« Nous, parlementaires, réunis lors du sixième Forum parlementaire mondial à l’occasion du sixième Forum social mondial organisé à Caracas, réaffirmant la Charte de principes adoptée par le comité d’organisation du Forum social mondial à Sao Paulo le 9 avril 2001, modifiée et approuvée par le conseil international du Forum social mondial le 10 juin 2001, ainsi que les engagements adoptés lors des Forums des années précédentes, inspirés de la lutte des peuples pour parvenir à la dignité et au respect des droits de l’homme, des droits politiques, des droits sociaux, des droits économiques et des droits culturels avec la pleine conviction que « un autre monde est possible » - un monde fondé sur des principes de liberté, d’autodétermination, d’intégration, de coopération, de solidarité, de cohabitation, de paix et de justice sociale, essentiels à un épanouissement complet de l’être humain et des peuples du monde -, nous déclarons :
1. Assumer notre engagement pour la démocratie, en tant qu’espace ouvert au débat pluriel et divers d’idées et d’actions des différents mouvements sociaux, ainsi que pour le plein exercice des droits civils et politiques des citoyennes et citoyens, des organisations et associations syndicales. À ce propos, en notre qualité de parlementaires, nous nous devons d’appuyer toute mesure ou mécanisme visant à encourager et à promouvoir la démocratie participative dans tous les domaines de l’échelon local, régional, national et mondial.
2. Réaffirmer que la paix est la seule voie pour la coexistence entre les peuples du monde et pour la résolution pacifique des conflits internationaux. Nous nous soulevons contre la militarisation des relations internationales dont les effets dévastateurs se font tout particulièrement sentir en Amérique latine et dans les Caraïbes, en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. La lutte pour la paix implique la construction d’un autre monde pourvu de justice sociale.
C’est pourquoi en tant que parlementaires engagés pour la paix de tous les peuples du monde, nous encourageons la mise en place de mécanismes appropriés pour la résolution pacifique des conflits et nous dénonçons toute forme ou tentative de domination militaire, politique ou économique d’un État sur un autre.
Nous soulignons et défendons le rôle fondamental de la participation des femmes au processus de paix, comme le prévoit la résolution 1325 des Nations unies, de même que la lutte parlementaire et sociale contre l’impérialisme, pour la démocratie et la justice sociale.
Nous soutenons le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, son droit de retourner sur sa terre et son droit à un État souverain et indépendant. Il en va de même du droit du peuple sahraoui à jouir d’un État souverain et indépendant. Nous exigeons le retrait immédiat des troupes d’occupation des États-Unis et du Royaume-Uni, d’Italie et d’autres pays d’Iraq, ainsi que le retrait des forces israéliennes de tous les territoires arabes occupés (les hauts plateaux du Golan, la Cisjordanie et la bande de Chebaa). Nous rejetons la décision de l’État d’Israël de construire un mur en Cisjordanie. Nous soutenons le droit du peuple de Porto Rico à une pleine indépendance et à l’autodétermination. Nous apportons de même notre soutien à la lutte du peuple haïtien pour son autodétermination.
Nous rejetons également la course aux armements et défendons la suppression et l’interdiction générale des armes nucléaires. Par ailleurs, nous soutenons l’adoption d’un traité visant à réglementer le commerce des armes légères. Nous exigeons le respect de la convention d’Ottawa sur les mines antipersonnelles. Nous exigeons avec force le démantèlement des diverses bases militaires américaines et de l’OTAN, en mettant tout particulièrement en avant l’existence de la base de Guantanamo sur le territoire national cubain, utilisée à des fins d’humiliation et de torture des détenus. De même, nous rejetons le blocus imposé par le gouvernement des États-Unis contre le peuple cubain afin de briser sa dignité et son intégrité.
