il ne faut pas pour autant réduire la laïcité à la simple « neutralité » de l’Etat vis-à-vis des religions. La séparation des églises et de l’Etat exige plus que cela. Il s’agit de réunir les conditions d’une citoyenneté commune à toutes et tous, l’un des fondements d’une égalité démocratique.
J’aurais tendance à retourner l’argument de Pierre-Yves Salingue. Nous vivons en France dans l’une des sociétés les plus laïcisées, sécularisées, du monde. Nous avons donc du mal à percevoir ce qui se passe dans les sociétés où le religieux envahit l’espace public. A quel point alors les pressions (qu’elles soient légales ou simplement sociales) à la conformité s’accroissent ; à quel point s’avivent les tensions intercommunautaires (y compris entre sectes d’une même religion) ; à quel point la subordination des femmes se densifie ; à quel point les homosexuels peuvent se retrouver en danger de mort…
Cela fait déjà longtemps que je pense que le combat pour la laïcité est redevenu à l’échelle internationale un front de lutte essentiel. Le tableau est sans appel : Islamisation forcée au Pakistan et mobilisation des hindouistes en Inde pour remettre en cause de caractère laïc de l’Etat. Poids politique croissant des évangélistes protestants et refondation réactionnaire du Vatican en Occident tout autant que dans les pays du Sud. Incroyables pressions des idéologies les plus obscurantistes comme le créationnisme aux Etats-Unis (et même en Europe). Danger de communautarisation des lois de la famille dans des pays comme la Grande-Bretagne, dont les premières victimes seraient des filles et des femmes. Vaste offensive contre le droit à l’IVG menée par l’Eglise catholique de l’Espagne au Nicaragua en passant par l’Italie. Chappe de plomb conformiste qui pèse de plus en plus lourd même là où les lois ne changent formellement pas, comme en Tunisie…
Cette énumération est loin d’être exhaustive. Il n’y a à cette situation rien d’étonnant : la crise de perspective socialiste et la mondialisation capitaliste ont créé les conditions d’une remontée internationale de la réaction religieuse et d’un recul très dangereux de la laïcité.
Le principal reproche que je fais à la contribution de Pierre-Yves Salingue est de renforcer la myopie française (ou d’une partie de la gauche française) en minimisant l’urgence internationale du combat pour la laïcité. Plutôt que d’opposer en la matière la France au monde, il vaudrait mieux discuter ce que nous pouvons apprendre de la situation dans les autres pays sur cette question : c’est un combat souvent complexe, poursuivi dans des conditions difficiles. L’angélisme n’aide certainement pas à cette réflexion. Il ne faut pas faire l’autruche – oserais-je dire qu’il ne faut pas se voiler la face en prétendant qu’outre-Hexagone, le religieux en politique ne fait point problème ?
Le 7 avril 2010