Les enjeux de Copenhague, quinzième conférence annuelle faisant suite au protocole de Kyoto, sont considérables. Alors que les émissions de gaz à effet de serre à l’origine du processus de changement climatique ne cessent d’augmenter, les décisions permettant de stopper leur croissance vont-elles être prises ? Tout indique que non. En dépit du fait que les conséquences – dramatiques pour l’humanité – de la dynamique du changement climatique en cours ne font plus de doute et sont de mieux en mieux connues, les gouvernements des principaux pays industrialisés – premiers responsables de la situation actuelle – se montrent incapables de prendre des mesures à la hauteur. Les grands discours d’un Sarkozy ou d’un Obama ne doivent en effet pas tromper : l’examen des politiques mises en œuvre et des objectifs fixés montrent que le compte n’y est pas, et de très loin. Il montre aussi que les outils utilisés risquent de conduire à un renforcement des inégalités entre pays et au sein de chacun des pays.
Le dernier rapport du groupe international d’experts sur le changement climatique (GIEC), organisme rassemblant plusieurs centaines de scientifiques de différentes disciplines, a formulé un constat très inquiétant sur la situation. Pour éviter que l’augmentation de la température moyenne du globe ne franchisse, à la fin de ce siècle, un seuil au-delà duquel les conséquences pour l’humanité seraient redoutables, il recommande de prendre des mesures rapides et drastiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Ainsi, les pays industrialisés devraient diminuer leurs émissions de 25 à 40 % en 2020 et de 80 à 95 % en 2050. Au total, les émissions mondiales devraient être réduites de 50 à 85 % en 2050. En outre, les nombreuses études intervenues depuis ce rapport de 2007 indiquent toutes que la réalité est encore plus préoccupante. Elles plaident donc pour caler les objectifs minimum de réduction sur le haut des fourchettes avancées par le GIEC.
Perspectives minimalistes
Si les pays industrialisés ne contestent pas le rapport, leurs projets de diminution d’émission de GES sont bien inférieurs aux recommandations. En Europe, le paquet énergie-climat voté fin 2008 prévoit une réduction de 20 % en 2020 par rapport à 1990. Aux États-Unis, le projet de loi déposé par le gouvernement Obama propose de diminuer les émissions de 17 % en 2020, mais en se basant sur celles de 2005, alors qu’entre 1990, année de référence du protocole de Kyoto, et 2005 les émissions états-uniennes ont fortement augmenté. Au Japon, l’annonce récente du nouveau Premier ministre vise 25 % de réduction en 2020 par rapport à 1990. Pourtant, ces pays ne peuvent même plus se prévaloir de l’exclusion de la Chine du protocole en tant que pays émergent, puisque celle-ci vient de se fixer des objectifs de réduction substantiels. Rappelons que si la Chine est le premier pollueur mondial en quantité globale de GES émis, elle reste loin derrière le niveau d’émissions par habitant des grands pays industrialisés.
Les beaux discours tenus par nos gouvernants ne sont-ils donc que poudre aux yeux ? Des actions sont effectivement engagées mais elles sont très insuffisantes au regard de ce qu’exige la préservation des intérêts de la grande majorité de la population du globe. Or, les décisions prises le sont avant tout en fonction des intérêts des classes dominantes que ces gouvernements représentent. Et si, après une longue résistance, celles-ci ont décidé de bouger, c’est parce que les risques écologiques, politiques et sociaux de leur complète inertie sont devenus trop grands, et compte tenu des dégâts provoqués par le changement climatique, la nécessité de s’y adapter ouvre de nouveaux marchés, donc de nouvelles sources de profit.
Mais ce mouvement des dominants est conditionné par la défense du maintien de la rentabilité des investissements. Il est donc très en deçà de ce qui est objectivement nécessaire, comme en témoigne le décalage considérable avec les recommandations du GIEC. S’y conformer demanderait une transformation profonde et rapide du mode de production et de consommation, totalement incompatible avec la défense du taux de profit dans des secteurs clés de l’industrie et des services. Elle heurterait de front les intérêts de nombreux pans des classes dominantes. C’est donc bien le capitalisme comme système de production qui est en cause.
Un capitalisme repeint en vert
Le capitalisme vert que certains nous annoncent n’est pas près d’exister s’il s’agit d’un capitalisme capable de relever le défi climatique au bénéfice du grand nombre. Mais il existe un mouvement d’investissement du capital dans une série d’activités qui restent largement périphériques par rapport aux secteurs qui structurent les économies dominantes. Par exemple, l’éolien et le solaire représentent encore aujourd’hui des marchés de niche. Leur émergence n’a pas entraîné de mutation majeure du système énergétique. Pour cela, il faudrait une véritable politique, une tout autre ambition et d’autres moyens : réduire la consommation énergétique, réorienter radicalement la production d’énergie et organiser la montée en puissance des énergies renouvelables. Ce qui ne peut s’opérer en laissant les grandes entreprises énergétiques aux mains du privé. Comment s’attaquer sérieusement au niveau des émissions sans bouleverser complètement le secteur de la production énergétique, par exemple ? Et ce qui est vrai de l’énergie, l’est tout autant des transports, de l’agriculture ou encore de l’habitat.