Nous condamnons le plan Colombie comme un autre exemple d’ingérence impérialiste et de militarisation inacceptable d’un pays, constituant de ce fait une menace réelle et concrète pour la stabilité de la région. Cet exemple menace aujourd’hui de s’étendre en Amérique centrale selon ce qu’il ressort du dernier sommet des présidents de cette région. Nous soutenons également tout effort en faveur d’une solution politique négociée en faveur de la paix en Colombie. S’agissant des négociations actuelles entre le gouvernement et les groupes paramilitaires, nous rejetons le cadre institutionnel où elles se déroulent en raison de la légalisation de l’impunité et de la spoliation de trois millions de paysans et de membres des communautés indigènes ou d’origine africaine de leurs terres. Ces populations sont actuellement déplacées et obligées de vivre dans des conditions de misère extrême dans les villes.
Nous rejetons le terrorisme sous toutes ses formes, y compris le terrorisme d’État, et nous sommes d’avis que la meilleure façon de le combattre est d’en finir avec la pauvreté, l’injustice, l’exclusion, l’analphabétisme, le chômage, la corruption et le bureaucratisme. Nous condamnons la doctrine de la guerre préventive pour son caractère pervers, ainsi que l’utilisation du prétexte de la lutte contre le terrorisme pour restreindre les libertés, violer les droits de l’homme et porter atteinte aux mouvements sociaux.
Nous sommes opposés à ce que l’on qualifie de terroristes les mouvements de résistance des peuples.
Nous exigeons l’extradition immédiate de Luis Posada Carriles, inculpé et condamné pour terrorisme.
3. Préoccupés par le rejet des droits politiques, économiques, sociaux et culturels des peuples, obstacle sur le chemin de leur développement et de leur intégration, nous réaffirmons le respect envers les droits de l’homme et assumons depuis nos parlements respectifs des actions contribuant à la jouissance et à l’exercice irrévocable de tous les droits et de toutes les libertés fondamentales de manière indivisible et interdépendante. Nous défendrons en particulier le droit à une éducation émancipatrice et à la santé comme droits sociaux de nature publique.
Nous réclamons que l’arrêt de la Cour d’appel du onzième circuit d’Atlanta favorable aux cinq prisonniers cubains soit immédiatement appliqué et nous demandons dès lors leur libération et leur retour immédiats dans leur patrie.
Nous constatons le renforcement des mouvements de défense du droit à la différence qui s’opposent à la discrimination et à toute forme de racisme. Nous apportons notre plein soutien aux mouvements de défense des groupes sociaux jusqu’ici opprimés pour qu’ils puissent obtenir la justice sociale.
4. Nous prônons le renforcement de l’intégration et de la coopération comme alternatives au néolibéralisme. Le modèle néolibéral imposé à nos pays a provoqué de graves dommages à l’appareil productif, dommages atteignant des niveaux sans précédent de pauvreté, d’injustice, d’inégalité et d’exclusion dans le monde, et portant préjudice au développement, à la viabilité et à la gouvernabilité de nos pays. Ce qui s’est notamment traduit par une sous-alimentation et un analphabétisme, une dissémination croissante des maladies et par des soins de santé accrus, une absence ou une carence en matière de services publics appropriés, un manque d’accès aux ressources hydriques, ainsi que par une dégradation de l’environnement, débouchant ainsi sur une paupérisation socioéconomique croissante de nos sociétés, en particulier des groupes sociaux les plus vulnérables.
Nous nous félicitons du rejet du projet de Constitution européenne prononcé par les populations française et néerlandaise, ce projet visant à limiter la démocratie, perpétuer le néolibéralisme et la subordination de la politique extérieure de l’Union européenne à l’OTAN. Nous soutenons la résistance des travailleurs européens contre la tentative de libéraliser les services et de les mettre en situation de concurrence afin de saper leurs droits sociaux au profit des grands groupes économiques.
Les faits ont démontré de manière irréfutable que les politiques néolibérales du modèle capitaliste ne mènent pas à un développement intégral et soutenu de nos peuples, mais ont renforcé au contraire le capital financier international aux dépens des économies régionales, avec une asymétrie marquée au détriment des conditions de vie de leurs citoyennes et citoyens par des processus de privatisation qui enfreignent les droits collectifs et empêchent les États d’adopter des lignes directrices leur permettant de parvenir au développement national.