Mais l’enjeu de Copenhague ne se résume pas à la question de l’importance des émissions visées. Il s’agit tout autant du mode de réduction envisagé. À tout seigneur tout honneur, le marché des droits à polluer, instauré en Europe, est l’instrument clé de la politique des classes dominantes. Il est au cœur du projet de loi Obama de mai 2009, et le G20 de Pittsburg discute de la création d’un marché mondial des droits à polluer qui pourrait être actée à Copenhague en décembre 2009 (lire p.18). Par ailleurs, un marché de produits dérivés sur le CO2 cotés en Bourse a été créé. Outre l’opacité que cela implique, cela signifie qu’un nouveau château de cartes financier est en train d’être édifié avec tous les risques que cela implique.
Autre danger, la prise en compte dans le cadre du mécanisme de développement propre (MDP), créé dans le cadre du protocole de Kyoto, de technologies dangereuses comme le nucléaire, faussement écologiques comme le charbon prétendument « propre », ou illusoires comme le captage et le stockage souterrain de CO2. Le MDP est une pièce maîtresse dans le trafic de droits à polluer organisé à l’échelle internationale, censé favoriser une réduction des émissions et le développement au Sud (voir p.19). Ce dispositif permet à une multinationale du Nord de gagner des crédits carbone (des droits supplémentaires à émettre du carbone) en opérant un investissement propre au Sud. Et l’on veut maintenant faire passer la construction d’une centrale nucléaire pour un investissement écologique. Mais le danger ne s’arrête pas là : les tractations en cours prévoient aussi d’étendre le périmètre de ce type de mécanisme aux forêts et à l’agriculture via notamment le mécanisme REDD (réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts). Cela conduirait à une accélération de la privatisation des terres agricoles et forestières par les multinationales à l’échelle du globe. Celles-ci pourraient en effet gagner des crédits carbone en acquérant des surfaces forestières au Sud ou en créant des plantations à la place de forêts primaires détruites, par exemple pour produire des agrocarburants comme on l’observe déjà au Brésil ou en Indonésie. REDD constitue une menace sociale et écologique majeure, à commencer pour les peuples indigènes qui depuis des générations vivent et entretiennent les forêts primaires, et risquent de se voir déposséder de leur territoire de vie.
Une transformation contrôlée par les populations
Si les peuples ne s’en mêlent pas, l’issue de la conférence de Copenhague ne fait guère de doute. Ce sera un échec ou elle débouchera sur un accord insuffisant et mauvais. Les mobilisations doivent bousculer les puissants et leur imposer des choix clairs, radicaux et démocratiques.
Que faudrait-il ? Un traité juste, solidaire et efficace. Juste, c’est-à-dire qui fasse payer les riches et non les pauvres et qui finance les mesures de transformation nécessaires en ponctionnant les profits et non les salaires. Solidaire, c’est-à-dire fondé sur le principe de responsabilité différenciée entre le Nord et le Sud, donc qui fasse payer le Nord en remboursement de la dette écologique contractée depuis des décennies, et qui organise les transferts de technologies et la suspension de la validité des brevets. Efficace, c’est-à-dire faisant sien les objectifs les plus élevés préconisés par le GIEC. Cela signifie aussi l’abandon du marché des droits à polluer, mais aussi de la taxe carbone, instrument inefficace écologiquement et socialement injuste.
Ni taxe carbone ni marché des droits ni « mécanismes de flexibilité », mais des politiques structurelles de transformation du système de production et de consommation combinant investissements et réglementations. Ces politiques doivent avoir un versant écologique et un versant social. Sous peine de courir à l’échec, ce ne sont pas les salariés des différents secteurs concernés qui doivent faire les frais des bouleversements à opérer, pas plus que les petits paysans ou pêcheurs. Toute réorientation devrait donc assurer la reconversion des collectifs de travail, sans aucun licenciement, avec le maintien des contrats de travail, de la rémunération et de la qualification et de tous les autres droits sociaux afférents. Les subventions devraient être réservées aux petits paysans et pêcheurs et favoriser une production écologique, toute subvention à l’export étant supprimée.
Réaliser ces choix, c’est mettre en cause le système capitaliste : il est peu probable que ceux qui le dirigent accepteront de se faire dicter les conditions d’une transformation dont ils ont tout à perdre. Pour être possible et acceptée, cette transformation doit en effet se faire démocratiquement et dans l’intérêt de tous : c’est-à-dire en se donnant les moyens de la planifier sous le contrôle des citoyens et des salariés. Cette planification démocratique ne peut être mise en œuvre qu’en s’appuyant sur l’appropriation sociale et publique des secteurs clés de l’économie à transformer. Telles sont les conditions d’une réorganisation générale de la production et de la consommation sans laquelle il n’y aura pas d’issue progressiste à la crise climatique.
Laurent Menghini
Commission nationale écologie du NPA