Par conséquent, nous rejetons les traités de libre-échange élaborés au profit des entreprises multinationales et du capital financier international, pour leur condition de projets d’expansion économique et de recolonisation, et parce qu’ils vont à l’encontre des intérêts légitimes de nos peuples, qu’ils violent les souverainetés nationales, qu’ils aggravent les conditions des travailleuses et des travailleurs, et qu’ils portent atteinte à la dignité de l’être humain. Il s’agit notamment du cycle de négociations de l’OMC, de la ZLEA, et des Accords de partenariat économique UE-ACP.
Nous appelons à l’établissement de liens de coopération véritable entre les peuples. C’est pourquoi nous soutenons l’initiative « Enlazando Alternativas 2 » qui doit avoir lieu à Vienne du 10 au 13 mai lors du sommet des chefs d’État d’Amérique latine et de l’Union européenne. Nous lançons également un appel pour la convocation du cinquième sommet de la dette sociale et de l’intégration latino-américaine qui aura lieu à Caracas du 25 au 27 mai 2006.
Lors de la sixième conférence ministérielle de l’OMC, qui a eu lieu à Hong Kong du 13 au 18 décembre 2005, il a clairement été mis en évidence que le système de l’OMC, loin de résoudre les graves problèmes économiques et sociaux de nos pays, comme le spécifie son préambule, surtout dans le cas des pays les plus touchés par des relations commerciales asymétriques, a contribué à accroître la pauvreté et les inégalités entre les peuples, au profit des puissants intérêts de quelques pays en raison de leur hégémonie commerciale.
De ce point de vue, les données parlent d’elles-mêmes : plus de 80 pays ont encore un revenu par habitant inférieur à celui qu’ils avaient il y a une décennie ou plus. De plus, l’accumulation de richesses est telle que les trois personnes les plus riches au monde possèdent une fortune supérieure au PIB des 48 pays les plus pauvres. Par ailleurs, plus de 3 milliards de personnes - la moitié de l’humanité - vit dans la pauvreté avec moins d’un dollar par jour. Et année après année, les inégalités entre régions riches et pauvres augmentent, à l’instar des inégalités entre les citoyens d’un même pays, en ce compris les pays « développés » comme les États-Unis et la Grande ?Bretagne.
Nous rejetons les pressions exercées afin de contraindre les pays en développement à ouvrir leurs marchés, en les obligeant à libéraliser leurs services et à réduire leurs droits de douane sur les produits industriels, en empêchant ainsi leur développement technologique et industriel.
Nous exigeons la suppression immédiate de tous les mécanismes de subvention des exportations de produits agricoles et revendiquons le droit à la souveraineté alimentaire des peuples. Nous considérons l’eau comme un droit de l’homme, nous rejetons par conséquent sa privatisation.
Nous prions instamment les gouvernements d’assumer la responsabilité face aux grandes épidémies (sida, tuberculose, grippe aviaire,...) en accordant la priorité à la santé publique et non aux profits des grands laboratoires pharmaceutiques, et en procédant à une réforme des accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC).
En conséquence, il est de notre devoir à tous et de notre responsabilité commune de lutter contre l’imposition et la mise en œuvre du modèle capitaliste néolibéral. Nous devons nous engager à garantir des structures sociales et économiques accessibles à tous sur un pied d’égalité, à faire de notre mieux pour mettre en œuvre des modèles d’intégration et de coopération qui profitent aux peuples. Telle est la voie pour atteindre les objectifs de réduction de la pauvreté, de la faim et des maladies, ainsi que le chemin pour parvenir à protéger et à promouvoir les droits politiques, économiques, sociaux et culturels des personnes dans tous nos pays. Il s’agit notamment de l’ALBA, de la CDAA, et de la Charte des droits sociaux, économiques et culturels.
5. Nous réaffirmons notre engagement pour un nouvel ordre des relations internationales et un monde multipolaire, avec une révision immédiate des relations économiques entre les pays et les organes du système mondial de gouvernabilité qui tienne compte des différents niveaux de développement social et économique. Dans certains pays, comme en Afrique, la participation aux échanges commerciaux mondiaux s’élève à peine à un pour cent.
Nous sommes d’avis que les récentes catastrophes naturelles démontrent que des changements climatiques préoccupants sont à l’œuvre et sont induits par les activités humaines à cause du modèle de production capitaliste irrationnel et des mesures gouvernementales irresponsables. Nous réitérons énergiquement notre soutien au protocole de Kyoto et à toute autre initiative internationale qui ait pour objet la protection de l’environnement par un nouveau modèle de développement économique, social et culturel durable. Nous exhortons le gouvernement des États ?Unis à adhérer à ce traité international vital.
Nous estimons qu’il est fondamental pour l’humanité que les gouvernements nationaux élaborent des politiques d’État visant à préserver et à restaurer l’environnement. De même, nous soutenons fermement le droit souverain et entier des nations de l’Amazonie et nous rejetons toute tentative de mainmise, qu’elle soit impérialiste ou d’une quelconque entité internationale.
6. Nous revendiquons la forte présence des mouvements populaires, sujets importants de la construction d’alternatives remettant fermement en question le modèle capitaliste dans sa phase de mondialisation néolibérale. Les mouvements sociaux, les peuples et communautés indigènes et natifs y sont mis en évidence. Nous soulignons tout particulièrement la victoire des secteurs populaires en Bolivie et l’élection au poste de président du dirigeant indien Evo Morales.
Nous reconnaissons la lutte des femmes pour obtenir un niveau de participation plus élevé dans les parlements nationaux et dans l’État, de même que leur contribution à la démocratie dans leurs pays et leurs apports en vue de doter ce monde d’une politique sociale et humaniste. Nous saluons et nous nous félicitons de la victoire de la présidente Michelle Bachelet, élue démocratiquement au Chili.
7. Nous, les participantes et les participants au sixième Forum parlementaire mondial qui a eu lieu les 26 et 27 janvier 2006 à Caracas, dans la République bolivarienne du Venezuela, nous nous déclarons contre la loi HR4437 visant à autoriser la construction d’un mur le long de la frontière entre le Mexique et les États-Unis, et nous exigeons qu’une solution à l’émigration fondée sur le droit international soit trouvée, et non par une militarisation, par la force et par la criminalisation d’innocents. Nous décidons de demander dans nos parlements respectifs la rédaction d’une déclaration condamnant cette loi. Nous affirmons que ce mur inhumain serait un monument au fascisme et à l’intolérance.
8. Nous réitérons notre engagement à consolider le réseau parlementaire international, comme espace ouvert aux courants de pensée afin d’examiner dans le détail les relations et l’adoption d’un ordre du jour commun pour débattre et définir des mécanismes concrets reflétant dans un plan d’action le sentiment de nos peuples vis ?à-vis de l’impérialisme et de sa mondialisation néolibérale. Une telle conviction nous amène à inviter depuis ce Forum à un parlementarisme social qui permette, depuis la rue et avec les peuples, de poser à nouveau les fondements de nos démocraties en partant de la base, par la participation et un rôle populaire prépondérant. Un plan d’action doit être élaboré à partir de cette proposition.
Notre Forum tient à formuler sa reconnaissance envers la longue liste d’hommes et de femmes qui ont donné leur vie pour les idéaux de la construction d’une société libre, juste et égalitaire. Nous rendons tout particulièrement hommage à Schafik Jorge Handal. Comme l’a dit le chanteur populaire vénézuélien Ali Primera, « ceux qui meurent pour la vie ne peuvent pas mourir » ».
Caracas, 26 et 27 janvier 2006, République bolivarienne du Venezuela